concernant la Communication No 415/1990
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été fournies par l'auteur de la communication et par 1'Etat partie intéressé,
Adopte, au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif, les constatations suivantes Les faits présentés par l'auteur 1. L'auteur de la communication est Dietmar Pauger, citoyen autrichien né en 1941 qui habite a Graz (Autriche). Il affirme être victime d'une violation par l'Autriche de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l'Autriche le 10 mars 1908. 2.1 L'auteur travaille comme professeur d'université. Sa femme est morte le 23 juin 1984. Elle était fonctionnaire et enseignait dans une école publique de la province de Styrie (Land Steiermark). Le 24 août 1984, l'auteur a présenté une demande de pension conformément à la loi de 1965 sur les pensions (Pensionsgesetz 1965). Il relève que la loi sur les pensions accorde un traitement préférentiel aux veuves, puisqu'elles perçoivent une pension de réversion quels que soient leurs revenus, alors que les veufs ne peuvent percevoir une telle pension que s'ils n'ont aucune autre forme de revenu. L'auteur ayant un emploi rémunéré, l'administration de la province de Styrie (Steiermarkische Landesresierunq)a rejeté sa demande, et il en a 6th de même pour le recours formé auprès de la Cour constitutionnelle d'Autriche (Verfassunssserichtshof). 2.2 Par la suite, le huitième amendement de la loi sur les pensions (8. Pensionssesetznovelle) du 22 octobre 1985 a créé une pension générale de veuf, avec effet rétroactif au ler mars 1985. Toutefois, l'application du système devait se faire en trois phases, avec le versement d'une pension réduite lors des deux premières : un tiers de la pension était versé à compter du ler mars 1985, deux tiers à compter du ler janvier 1989 et la totalité de la pension à compter du ler janvier 1995. 2.3 Le 13 mai 1985, l'auteur a présenté de nouveau une demande de pension de veuf, qui lui a été accordée à raison du montant réduit (un tiers) stipulé dans le huitième amendement. Toutefois, selon une disposition particulière de cet amendement applicable aux seuls fonctionnaires, à l'origine la pension n'a pas été versée à l'auteur, mais a été mise "en dépôt". 2.4 L'auteur s'est par la suite pourvu devant la Cour constitutionnelle pour demander a) le paiement de la totalité de la pension et b) l'annulation de la àisposition prévoyant la "mise en dépôt" (Ruhensbestimmunq)des pensions de fonctionnaires. Par un arrêt du 16 mars 1988, la Cour constitutionnelle a déclaré la Ruhensbestimmung inconstitutionnelle, mais ne s'est pas prononcée sur la question de la constitutionnalité des trois phases du versement des pensions de veufs. A la suite d'un nouveau recours, la Cour constitutionnelle a débouté, le 3 octobre 1989, l'auteur qui demandait le versement du montant intégral de la pension et l'annulation des trois phases prévues dans la disposition d'application. La plainte 3. L'auteur affirme être victime d'une violation de l'article 26 du Pacte parce que, alors qu'une veuve aurait perçu la totalité de la pension en pareille circonstance, lui-même, en tant que veuf, n'a reçu aucune pension du tout entre le 24 juin 1984 et le 28 février 1985 et n'a perçu qu'un montant partiel de la pension depuis lors. En particulier, l'inégalité de traitement quant au versement des pensions qui résulte des trois phases d'application du huitième amendement à la loi sur les pensions constitue une discrimination, car la distinction établie entre veuves et veufs est arbitraire et ne peut être présentée comme fondée sur des critères raisonnables et objectifs. Décision du Comité concernant la recevabilité 4. A sa quarante et unième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication, notant que 1'Etat partie n'avait formulé aucune objection à la recevabilité de la communication. Le 22 mars 1991, le Comité a déclaré la communication recevable au titre de l'article 26 du Pacte. Observations de 1'Etat partie et commentaires de l'auteur s'y rapportant 5.1 Dans ses observations, en date du 8 octobre 1991, 1'Etat partie fait valoir que l'ancienne législation autrichienne relative aux pensions était fondée sur le fait que dans l'immense majorité des cas, seul l'époux avait un emploi rémunéré, et qu'il était donc seul capable d'acquérir des droits à une pension dont sa femme pouvait bénéficier. Il fait valoir que les conditions sociales ayant changé, il a modifié tant le droit de la famille que la loi sur les pensions; l'égalité de traitement du mari quant à l'application de la loi sur les pensions doit être réalisée en un certain nombre de phases successives, dont la dernière sera achevée le ler janvier 1995. 5.2 L'Etat partie fait valoir en outre que la nouvelle législation, qui vise à changer des traditions sociales anciennes, ne peut se traduire dans les faits du jour au lendemain. Il affirme que l'évolution progressive de la situation juridique des hommes pour ce qui est de leur droit a une pension de reversion était nécessaire compte tenu des conditions sociales actuelles, et n'implique aucune discrimination. L'Etat partie fait observer que l'égalité de traitement des hommes et des femmes quant à l'application du régime de pensions de la fonction publique comporte des répercussions financières dans d'autres domaines, les pensions étant financées par les fonctionnaires sur les traitements desquels sont prélevées les contributions aux fins de pensions. 