Comité des droits de l'homme
Quarante-huitième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Quarante-huitième session -
Communication No 478/1991
Présentée par : A. P. L.-v. d. M. (nom supprimé)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Pays-Bas
Date de la communication : 27 octobre 1991 (date de la première
lettre)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 1993,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication (datée du 22 octobre 1991) est Mme A.
P. L.-v. d. M., de nationalité néerlandaise, résidant à Voorhout (Pays-Bas).
Elle affirme être victime d'une violation, par les Pays-Bas, de l'article
26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle
est représentée par un conseil.
Les faits présentés
2.1 L'auteur, femme mariée, était employée comme travailleuse saisonnière
depuis juillet 1982. Entre deux périodes d'emploi, elle touchait une allocation
de ch_mage en vertu de la Werkloosheidswet (WW) (loi sur le ch_mage).
En application des dispositions de cette loi, l'allocation lui était versée
pendant une durée maximum de six mois. Le 2 mars 1984, l'auteur était
à nouveau sans emploi et elle n'avait plus droit à l'allocation prévue
par la WW. Elle a trouvé un nouvel emploi le 25 juillet 1984.
2.3 A l'époque, un ch_meur ayant reçu des allocations au titre de la
WW avait droit ensuite à des prestations supplémentaires au titre de la
Wet Werkloosheids Voorziening (WWV) (loi complémentaire sur le ch_mage).
L'allocation prévue par la WWV représentait 75 % du dernier salaire perçu,
celle versée au titre de la WW correspondant à 80 % dudit salaire. Cependant,
l'alinéa 1 du paragraphe 1 de l'article 13 de la WWV stipulait que les
femmes mariées ne pouvaient recevoir d'allocations au titre de la WWV
qu'en qualité de soutien de famille. Cette disposition ne s'appliquait
pas aux hommes mariés. L'auteur, qui ne remplissait pas les conditions
requises, n'a donc pas alors demandé à bénéficier de cette allocation.
2.4 Toutefois, l'Etat partie ayant aboli la disposition énoncée à l'alinéa
1 du paragraphe 1 de l'article 13, avec effet rétroactif au 23 décembre
1984, l'auteur a demandé, le 22 janvier 1989, à bénéficier de l'allocation
versée au titre de la WWV pour la période allant du 2 mars au 25 juillet
1984. Sa demande a été rejetée par la municipalité de Voorhout, le 8 juin
1989, au motif que l'auteur ne remplissait pas les conditions requises
applicables à l'époque considérée.
2.5 Le 19 décembre 1989, la municipalité a confirmé sa décision. L'auteur
a alors fait appel devant la Raad van Beroep (Commission de recours) de
La Haye qui, par décision en date du 27 juin 1990, a rejeté son appel.
2.6 La Centrale Raad van Beroep (Commission centrale de recours), instance
suprême connaissant des affaires de sécurité sociale, dans son jugement
du 5 juillet 1991, renvoyait à son jugement du 10 mai 1989 dans l'affaire
Cavalcanti Araujo-Jongena dans lequel elle reconnaissait, comme
elle l'avait fait dans des affaires antérieures, que l'article 26, interprété
à la lumière de l'article 2 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, s'appliquait à l'octroi de prestations de sécurité
sociale et autres droits et que l'exclusion expresse des femmes mariées,
sauf dans les cas où elles remplissent des conditions déterminées qui
ne s'appliquent pas aux hommes mariés, constituait une discrimination
fondée sur le sexe et la situation de famille. En revanche, la Commission
centrale n'a pas cru devoir s'écarter de sa jurisprudence établie, selon
laquelle, s'agissant de l'élimination de la discrimination dans le domaine
de la législation nationale en matière de sécurité sociale, il est des
situations où elle pouvait être éliminée progressivement. La Commission
centrale a conclu qu'en ce qui concerne l'alinéa 1 du paragraphe 1 de
l'article 13 de la WWV, l'article 26 du Pacte n'avait pas pris effet avant
le 23 décembre 1984, date limite fixée par la troisième Directive de la
Communauté économique européenne (CEE) pour l'élimination de la discrimination
fondée sur le sexe au sein de la Communauté. Elle a donc confirmé la décision
de la Commission de recours de refuser à l'auteur l'allocation prévue
par la WWV pour la période allant du 2 mars au 25 juillet 1984. Tous les
recours internes auraient ainsi été épuisés.
