Comité des droits de l'homme
Cinquante et unième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Cinquante et unième session -
Communication No 452/1991
Présentée par : Jean Glaziou
Au nom de : L'auteur
État partie : France
Date de la communication : 16 novembre 1990
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de
l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 18 juillet 1994,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Jean Glaziou, citoyen français
né en 1951, actuellement détenu à la prison de Muret (France). Il affirme
être victime de violation par la France des articles 9, 10, 14 et 17
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Rappel des faits présentés par l'auteur et par l'État partie
2.1 Le 13 novembre 1987, l'auteur a été arrêté et détenu à Hasselt
(Belgique) et inculpé de vol, escroquerie, détournement de fonds, falsification,
émission de chèques sans provision, etc. Le 19 juillet 1988, il a été
jugé par le tribunal criminel d'Anvers (Belgique), reconnu coupable
et condamné à trois ans d'emprisonnement.
2.2 Simultanément, en janvier 1988, le ministère public du tribunal
de grande instance de Coutances (France) a été saisi d'allégations de
délits analogues commis par l'auteur en France. Le 9 mai 1988, le juge
d'instruction du tribunal de grande instance de Coutances a délivré
un mandat d'arrêt contre l'auteur, lequel était inculpé notamment de
vol, vol avec effraction, détournement de fonds, escroquerie, falsification
de chèques et usages, ainsi que de plusieurs autres faux en écritures.
2.3 Le procureur de district a fait parvenir au Ministère français
de la justice le mandat d'arrêt, ainsi que la demande d'extradition
de l'auteur adressée aux autorités belges; le 13 juin 1988, le Ministère
français de la justice a transmis la demande au Ministère français des
affaires étrangères, conformément à l'article 4 de la Convention d'extradition
franco-belge du 15 août 1874a. Par une note verbale datée du 4 avril
1989, le Ministère belge des affaires étrangères a fait savoir à l'ambassade
de France à Bruxelles que le Gouvernement belge était disposé à extrader
Jean Glaziou vers la France, mais que ce dernier devait auparavant purger
une partie de sa peine d'emprisonnement en Belgique.
2.4 Le 29 mai 1989, l'auteur a été extradé vers la France; le 31 mai
1989, il a été présenté au juge d'instruction de Coutances qui a ordonné
sa mise sous mandat de dépôt. Le 27 décembre 1989, le Ministère français
de la justice a adressé aux autorités belges une demande d'extension
de l'extradition, l'information ayant fait apparaître de nouveaux faits
pouvant être mis à la charge de l'auteur et pour lesquels l'extradition
n'avait pas été accordée.
2.5 Le 26 septembre 1989, le juge d'instruction de Coutances a délivré
un nouveau mandat d'arrêt qui a été transmis par voie diplomatique aux
autorités belges. Le 22 janvier 1990, le Ministère belge des affaires
étrangères a informé l'ambassade de France que la décision d'extradition
avait été prolongée pour ce qui était des accusations faisant l'objet
du mandat d'arrêt du 26 septembre 1989, à l'exception de deux chefs
d'inculpation. Le 25 mai 1990, le juge d'instruction a porté l'affaire
de l'auteur devant le tribunal correctionnel de Coutances qui, le 10
juillet 1990, a condamné l'auteur à sept ans d'emprisonnement.
2.6 Au cours de sa détention provisoireb, l'auteur a plusieurs fois
fait appel des ordonnances du juge d'instruction concernant la prolongation
de sa détention; ses recours ont été rejetés par la cour d'appel de
Caen. Le 17 octobre 1990, la même cour d'appel de Caen a rejeté le recours
de l'auteur contre la condamnation et la peine prononcée. Le recours
formé contre cette décision a été rejeté par la chambre criminelle de
la Cour de cassation le 20 août 1991.
