Comité des droits de l'homme
Cinquante-et-unième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
- Cinquante-et-unième session -
Communication No. 455/1991
Présentée par : Allan Singer
Au nom de : L'auteur
État partie : Canada
Date de la communication : 30 janvier 1991 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 1994,
Ayant achevé l'examen de la communication No 455/1991 présentée
au Comité des droits de l'homme par M. Allan Singer en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie
intéressé,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est Allan Singer, citoyen canadien né
en 1913, résidant à Montréal (Canada). Il prétend être victime d'une "discrimination
de langue" de la part du Canada, en violation du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, dont il n'invoque cependant pas
expressément l'article 26.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur gère une entreprise de papeterie et d'imprimerie à Montréal.
Sa clientèle est en majorité, mais pas exclusivement, anglophone. À partir
de 1978, l'auteur a été sommé à plusieurs reprises par les autorités du
Québec de remplacer les inscriptions commerciales en anglais placées à
l'extérieur de son magasin par des inscriptions en français. À chaque
fois, il a plaidé sa cause devant des juridictions locales, en faisant
valoir que la Charte de la langue française (loi No 101) était discriminatoire,
en ce qu'elle limitait l'utilisation de la langue anglaise à des fins
commerciales. En particulier, l'article 58 de la loi No 101 lui interdisait
de placer des inscriptions commerciales en anglais à l'extérieur de son
magasin. En octobre 1978, la cour des sessions de Montréal l'a débouté
de sa plainte; la cour supérieure du Québec (Montréal) en a fait de même
le 26 mars 1982, ainsi que la Cour d'appel du Québec en décembre 1986.
2.2 L'auteur a alors saisi la Cour suprême du Canada, qui a décidé que
l'obligation d'employer exclusivement le français pour la publicité commerciale
à l'extérieur était anticonstitutionnelle et a déclaré nulles et sans
effet plusieurs dispositions de la Charte de la langue française. La législature
du Québec a cependant adopté une nouvelle loi, la loi No 178, le 22 décembre
1988, qui visait expressément à empêcher l'exécution de l'arrêt rendu
une semaine auparavant par la Cour suprême du Canada. L'auteur affirme
qu'il a de ce fait épuisé tous les recours disponibles.
Teneur de la plainte
3. L'auteur prétend que la loi No 101, telle qu'elle a été modifiée par
la loi No 178, est discriminatoire, en ce qu'elle limite l'emploi de l'anglais
à la publicité commerciale à l'intérieur et met les firmes qui exercent
leurs activités en anglais dans une position désavantageuse par rapport
à celles qui emploient le français.
Dispositions législatives
4.1 Bien qu'ayant été modifiées à plusieurs reprises, les dispositions
initiales pertinentes de la Charte de la langue française (loi No 101,
S.Q. 1977, C-5) restent identiques quant au fond. En 1977, l'article 58
était libellé comme suit :
"Sous réserve des exceptions prévues par la loi ou par les règlements
de l'Office de la langue française, l'affichage public et la publicité
commerciale se font uniquement dans la langue officielle."
4.2 Le texte initial de l'article 58 a été remplacé, en 1983, par l'article
premier de la loi modifiant la Charte (S.Q. 1983, C-56), libellé comme
suit :
"58. L'affichage public et la publicité commerciale se font uniquement
dans la langue officielle.
Toutefois, dans les cas et suivant les conditions ou les circonstances
prévus par règlement de l'Office de la langue française, l'affichage
public et la publicité commerciale peuvent être faits à la fois en français
et dans une autre langue ou uniquement dans une autre langue."
4.3 La Cour suprême ayant déclaré la législation linguistique initiale
inconstitutionnelle par son arrêt La Chaussure Brown et consorts
c. le Procureur général du Québec (1989) 90 N.R. 84, l'article
58 de la Charte a été modifié par l'article premier de la loi No 178.
