Comité des droits de l'homme
Cinquante-cinquième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
Communication No 454/1991
Présentée par : Enrique García Pons
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Espagne
Date de la communication : 29 décembre 1990 (communication initiale)
Date de la décision concernant la recevabilité : 30 juin 1994
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 30 octobre 1995,
Ayant achevé l'examen de la communication No 454/1991 présentée
par M. Enrique García Pons en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication et par l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif :
1. L'auteur de la communication est Enrique García Pons, citoyen espagnol
né en 1951, résidant actuellement à Badalona (Espagne). Il se dit victime
de violations par l'Espagne de l'alinéa 25 c) du paragraphe 1 de l'article
14 et de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur est un fonctionnaire du Bureau auxiliaire de l'Agence nationale
pour l'emploi (Instituto Nacional de Empleo) dans la municipalité de Badalona.
Le 20 décembre 1986, il a été nommé substitut du juge de district de Badalona,
fonction qu'il a occupée jusqu'au 16 octobre 1987. A la suite de son affectation,
il a demandé à son employeur, le Ministère du travail et de la sécurité
sociale (INEM), d'officialiser ce changement de statut et de certifier
qu'il était, d'un point de vue administratif, affecté à des "services
spéciaux". Le Ministère n'a pas accédé à sa demande.
2.2 A la fin de l'année 1987, l'auteur a été une nouvelle fois nommé
substitut du juge de district de Badalona alors que cette fonction était
occupée par un nouveau juge. Il a donc demandé à bénéficier des allocations
de ch_mage (prestaciones de desempleo). Il a une nouvelle fois
sollicité l'officialisation de son statut administratif, mais en vain.
Sa situation étant toujours la même en 1988, l'auteur a saisi le tribunal
administratif compétent, réclamant le versement par l'Instituto Nacional
de Empleo d'allocations de ch_mage. Le 27 mai 1988, le juge des affaires
sociales (Juzgado de lo Social No 9) de Barcelone a rejeté sa requête
au motif que l'auteur était libre de réintégrer son ancien poste et que,
de ce fait, il ne remplissait pas les critères donnant droit au versement
d'allocations de ch_mage. Le juge a considéré que l'auteur avait l'intention
d'abandonner ses fonctions à un échelon inférieur pour pouvoir réclamer
une allocation de ch_mage à un grade plus élevé, tout en se préparant
à une carrière juridique.
2.3 Le 11 mai 1989, l'Instituto Nacional de Empleo a déclaré l'auteur
"en congé de son plein gré" depuis fin 1986. L'auteur a contesté
cette décision et a continué à remplir ses fonctions de substitut du juge
de district, dans la mesure où il était fait appel à ses services. Arguant
que tous les substituts cotisaient à l'assurance ch_mage, l'auteur estimait
pouvoir lui-même bénéficier d'allocations à ce titre. Il s'est pourvu
en appel de la décision du 27 mai 1988 devant le Tribunal Superior de
Justicia de la Catalogne qui l'a débouté le 30 avril 1990.
2.4 Le 22 juin 1990, l'auteur a formé un recours auprès du tribunal constitutionnel,
qui a été rejeté le 21 septembre 1990. L'auteur a une nouvelle fois saisi
le tribunal constitutionnel le 10 novembre 1990, faisant valoir qu'il
était le seul substitut dans toute l'Espagne à se voir refuser des allocations
de ch_mage, en violation de ses droits constitutionnels. Du fait que le
tribunal constitutionnel a confirmé sa décision antérieure le 3 décembre
1990, l'auteur soutient qu'il a épuisé tous les recours internes disponibles.
Teneur de la plainte
3. L'auteur se prétend victime d'un déni du droit à l'égalité devant
les tribunaux (art. 14 du Pacte), d'une discrimination en matière d'accès
à la fonction publique (par. c) de l'article 25) et d'une discrimination
résultant du fait que des prestations de ch_mage lui sont refusées (art.
26 du Pacte).
Décision concernant la recevabilité
4. Dans une communication datée du 17 septembre 1991, l'Etat partie déclarait
"la communication de M. García Pons satisfait, en principe, aux conditions
de recevabilité posées par les articles 3 et 5, paragraphe 2, du Protocole
facultatif ... et n'est pas incompatible avec les dispositions du Pacte".
