Comité des droits de l'homme
Cinquante-cinquième session
ANNEXE
Décision du Comité des droits de l'homme en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif
aux droits civils et politiques
- Cinquante-cinquième session -
Communication No 472/1991
Présentée par : J.-P. L. [nom supprimé]
Au nom de : L'auteur et ses deux fils, M. et A. [noms supprimés]
Etat partie : France
Date de la communication : 16 août 1991 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 octobre 1995,
Adopte la décision ci-après concernant la recevabilité :
1. L'auteur de la communication est J.-P. L., citoyen français, né en
1946 et résidant actuellement à Neuilly s/Seine (France). Il présente
la communication au nom de ses deux fils, M. (né en 1977) et A. (né en
1981) et en son nom propre. Il prétend que ses fils et lui-même sont victimes,
de la part de la France, d'une violation du paragraphe 4 de l'article
18, du paragraphe 4 de l'article 23 et du paragraphe 1 de l'article 24
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur s'est marié en 1974. Au début de 1988, sa femme a demandé
le divorce et le 15 septembre 1988 le tribunal de grande instance de Nanterre
a prononcé le divorce. M. Lippmann affirme que la décision a été prise
en son absence et explique qu'en France, dans une procédure de divorce,
le ministère d'un avocat est obligatoire. A l'époque, de par le poste
qu'il occupait dans un établissement financier public et de par son salaire,
il n'avait pas droit à l'aide juridique. Il prétend, cependant, qu'il
se serait lourdement endetté s'il avait eu recours aux services d'un homme
de loi à titre privé, compte tenu notamment des dépenses considérables
occasionnées par son départ du logement familial.
2.2 Le jugement rendu le 15 décembre 1988 attribuait à la mère la garde
des enfants et à l'auteur un droit de visite et d'hébergement - une fin
de semaine sur deux et la moitié des vacances scolaires - jugé conforme
à l'usage. L'auteur devait, en outre, verser à son ex-épouse 3 500 francs
français par mois civil.
2.3 En 1989, en été, l'auteur a constaté que les résultats scolaires
de son fils aîné, M., en particulier en mathématiques et en langues étrangères,
se dégradaient et que celui-ci était en train de devenir obèse. Il a donc
décidé : a) de faire suivre régulièrement son fils dans un hôpital parisien
pour enfants; b) d'acquérir deux petits ordinateurs personnels supplémentaires
et des programmes d'enseignement à domicile pour permettre à ses fils
"d'étudier plus efficacement" lors de leurs visites; et c) de
demander au juge aux affaires matrimoniales l'autorisation de voir ses
fils tous les week-ends. Il ressort des documents présentés par l'auteur
que celui-ci a demandé à plusieurs reprises le report de rendez-vous pris
à l'hôpital des enfants au motif que son fils devait aller à l'école tous
les matins.
2.4 Le 30 août 1989, le juge aux affaires matrimoniales du tribunal de
grande instance de Nanterre a convoqué M. L. pour le surlendemain. Le
1er septembre 1989, après avoir entendu l'auteur, son ex-épouse et les
enfants, le juge a décidé de suspendre un temps le droit de visite et
d'hébergement de l'auteur, au motif que ce dernier avait tenu à ses fils
de façon répétée des propos tendancieux à connotation sexuelle ("propos
orduriers") et leur avait posé à maintes reprises des questions sur
le comportement sexuel de leur mère. En outre, les enfants s'étaient plaints
au juge des enfants, par lettre en date du 11 juin 1989, des conditions
de vie difficiles chez leur père et du fait que celui-ci leur demandait
d'étudier dans son studio.
2.5 Le 11 décembre 1989, le même juge a ordonné une enquête sociale et
un examen psychomédical des deux parents pour déterminer dans quelles
conditions l'auteur pourrait être autorisé à exercer son droit de visite
et d'hébergement. Les résultats de l'une et de l'autre devaient lui être
communiqués dans un délai de trois mois. Le 13 juillet 1990, le juge a
de nouveau entendu les parties ainsi que le fils aîné de l'auteur et a
étudié le rapport de l'enquête sociale. L'auteur a confirmé son refus
de rencontrer l'assistante sociale et a déclaré qu'il ne se soumettrait
à aucun examen psychomédical. En conséquence, sur la base du rapport de
l'enquête sociale et eu égard aux voeux exprimés par les fils de l'auteur,
la suspension du droit de visite et d'hébergement de ce dernier a été
confirmée.
