Comité des droits de l'homme
Cinquantième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Cinquantième session -
Communication No. 440/1990
Présentée par : Youssef El-Megreisi
Au nom de : Mohammed Bashir El-Megreisi, frère de l'auteur
État partie : Jamahiriya arabe libyenne
Date de la communication : 27 décembre 1990
Le Comité des droits de l'homme, institué par l'article 28 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 23 mars 1994,
Ayant achevé l'examen de la communication No 440/1990, présentée
par M. Youssef El-Megreisi au nom de son frère, Mohammed Bashir El-Megreisi,
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été fournies par l'auteur de la communication,
Adopte aux fins du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
les Constatations suivantes.
1. L'auteur de la communication est Youssef El-Megreisi, apatride d'origine
libyenne, né en 1958 à Benghazi (Libye) et résidant actuellement au Royaume-Uni.
Il écrit au nom de son frère, Mohammed Bashir El-Megreisi, citoyen libyen
né en 1956, qui ne serait pas en mesure de présenter lui-même une communication.
L'auteur affirme que son frère est victime de violations de ses droits
de l'homme par la Libye. Le Protocole facultatif est entré en vigueur
pour la Jamahiriya arabe libyenne le 16 août 1989.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur déclare qu'en janvier 1989, une perquisition a été opérée
au petit matin dans la maison familiale, à Benghazi, où vivaient son frère,
sa belle-soeur et leurs deux enfants. Cette perquisition aurait été le
fait de membres du Mukhabarat, la police de sécurité libyenne. Ces derniers
auraient dit à Mohammed El-Megreisi de s'habiller et de les suivre, soi-disant
pour les aider à régler un problème de sécurité non précisé. Mohammed
El-Megreisi n'a jamais reparu. L'auteur ajoute que personne n'a pu rendre
visite à son frère et que personne n'a été informé de son sort.
2.2 L'auteur affirme que la police de sécurité soupçonnait, à tort, son
frère de militantisme politique. Aucune accusation précise n'a été portée
contre Mohammed El-Megreisi et il n'y a jamais eu de procès. La famille
a ignoré pendant près de trois ans où il se trouvait et a craint qu'il
n'ait été torturé ou tué, ce qui serait habituellement le sort réservé
aux détenus politiques en Libye.
2.3 En avril 1992, la famille El-Megreisi a appris que le frère de l'auteur
était toujours en vie puisqu'il avait été autorisé à recevoir la visite
de son épouse. Mme El-Megreisi a déclaré que les autorités libyennes avaient
indiqué à son mari qu'aucune accusation n'avait été portée contre lui
et qu'il n'était maintenu en détention que pour des raisons de procédure
ordinaire. Au cours de la visite de son épouse, Mohammed El-Megreisi n'aurait
fait aucune observation sur les conditions de sa détention et n'aurait
pas non plus indiqué s'il avait été victime de tortures ou d'autres traitements
cruels, inhumains ou dégradants, par crainte de représailles, car les
lieux de visite seraient équipés de micros dissimulés et les conversations
entre visiteurs et détenus enregistrées.
2.4 Dans une communication datée de septembre 1992, l'auteur a déclaré
que son frère était détenu dans un camp militaire de Tripoli, dont le
nom et l'emplacement étaient toutefois inconnus. L'auteur a réaffirmé
que les conditions de détention en Libye étaient cruelles et inhumaines,
sans donner davantage de détails.
2.5 Pour ce qui est des recours internes que le plaignant doit épuiser,
l'auteur a déclaré dans sa communication initiale que les autorités libyennes
niaient simplement avoir arrêté son frère, en dépit des témoignages de
la famille. En 1990, deux organisations non gouvernementales établies
à Londres ont demandé aux autorités libyennes des éclaircissements sur
le sort de M. El-Megreisi, mais elles n'ont reçu aucune réponse. Il semble,
d'après les informations fournies par l'auteur, que les recours internes
soient considérés comme à la fois non disponibles et inefficaces.
Teneur de la plainte
3. Bien que l'auteur n'invoque pas de dispositions précises du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, il ressort de ses
communications qu'il considère que son frère est victime de violations
par la Libye des articles 7, 9 et 10.