6.1 Dans sa réponse a la communication de 1'Etat partie, l'auteur fait valoir qu'a la suite d'une modification du droit de la famille, les deux époux ont les mêmes droits et les mêmes devoirs depuis le ler janvier 1976, en particulier pour ce qui est des revenus et de l'obligation mutuelle à'entretien. Il ajoute que dans le secteur public les hommes et les femmes reçoivent une rémunération égale pour des services égaux et sont tenus aussi à verser des contributions égales au fonds de pension. L'auteur affirme que l'émancipation . . des hommes et des femmes dans le droit de la famille remontant à près de deux décennies, rien ne justifie qu'un tel délai soit nécessaire pour que l'émancipation légale se traduise dans la législation des pensions. 6.2 Selon l'auteur, ni la charge financière imposée au budget de l'Etat, ni le fait que de nombreux hommes ont acquis des droits a pensions de leur propre chef ne peuvent servir d'arguments face à l'obligation de traiter les hommes et les femmes également, conformément à l'article 26 du Pacte. L'auteur fait observer que le législateur aurait pu établir d'autres critères -fondés sur le revenu, par exemple -pour distinguer entre ceux qui ont droit à la totalité d'une pension et ceux qui n'y ont pas droit. Il fait valoir en outre que la charge financière qu'entraînerait l'égalité de traitement entre hommes et femmes quant à l'application de la loi sur les pensions serait relativement faible, étant donné le petit nombre des veufs qui ont droit à une telle pension. Examen quant au fond 7.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication a la lumière de tous les renseignements mis a sa disposition par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif. 7.2 Le Comité a déjà eu l'occasion d'exprimer l'opinion selon laquelle l'article 26 du Pacte est également applicable à la législation de la sécurité sociale. Il réaffirme que l'article 26 ne contient en lui-même aucune obligation quant aux questions qui devraient faire l'objet d'une législation. Par exemple, il ne fait obligation à aucun Etat de promulguer une législation relative aux pensions. Toutefois, lorsqu'une telle législation est adoptée, elle doit être conforme à l'article 26 du Pacte. 7.3 Le Comité a toujours estimé et réaffirme que le droit à l'égalité devant la loi et a une égale protection de la loi sans aucune discrimination n'implique pas que toutes les différences de traitement soient discriminatoires. Une différenciation fondée sur des critères raisonnables et objectifs ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l'article 26. 7.4 Pour déterminer si la loi autrichienne sur les pensions, telle qu'elle est appliquée à l'auteur, comportait une différenciation fondée sur des critères qui n'étaient ni raisonnables ni objectifs, le Comité note que le droit autrichien de la famille reconnaît à chacun des conjoints les mêmes droits et les mêmes devoirs, pour ce qui est des revenus et de l'obligation mutuelle d'entretien. Or la loi sur les pensions, telle qu'elle a été modifiée le 22 octobre 1985, prévoit que les veufs ne peuvent prétendre a la totalité d'une pension de réversion que s'ils n'ont aucune autre source de revenu: cette condition fondée sur le revenu n'est pas applicable aux veuves. En vertu de ladite loi, les veufs ne pourront faire valoir le droit a la totalité de la pension de réversion, à égalité avec les veuves, qu'à partir du ler janvier 1995. Cela veut en fait dire que les hommes et les femmes placés dans les mêmes conditions sociales sont traités différemment à seule raison de leur sexe. Une telle différenciation n'est pas raisonnable, comme 1'Etat partie le reconnaît implicitement lorsqu'il déclare que le but ultime de la législation est de parvenir à la pleine égalité entre hommes et femmes en 1995. 8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 au Protocole facultatif, estime que l'application à l'auteur de la communication de la loi autrichienne sur les pensions après le 10 mars 1988, date d'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'Autriche, a fait de lui une victime d'une violation de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, parce qu'en tant que veuf, il s'est vu refuser le droit a une pension de réversion pleine et entière, à égalité avec les veuves. 9. Le Comité note avec satisfaction que 1'Etat partie a pris les mesures t nécessaires pour abolir les dispositions discriminatoires contenues dans la loi sur les pensions à compter de 1995. Le Comité estime nonobstant que 1'Etat partie devrait octroyer a M. Dietmar Pauger une réparation appropriée. 10. Le Comité serait heureux de recevoir, dans un délai de 90 jours, tout renseignement concernant les mesures pertinentes prises par 1'Etat partie pour tenir compte des constatations du Comité.