Comité des droits de l'homme
Quarante-neuvième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Quarante-neuvième session -
Communication No. 418/1990
Présentée par : Mme C. H. J. Cavalcanti Araujo-Jongen (représentée
par un conseil)
Au nom de : L'auteur
État partie : Pays-Bas
Date de la communication : 16 août 1990 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 octobre 1993,
Ayant achevé l'examen de la communication No 418/1990, présentée
au Comité des droits de l'homme par Mme C. H. J. Cavalcanti Araujo-Jongen
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'État partie,
Adopte ses constatations au titre du paragraphe 4 de l'article
5 du Protocole facultatif.
Rappel des faits présentés par l'auteur
1. L'auteur de la communication est Mme C. H. J. Cavalcanti Araujo-Jongen,
citoyenne néerlandaise, résidant à Diemen (Pays-Bas). Elle affirme être
victime d'une violation, par les Pays-Bas, de l'article 26 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil.
2.1 L'auteur, née en 1939, est mariée à M. Cavalcanti Araujo. De septembre
1979 à janvier 1983, elle a travaillé comme secrétaire à temps partiel
(20 heures par semaine). Le 1er février 1983, elle s'est retrouvée sans
emploi. En vertu de la loi sur le chômage, il lui a été accordé une allocation
de chômage. Conformément aux dispositions de la loi susmentionnée, cette
allocation lui a été servie pour la période maximum, soit six mois (jusqu'au
1er août 1983). L'auteur a trouvé un nouvel emploi par la suite et a recommencé
à travailler le 24 avril 1984.
2.2 Ayant bénéficié d'une allocation au titre de la loi sur le chômage
pour la période maximum, l'auteur, en sa qualité de chômeuse en 1983-1984,
affirme qu'elle avait droit à des allocations au titre de la loi alors
en vigueur sur les allocations de chômage pour une période maximum de
deux ans. Ces allocations s'élevaient à 75 % du dernier salaire reçu,
tandis que les allocations accordées au titre de la loi sur le chômage
représentaient 80 % de ce dernier salaire.
2.3 L'auteur a fait le 11 décembre 1986 une demande d'allocation au titre
de la loi sur les allocations de chômage auprès de la municipalité de
Leusden, localité où elle avait alors son domicile. Sa demande a été rejetée
le 8 avril 1987 au motif que, en tant que femme mariée n'ayant pas qualité
de soutien de famille, elle ne remplissait pas les conditions requises
par la loi en question. Ce refus se fondait sur l'article 13, paragraphe
1, premier alinéa, de la loi sur les allocations de chômage, qui ne s'appliquait
pas aux hommes mariés.
2.4 Le 2 juillet 1987, la municipalité a confirmé sa décision. L'auteur
s'est pourvue devant la Chambre des requêtes d'Utrecht, qui, par une décision
du 22 février 1988, a déclaré que sa demande était fondée; la décision
du 8 avril 1987 a donc été annulée.
2.5 La municipalité a formé à son tour un recours devant la Chambre centrale
des requêtes, qui, le 10 mai 1989, a confirmé les décisions antérieures
de la municipalité et annulé la décision de la Chambre des requêtes d'Utrecht.
L'auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles.
Teneur de la plainte
3.1 De l'avis de l'auteur, le refus de lui accorder une allocation au
titre de la loi sur les allocations de chômage constitue une mesure de
discrimination au regard de l'article 26 du Pacte. Elle fait référence
aux constatations du Comité des droits de l'homme concernant les communications
No 172/1984 (Broeks c. Pays-Bas) et No 182/1984 (Zwaan-de
Vries c. Pays-Bas).
3.2 Dans sa décision du 10 mai 1989, la Chambre centrale des requêtes
admet, comme dans des décisions antérieures, que l'article 26 pris conjointement
avec l'article 2 du Pacte s'applique aussi à l'attribution d'allocations
de sécurité sociale et à d'autres prestations analogues. Elle a noté d'autre
part que l'exclusion explicite des femmes mariées ne remplissant pas certaines
conditions spécifiques non exigées des hommes mariés impliquait une discrimination
directe fondée sur le sexe en matière de statut (matrimonial). Elle a
estimé toutefois "que, pour ce qui est de l'élimination de la discrimination
dans le domaine de la législation nationale relative à la sécurité sociale,
certaines situations appellent une mise en oeuvre progressive en ce qui
concerne le moment où le traitement inégal ... ne peut plus être considéré
comme acceptable et le moment où il n'est plus possible de dénier à l'article
26 une applicabilité directe du point de vue de la législation nationale".
