Comité des droits de l'homme
Cinquantième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Cinquantième session -
Communication No. 428/1990
Présentée par : Yvonne M'Boissona
Au nom de : Son frère, François Bozize
État partie : République centrafricaine
Date de la communication : 14 novembre 1990
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 7 avril 1994
Ayant achevé l'examen de la communication No 428/1990, présentée
au Comité des droits de l'homme par Mme M'Boissona, au nom de son frère,
M. F. Bozize, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est Yvonne M'Boissona, citoyenne centrafricaine
résidant à Stains (France). Elle soumet la communication au nom de son
frère François Bozize, citoyen centrafricain actuellement détenu à Bangui
(République centrafricaine). L'auteur soutient que son frère est victime
de violations de ses droits de l'homme par les autorités centrafricaines,
sans aller toutefois jusqu'à invoquer les dispositions du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur déclare que son frère était officier supérieur des forces
armées de la République centrafricaine. Le 3 mars 1982, il a fomenté un
coup d'État et, celui-ci ayant échoué, s'est exilé au Bénin. Le 24 juillet
1989, son frère est arrêté dans un hôtel de Cotonou (Bénin) en compagnie
de 11 autres citoyens centrafricains, tous membres présumés du groupe
d'opposition connu sous le nom de Mouvement centrafricain de libération
nationale. Le 31 août 1989, ils auraient tous été rapatriés de force,
avec l'aide présumée d'un commando de l'armée centrafricaine autorisé
à opérer en territoire béninois. Cette "extradition" aurait
été négociée entre les Gouvernements béninois et centrafricain. Il aurait
été procédé à leur "rapatriement" en l'absence de toute demande
officielle d'extradition du Gouvernement centrafricain.
2.2 Depuis son retour forcé à Bangui, M. Bozize est détenu au camp Roux,
où il aurait été sérieusement malmené et battu. Sa soeur soutient qu'il
n'a été autorisé à contacter ni un avocat de son choix, ni un membre de
sa famille. Il n'aurait même pas eu le droit de voir un médecin pour recevoir
des soins médicaux de base. En outre, les conditions sanitaires de la
prison seraient déplorables et les détenus seraient nourris de viande
pourrie mélangée à du sable, au point qu'à l'été de 1990, M. Bozize ne
pesait plus que 40 kilos.
2.3 Dans la nuit du 10 au 11 juillet 1990, les autorités de la prison
du camp Roux auraient simulé une panne d'électricité dans le secteur de
la ville où la prison est située, prétendument pour inciter M. Bozize
à tenter de s'évader. Comme ce serait là une pratique courante qui se
termine toujours par la mort du candidat à l'évasion, M. Bozize n'a pas
quitté sa cellule. Sa soeur allègue qu'il a été alors tabassé pendant
plusieurs heures et gravement blessé. Cette version des faits a été confirmée
par Me Thiangaye, l'avocat de M. Bozize, qui a pu rendre visite à son
client le 26 octobre 1990 et a constaté de nombreuses traces de coups
et déterminé que celui-ci avait deux côtes cassées. L'avocat a également
indiqué qu'il était maintenu enchaîné, que ses ouvrages de lecture avaient
été confisqués et que les gardiens de la prison ne le laissaient sortir
de sa cellule que deux fois par semaine. L'auteur prétend que le Président
Kolingba et les Ministres de la défense et de l'intérieur de la République
centrafricaine sont au courant du traitement infligé à son frère et qu'ils
y apportent leur caution.
2.4 Les autorités ne cessent de soutenir que M. Bozize a bel et bien
tenté de s'évader de prison et que c'est à cette occasion qu'il s'est
blessé, ce que nie l'auteur, qui avance que vu le faible état physique
dans lequel il se trouvait l'été 1990, son frère n'aurait en aucune façon
pu escalader le mur de la prison, haut de 3 mètres.
2.5 Sa femme, qui vit actuellement en France, a sollicité les bons offices
des autorités françaises. M. Laurent Fabius, Président de l'Assemblée
nationale, par lettre datée du 29 octobre 1990, l'a informée que les services
diplomatiques français avaient établi que M. Bozize était en vie, mais
qu'il était détenu à la prison de Kassai à Bangui.
2.6 À propos de la question de l'épuisement des recours internes, il
a été indiqué que la décision d'ouvrir le procès de M. Bozize le 28 février
1991 avait été prise exprès pour profiter de l'absence momentanée de son
avocat qui s'était rendu à l'étranger. Toutefois, le procès a été repoussé
pour des "raisons techniques". Depuis lors, il a été, semble-t-il,
plusieurs fois ajourné. Mme Bozize se plaint de ce que son mari n'ait
pas pu avoir accès à un avocat dans les mois qui ont suivi son arrestation;
ce n'est que plus tard que la famille a pu s'attacher les services d'un
conseil pour sa défense. Ce dernier s'est toutefois vu refuser l'autorisation
de rendre visite à son client en plus d'avoir vu sa liberté de mouvement
restreinte du fait de ce dernier.
