Comité des droits de l'homme
Cinquante et unième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Cinquante et unième session -
Communication No. 484/1991
Présentée par : H. J. Pepels (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
État partie : Pays-Bas
Date de la communication : 25 novembre 1991
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 15 juillet 1994,
Ayant achevé l'examen de la communication No 484/1991 présentée
au Comité des droits de l'homme par M. H.J. Pepels en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'État partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est H. J. Pepels, citoyen néerlandais
résidant à Stein (Pays-Bas). Il se prétend victime, de la part des autorités
néerlandaises, de violation des droits visés à l'article 26 ainsi qu'aux
articles 3 et 5 du Pacte. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur, devenu veuf le 12 juillet 1978, a dû assumer seul la responsabilité
de l'éducation de ses quatre jeunes enfants. La loi générale relative
aux veuves et aux orphelins (Algemene Weduwen- en Wezenwet) ne prévoit
le versement de prestations qu'à des veuves qui remplissent certaines
conditions. Les veufs avec enfants non mariés vivant au domicile familial
seraient en droit de bénéficier de telles prestations qui sont indépendantes
du revenu. Toutefois, ils sont exclus du bénéfice des avantages prévus
par cette loi. Dans ces conditions, l'auteur n'a pas demandé à bénéficier
des prestations prévues par la loi relative aux veuves et aux orphelins.
2.2 Dix ans plus tard, le 7 décembre 1988, la Cour centrale d'appel (Centrale
Raad van Beroep), instance suprême qui connaît des affaires relatives
à la sécurité sociale, a décidé qu'en dépit des dispositions expresses
de cette loi, les veufs pouvaient également bénéficier des avantages qu'elle
prévoyait, considérant que ces dispositions violaient le principe de non-discrimination.
2.3 L'auteur a donc demandé à bénéficier de ces avantages. Le 14 mars
1989, il a été informé qu'il pourrait bénéficier des prestations prévues
par la loi à compter du 1er décembre 1987, en vertu du paragraphe 3 de
l'article 25 de ladite loi, qui exclut le versement rétroactif de prestations
au-delà d'un an à compter de la date de la demande. L'auteur a fait appel
de cette décision, arguant de circonstances spéciales prévues au paragraphe
5 dudit article 25. Le paragraphe 5 prévoit que, dans des circonstances
spéciales, les avantages prévus peuvent être accordés rétroactivement
pour une durée plus longue. Le 30 mars 1990, la Cour d'appel (Raad van
Beroep) a estimé qu'il y avait lieu de tenir compte de circonstances spéciales
et que l'auteur devait bénéficier rétroactivement des prestations prévues
par la loi. Le Sociale Verzekeringsbank, organe responsable de la mise
en application de la loi, à son tour, a fait appel de cette décision devant
la Cour centrale d'appel.
2.4 Le 31 janvier 1991, le Centrale Raad van Beroep a décidé que, bien
que la loi relative aux veuves et aux orphelins soit incompatible avec
l'article 26 du Pacte (entré en vigueur aux Pays-Bas le 11 mars 1979),
des prestations pouvaient être versées aux veufs, à partir seulement du
23 décembre 1984, date à compter de laquelle, en vertu des dispositions
de la troisième directive de la CEE, est prescrite l'abolition de toute
discrimination entre hommes et femmes. Pour ce qui est de la rétroactivité
des prestations, le Centrale Raad van Beroep a estimé que la méconnaissance
de ses droits par l'intéressé pouvait être prise en considération pour
établir l'existence de circonstances spéciales susceptibles d'étendre
la rétroactivité au-delà d'un an, ajoutant toutefois qu'une politique
tendant à limiter cette prolongation de rétroactivité à des cas particulièrement
graves lui paraissait admissible.
2.5 Sur la base de la décision du Centrale Raad van Beroep, le Sociale
Verzekeringsbank a décidé de ne pas modifier la date (1er décembre 1987)
à compter de laquelle les prestations seraient versées à l'auteur. Ce
dernier a, à nouveau, fait appel de cette décision, appel qui a été rejeté
par le tribunal de district de Maastricht.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur soutient que la décision de ne pas lui accorder pleinement
la rétroactivité des avantages prévus viole l'article 26 ainsi que les
articles 3 et 5 du Pacte.
