Présentée par : George Graham et Arthur Morrison
(représentés par un conseil)
Au nom de : Les auteurs
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 18 mars 1991 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 mars 1996,
Ayant achevé l'examen de la communication No 461/1991 présentée
par MM. George Graham et Arthur Morrison en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par les auteurs de la communication, leur conseil
et l'Etat partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. Les auteurs de la communication sont George Graham et Arthur Morrison,
deux citoyens jamaïcains qui, à la date de la présentation de la communication,
attendent d'être exécutés à la prison du district de Sainte-Catherine
(Jamaïque). M. Morrison est décédé après que la communication a été présentée,
lors d'un incident à la prison du district de Sainte-Catherine, le 31
octobre 1993. La peine de M. Graham a été commuée en peine d'emprisonnement
à vie le 29 mai 1995. Ils affirment être victimes de la violation par
la Jamaïque des articles 6, 7 et 14 (par. 1, 3 et 5) du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Les auteurs ont été tous deux accusés du meurtre, le 8 mai 1984,
d'un certain O. B. Le 16 avril 1986, à l'issue d'un procès qui a duré
trois jours, ils ont été déclarés coupables et condamnés à mort au siège
du tribunal itinérant (Home Circuit Court) de Kingston. La Cour
d'appel de la Jamaïque a rejeté leur demande d'autorisation de faire appel
le 12 octobre 1987. Le 13 décembre 1990, la section judiciaire du Conseil
privé a rejeté leur demande d'autorisation spéciale de faire appel. Il
est soutenu que les auteurs ont ainsi épuisé toutes les voies de recours
internes. En décembre 1992, l'infraction des auteurs a été qualifiée de
meurtre puni de la peine de mort en vertu de l'article 7 de la loi de
1992 portant modification de la loi relative aux atteintes aux personnes.
2.2 O. B. a été tué dans l'appartement de ses parents, en présence de
ses parents et de ses trois soeurs. Le procès contre les auteurs a été
engagé sur la base du témoignage de l'une des soeurs de la victime, S.
B., qui a identifié les auteurs sur le banc des accusés; il n'y a pas
eu de séance d'identification. S. B. a déclaré dans sa déposition que
le 8 mai 1984, vers 19 heures, cinq hommes armés s'étaient introduits
de force dans l'appartement; parmi eux, elle avait reconnu George Graham,
qu'elle connaissait par son surnom "Money-man", et Arthur Morrison,
qu'elle connaissait également. George Graham aurait dit : "Ne tirez
pas, bébé est à l'intérieur" et il aurait ensuite essayé de faire
sortir O. B. de l'appartement. Ce dernier avait opposé de la résistance
et avait couru dans la chambre voisine, où se trouvait son père. Puis
un groupe d'une quinzaine d'hommes, tous armés, avait pénétré dans l'appartement
et Arthur Morrison aurait dit "Descendons-le". O. B. avait reçu
deux balles dans la tête tirées par deux autres hommes; son père n'avait
identifié ni l'un ni l'autre. S. B. a ajouté qu'en s'en allant, l'un des
hommes s'était emparé de la chaîne en or de sa soeur mais qu'un autre
lui avait donné l'ordre de la rendre parce qu'"ils n'étaient pas
venus pour voler, mais pour tuer".
2.3 L'accusation a soutenu que les auteurs, s'ils n'avaient pas eux-mêmes
tué O. B., avaient participé à un plan commun ou à une association de
malfaiteurs dans le but de l'assassiner et qu'ils étaient donc coupables
de meurtre sur la base de la notion d'entente à des fins criminelles.
Les auteurs ont déclaré au banc des accusés, sans avoir prêté serment,
qu'ils se trouvaient ailleurs au moment du crime. À la fin du réquisitoire,
le conseil juridique de M. Graham a plaidé le non-lieu, ce qui a été rejeté
par le juge. En résumant les débats à l'intention des membres du jury,
le juge a souligné, entre autres, qu'une séance d'identification ne s'imposait
pas lorsque le témoin oculaire connaissait déjà l'accusé.
