Communication No 459/1991
Présentée par : Osbourne Wright et Eric Harvey
(représentés par un conseil)
Au nom de : Les auteurs
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 27 février 1991 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 27 octobre 1995,
Ayant achevé l'examen de la communication No 459/1991 présentée
par MM. Osbourne Wright et Eric Harvey en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par les auteurs de la communication, leur conseil
et l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
1. Les auteurs de la communication sont Osbourne Wright et Eric Harvey,
tous deux citoyens jamaïcains qui, à l'époque où la communication a été
présentée, étaient en attente d'exécution à la prison du district de St.
Catherine (Jamaïque). Ils se disent victimes d'une violation par la Jamaïque
des articles 6, 7, 10 et 14 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil.
Rappel des faits
2.1 Les auteurs ont été inculpés du meurtre d'un certain Timothy Clarke,
en décembre 1980, et ont été placés en détention provisoire en octobre
1981. A l'issue du procès, qui a eu lieu en juillet 1983, le jury n'a
pas rendu un verdict unanime, de sorte qu'un nouveau procès a été ordonné.
Il a eu lieu au tribunal de Kingston (Home Circuit Court). Le 29 avril
1988, les auteurs ont été déclarés coupables et condamnés à mort. La cour
d'appel de la Jamaïque a rejeté leur recours le 10 octobre 1988 et a rendu
un jugement écrit le 15 novembre de la même année. En février 1991, la
section judiciaire du Conseil privé a rejeté l'autorisation spéciale de
recours que les auteurs lui avaient adressée. Ces derniers considèrent
avoir ainsi épuisé toutes les voies de recours internes.
2.2 Au procès, l'accusation reposait sur les éléments suivants : les
auteurs, accompagnés d'un ou de deux autres hommes, ont volé, le 2 novembre
1980, à un boucher, la somme de 20 000 dollars jamaïcains puis, prétextant
qu'ils avaient besoin d'aide, ils ont arrêté un véhicule dans le district
de Pepper, commune de St. Elizabeth. Ils ont tiré sur le chauffeur, Stanville
Beckford, et l'ont blessé; ils ont ensuite tiré sur un passager du véhicule,
un certain Timothy Clarke, qui tentait de s'enfuir et l'ont tué. M. Beckford
a déclaré qu'avant de perdre connaissance, il avait vu M. Wright tirer
sur Timothy Clarke. Kenneth White, qui parlait avec le boucher avant le
vol, a reconnu en M. Harvey l'un des auteurs de celui-ci. Au procès, le
boucher, un certain M. Francis, a désigné M. Wright et M. Harvey comme
ses voleurs. D'après la déposition de l'inspecteur Ashman au cours de
l'audience préliminaire, M. Wright, après son arrestation le 2 novembre
1980, aurait reconnu le crime, indiqué l'endroit où l'arme du crime avait
été cachée et donné l'adresse de ses complices, M. Harvey et un certain
Campbell. M. Wright et M. Harvey portaient sur eux de l'argent en liasses
de 200 dollars jamaïcains. La montre du boucher a été retrouvée sur M.
Harvey. Quand l'affaire a été rejugée, l'inspecteur Ashman était mort
et sa déposition a été acceptée comme preuve à charge.
2.3 La défense était fondée sur l'alibi suivant. M. Wright a déclaré
qu'il avait passé toute la matinée chez son amie et qu'il n'en était parti
que l'après-midi pour acheter des légumes et déposer 500 dollars jamaïcains
sur le compte d'épargne de sa mère. C'est à ce moment-là qu'il avait été
arrêté. Il nie avoir reconnu devant la police qu'il avait pris part au
meurtre. M. Harvey, pêcheur, déclare que le 2 novembre 1980 il réparait
ses filets à Old Harbour Bay et qu'il ne connaissait ni M. Wright ni M.
