Comité des droits de l'homme
Cinquante et unième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Cinquante et unième session -
Communication No. 425/1990
Présentée par : A. M. M. Doesburg Lannooij Neefs
Au nom de : L'auteur
État partie : Pays-Bas
Date de la communication : 15 août 1990 (communication initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 15 juillet 1994,
Ayant achevé l'examen de la communication No 425/1990, qui lui
a été présentée par M. A. M. M. Doesburg Lannooij Neefs en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication (datée du 15 août 1990) est M. A. M.
M. Doesburg Lannooij Neefs, citoyen néerlandais né en 1958 et qui réside
actuellement à Naarden (Pays-Bas). Il prétend être victime d'une violation,
de la part des Pays-Bas, de l'article 26 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 En 1983, l'auteur a conclu un contrat de sous-location avec sa mère,
avec laquelle il partageait un logement. Le 29 septembre 1986, alors qu'il
était au chômage, il a demandé à bénéficier de prestations en vertu de
la loi sur la sécurité sociale (Algemene Bijstandswet), du fait
que les allocations versées conformément à la loi sur les allocations
de chômage (Wet Werkloosheidsvoorziening) devaient prendre fin
le 1er octobre 1986.
2.2 En vertu de la loi sur la sécurité sociale, une personne peut toucher
une allocation si elle ne dispose pas de ressources suffisantes pour assurer
sa subsistance. Le montant de la prestation dépend de la situation de
l'intéressé; une distinction est établie notamment entre les personnes
qui vivent seules et celles qui partagent un logement. En vertu de l'article
1 4) a) du décret royal du 13 mars 1985 qui définit les modalités d'application
de la loi, un sous-locataire ou un pensionnaire est considéré comme une
personne qui vit seule et a de ce fait le droit de percevoir l'intégralité
de la prestation prévue par la loi. Toutefois, le décret limite la portée
de cet article en stipulant qu'une personne partageant un logement avec
un parent proche ne peut pas être considérée comme un sous-locataire ou
un pensionnaire sauf si le parent en question est un frère ou une soeur
et si la cohabitation repose sur un contrat commercial.
2.3 Le 28 octobre 1986, la municipalité de Naarden a décidé d'accorder
une prestation réduite à l'auteur en vertu de la loi sur la sécurité sociale,
compte tenu du fait qu'il vivait avec sa mère. Ce dernier a fait appel
de la décision le 10 novembre 1986 et, n'ayant pas reçu de réponse dans
le délai prescrit d'un mois, il a formé un recours devant les autorités
provinciales de la Hollande septentrionale en vertu de l'article 41 de
la loi, en faisant valoir notamment que la distinction établie dans le
décret entre les pensionnaires et les sous-locataires qui cohabitent avec
des personnes auxquelles ils ne sont pas apparentés et ceux qui cohabitent
avec des parents impliquait une discrimination illégale. Le 24 avril 1987,
la Commission provinciale de recours (Commissie Beroepszaken Administratieve
Geschillen) a rejeté l'appel.
2.4 Le 9 août 1990, la Division du contentieux administratif du Conseil
d'État (Raad van State, Afdeling Geschillen van Bestuur) a rejeté
le recours ultérieur exercé par l'auteur. Selon elle, la distinction reposait
sur la supposition que les personnes qui occupent le même logement et
sont unies par des liens de proche parenté sont solidaires. La Division
a jugé que cette supposition n'était pas déraisonnable et qu'elle fournissait
un motif suffisant pour justifier la distinction établie entre les parents
proches et les sous-locataires ou les pensionnaires qui partagent un logement.
Teneur de la plainte
3. L'auteur prétend que la différenciation introduite dans les normes
implique une discrimination au sens de l'article 26 du Pacte. Selon lui,
la distinction établie entre les proches parents et les autres personnes
qui partagent dans les deux cas un logement sur la base d'un contrat commercial
et qui vivent dans les mêmes conditions, est déraisonnable.
Décision du Comité concernant la recevabilité
4. À sa quarante-huitième session, le Comité a examiné la question de
la recevabilité de la communication. Il a pris note du fait que l'État
partie a confirmé que tous les recours internes avaient été épuisés et
qu'il ne formulait pas d'objections quant à la recevabilité de la communication.
Le 26 juillet 1993, le Comité a déclaré la communication recevable au
motif qu'elle peut soulever des questions au regard de l'article 26 du
Pacte.
Observations de l'État partie quant au fond et commentaires de
l'auteur
5.1 Dans les observations qu'il a présentées le 30 mars et le 29 avril
1994, l'État partie rappelle que l'auteur perçoit une allocation en vertu
de la loi sur la sécurité sociale depuis le 1er octobre 1986. Le montant
de cette allocation a été établi en fonction du fait que l'auteur est
célibataire et vit avec sa mère. L'État partie fait valoir que la loi
sur la sécurité sociale a pour but de garantir un revenu minimum à ceux
qui n'ont pas de revenus propres ou qui ne disposent pas de revenus personnels
suffisants. La principale raison d'être des prestations étant de couvrir
les besoins des intéressés, les prestations sont calculées en fonction
de la situation de chaque bénéficiaire. Pour rationaliser les décisions
en la matière, l'État partie a distingué différentes catégories donnant
droit à différents montants de prestations. Selon cette grille, un couple
marié sans revenu recevra une allocation équivalente au salaire minimum,
un parent seul recevra 90 % de cette somme et une personne célibataire
n'ayant personne à charge 70 %.
