Comité des droits de l'homme
Quarante-sixième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Quarante-sixième session -
Communication No 420/1990
Présentée par : G. T. (nom supprimé)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Canada
Date de la communication : 22 mars 1990 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, créé en vertu de l'article 28
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 23 octobre 1992,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. Cette communication émane de G. T., ressortissant canadien résidant
à Toronto (Canada), qui se dit victime d'une violation de ses droits fondamentaux
par le Gouvernement canadien. Il n'est pas fait mention du Pacte.
Les faits présentés
2.1 L'auteur déclare qu'il a été employé pendant 11 ans comme professeur
d'éducation physique par le Board of Education (Conseil de l'enseignement)
de la ville de North York (ci-après appelé North York Board). Au début
de 1986, conformément aux dispositions d'une convention collective concernant
les réductions d'effectifs conclue entre le North York Board et l'Ontario
Secondary School Teachers' Federation District 13 (ci-après appelée la
Fédération), le North York Board a estimé qu'il n'avait plus besoin des
services de l'auteur et, en conséquence, a décidé, le 20 août 1986, de
le transférer au Metropolitan Separate School Board, Conseil de l'enseignement
catholique dont l'aire de compétence coïncide avec celle du North York
Board, conformément à l'article 136-1(1) de l'Education Amendment Act
(nouvelle loi sur l'éducation) de 1986 communément désignée sous le nom
de "Bill 30".
2.2 Selon l'article 136-1(10) du Bill 30 :
"Si une personne ainsi désignée élève contre son transfert au Conseil
de l'enseignement catholique une objection fondée sur des motifs de
conscience, elle doit en informer le Conseil de l'enseignement public,
et celui-ci nommera une autre personne à sa place, à moins qu'il n'estime
que l'objection n'est pas formulée de bonne foi."
2.3 Certains des enseignants désignés en juillet et en août 1986 par
le North York Board conformément à l'article 136-1(1) ont élevé contre
leur transfert une objection fondée sur des motifs de conscience et d'autres
enseignants ont été nommés à leur place, tandis que ceux des enseignants
qui n'avaient pas élevé d'objection fondée sur des motifs de conscience
étaient transférés au Metropolitan Separate School Board, cette mesure
prenant effet au 1er septembre 1986. Initialement, le North York Board
a informé l'auteur qu'il avait jusqu'au 5 septembre 1986 pour élever une
objection fondée sur des motifs de conscience; par la suite, ce délai
a été prorogé jusqu'au 12 septembre 1986.
2.4 Le Metropolitan Separate School Board a prié l'auteur de ne pas prendre
son service avant le 12 septembre 1986, car aucune vacance de poste de
professeur d'éducation physique n'était signalée. L'auteur fait donc valoir
qu'il n'a eu aucune expérience du système d'enseignement catholique avant
la date limite pour le dépôt des objections de conscience fixée par le
North York Board.
2.5 Le 12 septembre 1986, l'auteur a été nommé à la Senator O'Connor
Secondary School. On ne lui a toutefois pas attribué de poste correspondant
à ses qualifications et à son expérience. En décembre 1986, sa candidature
à un poste de "responsable de l'éducation physique" dans un
établissement d'enseignement secondaire du Metropolitan Separate School
Board a été rejetée. Le motif du refus était que l'auteur n'avait aucune
expérience du système d'enseignement catholique. En septembre 1987, il
a reçu une nouvelle affectation, comme assistant d'un professeur d'éducation
physique à la Father Brebeuf Secondary School.
2.6 Au cours des deux premières semaines qu'il a passées comme enseignant
à la Father Brebeuf School, l'auteur s'est rendu compte qu'il ne lui était
plus possible d'enseigner dans un milieu dont les règles et les convictions
étaient incompatibles avec les siennes. De plus, il avait appris entre-temps
que deux autres enseignants, qui eux aussi avaient élevé contre leur transfert
une objection fondée sur des motifs de conscience, postérieurement à la
date effective du transfert, avaient été autorisés à réintégrer le système
de l'enseignement public. Il a donc décidé de ne plus se présenter à son
travail. Le 14 septembre 1987, il a élevé une objection auprès du North
York Board, conformément à l'article 136-1(10) du Bill 30.
2.7 Le Directeur du North York Board ayant fait savoir à l'auteur, le
2 novembre 1987, que son objection avait été rejetée, la Fédération des
enseignants a formé un recours contre la décision du Board au nom de l'auteur.