2.4 Tout au long de la procédure, les auteurs ont été représentés par
des avocats de l'aide judiciaire. D'après les minutes du procès, les avocats
commis d'office à la défense des auteurs avaient déjà représenté ensemble
les deux auteurs et deux autres accusés. Le jour de l'ouverture du procès,
l'un des avocats a déclaré qu'ils s'étaient partagé l'affaire, que lui-même
et l'avocat en second représenteraient M. Morrison et que le troisième
avocat représenterait M. Graham; puis, il a déclaré que l'avocat devant
assurer la défense de M. Graham ne pouvait être présent ce jour-là et,
à la demande du juge, a accepté de le représenter. Le lendemain matin,
avant l'interrogatoire contradictoire du premier témoin, il a été annoncé
que le premier avocat représenterait M. Morrison et le second M. Graham.
Le troisième avocat s'est apparemment retiré de l'affaire.
2.5 En appel, les auteurs étaient représentés par un avocat différent.
Devant la cour d'appel, le conseil a déclaré qu'après avoir soigneusement
examiné les preuves et le résumé des débats établi par le juge, il ne
trouvait aucun motif d'appel à faire valoir au nom de ses clients. Après
avoir examiné le dossier, la cour d'appel s'est rangée à l'avis du conseil
et a rejeté la demande d'autorisation de recours. Il apparaît, d'après
le texte de l'arrêt, que le procès devant la cour d'appel devait avoir
lieu le 26 mai 1987, mais qu'il avait été demandé que l'affaire soit "retirée
de la liste pendant deux semaines pour permettre de faire appel aux services
d'un avocat confirmé". Il apparaît aussi que "cinq mois plus
tard, la situation n'avait pas changé" et qu'alors le conseil susmentionné
avait été désigné.
2.6 Un cabinet juridique londonien a représenté gracieusement les auteurs
devant la section judiciaire du Conseil privé. Les demandes d'autorisation
spéciale de recours des auteurs devant la section judiciaire du Conseil
privé étaient essentiellement motivées par le fait que le juge du fond
avait donné des indications erronées au jury concernant la question des
preuves d'identification et/ou de reconnaissance et la question de l'entente
à des fins criminelles.
Teneur de la plainte
3.1 En ce qui concerne le paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, les
auteurs prétendent que le juge n'a pas su donner au jury les instructions
nécessaires concernant la notion d'"entente à des fins criminelles".
Ils affirment également que le juge n'a pas mis en garde le jury contre
le risque d'erreur s'attachant aux témoignages d'identification ou de
reconnaissance.
3.2 Pour ce qui est de la préparation et de la présentation de la défense
au procès, M. Morrison s'est plaint de ce que les avocats ne se soient
jamais entretenus de l'affaire avec lui et ne lui aient jamais demandé
d'instructions avant le procès. Il est stipulé que ni M. Morrison ni M.
Graham n'a été consulté au sujet du changement d'avocat qui a eu lieu
le deuxième jour du procès. M. Graham s'est plaint de ce qu'il n'avait
eu que très peu d'occasions de donner des instructions par la suite et
que, de ce fait, il avait été mal défendu.
3.3 Pour ce qui concerne le recours, les deux auteurs se plaignent de
ce qu'il n'a pas été tenu compte de leur demande d'être représentés par
un conseil confirmé et du fait qu'ils n'ont pas choisi le conseil qui
leur a été attribué. Ils font valoir qu'en cas de recours contre une condamnation
à mort, le droit à un procès équitable inclut le droit d'être représenté
soit par un conseil de son choix, soit par un conseil ayant l'ancienneté
et l'expérience voulues pour présenter le recours avec compétence et rigueur.
Ils soutiennent en outre qu'ils n'ont pas été informés du fait qu'un conseil
leur avait été attribué, qu'ils ne l'ont jamais vu et qu'ils ne lui ont
jamais parlé et que le conseil a renoncé au recours sans leur consentement.
Ils ajoutent que la possibilité de se défendre eux-mêmes ne leur a pas
été donnée, puisque leur demande d'être présents au procès a été soit
ignorée soit rejetée. Les auteurs soutiennent que, s'étant vu refuser
le droit d'être représentés par un défenseur de leur choix ou d'être présents
au procès en appel et le conseil ayant renoncé au recours, ils ont également
été privés de leur droit à un recours utile contre leur condamnation devant
la cour d'appel.