Campbell. Il a été arrêté le 4 novembre 1980 au moment où il s'apprêtait
à prendre la mer. Il nie qu'il se trouvait en possession de la montre
du boucher ou de toute autre montre du même genre.
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs affirment que leur procès n'a pas été équitable. Plus
précisément, le résumé des débats fait par le juge aurait été entaché
de parti pris en faveur de l'accusation. D'après les auteurs, le juge
n'a pas donné au jury les instructions nécessaires sur la façon d'apprécier
la valeur probante de la déposition de l'inspecteur Ashman et ne l'a pas
mis en garde contre le risque qu'il y avait à accepter comme preuve cette
déposition, en particulier compte tenu du fait que les accusés n'avaient
pu procéder à un contre-interrogatoire. L'inspecteur Ashman avait fait
sa déposition lors de l'audience préliminaire devant le tribunal d'instance
(Gun Court) en 1981. M. Harvey était bien représenté par un avocat mais
personne n'assurait la défense de M. Wright et l'inspecteur n'a pas été
soumis à un contre-interrogatoire véritable lors de l'audience préliminaire.
Dans son résumé, le juge a donné l'impression que le simple fait que les
auteurs n'aient pas soumis l'inspecteur Ashman à un contre-interrogatoire
pendant l'enquête préliminaire jouait contre eux, sans tenir compte de
l'absence d'avocat pour M. Wright et du fait que celui de M. Harvey n'avait
peut-être pas reçu les instructions voulues. De plus, le juge n'avait
pas suffisamment expliqué combien il était aventureux d'identifier des
prévenus présentés sur le banc des accusés et n'avait pas appelé dûment
l'attention du jury sur les irrégularités commises pendant la séance d'identification
dont M. Harvey avait fait l'objet. Ce dernier affirme que M. Wright ne
l'a reconnu qu'à la deuxième séance d'identification, menée au mépris
de toutes les règles puisque le témoin avait eu l'occasion de le voir
avant la confrontation. De plus, M. Beckford et M. Francis n'ont reconnu
M. Harvey que lors du procès, soit plus de sept ans après les faits; aucun
des deux ne l'avait reconnu lors de la première séance d'identification.
M. Wright affirme de plus que l'identification faite pendant le procès
était hautement sujette à caution puisqu'il avait été cinq ans auparavant
l'employé de M. Beckford et que l'engagement avait pris fin sur un désaccord.
Les auteurs considèrent qu'il y a violation du paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte parce que le juge n'a pas donné les instructions voulues au
jury pour toutes ces questions.
3.2 Les auteurs affirment également que le juge avait refusé d'autoriser
la défense à appeler un témoin pour déposer au sujet de la teneur du journal
du poste de police, qui contenait des éléments importants permettant de
vérifier la crédibilité de la déposition de l'inspecteur Ashman, restée
non confirmée. La défense n'aurait appris que pendant le procès l'identité
du policier qui avait rempli le journal, bien qu'elle eût cherché à obtenir
ce renseignement au poste de police. La défense n'avait donc pas pu se
préparer à citer comme témoin ce policier, qui était arrivé après sa plaidoirie,
mais néanmoins avant le résumé du juge. Les auteurs affirment que le juge
n'avait donc aucune raison de refuser d'appeler ce témoin à la barre et
de ne pas soumettre la teneur du journal du poste de police à l'attention
du jury. Le refus du juge de citer le témoin constitue, pour les auteurs,
une violation des paragraphes 1 et 3 e) de l'article 14 du Pacte.