Décision du Comité concernant la recevabilité
4.1 Le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication
à sa quarante-sixième session, en octobre 1992. Il a noté avec préoccupation
que, malgré les deux rappels qui lui avaient été adressés en janvier et
en juillet 1992, l'État partie n'avait fait parvenir aucune information
ou observation sur cette question; l'État partie n'avait pas non plus
fourni de renseignements, comme il avait été prié de le faire le 2 août
1991 par le Rapporteur spécial du Comité pour les nouvelles communications,
sur le lieu où M. Mohammed El-Megreisi se trouvait depuis le mois de janvier
1989 et sur l'état de santé de ce dernier. Le Comité s'est par conséquent
estimé autorisé par le paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif
à examiner la communication.
4.2 Le 16 octobre 1992, le Comité a déclaré la communication recevable
dans la mesure où elle semblait soulever des questions relevant des articles
7, 9 et 10 du Pacte.
Examen quant au fond
5.1 Le Comité relève tout d'abord que le Protocole facultatif a pris
effet en Jamahiriya arabe libyenne le 16 août 1989. Rien ne s'oppose donc
à ce qu'il prenne la communication en considération, puisque les incidents
dont l'auteur fait état se sont poursuivis après cette date.
5.2 Malgré le rappel qui lui avait été adressé en octobre 1993, l'État
partie n'a fourni aucun renseignement concernant le fond des allégations
de l'auteur et n'a pas non plus indiqué où se trouvait M. El-Megreisi,
quel était son état de santé et dans quelles conditions il était détenu,
comme il en avait pourtant été prié à l'alinéa c) du paragraphe 6 de la
décision du Comité concernant la recevabilité. Le Comité note avec regret
et une profonde préoccupation l'absence de coopération de la part de l'État
partie, en ce qui concerne tant la recevabilité que le fond de la communication.
Il ressort pourtant implicitement du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole
facultatif et de l'article 91 du règlement intérieur du Comité que les
États parties au Pacte doivent enquêter en toute bonne foi sur toutes
les allégations de violation du Pacte qui les visent ou visent leurs autorités
et fournir au Comité les renseignements qu'ils peuvent recueillir. Le
manque de coopération de la part des États parties empêche le Comité de
s'acquitter pleinement des responsabilités que lui confère le Protocole
facultatif.
5.3 Le Comité fonde en conséquence son évaluation sur le fait incontesté
que M. Mohammed El-Megreisi a été arrêté en janvier 1989, qu'aucune accusation
n'a été à ce jour portée contre lui et qu'il n'a toujours pas été libéré.
Par conséquent, le Comité estime que M. El-Megreisi a fait l'objet d'une
arrestation et d'une mise en détention arbitraires et qu'il reste arbitrairement
détenu, en violation de l'article 9 du Pacte.
5.4 Le Comité note en outre que d'après les renseignements dont il dispose,
Mohammed El-Megreisi a été détenu au secret pendant plus de trois ans,
jusqu'en avril 1992, lorsqu'il a été autorisé à recevoir la visite de
son épouse, et qu'après cette date, il a été de nouveau maintenu au secret
en un lieu inconnu. Le Comité considère donc que cette détention prolongée
au secret en un endroit inconnu constitue une torture et un traitement
cruel et inhumain et qu'il y a eu violation de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte.
6. Le Comité des droits de l'homme estime, aux fins du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, que les faits qui lui ont été
exposés font apparaître des violations des articles 7 et 9 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte.
7. Le Comité considère que M. Mohammed Bashir El-Megreisi a droit, en
vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, à un recours utile.
Il prie instamment l'État partie de prendre les mesures voulues pour :
a) assurer la remise en liberté immédiate de M. Mohammed Bashir El-Megreisi;
b) indemniser M. Mohammed El-Megreisi pour la torture et le traitement
cruel et inhumain dont il a été victime; et c) veiller à ce que les violations
de cette nature ne se reproduisent pas.
8. Le Comité souhaiterait recevoir dans les 90 jours des informations
sur toute mesure que l'État partie aura prise comme suite à ces Constatations.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.]