2.7 En 1991, de nouvelles modifications à la WWV ont éliminé la restriction
à l'effet rétroactif de l'abolition de l'alinéa 1 du paragraphe 1 de l'article
13. En conséquence, les femmes qui avaient pu bénéficier dans le passé
de l'allocation au titre de la WWV parce qu'elles satisfaisaient au critère
de soutien de famille peuvent prétendre à cette allocation rétroactivement,
sous réserve qu'elles remplissent les autres conditions stipulées par
la loi, notamment celle d'être sans emploi au moment où elles introduisent
une demande à cet effet.
La plainte
3.1 De l'avis de l'auteur, le refus de lui accorder l'allocation au titre
de la WWV du 2 mars au 25 juillet 1984 constitue une discrimination au
sens de l'article 26 du Pacte.
3.2 L'auteur rappelle que le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés
en vigueur en ce qui concerne les Pays-Bas le 11 mars 1979 et fait valoir
que, par suite, l'article 26 a pris effet à cette date. Elle soutient
en outre que la date du 23 décembre 1984, à compter de laquelle la distinction
faite à l'alinéa 1 du paragraphe 1 de l'article 13 de la WWV a été abolie,
a été arrêtée de façon arbitraire, puisqu'il n'existe aucun lien formel
entre le Pacte et la troisième Directive de la CE.
3.3 Elle affirme aussi que la Commission centrale de recours n'avait
pas toujours adopté une position uniforme en ce qui concerne l'applicabilité
de l'article 26 du Pacte dans ses décisions antérieures. Ainsi, dans une
affaire relevant de la loi générale sur l'invalidité (AAW), elle a estimé
que l'article 26 ne pouvait pas être privé d'effet après le 1er janvier
1980.
3.4 L'auteur affirme qu'en ratifiant le Pacte, les Pays-Bas ont accepté
de donner effet à ses dispositions, conformément aux articles 93 et 94
de la
Constitution néerlandaise. De plus, même si l'élimination progressive
de la discrimination était envisagée dans le Pacte, plus de 12 ans se
sont écoulés entre l'adoption de cet instrument (1966) et son entrée en
vigueur en ce qui concerne les Pays-Bas (1979), délai suffisant pour permettre
à ce pays d'adapter sa législation en conséquence. A cet égard, l'auteur
renvoie aux constatations que le Comité des droits de l'homme a adoptées
à propos des communications Nos 182/1984 (Zwaan-de Vries c. Pays-Basb)
et 172/1984 (Broeks c. Pays-Basc).
3.5 L'auteur soutient que les modifications apportées récemment à la
WWV n'éliminent pas complètement l'effet discriminatoire de l'alinéa 1
du paragraphe 1 de l'article 13 de cette loi, telle qu'appliquée avant
décembre 1984. Elle souligne que les femmes ne peuvent prétendre rétroactivement
à cette allocation que si elles satisfont aux conditions de toutes les
autres dispositions de la WWV, notamment celle d'être sans emploi au moment
où elles introduisent une demande à cet effet. Ainsi, les femmes qui,
comme l'auteur, sont employées au moment où elles demandent à être admises
au bénéfice de prestations à titre rétroactif, ne remplissent pas les
conditions légales et n'y ont donc pas droit. D'après l'auteur, l'effet
discriminatoire de la disposition en cause n'a par conséquent pas été
complètement éliminé.
3.6 L'auteur affirme avoir subi un préjudice financier du fait de l'application
des dispositions discriminatoires de la WWV, en ce sens qu'une allocation
lui a été refusée pendant la période allant du 2 mars au 25 juillet 1984.
Elle demande au Comité des droits de l'homme de dire que l'article 26
a pris effet à compter de la date d'entrée en vigueur du Pacte en ce qui
concerne les Pays-Bas, soit le 11 mars 1979; et de déclarer que le refus
de l'allocation fondée sur l'alinéa 1 du paragraphe 1 de l'article 13
de la WWV constitue une discrimination au sens de l'article 26 du Pacte;
enfin, que l'allocation au titre de la WWV devrait être octroyée aux femmes
mariées sur un pied d'égalité avec les hommes à compter du 11 mars 1979,
et, dans son cas, à compter du 2 mars 1984.