3.3 Les auteurs invoquent de plus le paragraphe 3 c) de l'article 14,
car ils ont été condamnés environ huit ans après les faits, sans raison
valable qui pût excuser ce retard. Les auteurs joignent un récapitulatif
chronologique du déroulement de l'affaire, qui montre que la date du procès
a été fixée de nombreuses fois mais qu'à chaque fois l'audience a été
reportée à cause de l'absence de l'un des inculpés, des avocats de la
défense ou de témoins. Les auteurs soulignent que M. Wright avait été
remis en liberté le 23 février 1984 après avoir été acquitté d'un autre
chef d'inculpation. Il ne s'était pas présenté spontanément et avait été
arrêté à nouveau pendant l'été de 1986. Le procès n'avait pas eu lieu
immédiatement mais avait été reporté au mois d'avril 1988. Un tel retard
avait été, d'après eux, préjudiciable à la défense car le dossier de l'accusation
reposait sur l'identification des prévenus pendant le procès, huit ans
après les faits. De plus, dans le cas de M. Wright, la personne qui était
son amie à l'époque et qui lui avait fourni le principal alibi et avait
déposé lors du premier procès n'avait pu être retrouvée pour le deuxième.
L'inspecteur Ashman étant décédé entre les deux procès, on ne pouvait
contester sa déposition en le soumettant à un contre-interrogatoire. Le
conseil fait observer à ce sujet que les magistrats de la section judiciaire
du Conseil privé ont déclaré ne pas être en mesure de faire des observations
sur l'inefficacité de l'administration judiciaire jamaïcaine.
3.4 Les auteurs affirment en outre qu'il y a eu violation des droits
consacrés au paragraphe 3 b) et d) de l'article 14. Ils n'auraient pas
été bien représentés tout au long de la procédure judiciaire en Jamaïque.
M. Harvey avait été défendu par un avocat privé lors du premier procès
mais représenté lors du deuxième procès par un avocat commis au titre
de l'aide judiciaire, qui n'était pas venu prendre ses déclarations et
l'avait rencontré pour la première fois en avril 1988, au début du procès.
M. Wright avait été au bénéfice de l'aide judiciaire durant toute la procédure;
personne n'assurait sa défense lors de l'audience préliminaire. Les auteurs
affirment que c'est à cause de l'impréparation de la défense que les témoins
à charge n'avaient pas été soumis à un contre-interrogatoire, que les
auteurs n'avaient pas pu communiquer avec leurs avocats et que les témoins
de la défense n'avaient pas été cités. Tout cela montre bien, disent-ils,
l'inadéquation foncière du système d'aide judiciaire jamaïcain. Les auteurs
notent à ce sujet que, pendant le deuxième procès, le juge avait critiqué
plusieurs fois la défense, lui reprochant de ne pas faire son travail
correctement.
3.5 En ce qui concerne l'appel, M. Wright n'aurait pas été informé de
la date de l'audience en appel, son avocat ne l'aurait pas consulté avant
l'audience et il n'aurait appris que l'affaire avait été entendue que
lorsque son avocat lui avait annoncé qu'il avait été débouté. M. Harvey
indique que son avocat l'avait informé le 17 août 1988 qu'il ne pourrait
le représenter devant la Cour d'appel. Dans une deuxième lettre datée
du 18 octobre 1988, l'avocat l'avait informé qu'il avait été débouté.
Il semblerait que l'avocat l'ait malgré tout représenté à l'audience et
qu'il ait dit ne pas pouvoir justifier le recours. Les auteurs font valoir
qu'ils s'étaient ainsi trouvés sans véritable défense en appel, contrairement
au principe du droit à un procès équitable.
3.6 Les auteurs prétendent en outre que leur détention prolongée dans
des conditions déplorables constitue une violation du Pacte, tout particulièrement
du paragraphe 1 de l'article 10. Ils renvoient à un rapport d'une organisation
non gouvernementale qui décrit les conditions prévalant dans le quartier
des condamnés à mort à la Jamaïque. La nourriture serait insuffisante,
en quantité et en valeur nutritive, les condamnés n'auraient pas accès
aux installations de sport et de loisirs et ils passeraient trop de temps
enfermés dans leur cellule. M. Wright dit qu'il est tombé malade et a
dû être transporté à l'h_pital de Spanish Town en mars 1991.