L'affaire a été portée devant un conseil d'arbitrage constitué conformément
à l'article 136m(1) du Bill 30. Le 17 août 1988, le Conseil d'arbitrage
a rejeté la plainte en faisant valoir que l'auteur ne pouvait faire état
d'un droit statutaire à être réintégré dans le système public en vertu
du Bill 30, car l'on ne pouvait en interpréter l'article 136-1(10) comme
conférant pareil droit. Il a rejeté l'argument de l'auteur selon lequel
les droits reconnus à celui-ci par la Charte canadienne des droits et
libertés avaient été violés, en particulier le droit à la non-discrimination
et à la liberté de conscience, de pensée, de croyance et de religion.
2.8 Ultérieurement, la Fédération, au nom de l'auteur, a formé un recours
contre la décision du Conseil d'arbitrage devant le tribunal de l'Ontario,
qui l'a rejetée le 21 août 1989.
La plainte
3.1 L'auteur affirme qu'il n'a pas bénéficié de conditions d'égalité
avec les enseignants catholiques et précise, à ce sujet, qu'aucun poste
correspondant à ses qualifications et à son expérience ne lui a été proposé.
Il affirme en outre qu'il n'a pas été autorisé à aborder avec les étudiants
certaines questions relatives à la santé, telles que la contraception,
l'avortement et le sida, car il ne partageait pas les convictions catholiques.
3.2 L'auteur fait valoir qu'il n'a commencé à éprouver des objections
de conscience qu'après avoir travaillé un certain temps dans le système
d'éducation catholique. Il souligne qu'il a pris ses fonctions dans ce
système avec un esprit ouvert et sans préjugés.
3.3 L'auteur se dit victime d'une discrimination de la part du North
York Board dans la mesure où deux enseignants transférés au Metropolitan
Separate School Board ont été autorisés par la suite à réintégrer le système
de l'enseignement public. Il précise, en outre, qu'un des deux enseignants
en question a notifié son objection au North York Board le 11 septembre
1986 et que le second l'a fait le 4 novembre 1986. A l'appui de son argumentation,
l'auteur invoque une opinion dissidente présentée par un des membres du
Conseil d'arbitrage, selon laquelle l'article 136-1(10) du Bill 30 ne
prévoit pas de délai pour élever une objection de conscience. Selon cette
opinion, l'existence d'un délai ne saurait être déduite des autres articles
de cette loi.
3.4 Bien que l'auteur n'invoque aucun article du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, il ressort de sa communication
qu'il s'affirme victime d'une violation au titre des articles 18 et 26
du Pacte.
Observations de l'Etat partie et réponse de l'auteur
4.1 L'Etat partie, dans une communication du 5 novembre 1991, affirme
que la communication est irrecevable conformément aux dispositions du
paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif. Selon lui, en
ne faisant pas appel de la décision du Tribunal de l'Ontario devant la
cour d'appel de ce même Etat, l'auteur a empêché les tribunaux canadiens
de se prononcer définitivement sur sa requête. L'Etat partie indique également
que l'auteur aurait pu obtenir une assistance juridique pour introduire
un pourvoi.
4.2 L'Etat partie affirme en outre que des recours étaient ouverts à
l'auteur par le Code des droits de l'homme de l'Ontario, dont l'article
4 interdit expressément la discrimination dans l'emploi. Tant la jurisprudence
que le Code de l'Ontario indiquent clairement que la législation relative
à l'arbitrage des différends n'exclut pas la compétence de la Commission
des droits de l'homme de l'Ontario, ni, ultérieurement, du Board of Inquiry.
L'Etat partie précise que la procédure est gratuite pour le plaignant
et que, dans le passé, des décisions ont été rendues qui prévoyaient la
réintégration de salariés. Il est possible de faire appel des décisions
du Board of Inquiry devant le Tribunal de l'Ontario.
4.3 L'Etat partie ajoute que l'auteur n'a pas suffisamment étayé sa plainte
faisant état d'une violation des droits que lui reconnaît le Pacte. Il
fait observer à cet égard que l'auteur n'a invoqué aucun des articles
de ce pacte. S'il se considère victime d'une violation de l'article 26,
il n'a fourni aucune preuve de différences indues qui pourraient être
assimilées à de la discrimination.