Observations de l'Etat partie et réponse de l'auteur
4. Dans une communication datée du 2 septembre 1992, l'Etat partie admet
que l'auteur a épuisé tous les recours internes disponibles. Il affirme
cependant que l'auteur ne peut être considérée comme une victime au sens
de l'article 1 du Protocole facultatif puisque, même si les femmes mariées
pouvaient bénéficier de l'allocation sur un pied d'égalité avec les hommes
à compter du 2 mars 1984, l'auteur n'y aurait toujours pas droit puisqu'elle
ne satisfaisait pas à l'une des stipulations fondamentales de ce texte
de loi — qui est applicable aux hommes comme aux femmes —,
à savoir que le postulant doit être sans emploi à la date à laquelle il
introduit sa demande.
5. Dans ses commentaires sur la communication de l'Etat partie, l'auteur
soutient que la date d'application n'a jamais été en discussion dans les
instances antérieures, qui étaient axées sur la date du 23 décembre 1984,
touchant la troisième Directive de la CEE. Elle déclare que la question
dont est saisi le Comité est de savoir si l'article 26 du Pacte était
en vigueur dans la période précédant le 23 décembre 1984, et non si elle
répondait à la condition d'être sans emploi le 22 janvier 1989, date à
laquelle elle a demandé à bénéficier de l'allocation au titre de la WWV.
Délibérations du Comité et questions dont il est saisi
6.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son
règlement intérieur, décider de la question de savoir si celle-ci est
ou non recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que l'auteur affirme que l'état de la loi de mars
à juillet 1984, et l'application de la loi pendant cette période, l'ont
rendu victime d'une violation du droit à l'égalité devant la loi et à
une égale protection de la loi, énoncé à l'article 26 du Pacte. Le Comité
note en outre que l'Etat partie a modifié la législation en cause, abolissant
avec effet rétroactif la disposition législative que l'auteur juge discriminatoire.
6.3 Le Comité estime que même si la loi en question, avant l'entrée en
vigueur de sa modification, devait être considérée comme incompatible
avec une disposition du Pacte, l'Etat partie, en modifiant cette loi avec
effet rétroactif, a corrigé l'inadéquation présumée de cette loi à l'article
26 du Pacte, réparant ainsi la violation supposée. L'auteur ne peut donc,
au moment où elle présente sa plainte, prétendre être victime d'une violation
du Pacte. Par conséquent, la communication est irrecevable en vertu de
l'article premier du Protocole facultatif.
6.4 L'auteur prétend en outre être victime de discrimination du fait
que l'application de la loi modifiée ne lui donne toujours pas droit à
l'allocation pour la période pendant laquelle elle était sans emploi,
soit de mars à juillet 1984, puisqu'elle ne satisfait pas à la condition
d'être sans emploi à la date d'introduction de la demande d'allocation.
A cet égard, le Comité note que ladite condition s'applique également
aux hommes et aux femmes. Il renvoie à sa décision relative à la communication
No 212/1986 (P. P. C. c. Pays-Bas), dans laquelle il a jugé
que la portée de l'article 26 ne s'étendait pas aux différences d'effet
de l'application de règles communes en matière d'octroi d'avantages sociaux.
En l'espèce, le Comité juge que subordonner l'octroi d'une allocation
à la condition d'être sans emploi au moment où la demande est déposée
ne constitue pas un acte discriminatoire et que l'auteur n'est donc pas
fondée à se réclamer de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.5 Quant à la demande de l'auteur tendant à ce que le Comité conclue
que l'article 26 du Pacte a pris effet aux Pays-Bas le 11 mars 1979, date
à laquelle le Pacte est entré en vigueur dans le cas de l'Etat partie,
le Comité fait observer que les modalités d'application du Pacte varient
d'un système juridique à l'autre. La question de savoir si et à quel moment
l'article 26 a pris effet aux Pays-Bas relève donc du droit interne et
n'est pas du ressort du Comité.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article premier
et de l'article 2 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie et à l'auteur.
[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol et
en français.]
Notes
L'affaire Cavalcanti a été enregistrée au Comité des droits de l'homme en
tant que communication No 418/1990 et déclarée recevable le 20 mars 1992.
Constatations adoptées le 9 avril 1987.
Constatations adoptées le 9 avril 1987.