Tout en apportant des modifications en matière d'affichage public à l'intérieur
des lieux de travail, le nouveau texte réaffirme l'obligation d'employer
le français dans l'affichage public extérieur.
4.4 Le libellé de l'article 58 de la Charte, tel que modifié en 1989
par l'article premier de la loi No 178, était le suivant :
"58. L'affichage public et la publicité commerciale, à l'extérieur
ou destinés au public qui s'y trouve, se font uniquement en français
:
1. À l'intérieur d'un centre commercial et de ses accès, sauf à l'intérieur
des établissements qui y sont situés;
2. À l'intérieur de tout moyen de transport public et de ses accès;
3. À l'intérieur des établissements des entreprises visées à l'article
136;
4. À l'intérieur des établissements des entreprises employant moins
de 50 mais plus de cinq personnes, lorsque ces entreprises partagent
avec au moins deux autres entreprises l'usage d'une marque de commerce,
d'une raison sociale ou d'une dénomination servant à les identifier
auprès du public.
Le gouvernement peut toutefois prévoir par règlement les conditions
et modalités suivant lesquelles l'affichage public et la publicité commerciale
peuvent être faits à la fois en français et dans une autre langue, aux
conditions mentionnées au deuxième alinéa de l'article 58.1, à l'intérieur
des établissements des entreprises visées aux paragraphes 3 et 4 du
deuxième alinéa.
Le gouvernement peut, dans ce règlement, établir des catégories d'entreprises,
déterminer des conditions et modalités qui varient selon chaque catégorie
et renforcer les conditions mentionnées au deuxième alinéa de l'article
58.1."
4.5 L'article 6 de la loi No 178 a modifié l'article 68 de la Charte,
dont le libellé était le suivant :
"68. Sous réserve des exceptions qui suivent, seule la raison sociale
en langue française peut être utilisée au Québec. Les raisons sociales
peuvent être assorties d'une version dans une autre langue pour utilisation
hors du territoire du Québec. Elles peuvent être utilisées en même temps
que la raison sociale en langue française dans les inscriptions visées
à l'article 51 s'il s'agit de produits offerts à la fois au Québec et
hors du Québec.
Dans les documents imprimés et dans les documents visés par l'article
57, lorsque ceux-ci sont à la fois en français et dans une autre langue,
on peut adjoindre à la raison sociale française une version dans une
autre langue.
Dans les textes ou documents rédigés dans une autre langue que le français,
une raison sociale peut apparaître uniquement dans l'autre langue.
Dans l'affichage public et la publicité commerciale :
1. Une raison sociale peut être assortie d'une version dans une autre
langue, lorsqu'ils sont faits à la fois en français et dans une autre
langue;
2. Une raison sociale peut figurer uniquement dans sa version dans une
autre langue, lorsqu'ils sont faits uniquement dans une langue autre
que le français."
4.6 L'article 10 de la loi No 178 comportait une clause dite dérogatoire
qui stipulait ce qui suit :
"Les dispositions de l'article 58 et celles du premier alinéa de
l'article 68, respectivement édictées par les articles premier et 6
de la présente loi, ont effet indépendamment des dispositions du paragraphe
b) de l'article 2 et de l'article 15 de la Loi constitutionnelle de
1982 ... et s'appliquent malgré les articles 3 et 10 de la Charte des
droits et libertés de la personne."
4.7 Une autre clause dérogatoire est prévue à l'article 33 de la Charte
canadienne des droits et libertés de la personne, qui stipule que :
"1. Le Parlement ou l'assemblée législative d'une province peut
adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de
ses dispositions a effet indépendamment d'une disposition donnée de
l'article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente Charte.
2. La loi ou la disposition qui fait l'objet d'une déclaration en vigueur
conformément au présent article a l'effet qu'elle aurait nonobstant
la disposition de la présente Charte dont il est fait état dans la déclaration.
3. La déclaration visée au paragraphe 1 cesse d'avoir effet à la date
qui y est précisée ou, au plus tard, cinq ans après son entrée en vigueur.