5.2 L'État partie indique que les prestations versées sont conçues pour
couvrir les frais nécessaires à la subsistance des intéressés, y compris
les frais de logement. Pour lui, il est donc raisonnable de réduire le
montant de l'allocation si le bénéficiaire a des dépenses moindres en
raison du fait qu'il partage un logement. En règle générale, les personnes
seules partageant un logement sur une base non commerciale reçoivent 60
% du salaire minimum. On estime qu'une personne qui partage un logement
partage les frais à part égale, quelle que soit la répartition effective
du paiement des frais. Des parents proches vivant sous un même toit sont
présumés partager un logement sur une base non commerciale. La preuve
du contraire est admise de la part d'un bénéficiaire vivant avec un frère
ou une soeur, mais non de la part d'une personne vivant avec un de ses
parents. À cet égard, l'État partie souligne que la distinction établie
découle des obligations qui incombent aux membres d'une même famille en
vertu du droit civil. Le Code civil néerlandais impose aux parents et
aux enfants une obligation mutuelle d'entretien pour assurer les besoins
de subsistance mais ne prévoit pas d'obligation analogue pour les frères
et soeurs. L'État partie soutient que l'établissement d'une distinction
entre des personnes qui ont des obligations différentes les unes envers
les autres est raisonnable et ne constitue pas une violation de l'article
26 du Pacte.
6. Dans ses commentaires, en date du 17 mai et du 7 juin 1994, l'auteur
dit que sa situation justifie qu'une exception soit faite à la règle appliquée
aux personnes seules vivant avec l'un de leurs parents, puisqu'il partage
un logement avec sa mère sur une base commerciale et qu'il doit dès lors
être considéré comme une personne célibataire vivant seule. Il conteste,
contrairement à ce qu'affirme l'État partie, que la relation entre une
mère et son enfant implique nécessairement que l'un est à la charge de
l'autre. Il soutient que l'obligation mutuelle d'entretien prévue par
la loi n'existe pas seulement pour les parents et les enfants qui vivent
sous le même toit, mais qu'elle concerne aussi ceux qui vivent indépendamment
les uns des autres. Il indique en outre que sa mère n'est pas en mesure
de contribuer à ses frais de subsistance. Il ne voit guère d'issue à sa
situation : en effet, il ne trouve pas d'emploi rémunéré et, s'il quitte
le logement qu'il partage avec sa mère, il devra faire face à des dépenses
de logement élevées étant donné qu'il est difficile de se loger à bon
marché.
Délibérations du Comité
7.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
àla lumière de tous les renseignements fournis par les parties, conformément
au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.2 Le Comité renvoie à ses décisions antérieures et affirme une nouvelle
fois que, bien que l'État ne soit pas tenu par l'article 26 du Pacte d'adopter
une législation en matière de sécurité sociale, une telle législation,
si elle existe, doit être conforme à l'article 26 du Pacte. Le droit à
l'égalité devant la loi et à une égale protection de la loi sans discrimination
n'implique pas que toutes les différences de traitement soient discriminatoires.
Une différenciation fondée sur des critères raisonnables et objectifs
ne constitue pas une discrimination prohibée au sens de l'article 26a.
7.3 En l'espèce, le Comité note que la plainte de l'auteur, selon laquelle
il serait victime d'une violation de l'article 26, est fondée sur le fait
qu'il partage un logement avec sa mère. Il fait valoir que, compte tenu
de cette situation, il perçoit une allocation au titre de la loi sur la
sécurité sociale d'un montant inférieur à celui qu'il percevrait s'il
partageait son logement avec une personne non membre de sa famille ou
bien avec un frère ou une soeur, auquel cas il serait possible, conformément
à la loi, d'apporter la preuve que le partage du logement a un caractère
commercial.
7.4 Le Comité observe que les prestations versées au titre de la loi
sur la sécurité sociale sont accordées aux personnes n'ayant pas de revenu
ou n'ayant pas de ressources suffisantes pour assurer leur subsistance.
L'auteur lui-même a admis que ses frais de subsistance sont moindres du
fait qu'il partage un logement avec sa mère, que le partage se fasse sur
une base commerciale ou dans le cadre du devoir mutuel d'entretien. À
la lumière des explications données par l'État partie, le Comité estime
que la différence de traitement entre, d'une part, les parents et enfants
et, d'autre part, les autres membres de la famille, que prévoient les
dispositions de la loi sur la sécurité sociale, n'est ni déraisonnable
ni arbitraire, et que l'application de ces dispositions dans le cas de
l'auteur ne constitue pas une violation de l'article 26 du Pacte.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont
il est saisi ne font pas apparaître de violation par l'État partie de
l'une quelconque des dispositions du Pacte.
[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol.]
Note
a Voir notamment Documents officiels de l'Assemblée générale,
quarante-septième session, Supplément No 40 (A/47/40), annexe IX.P,
communication No 395/1990 (M. T. Sprenger c. Pays-Bas),
constatations adoptées le 31 mars 1992, par. 7.2) et ibid., annexe IX.R,
communication No 415/1990 (Dietmar Pauger c. Autriche),
constatations adoptées le 26 mars 1992, par. 7.3.