3.4 Enfin, les auteurs soutiennent que le temps passé dans une cellule
de condamné à mort dans l'angoisse et la tension nerveuse qu'ils éprouvent
à ne pas savoir si les autorités continueront, comme elles l'ont fait
jusqu'à présent, à surseoir aux exécutions, équivaut à un traitement cruel,
inhumain ou dégradant, et ce, en violation de l'article 7 du Pacte. En
outre, la reprise des exécutions, que rien ne saurait justifier juridiquement
après une aussi longue période de suspension, constituerait, selon les
auteurs, une violation de l'article 6 du Pacte.
Observations communiquées par l'Etat partie au sujet de la recevabilité
4. Dans ses observations datées du 11 février 1993, l'Etat partie fait
valoir que la communication est irrecevable au motif de non-épuisement
des recours internes. Il reconnaît que les auteurs ont épuisé leurs possibilités
de recours au pénal mais soutient qu'ils n'ont pas exercé les recours
prévus par la Constitution jamaïcaine. A ce propos, l'Etat partie fait
observer que les paragraphes 1, 3 d) et 5 de l'article 14 du Pacte concordent
avec les articles 20 et 110 de la Constitution. L'article 25 de la Constitution
dispose que toute personne qui affirme que l'un quelconque de ses droits
fondamentaux a été violé peut s'adresser à la Cour suprême pour demander
réparation.
Décision du Comité concernant la recevabilité
5.1 A sa cinquante-deuxième session, le Comité s'est penché sur la recevabilité
de la communication.
5.2 Le Comité a pris note de l'affirmation de l'Etat partie, pour qui
la communication est irrecevable au motif du non-épuisement des recours
internes. Il a rappelé que sa jurisprudence avait toujours été de considérer
qu'aux fins du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif,
les recours internes devaient être utiles et disponibles. Le Comité a
noté que la Cour suprême de la Jamaïque avait, dans des affaires récentes
portant sur des violations de droits fondamentaux, fait droit à des demandes
de réparation constitutionnelle après le rejet de l'appel au pénal. Toutefois,
le Comité a également rappelé que l'Etat partie avait indiqué à plusieurs
occasions que l'aide judiciaire n'était pas prévue pour les requêtes constitutionnelles.
Il considérait qu'en l'absence d'aide judiciaire, une requête constitutionnelle
ne constituait pas, en l'espèce, un recours disponible qui devait être
épuisé aux fins du Protocole facultatif. Le Comité a donc conclu qu'il
n'était pas empêché par le paragraphe 2 b) de l'article 5 d'examiner la
communication.
5.3 Quant aux allégations formulées par les auteurs au titre des articles
6 et 7 du Pacte, le Comité — ayant noté qu'il n'existait plus de
voies de recours ouvertes aux auteurs — estimait qu'elles devraient
être examinées quant au fond.
5.4 Quant à l'allégation des auteurs selon laquelle leur cause n'avait
pas été entendue équitablement, le juge de première instance n'ayant pas
su donner au jury les instructions nécessaires sur la notion d'entente
à des fins criminelles et sur les preuves en matière d'identification,
le Comité a réaffirmé que c'était en principe aux juridictions d'appel
des Etats parties au Pacte et non au Comité qu'il appartenait d'apprécier
les faits et les preuves dans une affaire donnée. Il n'appartenait pas
non plus au Comité d'examiner les instructions expresses données par le
juge au jury, à moins qu'il ne puisse être établi que celles-ci n'aient
de toute évidence été arbitraires ou n'aient représenté un déni de justice,
ou à moins que le juge n'ait manifestement manqué à son devoir d'impartialité.
Il ne ressortait pas des données dont disposait le Comité que les instructions
du juge au jury ou sa conduite du procès aient été entachées de tels vices.
Cette partie de la communication était donc irrecevable au regard de l'article
3 du Protocole facultatif.
