Comité des droits de l'homme
Cinquantième session
ANNEXE*
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Cinquantième session -
Communication No 476/1991
Présentée par : R. M. [nom supprimé] (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
État partie : Trinité-et-Tobago
Date de la communication : 3 octobre 1991 (communication initiale)
Le Comité des droits de l'homme, créé en vertu de l'article 28
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 mars 1994,
Adopte la décision ci-après :
1. L'auteur de la communication est R. M., citoyen de la Trinité-et-Tobago,
qui, au moment de la communication, se trouve détenu au pénitencier de
Port of Spain, où il attend d'être exécuté. Il prétend être victime d'une
violation par la Trinité-et-Tobago des paragraphes 1 et 2 de l'article
14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il
est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été arrêté le 23 août 1982 et accusé d'avoir tué un certain
C. G. le 19 août 1982. Après être passé en jugement devant la Haute Cour,
celle-ci l'a déclaré coupable et l'a condamné à la peine capitale le 21
juillet 1986. La Cour d'appel l'a débouté de son recours le 16 juillet
1988. Un recours introduit par la suite devant la Section judiciaire du
Conseil privé a été rejeté le 24 avril 1991.
2.2 Au procès, on a appris que, le 19 août 1982, l'auteur avait été emmené
par C. G. et Sue Y. M., circulant çà et là dans la voiture de C. G. et
s'arrêtant occasionnellement pour boire une verre. L'accusation s'est
fondée essentiellement sur la déposition du principal témoin à charge,
Mme Sue Y. M. Celle-ci a témoigné qu'à un certain moment, l'auteur et
C. G. étaient entrés dans un bar, alors qu'elle-même, se sentant fatiguée
et en état d'ébriété, était restée dans la voiture où elle s'était endormie.
Lorsqu'elle s'était réveillée, l'auteur conduisait la voiture et elle
avait entendu la voix de C. G. venir du coffre. L'auteur avait arrêté
le véhicule près d'un pont et tenté de la violer. De l'intérieur du coffre,
C. G. avait demandé à l'auteur de la "laisser tranquille". L'auteur
était alors sorti de la voiture et avait ouvert le coffre. Il y avait
eu le bruit d'une bagarre, puis le témoin n'avait plus entendu C. G. Elle
avait ensuite entendu quelque chose tomber dans l'eau sous le pont. L'auteur,
à qui elle avait demandé ce qui s'était passé lorsqu'il était revenu à
la voiture, lui aurait répondu : "Ne t'en fais pas pour lui, il ne
va pas se réveiller de sit_t". D'après le témoin, l'auteur avait
essayé de la violer à deux autres reprises cette nuit-là. Au matin, elle
a signalé l'incident à la police. Cinq jours plus tard, lors d'une séance
d'identification, elle a reconnu l'auteur. Le corps de la victime a été
retrouvé dans le Caroni.
2.3 Au procès et en appel, la défense a fait valoir que le témoignage
de Mme M. était irrecevable, car il outrepassait les limites de la règle
dite res gestae (faits et circonstances se rapportant à l'acte
faisant l'objet du procès), en ce que les tentatives de viol étaient sans
rapport avec le crime dont l'auteur était inculpé et avec la question
de l'identification, et que le témoignage concernant une autre infraction
grave aurait pour effet de prévenir les jurés contre lui.
2.4 Outre le témoignage de Mme M., l'accusation s'est également appuyée
sur des preuves indirectes et sur des aveux que l'auteur aurait faits
à la police, selon lesquels il aurait, avec l'aide d'un autre homme, enfermé
C. G. dans le coffre de la voiture, puis lui avait lié les pieds et les
mains, et l'avait précipité dans le fleuve. D'après les preuves produites
par l'accusation, cette déposition, signée par l'auteur, avait été recueillie
en présence d'un juge de paix.
2.5 Au cours du procès, l'auteur a fait du banc des accusés une déclaration
dans laquelle il niait toute participation au crime et affirmait n'avoir
jamais fait d'aveux à la police après son arrestation.
Teneur de la plainte
3. L'auteur soutient qu'il n'a pas bénéficié d'un procès équitable aux
motifs que : a) le juge a autorisé l'accusation à produire la déposition
de Mme M. qui lui était extrêmement préjudiciable; b) le juge du fond
a omis d'informer les jurés qu'il fallait que ces éléments de preuve soient
corroborés; et c) c'est à tort que le juge du fond a signifié aux jurés
qu'il était contraire aux règles que la défense donne à penser que la
déposition de l'auteur à la police avait été fabriquée de toutes pièces,
sans que pareilles allégations aient pu être contestées à l'occasion d'un
contre-interrogatoire, ce qui laissait supposer que la déclaration faite
par l'auteur du banc des accusés avait été contraire aux règles.
Observations de l'État partie
4.1 Dans sa réponse du 1er avril 1993, l'État partie reconnaît que l'auteur
a épuisé toutes les voies de recours qui lui étaient ouvertes au pénal,
et s'engage à ne pas exécuter la peine de mort contre l'auteur tant que
le Comité sera saisi de sa communication.
4.2 En février 1994, l'État partie a informé le Comité qu'à la suite
du jugement prononcé le 2 novembre 1993 par la Section judiciaire du Conseil
privé dans l'affaire Earl Pratt et Ivan Morgan c. Procureur
général de la Jamaïque, la condamnation à mort prononcée contre l'auteur
avait été commuée en une peine de prison à vie.
Délibérations du Comité
5.1 Avant d'examiner une plainte contenue dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son
règlement intérieur, décider si la communication est ou n'est pas recevable
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2 Le Comité note que l'État partie ne conteste pas la recevabilité
de la communication. Le Comité est cependant tenu de s'assurer que tous
les critères de recevabilité énoncés dans le Protocole facultatif sont
respectés.
5.3 Le Comité note que les allégations de l'auteur quant au fait qu'il
n'aurait pas bénéficié d'un procès équitable touchent à l'appréciation
des éléments de preuve et aux instructions données par le juge aux jurés.
Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que c'est généralement
aux cours d'appel des États parties au Pacte qu'il appartient d'évaluer
les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée. De même,
ce n'est pas au Comité qu'il incombe d'apprécier les instructions spécifiques
données aux jurés par le juge, à moins que ces instructions n'aient manifestement
été arbitraires ou n'aient constitué un déni de justice, ou que le juge
n'ait manifestement pas respecté l'obligation d'impartialité à laquelle
il est tenu. Or, le dossier dont le Comité est saisi ne permet pas de
conclure que le juge a manqué à ses devoirs en donnant ses instructions
aux jurés ou en menant le procès. En conséquence, la communication est
irrecevable car elle est incompatible avec les dispositions du Pacte,
en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
6. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole
facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie, à l'auteur
et à son conseil.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.]