2.7 Le 2 décembre 1991, l'auteur a déposé une requête auprès de la
Commission européenne des droits de l'homme en faisant valoir : que
le mandat d'arrêt international était nul et non avenu, que la décision
d'extradition à son égard était illégale, que toutes les auditions ayant
eu lieu dans son affaire étaient nulles et sans effet, qu'il avait été
jugé deux fois pour les mêmes délits, que ses droits à la défense avaient
été violés, qu'il n'avait pas été jugé dans un délai raisonnable, qu'il
avait été détenu arbitrairement et qu'il avait été victime d'ingérence
arbitraire et illégale dans sa vie privée et familiale, ainsi que dans
sa correspondance. En juillet 1992, l'affaire de l'auteur a été enregistrée
devant la Commission sous le No 20313/92. Le 3 décembre 1992, la Commission
a déclaré la requête de l'auteur irrecevable, ayant jugé les allégations
de l'auteur manifestement dénuées de fondement.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que la procédure d'extradition vers la France
a été entachée d'irrégularités. Il souligne l'absence de certains documents
qui, selon lui, sont indispensables dans les cas d'extraditionc et il
fait observer que dans de tels cas, seuls les policiers d'INTERPOL sont
habilités à remettre l'accusé à l'État qui fait la demande d'extradition
et que, dans son propre cas, aucun policier d'INTERPOL n'était présent.
Il ajoute que l'extradition a été demandée en vertu d'un texte qui n'autorise
nullement l'extradition de personnesd et non pas en vertu de la Convention
d'extradition franco-belge. Il déclare que la demande d'extradition
le concernant n'a pas été examinée par les autorités compétentes, mais
qu'il s'agissait simplement d'un arrangement entre les procureurs français
et belge. La même procédure illégale aurait été suivie concernant la
demande d'extension des inculpations; selon l'auteur, la Convention
d'extradition franco-belge d'août 1874 prévoit que, dans de tels cas,
l'accusé doit être consulté. Il conclut qu'en raison des irrégularités
de la procédure d'extradition, la procédure judiciaire engagée contre
lui est nulle et de nul effet et qu'il a été détenu arbitrairement.
3.2 L'auteur indique qu'il a été arrêté et détenu le 13 novembre 1987,
que l'enquête préliminaire a été ouverte en France au début du mois
de janvier 1988, mais que le juge d'instruction n'a achevé son enquête
que deux ans et quatre mois plus tard, le 25 mai 1990. Il déclare que
le délai intervenu dans l'enquête préliminaire n'est pas raisonnable,
en particulier du fait qu'il était alors détenu. Il affirme qu'il n'y
avait aucune raison de le maintenir en détention; en outre, la durée
de l'incarcération serait disproportionnée par rapport aux infractions
commises car l'auteur n'a pas eu recours à la violence et n'a porté
tort qu'à des personnes ayant des moyens financiers suffisants.
3.3 L'auteur déclare qu'avant son extradition, il avait déjà été reconnu
coupable par le procureur et le juge d'instruction de Coutances et que
l'enquête préliminaire dans l'affaire le concernant n'a été qu'une simple
formalité. Il se plaint de ce que le juge d'instruction n'ait pas vérifié
son alibi et ait refusé d'entendre tout témoin à décharge. Il affirme
qu'il a été contraint de reconnaître sa culpabilité et que tous les
juges ayant été saisis de son affaire étaient de parti pris. A cet égard,
il déclare que les juges de la Cour de cassation ont profité du fait
que son avocat était en congé pour rendre leur décision. Quant à sa
défense, il affirme que les tribunaux ont exercé des pressions considérables
sur ses avocats commis d'office et qu'à deux reprises ces derniers n'ont
même pas été informés qu'une audience devait avoir lieu. En outre, il
déclare que les délits qu'il aurait commis en Suisse, en Belgique et
en France étaient "concomitants et indissociables"; étant
donné qu'il avait déjà été condamné en Belgique pour les délits mentionnés
dans le mandat d'arrêt, les autorités françaises, en engageant de nouvelles
poursuites contre lui, ont violé le principe non bis in idem.
