Comité des droits de l'homme
Quarante-sixième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Quarante-sixième session -
Communication No 432/1990
Présentée par : W. B. E. (nom supprimé)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Pays-Bas
Date de la communication :20 juillet 1990 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, créé en vertu de l'article 28
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 23 octobre 1992,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est W.B.E, homme d'affaires néerlandais
résidant à Amsterdam. Il accuse les autorités néerlandaises de violation
des droits visés aux articles 9 (par. 3 et 5) et 14 (par. 1 et 2) du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques.
Les faits présentés
2.1 L'auteur a été incarcéré du 10 décembre 1979 au 27 mars 1980 parce
qu'on le soupçonnait d'avoir participé à des activités de contrebande
de stupéfiants. Le 27 mars 1980, le tribunal de district (Arrondissementsrechtbank)
de Haarlem l'a acquitté sur un point de procédure. Le ministère public
a exercé un recours auprès de la cour d'appel d'Amsterdam (Gerechtshof)
qui a acquitté l'auteur le 29 décembre 1980, considérant que la preuve
des charges retenues contre lui n'avait pas été démontrée légalement et
de façon convaincante.
2.2 Le 20 mars 1981, l'auteur a adressé deux requêtes à la cour d'appel
d'Amsterdam, conformément aux dispositions des articles 89 et 591a du
Code de procédure pénale néerlandais (Wetboek van Strafvordering),
pour obtenir des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du
fait de son incarcération et du manque à gagner en résultant (soit au
total 19 612 550 florins). Le 10 février 1982, la cour le déboutait de
ses demandes, considérant que même s'il avait été disculpé des charges
retenues contre lui, il ressortait des preuves produites lors de son procès
qu'il avait été étroitement associé à l'exécution d'un plan visant à importer
illicitement une quantité importante d'héroïne et qu'il avait joué un
r_le important dans son transport.
2.3 Le 15 février 1982, l'auteur interjetait appel auprès de la Cour
suprême (Hoge Raad), qui, le 20 avril 1982, déclarait ce recours
irrecevable au motif que la législation néerlandaise ne prévoyait aucun
recours contre un refus de la cour d'appel d'accorder réparation.
2.4 Le 14 octobre 1983, l'auteur a intenté une action civile contre l'Etat
devant le tribunal de district de La Haye (Arrondissementsrechtbank)
en vue de faire annuler l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Amsterdam
le 10 février 1982. Le tribunal a rejeté sa requête le 10 avril 1985.
L'appel formulé ultérieurement par l'auteur contre cette décision a été
rejeté par la cour d'appel de La Haye le 11 décembre 1986. Cette décision
a été confirmée par la Cour suprême le 25 novembre 1988.
2.5 Le 15 octobre 1983, l'auteur a porté l'affaire devant la Commission
européenne des droits de l'homme, qui a déclaré sa requête irrecevable
le 6 mai 1985.
La plainte
3.1 L'auteur prétend que son maintien en détention constituait une violation
des dispositions du paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte. Il admet l'existence
de motifs raisonnables de présomption de culpabilité dans son cas, mais
soutient que le maintien en détention préventive ne doit être autorisé
que pour prévenir le risque de fuite ou de récidive. En l'absence, selon
lui, de motifs sérieux permettant de penser que ce risque de fuite ou
de récidive existait, l'auteur soutient qu'une période de détention préventive
de 107 jours ne satisfait pas au critère de délai raisonnable. Il fait
valoir qu'il aurait en vain proposé une caution aux autorités néerlandaises.
3.2 L'auteur prétend en outre avoir droit à réparation conformément au
paragraphe 5 de l'article 9 du Pacte, du fait qu'il a été acquitté des
charges qui pesaient contre lui. Les arguments invoqués par la cour d'appel
pour rejeter ses demandes de réparation contreviennent, selon lui, aux
dispositions du paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte. L'auteur soutient
que ces dispositions doivent être interprétées au sens large et qu'elles
doivent également s'appliquer aux procédures de demande de réparation
engagées après acquittement au pénal.
3.3 Enfin, l'auteur prétend avoir été débouté des requêtes qu'il a formulées
conformément aux articles 89 et 591a du Code de procédure pénale dans
des circonstances entachées d'irrégularités qui constitueraient une violation
des dispositions du paragraphe 1 de l'article 14. Pour la requête présentée
conformément à l'article 89, il fait état de deux irrégularités : premièrement,
les juges qui avaient statué initialement en matière pénale n'étaient
pas ceux qui avaient jugé de la cause en chambre du conseil (Raadkamer)
de la cour d'appel d'Amsterdam, comme le prévoyait la loi; deuxièmement,
l'un des juges qui avaient participé à la décision n'avait même pas pris
part à l'examen de sa requête. Pour ce qui est du rejet de la requête
invoquant l'article 591a, l'auteur fait valoir que le texte de l'arrêt
de la cour d'appel ne permet pas d'en identifier les signataires. L'auteur
fait valoir qu'il existe un lien direct entre le refus de lui accorder
réparation et la composition de la chambre du conseil.