Observations de l'Etat partie sur la recevabilité et commentaires
des auteurs à ce sujet
4. Dans ses observations datées du 18 novembre 1991, l'Etat partie a
fait valoir que la communication était irrecevable, du fait que les recours
internes n'avaient pas été épuisés. Il a reconnu que les auteurs avaient
épuisé toutes les voies de recours offertes en matière pénale mais a argué
qu'ils ne s'étaient pas prévalus du recours prévu par la Constitution
jamaïcaine. A ce sujet, l'Etat partie a indiqué que les termes des articles
14, 17 et 20 de celle-ci étaient identiques aux articles 6, 7 et 14 du
Pacte. L'article 25 de la Constitution dispose que quiconque se prétend
victime de l'un quelconque de ses droits fondamentaux peut s'adresser
à la Cour suprême pour demander réparation.
5. Dans ses commentaires sur les observations de l'Etat partie, le conseil
des auteurs a rappelé la jurisprudence du Comité, lequel estime qu'en
l'absence d'aide judiciaire, la requête constitutionnelle ne constitue
pas un recours qui doit avoir été épuisé aux fins de la recevabilité d'une
communication soumise en vertu du Protocole facultatif.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 A sa cinquantième session, le Comité a examiné la question de la
recevabilité de la communication.
6.2 S'agissant de la position de l'Etat partie, qui estimait que la communication
était irrecevable du fait que les recours internes n'avaient pas été épuisés,
le Comité a rappelé que sa jurisprudence a toujours été de considérer,
aux fins du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, que
les recours internes doivent être effectifs et disponibles. Le Comité
a relevé que la Cour suprême de la Jamaïque avait, dans des affaires récentes
portant sur des violations de droits fondamentaux, permis l'introduction
d'un recours constitutionnel après le rejet de l'appel au pénal. Il a
toutefois également rappelé que l'Etat partie avait indiqué à plusieurs
occasions / Voir par exemple les communications No 283/1988
(Aston Little c. Jamaïque), Constatations adoptées le 1er
novembre 1991, No 321/1988 (Maurice Thomas c. Jamaïque),
Constatations adoptées le 19 octobre 1993, No 352/1989 (Douglas, Gentles
et Kerr c. Jamaïque), Constatations adoptées le 19 octobre
1993./ qu'aucune aide judiciaire n'était prévue en pareil cas. Il a considéré
qu'en l'absence de cette aide, une requête constitutionnelle ne constituait
pas, en l'espèce, un recours disponible qui devait être épuisé aux fins
du Protocole facultatif. Le Comité a conclu donc que le paragraphe 2 b)
de l'article 5 du Pacte n'était pas apposable à l'examen de la communication.
6.3 Le Comité a jugé irrecevable la partie de la communication des auteurs
mettant en cause les instructions données au jury par le juge concernant
l'appréciation des éléments de preuve et la valeur probante des identifications.
Il a répété que c'était en principe aux juridictions d'appel des Etats
parties, et non pas au Comité lui-même, qu'il appartenait d'examiner les
instructions données par le juge au jury, à moins que de toute évidence
celles-ci n'aient été arbitraires ou n'aient représenté un déni de justice,
ou à moins que le juge n'ait manifestement manqué à son devoir d'impartialité.
Il ne ressortait pas des éléments dont le Comité était saisi que les instructions
du juge au jury aient été en l'espèce entachées de tels vices.
6.4 Le Comité a considéré que le fait que M. Wright n'ait pas été représenté,
disait-il, à l'audience préliminaire, que les avocats aient en fait, selon
les auteurs, renoncé à poursuivre l'appel sans les consulter au préalable
et qu'un délai de près de cinq ans se soit écoulé entre le premier et
le deuxième procès étaient autant d'éléments qui pouvaient soulever des
questions au titre des dispositions 3 b), c) et d) de l'article 14 du
Pacte et qui devraient être examinés quant au fond.
