University of Minnesota



Lal Seerattan c. Trinité-et-Tobago, Communication No. 434/1990, U.N. Doc. CCPR/C/55/D/434/1990 (1995).


Communication No 434/1990

Présentée par : Lal Seerattan [représenté par un conseil]

Au nom de : L'auteur

Etat partie : Trinité-et-Tobago

Date de la communication : 17 décembre 1990 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 octobre 1995,

Ayant achevé l'examen de la communication No 434/1990 présentée au Comité des droits de l'homme au nom de M. Lal Seerattan en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été transmises par l'auteur de la communication, son conseil et l'Etat partie,

Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif.

1. L'auteur de la communication est Lal Seerattan, citoyen de la Trinité-et-Tobago actuellement détenu à la prison d'Etat de Port of Spain (Trinité-et-Tobago). Il se dit victime de violations par la Trinité-et-Tobago de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l'auteur

2.1 L'auteur déclare qu'il a été arrêté le 27 décembre 1982 et placé en détention dans le cadre de l'enquête sur le meurtre d'un certain Motie Ramoutar, assassiné le 26 décembre 1982; il a été inculpé de meurtre le 28 décembre 1982. Il ajoute que le 29 août 1983, à l'issue de l'enquête préliminaire qui a duré huit mois, le juge d'instruction a requalifié les faits et l'a inculpé d'homicide involontaire et non plus de meurtre, après quoi l'auteur a été remis en liberté sous caution. Le 18 septembre 1984, il a été arrêté à nouveau et traduit en justice sous l'inculpation de meurtre. Le procès s'est déroulé devant la High Court de Port of Spain entre le 6 et le 11 mars 1986; l'auteur a été reconnu coupable du meurtre et condamné à mort.

2.2 La pièce maîtresse de l'accusation était le témoignage du fils et de l'épouse de la victime. Selon le fils, quand il était rentré chez lui avec ses parents vers 7 heures du soir, le 26 décembre 1982, l'employé de son père, un certain B., se trouvait devant la maison de l'auteur; de toute évidence il était ivre et proférait des menaces contre l'auteur et sa famille. Le père avait essayé de calmer B.; c'est alors que l'épouse de l'auteur était sortie et lui avait dit qu'il était responsable de la conduite de B. Le fils du défunt a déclaré en outre avoir vu à ce moment-là l'auteur sortir de chez lui en courant, muni d'un morceau de fer qui ressemblait à un harpon, et poursuivre son père. Celui-ci ayant été arrêté dans sa fuite par une cl_ture, l'auteur l'avait frappé plusieurs fois de son arme et s'était enfui. Le témoignage a été en substance corroboré par l'épouse de la victime.

2.3 Le médecin légiste a déclaré que les blessures qui avaient entraîné la mort de la victime avaient pu être infligées avec une arme comme celle que les témoins oculaires avaient décrite.

2.4 L'auteur a témoigné sous serment, précisant qu'il reprenait la déclaration officielle qu'il avait faite à la police le 27 décembre 1982. Il avait alors déclaré que B. et un certain J. (qui se trouvait également sur les lieux) avaient jeté des pierres sur sa maison, que B. l'avait menacé et qu'il avait demandé à la victime de ramener B. chez lui. La victime avait alors essayé de calmer B. Tous les deux avaient commencé à se battre et à ce moment-là l'auteur et sa famille étaient partis et étaient allés passer la nuit chez un certain S.P. L'auteur a ajouté qu'il avait toujours eu des relations cordiales avec le défunt et sa famille.

2.5 L'épouse de l'auteur, témoin à décharge, a donné une version différente des faits. D'après elle, B. et le défunt l'avaient insultée et le défunt et sa famille avaient lancé des pierres, à la suite de quoi elle était partie avec son mari. Elle a nié que ce dernier se soit trouvé dans la rue cette nuit-là, comme elle l'avait précédemment déclaré à la police. Compte tenu de ce témoignage, le juge a demandé au jury de se prononcer aussi sur la question de la provocation. Un autre témoin à décharge a été entendu mais sa déposition n'a jeté aucune lumière sur l'affaire car il avait seulement entendu du bruit dehors et ne pouvait pas dire qui se trouvait dans la rue.