3.2 L'auteur fait valoir que la date du 23 décembre 1984 est arbitraire,
puisqu'elle n'a été choisie que pour des raisons pratiques. Les prestations
prévues par la loi générale relative aux veuves et aux orphelins ne sont
pas compatibles avec les dispositions de la troisième directive de la
CEE, qui prescrit l'abolition de toute discrimination entre hommes et
femmes à compter du 23 décembre 1984. L'auteur fait en outre valoir que
la fixation d'une période transitoire pour l'applicabilité directe de
l'article 26 du Pacte est sans fondement juridique. Il déclare que les
13 années écoulées entre 1966 (année où l'État partie a signé le Pacte)
et 1979 (année où cet instrument est entré en vigueur pour l'État partie)
auraient dû suffire au gouvernement pour ajuster sa législation. Il considère
que l'application progressive des dispositions conventionnelles relatives
à la non-discrimination ne peut valoir que dans le cas du paragraphe 2
de l'article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels, mais que l'application de l'article 26 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques ne souffre pas les
mêmes restrictions. Il note, en outre, que déjà en 1973 le Nederlandse
Gezinsraad (Conseil néerlandais de la famille), organe consultatif
officiel auprès du gouvernement, avait recommandé que les prestations
prévues par la loi générale relative aux veuves et aux orphelins soient
également versées aux veufs.
3.3 L'auteur se réfère, à cet égard, aux constatations du Comité des
droits de l'homme concernant l'affaire No 172/1984 (Broeks c. Pays-Bas)a.
Il se réfère également à un mémorandum du gouvernement concernant l'entrée
en vigueur du Pacte relatif aux droits civils et politiques, dans lequel
le gouvernement déclarait sans équivoque qu'il n'y avait pas de raison
de nier l'applicabilité directe de la partie III du Pacte. L'auteur ajoute
que les dispositions de l'article 26 du Pacte sont reflétées dans la Constitution
néerlandaise, qui interdit la discrimination fondée notamment sur le sexe.
3.4 L'auteur soutient que l'article 26 du Pacte est directement applicable
aux Pays-Bas à compter du 11 mars 1979 et que le refus d'accorder les
prestations prévues par la loi générale relative aux veuves et aux orphelins
aux veufs constitue, à compter de cette date, une violation de cet article.
Décision du Comité concernant la recevabilité
4. À sa quarante-septième session, le Comité a examiné la question de
la recevabilité de la communication. Il a noté que l'État partie avait
confirmé que l'auteur avait épuisé les recours internes disponibles et
qu'il n'élevait pas d'objection quant à la recevabilité de la communication.
Le 19 mars 1993, il a déclaré la communication recevable dans la mesure
où elle pouvait poser des problèmes relevant de l'article 26 du Pacte.
Observations de l'État partie sur le fond et commentaires de l'auteur
5.1 Dans ses observations datées du 24 février 1994, l'État partie explique
que l'octroi de pensions aux veuves seulement à l'exclusion des veufs
tient à ce que, en 1959, lorsque la loi générale relative aux veuves et
aux orphelins a été promulguée, normalement, dans l'ensemble de la société,
le mari était le soutien de famille tandis que c'était à la femme qu'incombait
le soin de tenir la maison et d'élever les enfants. Il n'y avait donc
pas, selon l'État partie, de raison d'octroyer aussi aux veufs les avantages
prévus, puisqu'on partait du principe qu'un veuf était en mesure de gagner
sa vie. L'État partie estimait, par conséquent, qu'il n'était pas porté
atteinte au principe de l'égalité consacré à l'article 26 du Pacte, puisqu'il
y avait des motifs objectifs et raisonnables justifiant la différence
de traitement.