6.5 Le Comité a considéré irrecevable la partie de la communication concernant
l'allégation des auteurs selon laquelle leur détention prolongée dans
le quartier des condamnés à mort, dans des conditions qualifiées de déplorables,
constituait une violation du Pacte, car les auteurs n'avaient pas montré
quelles démarches ils avaient entreprises pour porter ce grief à l'attention
des autorités jamaïcaines.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme a décidé que la communication
était recevable dans la mesure où elle semblait soulever des questions
au titre des dispositions 3 b), c) et d) de l'article 14 du Pacte.
L'Etat partie a été prié, en vertu de l'article 86 du règlement intérieur,
de surseoir à l'exécution des auteurs tant que leur communication serait
en cours d'examen devant le Comité.
Observations de l'Etat partie sur le fond et commentaires des auteurs
8.1 Dans ses observations du 7 novembre 1994, l'Etat partie affirme qu'une
enquête est en cours sur l'allégation de M. Wright selon laquelle il n'a
pas été représenté à l'audience préliminaire. Quant à l'allégation selon
laquelle le délai de cinq ans qui s'est écoulé entre la fin du premier
procès et le début du deuxième procès constitue un retard excessif, en
violation du paragraphe 3 c) de l'article 14, l'Etat partie dit ne pas
en être entièrement responsable. Il fait observer à cet égard que le deuxième
procès a été reporté à plusieurs reprises en raison de l'absence de l'un
des conseils de la défense ou de l'un des accusés et que M. Wright est
resté en liberté pendant deux ans durant lesquels le deuxième procès n'a
pu avoir lieu.
8.2 En ce qui concerne l'appel, l'Etat partie affirme que, d'après les
notes d'audience de la Cour d'appel, le conseil de M. Wright a en fait
représenté son client en appel. De surcroît, il n'a pas été établi que
celui-ci se soit jamais plaint de son représentant aux autorités compétentes.
Dans ces circonstances, l'Etat partie ne saurait être tenu pour responsable
du fait que l'intéressé n'aurait pas été valablement représenté.
8.3 Le 15 septembre 1995, l'Etat partie a informé le Comité que la condamnation
des auteurs a été commuée en une peine d'emprisonnement à perpétuité.
9.1 Dans sa réponse aux observations de l'Etat partie, M. Wright répète
que le défenseur commis d'office pour assurer sa défense était absent
lors de l'audience préliminaire et que le magistrat aurait dû ajourner
l'audience ou désigner un autre défenseur. Quant au temps qui s'est écoulé
avant que le deuxième procès ne commence, M. Wright reconnaît que certes
il a passé deux ans en liberté durant lesquels il n'a pu être jugé mais
que cela n'explique pas pour quelle raison son coaccusé n'a pas lui été
jugé à nouveau ni pourquoi il a fallu attendre deux ans après que lui-même
a été à nouveau arrêté pour que s'ouvre le deuxième procès. Quant à l'appel,
M. Wright fait observer qu'il n'a jamais prétendu que son conseil ne l'avait
pas représenté à ce stade de la procédure. Il s'est plaint uniquement
de ne pas avoir été informé au préalable de la date à laquelle son affaire
allait être entendue et n'avoir par conséquent pas eu la possibilité de
consulter son conseil.
9.2 Dans ses observations du 3 avril 1995, le conseil des auteurs fait
valoir que l'audience préliminaire remontant à 14 ans, l'Etat partie ne
pourra jamais expliquer de manière satisfaisante pourquoi celle-ci a eu
lieu sans que M. Wright soit représenté. Il rappelle, à cet égard, que
ce dernier n'était alors âgé que de 18 ans et ignorait tout de la procédure
pénale. A l'audience, il n'avait procédé à aucun contre-interrogatoire
des témoins à charge, notamment de l'inspecteur Ashman. Cela avait été
retenu contre la défense par le juge du deuxième procès alors que l'inspecteur
ne pouvait plus être interrogé par elle. Il l'aurait été lors du premier
procès mais aucun compte rendu officiel n'était disponible au deuxième
procès. Les renseignements qu'on y aurait trouvé auraient peut-être concouru
à l'appréciation de la valeur des preuves relatives à l'identification.
