Comité des droits de l'homme
Cinquantième session
ANNEXE
Décision du Comité des droits de l'homme en vertu du protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques
Communication No 433/1990*
Présentée par : A. P. A. (nom supprimé)
[représenté par un conseil]
Au nom de : L'auteur
État partie : Espagne
Date de la communication : 13 décembre 1990 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 mars 1993,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est A. P. A., citoyen espagnol résidant à Madrid. Il affirme être victime de la violation, par l'Espagne, des paragraphes 1, 2, 3 a), b), c) et e) de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur :
2.1 L'auteur a été arrêté le 7 octobre 1985 sous l'inculpation de multiples cambriolages d'épiceries. Il a été jugé le 7 juin 1986 par le tribunal de district (Audiencia Provincial) de Salamanque, déclaré coupable et condamné à quatre ans, deux mois et un jour de prison.
2.2 L'auteur prétend que l'action engagée devant le tribunal de district était entachée de divers vices de procédure. Lors de son procès, il a plaidé non coupable et affirmé avoir acheté la veille du jour des cambriolages qu'on lui imputait les marchandises trouvées en sa possession. Le Parquet a produit pour seule preuve les procès-verbaux d'interrogatoires de l'auteur. Le tribunal aurait négligé de tenir compte d'une grande partie des éléments de preuve, et notamment des preuves indirectes, sans donner de raisons. Par ailleurs, le procureur n'aurait fait subir de contre-interrogatoire qu'à l'auteur et aux témoins à décharge, épargnant les témoins à charge. Le défenseur de l'auteur a protesté contre cet état de choses et demandé que des preuves à charge plus solides soient produites, mais en vain.
2.3 Invoquant des vices de procédure, l'auteur s'est pourvu devant la Cour suprême d'Espagne. Le 2 juin 1989, la Cour suprême a confirmé le verdict du tribunal de première instance. En raison des vacances d'été, l'auteur n'a reçu notification de la décision de la Cour suprême que le 11 septembre 1989, c'est-à-dire une fois expiré le délai de 20 jours ouvrables dont il disposait pour exercer un recours en amparo conformément à la Constitution.
2.4 Le 15 janvier 1990, A. P. A. a saisi le Tribunal constitutionnel, arguant d'une atteinte aux dispositions de l'article 24 de la Constitution, qui garantit le droit à un procès équitable. Le 26 février 1990, le Tribunal constitutionnel a déclaré l'appel irrecevable pour non-respect du délai légal.
2.5 À cet égard, l'auteur fait observer que, pendant tout le mois d'août, le système judiciaire espagnol est virtuellement paralysé par les vacances d'été. C'est pourquoi il est dit à l'article 304 du Code civil espagnol que le mois d'août n'entre pas en ligne de compte dans les délais d'appel. Toutefois, l'article 2 d'un accord du 15 juin 1982 (Acuerdo de Pleno) stipule que, pour certaines procédures relevant du Tribunal constitutionnel, notamment la procédure d'amparo, le mois d'août compte effectivement dans les délais de recours.
Teneur de la plainte :
3. L'auteur prétend qu'il ressort des paragraphes qui précèdent que l'Espagne a porté atteinte aux droits découlant pour lui des paragraphes 1, 2 et 3 a), b), c) et e) de l'article 14 du Pacte.
Renseignements et observations communiqués par l'État partie et commentaires de l'auteur :
4.1 Dans ses observations au titre de l'article 91 du règlement intérieur, l'État partie déclare que la communication est irrecevable, les recours internes n'ayant pas été épuisés. Il se réfère au recours en amparo engagé par l'auteur et rappelle que, le 24 juillet 1989, la décision de la Cour suprême avait été notifiée au procureur qui en a immédiatement informé le représentant légal de l'auteur. En conséquence, l'État partie déclare s'être conformé aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 438 de la loi organique sur le pouvoir judiciaire (Ley Organica del Poder Judicial). Le retard intervenu par la suite pour l'introduction du recours en amparo est donc imputable au représentant légal de l'auteur, autrement dit à l'auteur lui-même.
4.2 L'État partie ajoute que si le recours en amparo a été rejeté faute d'avoir été présenté dans le délai légal, il faut en déduire, aux termes du Protocole facultatif, que les recours internes n'ont pas été épuisés. Il renvoie à cet égard à la jurisprudence établie par la Commission européenne des droits de l'homme.
4.3 Outre les arguments avancés aux paragraphes 4.1 et 4.2 ci-dessus, l'État partie souligne les contradictions relevées dans la version que l'auteur lui-même donne de la chronologie des faits. Ainsi, dans une communication adressée au Tribunal constitutionnel le 20 septembre 1989, rédigée et signée de la main d'A. P. A. lui-même, on peut lire que "le 24 juillet 1989, l'intéressé a été informé de la décision rendue par la deuxième chambre de la Cour suprême" ("Que con fecha 24 de Julio de 1989, se notificó a esta parte la sentencia dictada por la Sala Segunda del Tribunal Supremo..."). De plus, l'État partie note qu'il ressort implicitement de la plainte de l'auteur qui juge "invraisemblable" que le Tribunal constitutionnel siège en août en raison de la quasi-impossibilité d'obtenir des conseils juridiques pendant ce mois, qu'il était au fait de la décision de la Cour suprême avant l'expiration du délai dans lequel devait être introduit son recours en amparo.