4. Le Parlement ou une assemblée législative peut adopter de nouveau
une déclaration visée au paragraphe 1.
5. Le paragraphe 3 s'applique à toute déclaration adoptée sous le régime
du paragraphe 4."
Précisions et observations de l'État partie
5.1 Le texte de la communication a été transmis à l'État partie, conformément
à l'article 91 du règlement intérieur du Comité, le 5 août 1991. Dans
les observations qu'il a soumises le 6 mars 1992 et qui avaient trait
également aux communications Nos 359/1989 et 385/1989a, l'État
partie notait qu'un certain nombre de plaideurs avaient contesté la validité
de la loi No 178 devant les tribunaux québécois et que la Cour du Québec
avait tenu des auditions sur cette question le 14 janvier 1992. Cette
procédure est toujours en cours, et les avocats du Gouvernement provincial
du Québec devaient présenter le point de vue du Québec les 23 et 24 mars
1992.
5.2 L'État partie soutenait que l'auteur était habilité en vertu du Code
de procédure civile du Québec à demander un jugement déclaratoire disposant
que la loi No 178 n'est pas valide, et ce indépendamment du fait que des
poursuites criminelles aient été engagées ou non contre lui. Il soutenait
que, conformément au principe bien établi qu'il faut avoir épuisé les
recours internes utiles avant de faire appel à la juridiction d'un organe
international, les tribunaux canadiens devraient avoir la possibilité
de se prononcer sur la validité de la loi No 178, avant que la question
ne soit examinée par le Comité des droits de l'homme.
5.3 L'État partie soutenait, en outre, que la clause dérogatoire figurant
à l'article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés est compatible
avec les obligations du Canada au titre du Pacte, en particulier celle
de l'article 4 et celle que lui impose l'article 2 de garantir à ses citoyens
des recours en justice. Il expliquait, premièrement, que l'utilisation
de l'article 33 est limitée à des conditions exceptionnelles. Deuxièmement,
l'article 33 traduirait un juste équilibre entre le rôle dévolu aux représentants
élus et celui reconnu aux tribunaux en matière d'interprétation des droits
: "Un système dans lequel seuls les tribunaux auraient voix au chapitre
quant à toutes les questions touchant les droits des citoyens ne respecterait
pas l'un des principes clefs de la démocratie : la participation des citoyens
à des assemblées élues et responsables devant le public des décisions
qu'elles prennent relativement aux questions de justice sociale et politique...
La clause dérogatoire établit un contrepoids législatif limité dans un
système où, autrement, les tribunaux auraient le dernier mot à dire en
matière de droits de la personne."
5.4 Enfin, le Gouvernement canadien affirmait que l'existence de l'article
33 en soi n'est pas contraire à l'article 4 du Pacte et que l'utilisation
de l'article 33 de la Charte n'équivaut pas nécessairement à une dérogation
interdite par le Pacte : "Le Canada doit veiller à ce que l'article
33 ne soit jamais invoqué dans des circonstances où il y aurait contravention
au droit international. La Cour suprême du Canada a d'ailleurs affirmé
que 'les obligations internationales du Canada ... devraient [régir] ...
l'interprétation du contenu des droits garantis par la Charte'."
Ainsi, une dérogation législative ne pourrait jamais être invoquée pour
autoriser des actes qui sont clairement prohibés par le droit international.
Par conséquent, la dérogation législative figurant à l'article 33 était,
selon le gouvernement, compatible avec le Pacte.
5.5 L'État partie demandait donc au Comité de déclarer la communication
irrecevable.
6.1 Dans ses observations, l'auteur affirmait attaquer la loi No 101
et non pas la loi No 178 et invoquer ce qu'il jugeait être des violations
par l'État partie des dispositions de la Loi constitutionnelle canadienne
de 1867 et non pas de la Loi constitutionnelle de 1982. Il faisait valoir
que toute contestation de la législation en cause serait vaine, le Gouvernement
québécois ayant décidé de contourner l'arrêt de la Cour suprême du 15
décembre 1988 en promulguant la loi No 178 une semaine plus tard.