Observations de l'Etat partie et réponse de l'auteur
4.1 Dans une lettre du 25 octobre 1991, l'Etat partie soutient que la
communication est irrecevable, au motif que les recours internes n'ont
pas été épuisés et que les allégations de l'auteur sont insuffisamment
étayées et que ses demandes sont incompatibles avec le Pacte.
4.2 L'Etat partie soutient que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes
puisqu'il n'a jamais invoqué, durant la procédure interne, les droits
fondamentaux énoncés dans le Pacte, bien qu'il ait eu l'occasion de le
faire.
4.3 Pour ce qui est de l'affirmation de l'auteur selon laquelle son maintien
en détention préventive pendant 107 jours constitue une violation du paragraphe
3 de l'article 9 du Pacte, l'Etat partie se réfère à sa législation, qui
prescrit qu'après un délai initial de quatre jours le maintien en détention
doit être ordonné par un magistrat instructeur et après 12 autres jours,
par le tribunal de district. Ce dernier ne peut ordonner le maintien en
détention préventive que pour une durée n'excédant pas 30 jours, durée
qui peut être prorogée à deux reprises. Les motifs justifiant le maintien
en détention préventive, qui sont énoncés dans les articles 67 et 67a
du Code de procédure pénale, ne peuvent être invoqués que s'il y a de
fortes raisons de penser que le suspect a commis un délit grave punissable
d'une peine de quatre ans de détention ou plus.
4.4 L'Etat partie fait valoir que l'auteur a été maintenu en détention
conformément à la loi, compte tenu de la gravité des soupçons qui pesaient
contre lui. Le tribunal a ordonné qu'il soit incarcéré en vertu du paragraphe
2.3 de l'article 67a du Code, aux termes duquel la détention préventive
peut être imposée légalement s'il y a des raisons de penser qu'elle est
nécessaire pour permettre d'établir les faits par d'autres moyens qu'à
travers les déclarations du suspect. L'Etat partie affirme que le maintien
en détention de l'auteur était nécessaire pour empêcher celui-ci d'entraver
l'enquête en influençant d'autres suspects ou témoins et en effaçant par
d'autres moyens les traces du délit.
4.5 Pour ce qui est de la violation du paragraphe 5 de l'article 9 invoquée
par l'auteur, selon l'Etat partie il y avait de fortes raisons de penser
que l'auteur avait commis des infractions pénales et son incarcération
n'était pas illégale. L'Etat partie fait donc valoir que cette partie
de la communication devrait être déclarée irrecevable parce que incompatible
avec les dispositions du Pacte.
4.6 Quant à la violation présumée du paragraphe 2 de l'article 14, cette
disposition ne s'applique, selon l'Etat partie, qu'aux procédures pénales
et non aux procédures d'examen des demandes de réparation pour préjudice
résultant de la détention.
4.7 En ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 1 de l'article
14, l'Etat partie soutient que la composition de la chambre du conseil
chargée d'examiner les demandes de réparation est régie par le paragraphe
4 de l'article 89 du Code de procédure pénale. Aux termes de cette disposition,
la chambre doit être composée, dans toute la mesure possible, des membres
de la cour présents lors du procès. L'Etat partie observe, toutefois,
qu'il s'agit d'une règle non impérative et essentiellement d'ordre pratique.
Selon lui, le fait que la composition de la chambre du conseil ait été
différente de celle de la cour ayant jugé l'affaire au pénal n'implique
pas que la décision n'ait pas été prise de façon indépendante et objective,
ou qu'elle soit partiale.
4.8 L'Etat partie soutient en outre que le paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte ne s'applique pas aux procédures engagées conformément aux
dispositions de l'article 89 du Code de procédure pénale. Selon lui, ces
procédures ne concernent ni la détermination du bien-fondé d'une accusation
en matière pénale, ni la contestation d'un droit de caractère civil.
5.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'Etat partie, l'auteur
fait valoir qu'il n'était pas tenu d'invoquer les articles du Pacte dans
le cadre des procédures internes. Il déclare avoir épuisé tous les recours
internes.
5.2 L'auteur reconnaît que la procédure légale régissant la détention
préventive est, en tant que telle, compatible avec les dispositions de
l'article 9 du Pacte. Il soutient néanmoins que l'application de ces dispositions
légales a conduit, dans son cas, à une privation illégale de liberté.
Il nie l'existence de motifs sérieux de soupçonner qu'il aurait été impliqué
dans la contrebande de drogue.
5.3 L'auteur déclare, à ce propos, qu'en 1979 la police l'utilisait comme
indicateur et qu'à ce titre il aurait fourni à un inspecteur principal
de la police d'Amsterdam des renseignements sur l'expédition d'une cargaison
d'héroïne de Turquie vers les Pays-Bas. Mais selon l'auteur, en raison
de conflits de pouvoir au sein de la police, l'intervention concernant
cette cargaison aurait échoué et l'informateur de l'auteur, une personne
turque de sa connaissance, aurait été tué. L'auteur a alors décidé de
cesser de travailler pour l'inspecteur de police en question.