5.5 Le Comité a estimé que les auteurs n'avaient pas, aux fins de la
recevabilité de leur communication, correctement étayé leur allégation
dénonçant l'insuffisance de la préparation et de la conduite de leur défense
au procès. D'après les informations dont disposait le Comité, il apparaissait
que M. Morrison avait été représenté par l'avocat qui les avait représentés,
M. Graham et lui-même, à l'audience préliminaire, que M. Graham n'avait
pas soulevé d'objections lorsqu'il avait été décidé que l'avocat en second
le représenterait et qu'il n'avait pas été porté plainte par les auteurs
ou en leur nom auprès du juge du fond du fait que le temps ou les moyens
avaient manqué pour préparer leur défense. Par ailleurs, les auteurs n'avaient
pas indiqué en quoi leurs avocats auraient manqué à leurs instructions
et rien ne permettait de penser que l'avocat de M. Morrison ou l'avocat
en second qui avait représenté M. Graham aient fait preuve de négligence
dans l'exercice de leurs devoirs professionnels. En conséquence, cette
partie de la communication était irrecevable au regard de l'article 2
du Protocole facultatif.
5.6 Pour ce qui était des allégations des auteurs au sujet de la préparation
et de la conduite de leur défense en appel, et de la question de savoir
si, en l'espèce, les auteurs auraient dû être autorisés à assister à l'audience
à laquelle leur demande d'autorisation de recours avait été examinée,
le Comité considérait qu'elles pourraient soulever des questions au titre
des paragraphes 1, 3 b) et d) et 5 de l'article 14 du Pacte; en conséquence,
ces allégations devaient être examinées quant au fond.
5.7 Enfin, le Comité notait, à la lecture des informations reçues d'un
tiers, que M. Morrison était décédé le 31 octobre 1993, soit près d'un
an avant l'adoption de la décision concernant la recevabilité, et invitait
l'Etat partie à confirmer cette information et à donner des précisions
sur les circonstances dans lesquelles M. Morrison avait trouvé la mort.
6. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décidait que la communication
était recevable dans la mesure où elle pouvait soulever des questions
au titre des articles 6, 7 et, s'agissant de la conduite du procès en
appel, des paragraphes 1, 3 b) et d) et 5 de l'article 14 du Pacte. Conformément
à l'article 86 du règlement intérieur du Comité, l'Etat partie était prié
de ne pas procéder à l'exécution de M. Graham tant que le Comité n'aurait
pas achevé l'examen de la communication.
Observations de l'Etat partie sur le fond et commentaires du conseil
7.1 Dans ses observations du 27 juillet 1995, l'Etat partie nie qu'il
y ait eu violation de l'article 7 dans le cas des auteurs. Il renvoie
à cet égard à la décision rendue par le Comité dans l'affaire Earl Pratt
et Ivan Morgan (CCPR/C/35/D/210/1987 et CCPR/C/35/D/225/1987), où le Comité
estimait que "une procédure judiciaire prolongée ne constitue pas
en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant". À ce propos,
l'Etat partie fait observer qu'il ne suffit pas d'affirmer qu'un long
séjour dans le quartier des condamnés à mort constitue un traitement cruel
et inhumain, mais que les circonstances d'une affaire particulière doivent
révéler l'existence de facteurs de nature à rendre le traitement cruel
ou inhumain.
7.2 L'Etat partie fait valoir que les auteurs n'ont pas fourni de motifs
justifiant leur allégation selon laquelle l'article 6 avait été violé
dans leur cas.
7.3 Pour ce qui est de la représentation des auteurs en appel, l'Etat
partie déclare que selon les minutes de la Cour d'appel, le conseil qui
a représenté M. Morrison au procès a confirmé par une lettre du 30 avril
1986 qu'il représenterait les auteurs en appel. Par une nouvelle lettre
du 27 mai 1987, le conseil a demandé que son nom soit retiré de la liste,
car il avait été informé que les auteurs étaient sur le point de prendre
un conseil plus chevronné. Par une lettre du 25 juin 1987, la Cour d'appel
a informé M. Morrison en conséquence et l'a prié de lui faire connaître
le nom du conseil dont il s'était attaché les services. Aucune réponse
n'a été reçue de l'auteur et une deuxième lettre similaire a été envoyée
aux auteurs le 31 août 1987, les informant que leur cas serait examiné
pendant la session de la Saint-Michel qui devait s'ouvrir le 21 septembre
1987 et les priant d'informer la Cour du nom de leur conseil ou, s'ils
se trouvaient dans l'incapacité d'en engager un, de le lui faire savoir.