2.6 M. L. ne nie pas les accusations mentionnées au paragraphe 2.4 plus
haut mais affirme que son comportement ne justifie nullement la suppression
de son droit de visite et d'hébergement. Il indique que l'absence de contacts
avec leur père est extrêmement préjudiciable au développement et à l'éducation
de ses fils. Dans ce contexte, il explique qu'il est titulaire d'un diplôme
universitaire, contrairement à son ex-femme; il fait observer qu'il avait
pour habitude de faire suivre à son fils des cours de langue (en anglais
et en allemand, d'une durée chacun de deux semaines) pendant les vacances
d'été, ce qui n'est malheureusement plus possible. Par ailleurs, il ne
peut plus faire profiter ses enfants de ses compétences de programmeur
de logiciels pour ordinateur personnel ni les orienter vers des études
plus poussées en informatique qu'il considère comme indispensable au développement
futur de leurs carrières.
2.7 L'auteur a fait appel de la décision du 1er septembre 1989. Le 23
février 1990, la cour d'appel de Versailles a rejeté son appel. Le 9 avril
1991, la Cour de cassation a rejeté son pourvoi en cassation. Les lettres
qu'il a adressées par la suite au Garde des sceaux et au président Mitterrand
n'ont pas changé la situation et l'auteur a été informé par le Ministère
de la justice et la Présidence de la République qu'il ne leur était pas
possible d'intervenir dans une procédure judiciaire en cours.
2.8 L'auteur a poursuivi ses efforts pour obtenir la garde de ses fils
ou "au moins un droit de visite quotidien". Le 13 mars 1991,
il a présenté une nouvelle requête dans ce sens au juge des enfants du
tribunal de Nanterre, invoquant, à l'appui de sa demande, les résultats
scolaires prétendument mauvais de ses fils et son désir de les aider avec
leurs études. Une audition a eu lieu le 15 mai et les enfants ont été
convoqués séparément, le 5 juin 1991. A cette date, seul M. avait rencontré
le juge alors qu'A. avait envoyé une lettre confidentielle.
2.9 Le 10 juillet 1991, le juge a confirmé la suspension du droit de
visite et d'hébergement de l'auteur pendant trois ans (jusqu'au 10 juillet
1994), déclarant que le "surinvestissement par le père dans la réussite
scolaire arrive à gommer toute manifestation d'affection et d'intérêt
de sa part envers ses fils qui vivent très mal cette situation".
2.10 L'auteur ajoute que, à la suite des événements susmentionnés, il
a perdu son emploi. Après plusieurs avertissements écrits donnés à l'intéressé
par son employeur et plusieurs invitations à accepter un traitement pour
"difficultés personnelles et professionnelles", ce que celui-ci
a refusé, son employeur a mis fin à son contrat, avec effet au 31 janvier
1991.
2.11 Après la décision du juge des enfants rendue le 10 juillet 1991,
l'auteur n'a plus eu de contacts directs avec ses fils. Il a cependant
continué à leur écrire régulièrement (plus de 100 lettres entre juillet
1991 et juillet 1994). Son ex-épouse a quitté Paris et les efforts faits
par l'auteur pour retrouver l'école que fréquentaient ses fils n'ont pas
abouti. Le 1er avril 1993, la police a emmené l'auteur dans un établissement
psychiatrique situé à une soixantaine de kilomètres de Paris. L'auteur
précise qu'il n'y avait aucun motif de le placer dans cet établissement
pour soigner des désordres psychologiques. Le 25 juin 1993, il a pu le
quitter.