5.4 L'auteur prétend qu'en l'arrêtant le 10 décembre 1979, on cherchait
directement à lui faire endosser la responsabilité de l'échec des services
de police dans la lutte contre les stupéfiants en qualifiant de crimes
ses activités d'indicateur. Il fait valoir qu'il n'y avait aucune raison
pour le ministère public de penser qu'il avait agi autrement que sur ordre
et en tant qu'indicateur de police.
5.5 L'auteur affirme donc que son incarcération était illégale et qu'il
avait droit à réparation conformément à l'article 89 du Code de procédure
pénale. Puisque cette réparation lui a été refusée, il dit être victime
d'une violation du paragraphe 5 de l'article 9.
5.6 Quant à la plainte pour violation du paragraphe 2 de l'article 14,
l'auteur fait valoir que la procédure de réparation prévue aux articles
89 et 591a du Code de procédure pénale se situe dans la continuité de
la procédure pénale. Il réitère son affirmation selon laquelle la cour
d'appel aurait violé son droit à la présomption d'innocence lorsqu'elle
a estimé que sa participation étroite à l'importation illégale d'héroïne
était démontrée.
5.7 En ce qui concerne ses demandes de réparation, l'auteur affirme qu'il
n'a pas eu droit à un procès équitable par un tribunal impartial; il soutient
que comme les juges ne connaissaient pas bien son cas, le ministère public
a pu influencer leur décision. Il fait valoir en outre que la réparation
pour incarcération illégale est un droit civil et que le paragraphe 1
de l'article 14 s'applique donc également à la détermination du bien-fondé
de la réparation après une arrestation illégale.
Délibérations du Comité et questions dont il est saisi
6.1 Avant d'examiner une plainte contenue dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son
règlement intérieur, décider si la communication est ou non recevable
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Pour ce qui est de l'argument de l'Etat partie selon lequel l'auteur
n'a pas épuisé les recours internes puisqu'il n'a pas invoqué les dispositions
pertinentes du Pacte devant les tribunaux nationaux, le Comité fait observer
qu'alors que les auteurs doivent invoquer les droits fondamentaux consacrés
dans le Pacte, ils ne sont pas tenus de se référer à des articles précis
du Pactea en ce qui concerne le Protocole facultatif. Le Comité
constate qu'en l'espèce l'auteur a contesté sa détention et a réclamé
réparation en exerçant les recours internes à sa disposition et qu'il
a ce faisant invoqué les droits fondamentaux visés aux articles 9 et 14
du Pacte.
6.3 Pour ce qui est des allégations de l'auteur selon lesquelles sa détention
préventive aurait constitué une violation de l'article 9 du Pacte, le
Comité fait observer que le paragraphe 3 de l'article 9 autorise la détention
préventive à titre exceptionnel; la détention préventive peut être nécessaire,
par exemple, pour s'assurer de la présence de l'accusé au moment du procès,
éviter les interventions auprès des témoins ou l'altération des preuves,
ou prévenir d'autres infractions. Selon les informations dont dispose
le Comité, il semble qu'il ait été décidé d'incarcérer l'auteur parce
qu'on craignait fortement qu'il n'altère les preuves pesant contre lui
s'il était remis en liberté.
6.4 Le Comité considère qu'étant donné que la détention préventive pour
empêcher l'altération des preuves est, en elle-même, compatible avec le
paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte, et que l'auteur n'a pas prouvé,
aux fins de la recevabilité, qu'il n'y avait, comme il le soutenait, aucune
raison légitime de le maintenir en détention, cette partie de la communication
est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif.
6.5 Pour ce qui est des allégations de l'auteur concernant la violation
de son droit à réparation conformément au paragraphe 5 de l'article 9,
le Comité rappelle qu'aux termes de cette disposition, les personnes victimes
d'arrestation ou de détention illégale ont un droit à réparation qu'elles
peuvent faire valoir devant les tribunaux. Mais l'auteur n'a pas prouvé,
aux fins de la recevabilité, que sa détention était, comme il l'affirme,
illégale. A cet égard, le Comité fait observer que le fait que l'auteur
ait été acquitté ultérieurement ne rend pas en soi la détention préventive
illégale. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu
des articles 2 et 3 du Protocole facultatif.
6.6 Quant à l'affirmation de l'auteur selon laquelle le principe de la
présomption d'innocence proclamé au paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte
aurait été violé, le Comité fait observer que cette disposition ne s'applique
qu'aux procédures pénales et non aux procédures en réparation; il estime
donc que cette demande de l'auteur est irrecevable en vertu de l'article
3 du Protocole facultatif.
6.7 Quant à l'allégation de l'auteur selon laquelle le jugement concernant
sa demande en réparation aurait été inéquitable, le Comité fait observer
que l'auteur ne l'a pas étayée assez pour motiver une décision de recevabilité
et qu'il n'a pas présenté une communication recevable en vertu de l'article
2 du Protocole facultatif.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable aux termes des articles 2 et
3 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie et à l'auteur.
[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol,
en français et en russe.]
Note
Voir la communication No 273/1988 (B. d. B. c. Pays-Bas),
déclarée irrecevable le 20 mars 1989.