Là encore, aucune réponse n'a été reçue et en septembre 1987, la Cour
a délivré aux auteurs un certificat leur ouvrant droit à l'assistance
judiciaire et leur a assigné d'office un conseil expérimenté. L'Etat partie
conclut de ce qui précède que les auteurs avaient amplement la possibilité
d'engager le conseil de leur choix et qu'en l'espèce, la nomination d'un
conseil au titre de l'assistance judiciaire ne constituait pas une violation
du Pacte.
7.4 Se référant aux allégations relatives au recours, l'Etat partie soutient
qu'une fois nommé un conseil compétent, la façon dont celui-ci assure
la défense ne relève pas de la responsabilité de l'Etat.
7.5 Enfin, l'Etat partie déclare qu'il donnera au Comité, dès qu'il les
aura en sa possession, des informations sur les circonstances dans lesquelles
M. Morrison a trouvé la mort.
7.6 En janvier 1996, l'Etat partie a informé le Comité que, le 29 mai
1995, la peine de M. Graham avait été commuée en emprisonnement à perpétuité.
8.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'Etat partie, le conseil
renvoie à la décision rendue par le Conseil privé dans l'affaire Pratt
et Morgan c. Attorney General de la Jamaïque, le 2 novembre
1993, et invite le Comité à souscrire à l'avis du Conseil privé pour qui
"dans toute affaire où une exécution doit avoir lieu plus de cinq
ans après la condamnation, il y a de bonnes raisons de penser que le délai
est tel qu'il constitue une peine ou un traitement inhumain ou dégradant".
8.2 Pour ce qui est de la représentation en appel, le conseil indique
qu'il a besoin d'un complément d'instructions des auteurs et demande des
copies de la correspondance à laquelle l'Etat partie fait allusion. Il
rappelle que le représentant des auteurs en appel a été nommé sans qu'ils
en soient informés et maintient que cela revient à violer l'article 14
du Pacte.
Délibérations du Comité
9. Le Comité des droits de l'homme regrette que l'Etat partie n'ait pas
donné d'informations sur les circonstances dans lesquelles M. Morrison
avait trouvé la mort, comme il l'avait demandé dans sa décision sur la
recevabilité.
10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
à la lumière de toutes les informations que les parties avaient mises
à sa disposition, comme prévu au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole
facultatif.
10.2 La peine de mort imposée à M. Graham ayant été commuée, point n'est
besoin au Comité d'aborder l'argument du conseil selon lequel l'exécution
de la peine de mort constituerait une violation de l'article 6 du Pacte.
10.3 Le conseil des auteurs a soutenu que la durée du séjour des auteurs
dans le quartier des condamnés à mort équivalait à un traitement cruel,
inhumain et dégradant, en violation de l'article 7 du Pacte. Le Comité
renvoie à sa jurisprudence antérieure / Voir le paragraphe
12.6 des constatations que le Comité a adoptées le 6 avril 1989 concernant
les communications Nos 210/1986 et 225/1987 (Earl Pratt et Ivan Morgan
c. Jamaïque). /, et en particulier à ses constatations concernant
la communication No 588/1994 / Errol Johnson c. Jamaïque,
constatations adoptées le 22 mars 1996./, et la confirme en disant qu'en
l'absence de circonstances impérieuses, la détention dans le quartier
des condamnés à mort pendant une période donnée ne constitue pas une violation
de l'article 7 du Pacte. Dans le cas présent, ni l'auteur ni son conseil
n'ont fait état de circonstances impérieuses, en dehors de la durée de
la détention dans le quartier des condamnés à mort, qui justifieraient
que l'on assimile cette détention à une peine ou à un traitement cruel,
inhumain ou dégradant, en violation de l'article 7 du Pacte. Le Comité
conclut donc qu'il n'y a pas eu violation de l'article 7.