2.6 La cour d'appel de la Trinité-et-Tobago a débouté l'auteur le 9 mars 1987. Une demande d'autorisation spéciale de recours auprès de la section judiciaire du Conseil privé a été rejetée le 26 mai 1988. Le 3 décembre 1992, a été rendu un ordre d'exécution pour le 8 décembre 1992. Le 7 décembre 1992, les avocats de l'auteur ont déposé une requête constitutionnelle au nom de celui-ci, essentiellement au motif qu'une exécution au bout d'une aussi longue détention constituerait une violation de ses droits constitutionnels. L'auteur a bénéficié d'un sursis à exécution en attendant la décision concernant une requête constitutionnelle déposée pour une autre affaire et portant sur le même point.

2.7 Le 4 janvier 1994, l'auteur a été informé que la peine de mort avait été commuée en emprisonnement à vie sur ordre du Président de la République de Trinité-et-Tobago, à la suite des conclusions de la section judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Earl Pratt et Ivan Morgan c. Procureur général de la Jamaïque / Appel auprès du Conseil privé No 10 de 1993; jugement rendu le 2 novembre 1993./.

Teneur de la plainte

3.1 L'auteur affirme que son avocat n'a pas bien assuré sa défense et qu'en conséquence son procès a été inéquitable / L'auteur a été défendu par le même avocat pour les trois phases de la procédure judiciaire, c'est-à-dire l'audience préliminaire, le procès et l'audience en appel./. Il déclare qu'il voulait reconnaître le meurtre, en invoquant la légitime défense, justifiée par trois ans de provocations incessantes de la part du défunt et de sa famille, qui avaient notamment frappé sa fille. Il fait remarquer qu'en plaidant coupable d'homicide à l'audience préliminaire, il avait déjà reconnu le crime mais qu'au procès son avocat l'avait "écarté de la scène" en fondant la défense sur l'alibi. Il reproche à l'avocat de n'avoir jamais contesté l'absence de témoignage d'un médecin légiste devant la Haute Cour, de ne pas s'être assuré des déclarations antérieures de sa femme à la police et d'avoir accepté sans objection l'absence du photographe qui avait pris des photos sur les lieux / Il ressort des minutes du procès que le photographe avait quitté le pays et que l'avocat de l'auteur avait demandé à se rendre sur les lieux. L'accusation avait élevé une objection parce que la maison de l'auteur avait été incendiée après l'incident. La demande a été retirée./. L'auteur dénonce en outre le fait que son avocat ait purement et simplement renoncé à l'appel puisqu'il n'a avancé aucun motif pour justifier le recours / Il ressort de l'arrêt écrit de la cour d'appel que l'avocat a admis devant cette juridiction que, ayant examiné tous les éléments de l'affaire ainsi que le résumé du juge àl'intention du jury, il n'avait trouvé aucun motif de plaider en faveur de son client. La cour d'appel a donné raison à l'avocat mais a ajouté que "pour suivre la procédure, nous devrions nous occuper brièvement des faits de la cause"./. L'auteur ajoute que malgré cela, l'avocat "a eu le front de dire au Président du tribunal que j'étais déjà en prison et que peut-être il (le Président du tribunal) pouvait me donner cinq ans parce qu'en fait il s'agissait d'une affaire de provocation".

3.2 Le conseil affirme que plusieurs éléments donnent à penser que le procès de l'auteur n'a pas été équitable. En ce qui concerne l'absence de preuves scientifiques au procès, le conseil admet que la défense est libre de soulever des objections à ce sujet pour affaiblir le dossier de l'accusation, mais que normalement elle n'exigerait pas que de telles preuves soient fournies. Toutefois, dans le cas de l'auteur, l'absence de preuves, scientifiques ou d'une autre nature, était particulièrement importante, car le dossier de l'accusation reposait entièrement sur l'identification de l'auteur par le fils et la femme du défunt, identification faite dans la pénombre et alors que l'un des témoins (l'épouse) avait une mauvaise vue et ne portait pas de lunettes. De plus, étant donné les relations de proche parenté des témoins avec la victime et les mauvaises relations entre les deux familles, il était amplement justifié de mettre en doute la fiabilité des témoins. D'après le conseil, dans ces conditions le juge aurait dû mettre le jury en garde, alors qu'au contraire il leur a dit : "Je ne crois pas [...] que l'identification des personnes en cause vous pose le moindre problème". Le conseil y voit une irrégularité dans les instructions données qui a entaché le procès d'inéquité.

3.3 Le conseil souligne en outre que des témoins essentiels, comme B., J. et S. P., n'ont pas été cités à comparaître et que plus de trois ans se sont écoulés entre l'arrestation de l'auteur et le procès. Il souligne qu'un tel retard est particulièrement fâcheux quand tout repose sur l'identification par les témoins. D'après lui, il y a donc violation de l'article 14 du Pacte.