4.4 A cet égard, l'Etat partie explique que les dispositions de l'article
136-1(21) de la loi sur l'éducation protègent les enseignants nommés à
des postes comparables à celui de l'auteur contre la discrimination dans
l'emploi pour des raisons de religion. Il affirme que l'auteur n'a pas
exercé son droit de s'opposer à son transfert pour des raisons de conscience
dans les délais prévus par la loi. Rien dans le Protocole facultatif ne
protège quelqu'un qui n'a pas fait usage des recours prévus pour garantir
la liberté de religion et de conscience au cours d'un processus de modification
des affectations entre les différents systèmes d'éducation. Enfin, rien
ne prouve que l'auteur ait dû d'une quelconque façon adopter ou exprimer
des convictions ou des opinions qui sont celles de la religion catholique.
5.1 Dans sa lettre du 3 septembre 1991 relative aux observations de l'Etat
partie, l'auteur souligne qu'il ne pouvait pas, de bonne foi, élever des
objections de conscience contre son transfert avant le 12 septembre 1986,
date limite fixée par le School Board de North York, car il n'avait jamais
travaillé dans un système d'éducation catholique et n'avait donc aucune
expérience à cet égard. Ce n'est qu'en septembre 1987 qu'il s'est aperçu
que deux autres enseignants avaient été autorisés à revenir au système
d'enseignement public après le 12 septembre 1986. Il affirme donc qu'il
n'aurait pas pu présenter sa demande à une date antérieure.
5.2 En ce qui concerne l'affirmation de l'Etat partie selon laquelle
l'auteur n'a pas suffisamment étayé sa plainte faisant état d'une discrimination,
l'auteur rappelle que le Metropolitan Separate School Board a refusé de
l'inscrire sur la liste des candidats éventuels au poste de responsable
de l'éducation physique dans un établissement d'enseignement secondaire
relevant du Board (voir par. 2.5 de la présente décision).
5.3 En ce qui concerne l'affirmation de l'Etat partie selon laquelle
l'auteur n'a pas épuisé les recours internes, celui-ci répond qu'à la
suite de la décision du Tribunal de l'Ontario, la Fédération, qui lui
avait fourni les services d'un avocat, a décidé de cesser de l'aider.
L'auteur affirme que, ne pouvant pas payer d'avocat, il n'a pas pu poursuivre
la procédure d'appel. Il affirme en outre que trop de temps s'est écoulé
et qu'il ne peut plus introduire de recours.
Délibérations du Comité et questions dont il est saisi
6.1 Avant d'examiner une plainte contenue dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son
règlement intérieur, décider si la communication est ou non recevable
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 En ce qui concerne l'objection de l'Etat partie selon laquelle l'auteur
n'a pas indiqué les articles du Pacte qui auraient été violés, le Comité
rappelle que, dans ses décisions antérieures, il n'a jamais exigé des
auteurs qu'ils invoquent des articles précis du Pacte et que
la procédure offerte aux auteurs par le Protocole facultatif prévoit que
ceux-ci doivent exposer les faits pertinents et apporter des preuves à
l'appui de leurs affirmations.
6.3 Le Comité fait observer que l'auteur n'a pas demandé à la Cour d'appel
de l'Ontario de reconsidérer la décision du Tribunal de l'Ontario et qu'il
ne semble pas s'être beaucoup employé à obtenir une assistance judiciaire
au sens de la loi sur l'assistance judiciaire de l'Ontario. En outre,
l'auteur n'a pas recouru aux procédures prévues par le Code des droits
de l'homme de l'Ontario, démarche qui ne lui aurait rien coûté. L'Etat
partie a affirmé — et l'auteur n'a pas contesté cette affirmation
— qu'une requête adressée à la Commission des droits de l'homme
de l'Ontario ou, ultérieurement, au Board of Inquiry, aurait pu lui permettre
d'être réintégré dans le système d'enseignement public.
6.4 A la lumière de ce qui précède, le Comité conclut que l'auteur n'a
pas épuisé les recours internes comme le paragraphe 2 b) de l'article
5 du Protocole facultatif l'exige.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable aux termes du paragraphe 2 b)
de l'article 5 du Procotole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie et à l'auteur.
[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol,
en français et en russe.]
Note
Voir la décision du Comité relative à la communication No 273/1988 (D.
B. c. Pays-Bas), par. 6.3.