La Chambre centrale concluait, à l'égard de la disposition en question
de la loi sur les allocations de chômage, que le moment à partir duquel
il n'était pas possible de dénier à l'article 26 du Pacte une applicabilité
directe était le 23 décembre 1984, date limite fixée par la troisième
directive de la Communauté économique européenne sur l'élimination de
la discrimination entre hommes et femmes à l'intérieur de la Communauté.
3.3 L'auteur note que le Pacte est entré en vigueur pour les Pays-Bas
le 11 mars 1979 et que, de ce fait, l'article 26 était directement applicable
à partir de cette date. Elle fait valoir que la date du 23 décembre 1984
résulte d'un choix arbitraire, puisqu'il n'existe aucun lien formel entre
le Pacte et la troisième directive de la Communauté économique européenne.
Dans des décisions antérieures, la Chambre centrale des requêtes n'avait
d'ailleurs pas toujours été du même avis quant à l'applicabilité directe
de l'article 26. Par exemple, dans une affaire se rapportant à la loi
générale sur l'incapacité (AAW), elle a décidé que le moment à partir
duquel il n'était plus possible de dénier à l'article 26 une applicabilité
directe était le 1er janvier 1980.
3.4 L'auteur déclare qu'en ratifiant le Pacte, les Pays-Bas ont accepté
que ses dispositions soient directement applicables, conformément aux
articles 93 et 94 de la Constitution. De plus, même si on suppose que
l'élimination seulement progressive de la discrimination était autorisée
par le Pacte, la période transitoire de près de 13 ans qui s'était écoulée
entre l'adoption du Pacte en 1966 et son entrée en vigueur pour les Pays-Bas
en 1979 était suffisante pour permettre aux Pays-Bas d'adapter leur législation
en conséquence.
3.5 L'auteur affirme avoir subi un préjudice du fait de l'application
des dispositions discriminatoires figurant dans la loi sur les allocations
de chômage, en ce sens que des prestations au titre de cette loi lui ont
été refusées pour la période du 1er août 1983 au 24 avril 1984. Elle prétend
que ces prestations auraient dû être accordées aux femmes tout comme aux
hommes à compter du 11 mars 1979 (date à laquelle le Pacte est entré en
vigueur pour les Pays-Bas) — dans son cas à compter du 1er août
1983 — nonobstant les mesures ultérieurement adoptées par le gouvernement
pour accorder aux femmes mariées des prestations au titre de la loi sur
les allocations de chômage dans des conditions d'égalité après le 23 décembre
1984.
Décision du Comité concernant la recevabilité
4.1 À sa quarante-quatrième session, le Comité a examiné la question
de la recevabilité de la communication. Le Comité a noté que dans ses
observations du 11 décembre 1990, l'État partie n'avait pas élevé d'objection
quant à la recevabilité de la communication et qu'il avait concédé que
l'auteur avait épuisé les recours internes disponibles.
4.2 Le 20 mars 1992, le Comité a déclaré la communication recevable dans
la mesure où elle pouvait poser des problèmes relevant de l'article 26
du Pacte.
Observations de l'État partie sur le fond et commentaires de l'auteur
5.1 Dans ses observations datées du 8 décembre 1992, l'État partie affirme
que la communication de l'auteur est dépourvue de fondement, dans la mesure
où les faits de l'affaire ne révèlent pas de violation de l'article 26
du Pacte.
5.2 L'État partie déclare que les dispositions de l'article 13, paragraphe
1, premier alinéa, de la loi sur les allocations de chômage, sur lesquelles
se fondait le refus de l'allocation de chômage demandée par l'auteur de
la communication, ont été abrogées par la loi du 24 avril 1985. Il était
toutefois précisé dans cette loi que la loi jusque-là en vigueur —
y compris l'article 13, paragraphe 1, premier alinéa, sur lequel portait
la controverse — demeurait applicable aux femmes mariées ayant perdu
leur emploi avant le 23 décembre 1984. Comme ces dispositions de caractère
transitoire avaient été abondamment critiquées, elles ont été abrogées
par la loi du 6 juin 1991. Il s'ensuit que les femmes, qui dans le passé
ne pouvaient pas prétendre à des prestations au titre de la loi sur les
allocations de chômage en raison de l'application du critère de soutien
de famille, peuvent les réclamer avec effet rétroactif, sous réserve qu'elles
remplissent les autres conditions prévues par la loi. Une de ces conditions
est celle d'être en chômage à la date de la demande.