L'absence de ce document était extrêmement préjudiciable à la défense
des auteurs.
9.3 Il est, en outre, admis que l'Etat partie ne saurait être tenu pour
responsable du fait que durant les deux années pendant lesquelles M. Wright
a été en liberté, le procès n'a pu avoir lieu. Le conseil relève cependant
que la décision de tenir un deuxième procès a été prise en juillet 1983
et que M. Wright a été remis en liberté en février 1984. Rien n'empêchait
que le procès ait lieu avant cette date ou bien que la date en soit fixée
aussit_t après que M. Wright eut été à nouveau arrêté au début de 1986.
Le conseil fait valoir que ce long retard a porté un préjudice considérable
à la défense des auteurs étant donné qu'il n'a pu être procédé qu'à une
lecture de la déposition de l'inspecteur Ashman, sans audition contradictoire
du témoin, que l'identification des prévenus a eu lieu lors du procès
sept ans après les faits et que le principal témoin à décharge sur lequel
s'appuyait l'alibi de M. Wright était introuvable.
9.4 En ce qui concerne M. Harvey, le conseil ajoute aux observations
qu'il a faites plus haut au sujet de M. Wright que rien n'empêchait que
M. Harvey soit jugé même pendant que M. Wright était en liberté. Il relève
que lors du deuxième procès M. Harvey a été reconnu sur le banc des accusés
par deux des témoins sept ans après les faits mais que ces mêmes témoins
avaient été incapables de l'identifier lors d'une séance d'identification
organisée peu après les faits. De plus, le témoin sur lequel s'appuyait
l'alibi de M. Harvey n'avait pas pu, lors du deuxième procès, se rappeler
la date exacte à laquelle il s'était trouvé avec lui, ce qui affaiblissait
son témoignage. Le conseil fait valoir que si le deuxième procès s'était
tenu plus t_t, les souvenirs du témoin auraient été peut-être plus précis.
9.5 Le conseil rappelle que le défenseur de M. Harvey en appel avait
admis que le recours n'était pas recevable. Il soutient que le fait que
l'avocat de M. Harvey ait renoncé à défendre les intérêts de son client
constitue une violation du paragraphe 3 b) et d) de l'article 14 du Pacte.
Examen quant au fond
10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par
les parties en vertu du paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
10.2 Le Comité constate que l'Etat partie a indiqué qu'il enquêterait
sur l'allégation de M. Wright selon laquelle il n'aurait pas été représenté
à l'audience préliminaire mais n'a fourni aucun renseignement supplémentaire.
Dans le cas d'espèce, il est incontestable, estime le Comité, que M. Wright
n'a pas été représenté par un conseil à l'audience préliminaire de mise
en accusation. Un défenseur doit être mis à la disposition de toute personne
répondant d'un crime pour lequel elle encourt la peine de mort non seulement
lors du procès et de l'exercice des voies de recours pertinentes mais
également à toute audience préliminaire concernant l'affaire. Le Comité
relève que rien n'indique que l'absence de défenseur à l'audience préliminaire
était imputable à M. Wright. Il estime, en conséquence, que le manquement
à cette obligation au stade de l'audience préliminaire constitue une violation
du paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte.
10.3 Le Comité relève que le premier procès des auteurs a pris fin le
29 juillet 1983 sans que le jury parvienne à se prononcer et qu'un deuxième
procès a été ordonné. Il résulte du dossier que la date du 22 février
1984 avait été arrêtée pour la tenue de ce procès qui avait ensuite été
reporté car l'accusé Wright n'était plus en prison. Bien que M. Harvey
soit demeuré à la disposition de la justice, que des audiences aient régulièrement
eu lieu et qu'à plusieurs reprises une date ait été fixée pour le procès,
celui-ci ne s'est ouvert que le 26 avril 1988, 22 mois après que M. Wright
eut été à nouveau arrêté. Le Comité estime que, dans la présente affaire,
un tel retard ne saurait être considéré comme compatible avec les dispositions
du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.