10.4 S'agissant des allégations des auteurs concernant tout ce qui touche
à l'appel, le Comité note que nul ne conteste que l'audience a été reportée
à plusieurs occasions afin de permettre aux auteurs de prendre un conseil.
Finalement, en l'absence de plus d'informations de la part des auteurs
quant à la personne qui les représenterait, la Cour d'appel a décidé d'en
nommer un au titre de l'assistance judiciaire. Les auteurs ont fait valoir
qu'ils n'avaient pas été informés par la Cour qu'un conseil avait été
nommé pour les représenter et que ce dernier avait en fait retiré l'appel
sans les consulter ni les en informer. Le Comité note qu'il semble à la
lecture de l'arrêt de la Cour d'appel que celle-ci a pourtant examiné
l'affaire d'office.
10.5 Le Comité rappelle sa jurisprudence / Voir notamment
le paragraphe 10.5 des constatations que le Comité a adoptées le 27 octobre
1995 concernant la communication No 459/1991 (Osbourne Wright et Eric
Harvey c. Jamaïque). /, à savoir qu'en vertu du paragraphe
3 d) de l'article 14, la Cour devrait veiller à ce que la conduite de
la défense par l'avocat ne soit pas incompatible avec l'intérêt de la
justice. S'il n'appartient pas au Comité de contester le jugement professionnel
de l'avocat, il n'en considère pas moins qu'en particulier dans une affaire
où l'accusé a été condamné à mort, lorsque le conseil concède que l'appel
est sans fondement, la Cour devrait s'assurer que l'intéressé a consulté
l'accusé et l'a dûment informé. Dans le cas contraire, la Cour doit veiller
à ce que l'accusé soit informé et ait la possibilité d'engager un autre
conseil. Le Comité est d'avis qu'en l'espèce, MM. Graham et Morrison auraient
dû être informés que leur avocat commis d'office ne ferait valoir aucun
moyen de défense à l'appui de leur appel, ce qui leur aurait donné la
possibilité d'examiner les options dont ils pouvaient disposer. En conséquence,
le Comité considère que MM. Morrison et Graham ont été insuffisamment
représenté en appel, et ce en violation des alinéas b) et d) du paragraphe
3 de l'article 14.
10.6 Le Comité estime que la condamnation à une peine de mort à l'issue
d'un procès durant lequel les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées
constitue, s'il n'existe aucune autre possibilité de faire appel du jugement
une violation de l'article 6 du Pacte. Comme le Comité l'a relevé dans
son observation générale 6 (16), la disposition selon laquelle la peine
de mort ne peut être prononcée que conformément à la législation et ne
doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte suppose
que "les garanties d'ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent
être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu par un
tribunal indépendant, la présomption d'innocence, les garanties minima
de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure"
/ Voir CCPR/C/21/Rev.1, p. 8, par. 7./. Dans le cas d'espèce,
le fait que cette peine a été prononcée en dernier ressort sans que les
auteurs aient été véritablement représentés en appel constitue aussi en
conséquence une violation de l'article 6 du Pacte.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant en application du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont
il est saisi révèlent une violation des dispositions des alinéas b) et
d) du paragraphe 3 de l'article 14 et, en conséquence, du paragraphe 2
de l'article 6 du Pacte.
12. Leurs droits ayant été violés, les auteurs ont droit à ce qu'un recours
leur soit ouvert. Toutefois, l'Etat partie a commué la peine de M. Graham
en emprisonnement à vie. Le Comité estime que la commutation de peine
constitue un recours approprié au sens des dispositions du paragraphe
3 a) de l'article 2 du Pacte, en ce qui concerne la violation de l'article
6. Pour ce qui est de la violation des alinéas b) et d) du paragraphe
3 de l'article 14, l'Etat partie devrait fournir un recours approprié.
Le Comité souligne qu'il incombe à l'Etat partie de veiller à ce que de
telles violations ne se reproduisent plus.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]