5.3 L'État partie fait valoir en conséquence que si l'auteur avait été
en chômage à la date de la demande de prestations au titre de la loi sur
les allocations de chômage, elle aurait eu droit aux prestations avec
effet rétroactif en sa qualité de chômeuse à compter du 1er février 1983.
Or, comme l'auteur a trouvé un autre emploi en avril 1984, elle ne saurait
prétendre aux prestations au titre de la loi sur les allocations de chômage
avec effet rétroactif. L'État partie souligne que depuis que la loi a
été modifiée le 6 juin 1991, l'obstacle qui fait que l'auteur ne peut
prétendre à des prestations ne tient pas au critère de soutien de famille,
mais bien au fait qu'elle ne remplit pas les autres conditions requises
par la loi et qui s'appliquent à tous, aux hommes comme aux femmes.
5.4 L'État partie affirme qu'en modifiant la loi sur ce point, il a satisfait
au principe d'égalité devant la loi tel qu'il est énoncé à l'article 26
du Pacte.
5.5 De plus, l'État partie réitère les observations qu'il a faites à
propos des communications Nos 172/1984a et 182/1984b.
Il souligne que le critère de soutien de famille dans la loi sur les allocations
de chômage visait non pas à introduire un élément de discrimination entre
les hommes mariés et les femmes mariées, mais plutôt à refléter un fait
de société, à savoir que les hommes étaient en général les soutiens de
famille alors que les femmes ne l'étaient pas. L'État partie fait donc
valoir que la loi ne violait pas l'article 26 du Pacte, dans la mesure
où des motifs objectifs et raisonnables existaient à l'époque pour justifier
la différence de traitement entre les hommes mariés et les femmes mariées.
5.6 L'État partie affirme en outre que l'incorporation de l'égalité en
droits dans la législation nationale dépend de la nature de l'objet auquel
le principe d'égalité doit s'appliquer. L'État affirme qu'en matière de
sécurité sociale, la différenciation s'impose pour des motifs de justice
sociale. L'inclusion de la notion de soutien de famille dans la loi sur
les allocations de chômage devrait être appréhendée sous cet angle, car
son objet était de réserver l'admission au bénéfice des prestations aux
soutiens de famille. Dans ce contexte, l'État partie renvoie à l'opinion
individuellec jointe aux constatations du Comité sur la communication
No 395/1990d, dans laquelle il est dit ce qui suit : "il
ne convient pas d'interpréter l'article 26 comme exigeant l'égalité ou
la non-discrimination absolue, à tout moment, dans ce domaine [celui de
la sécurité sociale]; il convient au contraire d'y voir un engagement
général pris par les États parties au Pacte de revoir régulièrement leur
législation de manière à assurer qu'elle corresponde aux besoins en constante
évolution de la société".
5.7 À cet égard, l'État partie affirme qu'il adapte régulièrement sa
législation sur la sécurité sociale en fonction de l'évolution du climat
social et/ou de la structure de la société, comme il l'a fait dans le
cas de la loi sur les allocations de chômage. Il conclut qu'en modifiant
ladite loi en 1991, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent
en vertu de l'article 26 et des paragraphes 1 et 2 de l'article 2 du Pacte.
6.1 Dans ses observations du 8 mars 1993, le conseil de l'auteur souligne
que la question au coeur de la communication est celle de savoir si l'article
26 du Pacte avait acquis un effet direct avant le 23 décembre 1984, plus
précisément le 1er août 1983. Elle soutient que l'exclusion expresse des
femmes mariées du bénéfice de la loi sur les allocations de chômage valait
discrimination fondée sur le sexe en matière de statut matrimonial. Elle
affirme que, quand bien même il existait des motifs objectifs et raisonnables
qui justifiaient une différence de traitement entre les hommes mariés
et les femmes mariées au moment de la promulgation de la disposition en
question, la situation de la société ne le justifiait plus en août 1983.