Observations de l'Etat partie concluant la recevabilité

4. Dans une réponse du 10 septembre 1993, l'Etat partie confirme que l'auteur a épuisé tous les recours internes disponibles au pénal.

Décision du Comité concernant la recevabilité

5.1 A sa cinquantième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication.

5.2 Le Comité a jugé irrecevables les allégations de l'auteur concernant l'appréciation des preuves et les instructions données au jury par le juge. Il a rappelé qu'en principe c'est aux juridictions d'appel des Etats parties au Pacte et non au Comité lui-même, qu'il appartient d'apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire déterminée, ou d'apprécier les instructions particulières données par le juge au jury, à moins qu'il ne s'avère que les instructions ont été manifestement arbitraires ou ont constitué un déni de justice, ou que le juge a de toute évidence manqué à son devoir d'impartialité. Les éléments dont le Comité est saisi ne montrent pas que les instructions du juge ou la conduite du procès aient été entachées de telles irrégularités.

5.3 Le Comité a estimé en outre que l'auteur et son conseil n'ont pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, l'allégation selon laquelle l'auteur n'a pas été dûment représenté pendant le procès et en appel et le procès a été inéquitable parce que des témoins essentiels dans l'affaire n'ont pas été cités à comparaître.

5.4 Le Comité a estimé que le délai intervenu entre la première arrestation de l'auteur le 27 décembre 1982 et sa condamnation le 11 mars 1986, pourrait soulever une question au titre du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte, qui devrait être examinée quant au fond.

5.5 En conséquence, le 17 mars 1994, le Comité des droits de l'homme a déclaré la communication recevable dans la mesure où elle semblait soulever des questions au titre du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.

Informations supplémentaires reçues de l'Etat partie

6. L'Etat partie, dans une réponse datée du 19 avril 1995, confirme que la peine prononcée contre l'auteur a été commuée, le 31 décembre 1993, en peine d'emprisonnement à vie et que l'auteur finira ses jours en prison.

Délibérations du Comité

7.1 Le Comité a examiné la communication compte tenu de toutes les informations fournies par les parties. Il note avec préoccupation qu'une fois communiquée à l'Etat partie sa décision concernant la recevabilité, ce dernier s'est borné à l'informer que la peine de mort prononcée contre l'auteur avait été commuée et que l'Etat partie n'a fait parvenir aucune autre information apportant des éclaircissements sur la question soulevée dans la communication à l'étude. Le Comité rappelle qu'en vertu du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, les Etats parties sont implicitement tenus d'examiner de bonne foi toutes les allégations formulées contre eux et de présenter au Comité toutes les informations dont ils disposent. Etant donné que l'Etat partie n'a pas coopéré avec le Comité sur la question à l'examen, il convient de donner tout leur poids aux allégations de l'auteur.

7.2 Le Comité note qu'il ressort des informations qui lui ont été communiquées que l'auteur a été arrêté le 27 décembre 1982, qu'il a été remis en liberté sous caution le 29 août 1983, à l'issue de l'enquête préliminaire, qu'il a été arrêté de nouveau le 18 septembre 1984, que le procès intenté contre lui a commencé le 6 mars 1986 et qu'il a été déclaré coupable et condamné à mort le 11 mars 1986. Bien que les informations communiquées au Comité ne permettent pas de savoir s'il y a eu une ou deux enquêtes préliminaires, ou si la condamnation initiale a été prononcée pour homicide involontaire ou pour meurtre, le Comité considère qu'étant donné les circonstances de l'affaire à l'examen, le délai de plus de trois ans intervenu entre la première arrestation de l'auteur et son procès constitue, en l'absence de toute explication de l'Etat partie justifiant ce retard, une violation du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des dispositions du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'Etat partie est tenu de fournir à M. Seerattan un recours utile. Le Comité a noté que l'Etat partie avait commué la peine de mort prononcée contre l'auteur et, vu que l'auteur a passé plus de dix ans en prison, dont sept ans et neuf mois dans le quartier des condamnés à mort, il recommande à l'Etat partie d'envisager de le libérer rapidement. L'Etat partie a l'obligation de veiller à ce que de semblables violations ne se reproduisent pas à l'avenir.

10. Considérant qu'en adhérant au Protocole facultatif l'Etat partie a reconnu la compétence du Comité pour déterminer s'il y a eu violation du Pacte, et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, notamment un recours utile et exécutoire dans le cas où une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de 90 jours, des informations sur les mesures prises pour donner suite à ses constatations.

[Texte adopté en anglais (version originale), et traduit en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]



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