6.2 L'auteur soutenait que la clause dérogatoire de l'article 33 de la
Charte canadienne des droits et libertés ne s'appliquait pas dans son
cas, puisqu'il avait été inculpé de violation de la Charte de la langue
française en 1978, avant que l'article 33 n'ait pris effet. Il faisait
valoir, à cet égard, qu'aucun Gouvernement canadien ne peut supprimer
des libertés qui étaient reconnues avant que la Charte n'ait vu le jour,
et que la tradition canadienne des libertés civiles veut que des droits
puissent être étendus mais non pas restreints.
6.3 Enfin, l'auteur affirmait que la clause dérogatoire de l'article
33 nie les droits consacrés dans la Charte, puisqu'il permet aux assemblées
législatives (provinciales) "d'attaquer les minorités et de suspendre
leurs droits pendant une période de cinq ans".
Décision du Comité concernant la recevabilité
7.1 À sa quarante-septième session et après l'adoption par le Comité
de ses constatations concernant les communications Nos 359/1989 et 385/1989a,
dans lesquelles des points similaires étaient soulevés, le Comité a examiné
la recevabilité de la communication. Il a rejeté l'affirmation de l'État
partie selon laquelle l'auteur disposait encore de recours efficaces.
À ce propos, il a relevé qu'en dépit du fait que les dispositions législatives
protégeant le "visage linguistique" du Québec avaient été modifiées
à plusieurs reprises et que certaines avaient été déclarées inconstitutionnelles
successivement par la Cour supérieure, la Cour d'appel et la Cour suprême,
la seule conséquence avait été le remplacement de ces dispositions par
d'autres qui étaient identiques quant au fond mais renforcées par la clause
dérogatoire de l'article 10 de la loi No 178.
7.2 Quant à la question de savoir si un jugement déclaratoire invalidant
la loi No 178 constituerait pour l'auteur un recours utile, le Comité
note qu'un tel jugement laisserait intacte la Charte de la langue française,
le législateur québécois pouvant toujours le contourner en remplaçant
les dispositions invalidées par des dispositions qui ne changeraient rien
au fond et en invoquant la clause dérogatoire de la Charte des droits
et libertés du Québec.
7.3 Le Comité a considéré que l'auteur avait fait des efforts raisonnablement
suffisants pour étayer ses allégations aux fins de la recevabilité. Le
fait que l'auteur n'ait spécifiquement contesté que la loi No 101, qui
a été modifiée par la loi No 178 en 1988, n'exclut pas que le Comité puisse
examiner la compatibilité de ces deux lois avec le Pacte, puisque la question
centrale — la discrimination fondée sur la langue en matière d'affichage
commercial extérieur — demeure la même.
7.4 Le 8 avril 1993, le Comité a donc déclaré la communication recevable.
Précisions et observations de l'État partie quant à la recevabilité
et au fond de la communication et observations de l'auteur à ce sujet
8.1 Par une lettre datée du 4 mai 1994, l'État partie transmet un exposé
du Gouvernement provincial du Québec, en date du 21 février 1994, dans
lequel celui-ci fait valoir que l'auteur allègue devant le Comité des
violations des droits de sa société "Allan Singer Limited".
Il relève que, en vertu de l'article premier du Protocole facultatif se
rapportant au Pacte et du paragraphe a) de l'article 90 du Règlement intérieur
du Comité, seuls les particuliers peuvent présenter une communication
au Comité des droits de l'homme. En se référant à la jurisprudenceb
du Comité, le Gouvernement provincial du Québec soutient qu'une société
constituée conformément à la législation du Québec n'a pas qualité pour
saisir le Comité.