5.2 L'État partie reconnaît que les réalités sociales ont changé et que
dans la société actuelle, il n'est plus justifiable de traiter différemment
les veufs et les veuves. Il fait savoir qu'il a pris la décision d'introduire
une nouvelle législation en remplacement de la loi actuelle, législation
qui déterminera les droits à pension aussi bien pour les veufs que pour
les veuves. L'État partie, toutefois, soutient que, pour ce qui est de
l'article 26 du Pacte, les normes actuelles ne sont pas applicables à
des faits et circonstances passés, se situant dans un contexte social
différent. Il fait valoir que les faits et événements passés doivent être
considérés dans le contexte de l'époque.
5.3 L'État partie soutient que la décision du Centrale Raad van Beroep,
en vertu de laquelle il y a obligation de se conformer à l'article 26
du Pacte à compter du 23 décembre 1984 et il n'y a pas lieu de verser
de prestations à titre rétroactif pour une période antérieure à cette
date, est raisonnable. Il fait valoir que la législation sur la sécurité
sociale établit des distinctions entre différentes catégories de personnes
afin de réaliser la justice sociale. Dans la mesure où les tendances sociales
s'affirment progressivement, c'est progressivement aussi que l'on en est
venu à considérer que le versement des prestations prévues ne pouvait
plus être restreint qu'aux veuves. Etant donné qu'il y a toujours nécessairement
un décalage entre les lois et l'évolution sociale, l'État partie fait
valoir qu'il est raisonnable d'admettre qu'un certain intervalle de temps
s'écoule avant que les lois ne soient adoptées et appliquées, avant de
conclure qu'il y a eu violation du Pacte. Il se réfère à ce propos, à
la décision prise par le Comité au sujet de la communication No 501/1992b
et à l'opinion individuelle émise par trois membres du Comité dans les
constatations adoptées en ce qui concerne la communication No 395/1990c.
5.4 L'État partie déclare qu'il réexamine régulièrement sa législation
sur la sécurité sociale compte tenu de l'évolution des structures et des
comportements sociaux. Il rappelle sa décision d'introduire une nouvelle
législation abolissant toute distinction juridique entre veufs et veuves
pour ce qui est des pensions et affirme qu'en attendant que le projet
de loi soit adopté, veufs et veuves font désormais l'objet d'un traitement
égal sur la base de la jurisprudence.
6.1 Dans ses commentaires, datés du 12 avril 1994, l'auteur fait valoir
que, même si la réalité sociale en 1959 était telle qu'il n'y avait pas
de raison que la loi générale relative aux veuves et aux orphelins s'applique
aux veufs, la situation en 1979 avait déjà évolué. L'auteur rappelle sa
première communication et se réfère à un rapport de 1973 du Conseil de
la famille, dans lequel il était recommandé d'étendre, de toute urgence,
l'application de cette loi aux veufs. Selon l'auteur, il n'y avait plus
par conséquent, en 1979, au moment où le Pacte est entré en vigueur aux
Pays-Bas, de raison valable de faire une distinction entre veufs et veuves,
ce qui contrevenait à l'article 26 du Pacte. L'auteur se réfère, à ce
propos, à la jurisprudence du Comitéd qui a soutenu précédemment
que l'égalité devant la loi impliquait que toute distinction dans l'octroi
d'avantages soit fondée sur des critères raisonnables et objectifs. Il
soutient qu'en ce qui concerne les pensions versées aux veuves et aux
veufs, la distinction entre hommes et femmes ne correspondait plus en
1979 à aucun critère raisonnable ni objectif.
6.2 L'auteur fait valoir, en outre, que lors du processus de ratification
du Pacte, le Gouvernement néerlandais a informé le Parlement que les droits
protégés par le Pacte seraient directement applicables aux Pays-Bas, en
ce sens qu'ils pourraient être invoqués directement devant les tribunaux.