Sans contester la recevabilité de la communication, il indique qu'il fera,
en temps utile, des observations quant au fond.
5.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit déterminer, conformément à l'article 87 de
son règlement intérieur, si cette communication est recevable en vertu
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2 Le Comité estime que l'auteur a apporté la preuve de ses allégations
aux fins de l'examen de la recevabilité et s'est assuré que la communication
n'était pas irrecevable au titre des articles premier, 2 et 3 du Protocole
facultatif. Il note en outre que l'Etat partie concède que les recours
internes ont été épuisés.
6. En conséquence, le 30 juin 1994, le Comité des droits de l'homme a
décidé que la communication était recevable dans la mesure où elle pouvait
soulever des questions au titre des articles 14, 25 et 26 du Pacte.
Observations de l'Etat partie quant au fond
7.1 Dans ses observations du 13 février et du 15 juin 1995, l'Etat partie
conteste une quelconque violation au Pacte. Quant au fond de l'affaire,
l'Etat partie fait valoir que l'auteur n'est pas au ch_mage, qu'il est
fonctionnaire, et que si, à plusieurs occasions, il a été mis en disponibilité
pour assumer les fonctions de substitut, il lui a toujours été possible
de réintégrer le poste dont il était titulaire. De ce fait, il n'a jamais
été au ch_mage et ne peut donc réclamer d'allocations à ce titre. Les
arguments de l'auteur sont affaiblis par une contradiction évidente :
d'un c_té, son désir de devenir juge titulaire, et de l'autre, sa réticence
à renoncer à la sécurité que lui assure son actuel statut de fonctionnaire.
7.2 Quant à l'allégation de l'auteur selon laquelle il serait le seul
substitut ch_meur qui ne bénéficierait pas des allocations de ch_mage,
l'Etat partie fait valoir que l'auteur n'a pas fourni un seul exemple
d'une autre personne se trouvant dans le même cas que lui, à savoir un
fonctionnaire mis temporairement en disponibilité qui aurait été traité
différemment. Ne perçoivent des indemnités de ch_mage que les substituts
qui sont réellement sans emploi. Cela n'est en aucun cas la situation
de l'auteur qui ne peut espérer obtenir que la loi soit spécialement adaptée
à son cas pour lui permettre de conserver son poste de fonctionnaire alors
qu'il n'en assumerait pas les fonctions et préparer des concours tout
en bénéficiant d'allocations de ch_mage à l'issue de ses affectations
de substitut.
7.3 Quant à une prétendue violation de l'article 14 du Pacte, l'Etat
partie affirme que l'auteur a eu accès en toute égalité à toutes les juridictions
espagnoles, y compris la Cour constitutionnelle, et que toutes ses requêtes
ont été examinées de bonne foi par les tribunaux compétents, comme en
attestent les actes de jugement et autres pièces soumises. L'auteur conteste
de toute évidence les jugements rendus dans son cas, mais il n'a pas apporté
d'arguments suffisants pour démontrer le bien-fondé de l'allégation selon
laquelle les garanties de procédure n'auraient pas été observées par les
différentes juridictions concernées.
7.4 Quant à l'allégation de violation de l'article 25 du Pacte, l'Etat
partie souligne qu'à aucun moment des nombreuses procédures entamées par
l'auteur ce dernier n'a invoqué le droit protégé par l'article 25 du Pacte.
De plus, cette question est étrangère à l'affaire puisqu'elle porte sur
le droit à un accès à la fonction publique et non pas sur le déni d'allocations
de ch_mage allégué par l'auteur.
Commentaires de l'auteur
8.1 Dans ses commentaires datés du 29 mars et du 29 juillet 1995, l'auteur
se déclare une nouvelle fois victime de discrimination et soutient que
les lois espagnoles pertinentes sont incompatibles avec le Pacte, en particulier
les règlements de 1987 et la circulaire 10/86 du Sous-Secrétaire d'Etat
à la justice relative au statut des substituts. Il soutient par ailleurs
que la précarité des fonctions de substitut compromet l'indépendance de
la magistrature.