8.2 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur au titre de l'article
26 du Pacte, le Gouvernement provincial du Québec se réfère aux conclusions
du Comité concernant les communications Nos 359/1989 (Ballantyne/Davidson
c. Canada) et 385/1989 (McIntyre c. Canada), selon
lesquelles les articles premier et 6 de la loi No 178 étaient compatibles
avec l'article 26 du Pacte.
9.1 Le Gouvernement provincial du Québec vise en outre les renseignements
fournis, à la demande du Comité, sur les mesures pertinentes prises à
la suite des constatations du Comité concernant les communications Nos
359/1989 et 385/1989. Il souligne que les articles 58 et 68 de la Charte
de la langue française, sur lesquels se fonde la communication à l'examen,
ont été modifiés par la loi No 86, intitulée Loi modifiant la Charte
de la langue française (L.Q. 1993, c.40; projet de loi 86), qui a
été adoptée le 18 juin 1993 et est entrée en vigueur le 22 décembre 1993.
Le libellé de l'article 58 de la Charte de la langue française, modifié
par l'article 18 de la loi No 86, est désormais le suivant :
"58. L'affichage public et la publicité commerciale doivent se
faire en français.
Ils peuvent également être faits à la fois en français et dans une autre
langue, pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante.
Toutefois, le gouvernement peut déterminer, par règlement, les lieux,
les cas, les conditions ou les circonstances où l'affichage public et
la publicité commerciale doivent se faire uniquement en français ou
peuvent se faire sans prédominance du français ou uniquement dans une
autre langue."
9.2 Le Règlement sur la langue du commerce et des affaires du Québec
est entré en vigueur le 22 décembre 1993. Les exceptions visées au troisième
alinéa de l'article 58 sont explicitées aux articles 15 à 25 de ce règlement.
Le Gouvernement du Québec soutient que, dans deux situations bien définies
seulement, la publicité commerciale d'une entreprise doit se faire exclusivement
en françaisc. En outre, les articles 17 à 21 prévoient des
situations dans lesquelles l'affichage public et la publicité commerciale
peuvent se faire à la fois en français et dans une autre langue, à condition
que le français apparaisse au moins aussi nettementd. Enfin,
les articles 22 à 25 visent les situations dans lesquelles l'affichage
public et la publicité commerciale peuvent se faire exclusivement dans
une langue autre que le française.
9.3 Le libellé de l'article 68 de la Charte de la langue française, tel
que modifié par l'article 22 de la loi No 86, est désormais le suivant
:
"68. Une raison sociale peut être assortie d'une version dans une
autre langue que le français pourvu que, dans son utilisation, la raison
sociale de langue française figure de façon au moins aussi évidente.
Toutefois, dans l'affichage public et la publicité commerciale, l'utilisation
d'une raison sociale dans une autre langue que le français est permise
dans la mesure où cette autre langue peut, en application de l'article
58 et des règlements édictés en vertu de cet article, être utilisée
dans cet affichage ou cette publicité.
En outre, dans les textes ou documents rédigés uniquement dans une autre
langue que le français, une raison sociale peut apparaître uniquement
dans l'autre langue."
9.4 Les autorités du Québec soulignent qu'en vertu de la loi actuelle
et du règlement correspondant, l'affichage public et la publicité commerciale
peuvent être faits soit en français soit à la fois en français et dans
une autre langue. Elles indiquent en outre que, contrairement à ce que
prévoyait la législation précédente, les articles 58 et 68 de la Charte
de la langue française, tels que modifiés par la loi No 86, ne sont pas
protégés par une clause dérogatoire et que leur validité constitutionnelle
peut donc être contestée devant les tribunaux nationaux. Les autorités
en déduisent que les points soulevés par M. Singer sont devenus discutables
et que sa demande doit donc être rejetée.
10.1 Dans sa réponse datée du 9 juin 1994, l'auteur affirme que la question
de savoir si ce sont ses droits ou ceux de son entreprise — reconnus
par le Pacte — qui ont été violés n'est pas pertinente. Il expose
que, pendant de nombreuses années, il a été le principal actionnaire de
son entreprise dont il possédait plus de 90 % des actions, tandis que
deux membres de sa famille détenaient le reste du capital.