Il note encore que le gouvernement a expliqué que le long intervalle qui
s'était écoulé entre la signature du Pacte et sa ratification avait été
nécessaire pour aligner la législation et son application sur les dispositions
du Pacte. Aussi, soutient-il que l'État partie ne saurait maintenant prétendre
qu'il a besoin de plus de temps encore pour adapter sa législation sur
la sécurité sociale de manière à ce qu'elle corresponde aux dispositions
du Pacte. L'auteur réaffirme, par conséquent, que rien ne justifie que
l'on prenne pour base la date du 23 décembre 1984 pour déterminer le moment
à partir duquel les droits reconnus par le Pacte devaient être directement
appliqués aux Pays-Bas.
Délibérations du Comité
7.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations que les parties lui avaient
communiquées conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole
facultatif.
7.2 Le Comité rappelle sa jurisprudence et fait observer que, si l'article
26 exige que la discrimination soit proscrite par la loi et que toutes
les personnes se voient garantir une égale protection contre la discrimination,
il n'y a rien dans cet article qui traite des questions que peut régler
la loi. Ainsi, l'article 26 n'exige pas, en lui-même, des États parties
qu'ils octroient des avantages en matière de sécurité sociale ou qu'ils
octroient ces avantages rétroactivement par rapport à la date où en est
faite la demande. Toutefois, lorsque ces avantages sont réglementés par
la loi, il faut que celle-ci soit conforme à l'article 26 du Pacte.
7.3 Le Comité note que, si la loi en question établit une distinction
entre veufs et veuves, cette distinction ne produit plus d'effets depuis
le 7 décembre 1988, date à laquelle le Centrale Raad van Beroep a statué
qu'elle ne se justifiait pas et était contraire aux principes de l'égalité.
En d'autres termes, aucune distinction n'était plus faite au moment où
M. Pepels a demandé, le 14 décembre 1988, à bénéficier des avantages prévus
par la loi générale relative aux veuves et aux orphelins et où il a été
fait droit à cette demande, à titre rétroactif, à compter du 1er décembre
1987.
7.4 M. Pepels soutient que la loi en question, telle qu'elle s'appliquait
avant la décision du Centrale Raad van Beroep, est incompatible avec l'article
26 du Pacte. Toutefois, il n'a pas essayé à l'époque de contester la loi
en demandant à bénéficier des prestations qu'elle prévoyait, comme cela
lui aurait été possible, ainsi qu'il le prétend maintenant, en vertu,
entre autres, de l'article 26 du Pacte. Il s'ensuit que les dispositions
contestées de la loi n'ont jamais été appliquées dans son cas particulier.
Dans ces conditions, le Comité n'a pas de motifs de se prononcer sur la
demande de rétroactivité pour la période allant du 11 mars 1979 au 1er
décembre 1987.
7.5 Le Comité note que depuis décembre 1988, les prestations prévues
par la loi générale relative aux veuves et aux orphelins sont octroyées
pareillement aux veufs et aux veuves. La loi prévoit l'octroi, à titre
rétroactif, des prestations prévues pour une période d'une année précédant
la date de la demande; le versement de prestations correspondant à une
période antérieure à celle-ci n'est accordé que dans des circonstances
exceptionnelles. Cette disposition s'applique également aux femmes et
aux hommes et les éléments d'information dont dispose le Comité n'indiquent
pas que M. Pepels ait été traité différemment que d'autres. Le Comité
conclut, par conséquent, que la manière dont la loi est appliquée depuis
1988 ne fait pas apparaître de violation de l'article 26 du Pacte.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits à lui
soumis ne font pas apparaître qu'il y ait eu violation d'un article quelconque
du Pacte.
[Fait en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français.]
Notes
a Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-deuxième
session, Supplément No 40 (A/42/40), annexe VIII.B, constatations
adoptées le 9 avril 1987.
b Ibid., quarante-huitième session, Supplément No 40
(A/48/40), annexe XIII.P, J. H. W. c. Pays-Bas, communication
déclarée irrecevable le 16 juillet 1993.
c Ibid., quarante-septième session, Supplément No 40
(A/47/40), annexe IX.P, M. T. Sprenger c. Pays-Bas, constatations
adoptées le 31 mars 1992.
d Voir, entre autres, les constatations du Comité concernant
la communication No 395/1990 (M. T. Sprenger c. Pays-Bas),
citées à la note c) ci-dessus.