Teneur de la plainte
3. L'auteur soutient que les faits décrits ci-dessus constituent des
violations des droits de M. Bozize en vertu du Pacte. Bien que l'auteur
n'invoque aucune disposition particulière du Pacte, il ressort de sa communication
que ses griefs se rapportent principalement aux articles 7, 9, 10, 14
et 19 du Pacte.
Décision du Comité concernant la recevabilité
4.1 Le Comité a examiné la recevabilité de la communication au cours
de sa quarante-cinquième session, en juillet 1992, et a noté avec préoccupation
qu'en dépit de deux rappels qu'il lui avait adressés en juillet et septembre
1991, l'État partie ne lui avait fait parvenir ni informations ni observations
concernant la recevabilité de la communication. Dans ces conditions, le
Comité a estimé que rien ne s'opposait à ce qu'il examine la communication
en vertu du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
4.2 Le 8 juillet 1992, le Comité a déclaré la communication recevable
en ce qu'elle semblait soulever des questions au titre des articles 7,
9, 10, 14 (par. 1 et 3) et 19 du Pacte.
Examen de la communication quant au fond
5.1 Malgré deux rappels qui lui ont été adressés en juin 1993 et en février
1994, l'État partie n'a fourni aucune information concernant le bien-fondé
des allégations de l'auteur. Le Comité note avec un vif regret et une
profonde préoccupation le manque de coopération avec l'État partie, tant
s'agissant de la recevabilité que du bien-fondé des allégations de l'auteur.
Le paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif et l'article 91
du règlement intérieur du Comité disposent implicitement qu'un État partie
au Pacte doit enquêter en toute bonne foi sur les allégations de violations
du Pacte portées contre lui et ses autorités et fournir au Comité les
informations dont il dispose. En la circonstance, les allégations de l'auteur
doivent être dûment examinées dans la mesure où elles ont été étayées.
5.2 Le Comité décide de fonder ses constatations sur les faits suivants,
qui n'ont pas été contestés par l'État partie. M. François Bozize a été
arrêté le 24 juillet 1989 et emmené au camp militaire de Roux à Bangui,
le 31 août 1989, où il a subi des sévices et été tenu au secret jusqu'au
26 octobre 1990, date à laquelle son avocat a pu lui rendre visite. Dans
la nuit du 10 au 11 juillet 1990, il a été battu et grièvement blessé,
ce qu'a confirmé son avocat. En outre, ses conditions de détention au
camp Roux constituaient une atteinte à sa dignité en tant qu'être humain.
Après son arrestation, M. Bozize n'a pas été traduit dans les plus brefs
délais devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer
des fonctions judiciaires; il a été privé des services d'un conseil et
n'a pas eu, en temps opportun, la possibilité d'obtenir une décision d'un
tribunal sur la légalité de son arrestation et sa détention. Le Comité
estime que ce qui précède constitue, en l'espèce, des violations, par
l'État partie, des articles 7, 9 et 10.
5.3 Le Comité note qu'en dépit du fait que M. Bozize n'ait pas encore
été jugé, son droit à un procès équitable a été violé; en particulier
son droit d'être jugé dans un "délai raisonnable" en vertu du
paragraphe 3 c) de l'article 14 n'a pas été respecté puisqu'il n'a pas,
semble-t-il, été jugé en première instance après plus de quatre ans de
détention.
5.4 En ce qui concerne une éventuelle violation de l'article 19 du Pacte,
le Comité note que cette allégation n'a pas été étayée. Il ne constate
donc aucune violation à cet égard.
6. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont
il a été saisi révèlent des violations des articles 7, 9, 10 et 14, paragraphe
3 c) du Pacte.
7. Le Comité estime que M. François Bozize a droit, en vertu du paragraphe
3 a) de l'article 2 du Pacte, à réparation, y compris sa libération et
son indemnisation adéquate pour le préjudice subi. L'État partie devrait
enquêter sur les événements faisant l'objet de la plainte et traduire
en justice ceux qui se seront rendus coupables de préjudices sur la personne
du frère de l'auteur; il est de surcroît tenu de prendre des mesures pour
garantir que pareilles violations ne se reproduisent plus.
8. Le Comité souhaiterait recevoir rapidement des informations concernant
toutes mesures prises par l'État partie au sujet de ses constatations.
[Texte adopté en anglais (version originale), espagnol et français.]