10.2 En ce qui concerne la loi No 178 et la loi No 86, l'auteur souligne
que toutes deux ont été adoptées après que la Cour suprême du Canada eut
examiné son affaire en décembre 1988 et déclaré inconstitutionnelles plusieurs
dispositions de la Charte de la langue française. Il fait valoir que les
autorités législatives du Québec peuvent annuler la loi No 86 et réimposer
la loi No 178 à tout moment.
Réexamen de la recevabilité et examen quant au fond
11.1 Le Comité a pris note des observations que, après l'adoption de
la décision sur la recevabilité, les parties ont formulées à propos de
la recevabilité et du fond de la communication.
11.2 L'État partie a affirmé que les allégations de l'auteur portaient
sur des violations des droits de sa société et qu'une société n'a pas
qualité pour présenter une communication au titre de l'article premier
du Protocole facultatif. Le Comité note que les droits protégés par le
Pacte qui sont en cause dans la présente communication et, en particulier,
le droit à la liberté d'expression sont, de par leur nature même, et de
façon inaliénable, à la personne. L'auteur est libre de donner des informations
concernant son entreprise dans la langue de son choix. Le Comité estime
par conséquent que l'auteur lui-même, et non seulement sa société, a été
personnellement lésé par les dispositions contestées des lois Nos 101
et 178.
11.3 Le Comité sait gré à l'État partie de lui avoir fourni des précisions
sur les mesures adoptées à la suite des constatations du Comité concernant
les communications Nos 359/1989 et 385/1989. Il ne partage toutefois pas
le point de vue de l'État partie selon lequel la loi en question ayant
été amendée et prévoyant désormais la possibilité d'employer soit le français,
soit à la fois le français et une autre langue pour la publicité extérieure,
les griefs de M. Singer sont devenus discutables. Le Comité note que les
procédures judiciaires visées dans cette affaire ont été fondées sur la
Charte de la langue française dans sa version alors en vigueur (loi No
101). Le Comité relève par ailleurs que, après la décision rendue par
la Cour suprême du Canada en 1988 en faveur de M. Singer, les dispositions
contestées de la loi No 101 ont été amendées par celles de la loi No 178.
Néanmoins, l'emploi du français dans la publicité extérieure est restée
obligatoire. Cette situation a motivé la plainte déposée par M. Singer
devant le Comité. Le fait que la loi No 178 ait été amendée par la loi
No 86 après que le Comité eut adopté ses constatations sur les communications
Nos 359/1989 et 385/1989 ne rend pas rétroactivement sa communication
irrecevable.
11.4 Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne voit aucune raison de
réexaminer sa décision de recevabilité du 8 avril 1993.
12.1 Pour ce qui est du fond, le Comité note que ses observations concernant
les communications Nos 359/1989 (Ballantyne/Davidson c. Canada)
et 385/1989 (McIntyre c. Canada) valent, mutatis mutandis,
dans le cas de M. Singer.
12.2 S'agissant de savoir si l'article 58 de la loi No 101, tel qu'amendé
par l'article premier de la loi No 178, portait atteinte au droit de M.
Singer à la liberté d'expression, consacré à l'article 19 du Pacte, le
Comité, après avoir conclu qu'un État partie au Pacte peut choisir une
ou plusieurs langues officielles mais qu'il ne peut exclure, en dehors
du domaine de la vie publique, la liberté de s'exprimer dans une langue
de son choix, en déduit qu'il y a eu violation du paragraphe 2 de l'article
19. Cette conclusion fait qu'il n'est pas nécessaire pour le Comité d'examiner
les questions qui pourraient être soulevées au titre de l'article 26.
13. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits qui
lui sont soumis font apparaître une violation du paragraphe 2 de l'article
19 du Pacte.