6.2 Le conseil affirme que la loi telle que modifiée ne permet toujours
pas à l'auteur, qui a trouvé un nouvel emploi, de prétendre aux prestations
qui lui ont été refusées dans le passé. À ce sujet, elle souligne que,
si l'auteur n'a pas réclamé de prestations alors qu'elle était en chômage,
c'est parce que la loi à l'époque ne lui reconnaissait aucun droit aux
prestations prévues par la loi sur les allocations de chômage. L'auteur
a demandé à être admise au bénéfice de la loi après que la condition de
soutien de famille applicable aux femmes eut été supprimée à compter du
23 décembre 1984, mais elle avait alors déjà trouvé un nouvel emploi.
Elle soutient que l'effet discriminatoire de la disposition en question
de la loi sur les allocations de chômage n'a pas été aboli en ce qui la
concerne, mais qu'il subsiste.
6.3 Le conseil se réfère aux constatations du Comité relatives aux communications
Nos 172/1984a et 182/1984b et prétend que, même
si une période transitoire est acceptable pour permettre d'aligner la
loi sur le Pacte, sa durée, de la date d'entrée en vigueur du Pacte (11
mars 1979) à la date de la modification apportée à la loi (6 juin 1991),
est déraisonnable. Elle maintient donc que l'État partie a violé l'article
26 du Pacte en ce qui concerne l'auteur, en lui refusant une prestation
au titre de la loi sur les allocations de chômage pour la période de chômage
allant du 1er août 1983 au 24 avril 1984.
Examen de la communication quant au fond
7.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations que les parties lui avaient
communiquées conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole
facultatif.
7.2 Le Comité était appelé à s'interroger sur la question de savoir si
l'auteur est victime d'une violation de l'article 26 du Pacte : a) parce
que, du fait de l'état et de l'application de la loi en août 1983, elle
n'était pas fondée à percevoir les prestations prévues dans la loi sur
les allocations de chômage; et b) parce que, en vertu de l'application
actuelle de la loi telle que modifiée, elle n'est toujours pas fondée
à percevoir des prestations pour la période de chômage allant du 1er août
1983 au 24 avril 1984. À cet égard, l'auteur a également prié le Comité
de conclure que le Pacte a acquis un effet direct aux Pays-Bas à compter
du 11 mars 1979, ou en tout cas à compter du 1er août 1983.
7.3 Le Comité rappelle sa jurisprudence antérieure et fait observer qu'un
État n'est pas tenu aux termes du Pacte d'adopter une législation en matière
de sécurité sociale, mais que s'il le fait, cette législation doit être
conforme à l'article 26 du Pacte.
7.4 Le Comité fait observer que, même si la loi en vigueur en 1983 n'était
pas compatible avec l'article 26 du Pacte, la situation a été rectifiée
par l'amendement, avec effet rétroactif, de cette loi le 6 juin 1991.
Le Comité note que l'auteur affirme que la loi modifiée constitue encore
à son endroit une mesure discriminatoire indirecte en posant comme condition
que le demandeur soit en chômage au moment où il fait la demande, ce qui
empêche en réalité l'auteur d'avoir accès aux prestations avec effet rétroactif.
Le Comité estime que le critère de la qualité de chômeur au moment de
la demande de prestations est en soi raisonnable et objectif eu égard
aux buts de la législation en question, qui sont en particulier de venir
en aide aux personnes en chômage. Le Comité conclut par conséquent que
les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l'article
26 du Pacte.
7.5 Quant à la demande faite par l'auteur, à savoir que le Comité conclue
que l'article 26 du Pacte a acquis un effet direct aux Pays-Bas à compter
du 11 mars 1979, date à laquelle le Pacte est entré en vigueur pour l'État
partie, ou en tout cas à compter du 1er août 1983, le Comité note que
la méthode d'intégration du Pacte dans la législation et la pratique nationales
varie en fonction des systèmes juridiques. La question de savoir si l'article
26 a acquis un effet direct aux Pays-Bas et à quelle date relève donc
du droit interne et n'est pas du ressort du Comité.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits à lui
soumis ne font pas apparaître de violation d'une disposition quelconque
du Pacte.
[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol et
en français.]
Notes
a Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-deuxième
session, Supplément No 40 (A/42/40), annexe VIII.B, Broeks c.
Pays-Bas, constatations adoptées le 9 avril 1987.
b Ibid., annexe VIII.D, Zwaan-de Vries c. Pays-Bas,
constatations adoptées le 9 avril 1987.
c Opinion individuelle de MM. Nisuke Ando, Kurt Herndl et
Briame Ndiaye.
d Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-septième
session, Supplément No 40 (A/47/40), annexe IX.P, Sprenger
c. Pays-Bas, constatations adoptées le 31 mars 1992.