8.2 L'auteur conteste l'argument de l'Etat partie selon lequel il serait
motivé par des considérations économiques et prétendrait à l'adoption
d'une législation qui lui soit particulièrement adaptée. Il affirme que
loin d'avoir perçu des revenus sensiblement plus importants en tant que
juge, il s'est vu contraint de réintégrer la fonction publique pour subvenir
à ses besoins de base. Il fait observer qu'entre 1986 et 1992 il a, à
diverses occasions, assumé avec dévouement les fonctions de substitut
et cotisé à l'assurance ch_mage. Il soutient que la législation pertinente
et la pratique devraient être adaptées de manière à faire en sorte que
toute personne qui cotise à l'assurance ch_mage puisse en devenir prestataire
à l'issue d'un emploi temporaire, nonobstant la possibilité de réintégration
d'un emploi dans la fonction publique.
8.3 En conclusion, l'auteur soutient qu'étant le seul substitut à ne
pas être prestataire d'une allocation de ch_mage il est victime d'une
discrimination au sens de l'article 26 du Pacte.
Examen concernant la recevabilité et examen quant au fond
9.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication à la lumière
de toutes les informations que les parties lui avaient communiquées, conformément
au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
9.2 Au sujet de l'allégation de l'auteur au titre du paragraphe c) de
l'article 25 du Pacte, le Comité note que l'Etat partie a fait valoir
que l'auteur n'avait jamais invoqué la substance de ce droit devant les
tribunaux espagnols. L'auteur n'a pas prétendu qu'il ne lui aurait pas
été possible d'invoquer ce droit devant les tribunaux nationaux. En conséquence,
conformément au paragraphe 4 de l'article 91 de son règlement intérieur,
le Comité annule cette partie de sa décision concernant la recevabilité
au titre de l'article 25 du Pacte et la déclare irrecevable au motif de
non-épuisement des recours internes.
9.3 Avant d'aborder le fond de l'affaire, le Comité fait observer que
si le droit à la sécurité sociale n'est pas, en tant que tel, protégé
par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, des
questions peuvent néanmoins se poser au regard du Pacte si le principe
d'égalité figurant aux articles 14 et 26 du Pacte est violé.
9.4 Dans ce contexte, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme
que toute différence de traitement n'est pas considérée comme discriminatoire
au regard des dispositions pertinentes du Pacte / Zwaan
de Vries c. les Pays-Bas, communication No 182/1984, constatations
adoptées le 9 avril 1987, par. 13. Alina Simunek c. République
tchèque, communication No 516/1992, constatations adoptées le 19 juillet
1995, par. 11.3./. Une différence de traitement compatible avec les dispositions
du Pacte et fondée sur des motifs raisonnables ne représente pas une discrimination
prohibée.
9.5 Le Comité note que l'auteur prétend être le seul substitut ch_meur
qui ne bénéficie pas d'allocations de ch_mage. Les informations dont dispose
le Comité indiquent que des allocations de ch_mage ne sont versées qu'aux
substituts qui ne peuvent pas immédiatement réintégrer un autre poste
à l'expiration d'une affectation temporaire. L'auteur n'entre pas dans
cette catégorie puisqu'il jouit du statut de fonctionnaire. Le Comité
estime que la distinction faite entre les substituts au ch_mage qui ne
sont pas des fonctionnaires en disponibilité et ceux qui le sont ne peut
être considérée arbitraire ou déraisonnable. Il en conclut que la différence
de traitement alléguée ne constitue pas une violation du principe d'égalité
et de non-discrimination énoncé à l'article 26 du Pacte.
9.6 Quant aux allégations de l'auteur concernant l'article 14, le Comité
ayant attentivement examiné les différentes procédures judiciaires entamées
par l'auteur en Espagne, ainsi que la suite qui leur a été donnée, conclut
que les éléments de preuve qui lui ont été présentés ne lui permettent
pas d'établir un déni du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement,
au sens du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
10. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif, considère que les faits dont
il est saisi ne révèlent pas une violation par l'Espagne d'une quelconque
disposition du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
[Texte adopté en anglais (version originale) et traduit en espagnol et
en français. Il paraîtra en arabe, en chinois et en russe dans le prochain
rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]