14. Le Comité relève que les dispositions contestées de la Charte de
la langue française du Québec ont été modifiées par la loi No 86 en juin
1993 et que, conformément à la législation en vigueur, M. Singer a le
droit, bien que dans des conditions spécifiées et à deux exceptions près,
d'apposer un affichage commercial en anglais à l'extérieur de son magasin.
Le Comité observe qu'il n'est pas prié d'examiner la compatibilité de
la Charte de la langue française dans sa version actuelle avec les dispositions
du Pacte. Il conclut, en l'espèce, que l'État partie a fourni à M. Singer
un recours utile.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.]
Notes
a Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-huitième
session, Supplément No 40 (A/48/40), annexe XII.P, communications
Nos 359/1989 (Ballantyne et Davidson c. Canada) et 385/1989
(McIntyre c. Canada), constatations adoptées le 31 mars
1993 à la quarante-septième session du Comité.
b Ibid., quarante-quatrième session, Supplément No 40
(A/44/40), annexe XI.M, communication No 361/1989 (Une société d'édition
et une société d'impression c. Trinité-et-Tobago), déclarée
irrecevable le 14 juillet 1989 à la trente-sixième session du Comité (par.
3.2).
c L'article 15 du règlement stipule que la publicité commerciale
d'une entreprise apparaissant sur des panneaux, enseignes, affiches ou
tout autre support d'une surface de 16 m2 ou plus et visible
d'une voie publique ..., doit se faire exclusivement en français, à moins
qu'elle ne soit faite à l'intérieur même d'un établissement.
L'article 16 prévoit que la publicité commerciale d'une entreprise apposée
à l'extérieur ou à l'intérieur de tout moyen de transport public ou de
ses accès, y compris des abribus, doit se faire exclusivement en français.
d L'article 17 vise l'affichage public à l'extérieur ou à
l'intérieur de véhicules régulièrement utilisés pour le transport de passagers
ou de marchandises, tant au Québec que hors du Québec.
L'article 18 vise l'affichage public concernant la santé et la sécurité
publique.
L'article 19 vise l'affichage public dans les musées, jardins botaniques,
zoos ou lieux d'expositions culturelles ou scientifiques.
L'article 20 vise les manifestations destinées à un public international
ou dont les participants viennent, en majorité, de l'extérieur du Québec.
L'article 21 vise le mode d'emploi d'un appareil installé de façon permanente
dans un lieu public.
e Suivant l'article 22, à moins que le vecteur employé ne
soit un moyen de communication qui paraît ou émet en français, l'affichage
public et la publicité commerciale concernant un produit culturel ou éducatif
..., une activité culturelle ou éducative, ou un support d'information,
peuvent être faits exclusivement dans une langue autre que le français,
pourvu que, selon les cas, le contenu du produit culturel ou éducatif
soit dans cette autre langue, que l'activité se déroule dans cette autre
langue ou que le support d'information paraisse ou émette dans cette autre
langue.
Suivant l'article 23, l'affichage public effectué par un particulier
à des fins non professionnelles et non commerciales peut se faire dans
la langue choisie par l'intéressé.
Suivant l'article 24, l'affichage public et la publicité commerciale
concernant une convention, un conférence, une foire ou une exposition
destinées uniquement à un public spécialisé ou limité peuvent, durant
la manifestation, se faire exclusivement dans une langue autre que le
français.
L'article 25 prévoit que, sur l'affichage public et la publicité commerciale,
peuvent apparaître exclusivement dans une langue autre que le français
les inscriptions suivantes :
"1) La raison sociale d'une entreprise établie exclusivement hors
du Québec;
2) Un nom d'origine, la dénomination d'un produit exotique ou d'une spécialité
étrangère, une devise héraldique ou toute autre devise non commerciale;
3) Un nom de lieu ..., un nom de famille, un prénom ou le nom d'une
personnalité ou d'un personnage ou un nom distinctif de nature culturelle;
et
4) Une marque reconnue ..., à moins qu'une version française n'en ait
été déposée."