3.4 L'auteur se plaint d'être victime de traitements inhumains; il
affirme à cet égard que son courrier est intercepté (notamment par le
substitut du procureur de Caen et par un fonctionnaire du Ministère
de la justice). Il ajoute que ses amis et les membres de sa famille
ont cessé toute relation avec lui en raison de certaines persécutions
dont ils auraient été victimes. Il affirme enfin qu'il a été brutalisé
par des gardiens de la prison de Fresnes sans donner d'autres détails.
3.5 Les faits susmentionnés constitueraient des violations par la France
des articles 9, 10, 14 et 17 du Pacte.
Renseignements et observations communiqués par l'État partie
4.1 Dans une communication datée du 14 janvier 1993, l'État partie
déclare que dans la mesure où la plainte de l'auteur concernant la procédure
d'extradition est adressée à la Belgique, cette partie de la communication
est irrecevable. Il ajoute, pour ce qui est des violations alléguées
concernant la France, que celles-ci sont identiques à celles qui ont
été rejetées par la cour d'appel de Caen le 17 octobre 1990. La cour
d'appel s'est déclarée empêchée d'examiner ces allégations, conformément
à l'article 385 du Code de procédure pénale qui prévoit que l'action
en justice pour motif de procédure (par exemple concernant la citation
ou la procédure antérieure) doit être intentée devant le tribunal avant
toute défense au fond. De l'avis de l'État partie, l'exercice irrégulier
d'une voie de recours interne doit être assimilé à l'absence d'exercice
de cette même voie de recours; l'État partie affirme en conséquence
que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe
2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
4.2 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur selon laquelle il aurait
été condamné pour les mêmes faits pour lesquels il avait été condamné
en Belgique, en violation du principe du non bis in idem, l'État
partie déclare, d'une part, que celle-ci est irrecevable ratione
materiae en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif. Il fait
valoir que cette partie de la communication est incompatible avec le
paragraphe 7 de l'article 14 du Pacte car cette disposition ne s'applique
qu'aux décisions judiciaires émanant d'un seul et même État et non pas
d'États différents. Il renvoie à la communication No 204/1986e, dans
laquelle le Comité a indiqué que les dispositions du paragraphe 7 de
l'article 14 n'interdisaient les doubles condamnations pour un même
fait que dans le cas des personnes jugées dans un État donné. D'autre
part, l'État partie indique que l'article 692 du Code de procédure pénale
français dispose que [dans certains cas] "aucune poursuite n'a
lieu si l'inculpé justifie qu'il a été jugé définitivement à l'étranger
et, en cas de condamnation, qu'il a subi ou prescrit sa peine ou obtenu
sa grâce". L'État partie indique qu'en conséquence les tribunaux
français ont effectivement examiné cette allégation et ont constaté
qu'aucun des faits visés dans l'acte d'accusation n'avait été examiné
par les tribunaux belges.
4.3 Pour ce qui est des mauvais traitements dont l'auteur aurait été
victime du fait que sa correspondance aurait été interceptée, l'État
partie estime que ce grief est incompatible ratione materiae
avec les dispositions de l'article 10 du Pacte. En outre, l'auteur avait
soulevé la question de la prétendue interception de sa correspondance
devant les juges du fond, qui avaient rejeté son allégation et avaient
engagé l'auteur à entamer des poursuites au civil. L'État partie fait
observer que l'auteur n'a pas intenté de procédure à cet effet et que
cette partie de la communication est en conséquence également irrecevable
au motif du non-épuisement des recours internes.