4.4 En ce qui concerne la prétendue violation des paragraphes 1 et 2 de l'article 14, l'État partie affirme que la décision de la Cour suprême est parfaitement claire, en ce sens qu'il y est précisé que rien ne donne à penser que le droit à un jugement équitable ni le principe de la présomption d'innocence aient été violés ("Lo expuesto prueba una vez más la ligereza con que la representación de los procesados suelen apelar al fundamental principio de presunción de inocencia, sin base alguna, con grave quebranto del derecho de los justiciables a una pronta administración de justicia") Traduction du passage cité entre parenthèses : (Ce qui précède illustre une fois encore la désinvolture avec laquelle les conseils des inculpés font valoir, sans raison valable, le principe fondamental de la présomption d'innocence, portant ainsi gravement atteinte au droit des justiciables à une prompte administration de la justice.).
5.1 Dans ses commentaires, l'auteur réaffirme que l'État partie n'a pas respecté les dispositions de l'article 160 de la loi relative à la procédure pénale (Ley de Enjuiciamiento Criminal), selon lesquelles les jugements définitifs doivent être notifiés aux parties le jour même où ils sont prononcés/signés, ou, au plus tard, le lendemain; l'auteur soutient que la Cour suprême n'a pas respecté cette obligation En même temps, la mère de l'auteur a reconnu que le procureur avait fait part, dans les délais requis, de la décision de la Cour suprême à l'avocat de son fils, mais que l'avocat en question n'en avait informé A. P. A. que plus tard.. L'auteur interprète l'article 160 comme s'étendant au droit de l'accusé d'être informé en personne; il ressort de sa communication qu'il ne considère pas que la passivité ou négligence de son conseil décharge les autorités judiciaires de leurs obligations envers lui.
5.2 L'auteur poursuit en faisant valoir que le paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, selon lequel l'obligation d'avoir épuisé tous les recours internes disponibles ne s'applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables, doit être interprété avec souplesse. Il soutient qu'il ne faudrait pas conclure de la possibilité d'introduire un recours en amparo pendant la période des vacances d'été que le recours en amparo qui aurait pu être formé pendant le mois d'août mais qui, en fait, l'avait été hors de cette période, devait être rejeté pour non-respect des délais fixés. Selon lui, en outre, le texte de l'accord du 15 juin 1982 ne pouvait se substituer à d'autres dispositions législatives formelles fixant des délais légaux pour l'introduction des recours.
5.3 Quant aux contradictions d'ordre chronologique dont seraient émaillées ses propres communications (par. 4.3 ci-dessus), l'auteur fait valoir que la date du "24 juillet 1989" renvoie de toute évidence à la notification de la décision de la Cour suprême à son conseil, non à lui-même.
5.4 Enfin, pour ce qui est de l'insuffisance des éléments de preuve à charge, l'auteur fait état d'un rapport rédigé à sa demande par deux spécialistes de la procédure pénale de l'Université de Grenade. Les auteurs du rapport concluent qu'il n'aurait absolument pas été possible de transporter toutes les marchandises à bord de la fourgonnette (furgoneta) qui, d'après le ministère public, aurait servi à transporter les marchandises dérobées au cours des cambriolages imputés à l'auteur. Cet élément, de l'avis de l'auteur, montre bien qu'il n'existait pas de véritable élément de preuve à charge et qu'il n'a pas été jugé équitablement.
Délibérations du Comité :
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité a pris acte des arguments avancés par les parties touchant la question de l'épuisement des voies de recours internes. Il constate que si le mois d'août n'entre pas en compte dans le calcul des délais pour le dép_t de la plupart des recours au pénal, il est bel et bien pris en compte dans les règlements régissant la procédure d'amparo devant le Tribunal constitutionnel. Au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, les recours internes ne sont effectivement épuisés que dans la mesure où ils sont à la fois disponibles et utiles. Cependant, un principe établi veut qu'un accusé fasse montre de diligence dans l'exercice des recours disponibles. Or, en outre, un principe selon lequel nul n'est censé ignorer la loi — ignorantia juris neminem excusat — vaut également pour le paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.3 Dans le cas présent, la décision rendue par la Cour suprême le 2 juin 1989 a été dûment notifiée au conseil de l'auteur. Ce dernier prétend que son conseil ne l'a avisé de cette notification qu'après l'expiration du délai fixé à la procédure d'amparo. Rien dans le dossier dont le Comité est saisi n'indique que l'auteur n'a pas retenu lui-même les services de son conseil. Dans ces conditions, la passivité ou négligence dont ce dernier a fait preuve pour communiquer la décision de la Cour suprême à son client ne saurait être attribuée à l'État partie; elle doit être imputée à l'auteur. De l'avis du Comité, en vertu de l'article 14 du Pacte, il n'incombait pas en l'espèce au Greffe de la Cour suprême ni au Parquet de notifier directement à l'auteur en personne la décision rendue le 2 juin 1989. Aussi faut-il en conclure que les recours internes n'ont pas été exercées avec la diligence voulue et, par conséquent, que les conditions prévues au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif ne sont pas réunies.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur de la communication.
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* Le texte d'une opinion individuelle présentée par M. Francesco Aguilar figure dans un appendice du présent document.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]