10.4 M. Wright a prétendu que son conseil ne l'avait pas consulté avant
que l'affaire soit entendue en appel et que, de ce fait, il n'avait pas
été valablement représenté. Le Comité relève que M. Wright a été représenté
en appel par l'avocat qui l'avait défendu pendant le procès. Celui-ci
avait invoqué et fait valoir plusieurs moyens d'appel et avait contesté
certaines décisions du juge ainsi que les instructions que ce dernier
avait données au jury. En l'espèce, le Comité estime que le droit de M.
Wright à une véritable défense en appel n'a pas été violé.
10.5 Pour ce qui est de l'allégation de M. Harvey selon laquelle il n'aurait
pas été valablement représenté en appel, le Comité relève que l'arrêt
de la cour d'appel montre que l'avocat commis au titre de l'aide judiciaire
pour assurer la défense de M. Harvey en appel avait dit à l'audience qu'il
n'y avait pas matière à recours. Le Comité rappelle que si le paragraphe
3 d) de l'article 14 ne permet pas au prévenu de choisir le défenseur
mis sans frais à sa disposition, la cour doit s'assurer que celui-ci n'agit
pas de manière incompatible avec une bonne administration de la justice.
Le Comité ne saurait certes mettre en question l'avis professionnel d'un
conseil mais dans une affaire où la peine capitale est encourue, lorsque
le conseil de l'accusé déclare qu'il n'y a pas matière à recours, la cour
doit s'assurer que le conseil a consulté l'accusé et l'a informé de sa
démarche. Dans la négative, la cour doit veiller à ce que l'accusé en
soit informé et ait la possibilité de se faire assister d'un autre conseil.
Dans le cas à l'étude, il aurait fallu, de l'avis du Comité, que M. Harvey
soit informé de l'intention de son conseil de n'avancer aucun moyen d'appel
afin qu'il puisse voir quelles autres options s'offraient à lui. En l'espèce,
le Comité estime que M. Harvey n'a pas été véritablement représenté en
appel, en violation des paragraphes 3 b) et d) de l'article 14.
10.6 Le Comité estime que la condamnation à une peine de mort à l'issue
d'un procès durant lequel les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées
constitue, s'il n'existe aucune autre possibilité de faire appel du jugement,
une violation de l'article 6 du Pacte. Comme le Comité l'a relevé dans
son observation générale 6 (16), la disposition selon laquelle la peine
de mort ne peut être prononcée que conformément à la législation et ne
doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte suppose
que "les garanties d'ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent
être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu par un
tribunal indépendant, la présomption d'innocence, les garanties minima
de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure"
/ Voir CCPR/C/21/Rev.1, p. 8, par. 7./. Dans le cas d'espèce,
le fait que cette peine a été prononcée en dernier ressort sans que M.
Wright ait été représenté par un avocat à l'audience préliminaire, sans
que le principe selon lequel un accusé doit être jugé sans retard excessif
ait été dûment respecté et sans que M. Harvey ait été véritablement représenté
en appel, constitue aussi en conséquence une violation de l'article 6
du Pacte.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître une violation des alinéas b), c) et d) du paragraphe
3 de l'article 14, et par voie de conséquence de l'article 6 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques.
12. Le Comité est d'avis que MM. Osbourne Wright et Eric Harvey ont droit
à un recours utile en vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte.
Il estime que, dans les circonstances de la cause, cela implique qu'ils
soient remis en liberté. L'Etat partie est tenu de veiller à ce que des
violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
13. Etant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'Etat partie
a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait
eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte,
il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le
Comité souhaite recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses Constatations.
[Adopté en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français.
Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport
annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]