4.4 S'agissant de la plainte de l'auteur concernant la longueur de
la procédure judiciaire engagée contre lui, l'État partie déclare qu'eu
égard au fait que l'auteur était absent lorsque l'instruction a été
ouverte en France et n'a donc pas pu être interrogé par le juge d'instruction
et que trois juridictions ont eu à connaître de l'affaire, la procédure
pénale ne peut pas raisonnablement être considérée comme ayant été indûment
prolongée. En outre, il rappelle que l'auteur a été jugé le 10 juillet
1990, que la cour d'appel a statué sur son affaire le 17 octobre 1990,
soit trois mois plus tard, et que la Cour de cassation a rendu son arrêt
le 20 août 1991, soit 10 mois plus tard. Quant à la durée de la détention
provisoire de l'auteur, l'État partie indique que les autorités judiciaires
ont rejeté les demandes de mise en liberté de l'auteur car ce dernier
risquait de se soustraire à la justice et avait de lourds antécédents
judiciaires. En outre, les années de détention provisoire ont été imputées
sur la peine. L'État partie conclut que les griefs soulevés par l'auteur
sont manifestement abusifs et que la communication doit être déclarée
irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
5. Dans une communication datée du 3 mars 1993, l'auteur maintient
que son extradition a été illégale; il affirme que la cour d'appel et
la Cour de cassation ont refusé de se prononcer sur son extradition
et qu'aucun document concernant son affaire n'a été fourni.
6. Dans une autre communication datée du 18 octobre 1993, l'État partie
fait valoir que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif car la même question a déjà
été examinée par la Commission européenne des droits de l'homme, qui
a déclaré la requête de l'auteur irrecevable. Il rappelle que lorsqu'elle
a ratifié le Protocole facultatif, la France a émis une réserve à l'égard
du paragraphe 2 a) de l'article 5 en déclarant : "Le Comité des
droits de l'homme ne sera pas compétent pour examiner une communication
émanant d'un particulier si la même question est en cours d'examen ou
a déjà été examinée par une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement". L'État partie note que les griefs invoqués par
l'auteur devant la Commission européenne sont en substance les mêmes
que ceux qu'il a formulés devant le Comité des droits de l'homme et
que les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales invoquées par l'auteur sont
identiques à celles du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques.
Délibérations du Comité
7.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son
règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2 Le Comité a pris note de l'argument de l'État partie concernant
l'applicabilité du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif.
Il note que la Commission européenne n'a pas été saisie de la plainte
de l'auteur dénonçant les brutalités qu'il aurait subies aux mains de
gardiens de prison. Il estime cependant que l'auteur n'a pas, aux fins
de la recevabilité de sa communication, étayé son allégation. Quant
aux autres allégations de l'auteur, il relève que la plainte déposée
par l'auteur auprès de la Commission européenne portait sur les mêmes
événements et les mêmes faits que ceux qui font l'objet de la communication
soumise par l'auteur en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte et qu'elle soulevait essentiellement les mêmes questions. En
conséquence, le Comité est saisi de "la même question" que
celle dont la Commission européenne des droits de l'homme a été saisie
et, compte tenu de la réserve émise par la France à l'égard du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, il ne peut pas examiner
la communication de l'auteur. Enfin, en ce qui concerne l'allégation
selon laquelle les autorités françaises continuent d'intercepter sa
correspondance, le Comité note que l'auteur n'a pas épuisé les recours
internes.
8. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à
l'auteur de la communication.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.]
Notes
a La Convention prévoit que les demandes d'extradition doivent être
transmises par voie diplomatique.
b Du 31 mai 1989, date du mandat de dépôt, au 10 juillet 1990, date
de la condamnation.
c La plainte à cet égard est toutefois dirigée essentiellement contre
la Belgique. Selon l'auteur, les documents nécessaires en l'espèce sont
: l'avis (motivé) de la Chambre d'accusation du tribunal belge qui s'est
prononcée sur l'extradition, l'arrêté ministériel d'extradition et le
décret royal d'extradition.
d Le mandat d'arrêt délivré à l'encontre de l'auteur mentionne la
Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20
avril 1959.
e Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-troisième
session, Supplément No 40 (A/43/40), annexe VIII A, communication
No 204/1986 (A. P. c. Italie) déclarée irrecevable le
2 novembre 1987, à la trente et unième session du Comité.