2.12 Entre décembre 1993 et août 1995, l'auteur n'a pas communiqué de
nouvelles informations sur son affaire. Par des lettres datées des 13
août et 17 septembre 1995, il indique qu'en vertu d'une ordonnance de
référé en date du 8 juillet 1994 prise par le juge aux affaires familiales
du tribunal de grande instance de Caen, la suspension de son droit de
visite a été prorogée pour trois autres années, soit jusqu'en juillet
1997. Dans sa décision, le juge, qui avait entendu les parties le 4 juillet
1994, a considéré que s'il était vrai que l'auteur n'avait pas vu ses
fils depuis 1991, il leur avait adressé régulièrement des courriers, leur
rappelant sa proximité ainsi que leurs devoirs, et avait ainsi entretenu
le sentiment d'animosité et de persécution de ses fils. En outre, dans
huit lettres qu'il leur avait adressées entre le 24 avril et le 24 juin
1994, il les avait informés de la reprise imminente de son droit de visite,
ainsi que de son intention de passer ses vacances avec eux à compter du
11 juillet 1994. Considérant le ton de ces lettres, le fait que l'auteur
n'avait même pas demandé leur avis à ses fils, alors âgés de 13 et 17
ans, et le sentiment d'exaspération devant l'attitude de leur père qu'ils
avaient exprimé dans plusieurs écrits, le juge concluait qu'il y avait
lieu de proroger la suspension du droit de visite.
2.13 L'auteur rejette l'ordonnance du 8 juillet 1994, qu'il tient pour
un "refus arbitraire" de lui laisser voir ses fils. Il demande
que l'Etat partie l'indemnise pour le préjudice moral causé à ses fils
et à lui-même par les décisions de justice. En outre, il demande à être
examiné par un psychiatre non français, car il estime avoir été interné
arbitrairement d'avril à juin 1993.
Teneur de la plainte
3. L'auteur prétend que les événements mentionnés plus haut constituent
une violation, par la France, du paragraphe 4 de l'article 18 du Pacte,
car il ne peut en tant que père assurer l'éducation morale de ses fils.
Il invoque, par ailleurs, une violation du paragraphe 4 de l'article 23,
au motif que l'égalité entre les époux n'a pas été respectée lors de la
dissolution de son mariage et qu'aucune mesure n'a été prise pour assurer
à ses enfants la protection nécessaire. Enfin, il prétend qu'il y a violation
du paragraphe 1 de l'article 24, du fait que les autorités françaises
n'auraient pris aucune mesure pour protéger ses fils mineurs.
Délibération du Comité
4.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2 Le Comité a pris note que les allégations de l'auteur concernent
le paragraphe 4 de l'article 18 et le paragraphe 1 de l'article 24 du
Pacte. Il relève que l'auteur n'a pas démontré comment l'Etat partie a
in concreto restreint la liberté des parents d'assurer de manière
générale l'éducation morale de leurs enfants ou n'a pas pris de mesure
pour protéger les mineurs, y compris les fils de l'auteur. Au contraire,
les autorités judiciaires de l'Etat partie ont, dans le cas d'espèce,
pris, en application du Code civil français, des mesures destinées à préserver
les intérêts supérieurs des fils de l'auteur. En conséquence, l'auteur
n'est pas fondé à se déclarer victime d'une violation, au sens de l'article
2 du Protocole facultatif.
4.3 En ce qui concerne le paragraphe 4 de l'article 23, le Comité est
d'avis que cette disposition reconnaît, sauf circonstances exceptionnelles,
le droit à des contacts réguliers entre les enfants et chacun des deux
parents / Voir Constatations sur la communication No 514/1992
(Sandra Fei c. Colombie), adoptée le 4 avril 1995, par.
8.9; voir aussi l'Observation générale No 19[39] concernant l'article
23, par. 6./. De toute évidence, les éléments dont ils disposaient ont
amené les juges saisis de l'affaire à conclure qu'il existait des circonstances
exceptionnelles justifiant qu'on refuse à l'auteur le droit de voir ses
fils, dans l'intérêt même des enfants. L'auteur n'a avancé aucune preuve
établissant que les éléments soumis aux tribunaux ne pouvaient corroborer
une telle conclusion. Le Comité conclut, en conséquence, que l'auteur
n'est pas davantage fondé à se déclarer victime d'une violation, au sens
de l'article 2 du Protocole facultatif.
5. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole
facultatif;
b) que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie et, pour
information, à l'auteur de la communication.
[Texte adopté en anglais (version originale) et traduit en espagnol et
en français. Il paraîtra en arabe, en chinois et en russe dans le prochain
rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]