Comité des droits de l'homme
Quarante-huitième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Quarante-huitième session -
Communication No 485/1991
Présentée par : V. B. (nom supprimé)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Trinité-et-Tobago
Date de la communication : 28 novembre 1991
Le Comité des droits de l'homme, créé en vertu de l'article 28
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 1993,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est V. B., citoyen de la Trinité, actuellement
détenu à la prison d'Etat de Port of Spain (Trinité-et-Tobago) où il attend
d'être exécuté. Il affirme qu'il est victime d'une violation par la Trinité-et-Tobago
de l'article 14, paragraphes 1 et 3 c), du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
Les faits présentés
2.1 L'auteur a été condamné pour avoir assassiné, le 1er août 1979, son
épouse de droit coutumier, P. M. La Cour d'appel a révoqué la sentence
prononcée en première instance au motif que le juge du fond avait donné
au jury des indications tendancieuses sur un point de droit et a ordonné
que l'affaire soit rejugée . Le 13 mars 1986, l'auteur a de
nouveau été déclaré coupable et condamné à mort par la Cour d'assises
de Port of Spain. Le 16 juin 1989, la Cour d'appel l'a débouté du recours
qu'il avait présenté. La demande d'autorisation spéciale qu'il avait formulée
en vue de former un recours devant la section judiciaire du Conseil privé
a été rejetée le 14 octobre 1991. L'auteur estime avoir ainsi épuisé tous
les recours internes.
2.2 L'accusation a fondé son argumentation sur plusieurs témoignages.
Un témoin oculaire, A. H., a déclaré que, le 1er août 1979, aux alentours
de 18 h 45, il s'était arrêté à la maison où vivaient alors la personne
décédée, sa famille et l'auteur. L'auteur était assis à l'extérieur en
face de son domicile en compagnie de P. M., qui avait dans les bras son
bébé de 11 mois, et d'un certain J. A. Le témoin avait pris place à leurs
c_tés. Au bout d'un moment, V. B. l'avait pris à part, il lui avait dit
qu'il avait des problèmes avec sa femme et sa famille et il aurait ajouté
qu'il avait "envie de tous les tuer". J. A. et le témoin étaient
allés acheter des boissons puis avaient regagné les marches sur lesquelles
P. M. était restée. L'auteur se tenait à la grille de l'habitation et
les regardait. A la demande de P. M., l'auteur avait emporté le bébé à
l'intérieur; il était ensuite revenu, avait appelé P. M. et ils s'étaient
tous les deux installés sur un banc qui était à proximité. A. H. a en
outre affirmé qu'il n'avait pas entendu l'auteur et P. M. se quereller
et qu'il ne les avait pas non plus vus se battre. Cependant, peu après,
il avait entendu P. M. dire "Oh mon Dieu", et l'avait vue courir
vers la maison, perdant abondamment son sang, et s'effondrer dans la cour.
L'auteur, qui tenait un objet brillant dans la main, avait alors disparu.
P. M. avait été amenée à l'h_pital où elle était morte. L'autopsie avait
révélé qu'elle avait été poignardée par trois fois.
2.3 La soeur de P. M. a déclaré qu'en rentrant à la maison elle avait
vu l'auteur descendre la rue. Comme elle lui demandait où il allait, il
avait répondu qu'il venait de frapper P. M. de trois coups de couteau
et il lui a recommandé d'aller à l'h_pital pour savoir si elle était morte.
2.4 L'agent venu l'arrêter a affirmé que l'auteur avait refusé de quitter
la maison où il se cachait et qu'il avait menacé de se poignarder si la
police entrait. En pénétrant dans la maison, la police l'avait trouvé
avec une blessure à la poitrine qu'il avait dit s'être faite avec une
paire de ciseaux. Il avait été emmené à l'h_pital où il était resté huit
jours. L'agent avait de plus déclaré que l'auteur, après avoir été informé
de ses droits, avait indiqué que lui et P. M. s'étaient disputés à propos
d'un paquet de cigarettes et qu'il l'avait frappée avec un couteau.
2.5 L'auteur a déposé à la barre des témoins. Il a assuré qu'il s'était
disputé avec sa femme à laquelle il avait reproché sa tenue vestimentaire
en présence de deux autres hommes. Après avoir emporté le bébé à l'intérieur,
il était revenu et lui avait demandé de rentrer. Elle s'était fâchée et
avait commencé à le frapper lorsqu'ils avaient pénétré dans la cour. Elle
avait saisi un couteau et essayé de le poignarder. Elle l'avait légèrement
atteint à la main et à la poitrine. Il avait pris peur, avait perdu son
sang-froid et se rappelait seulement lui avoir donné un coup avec ce couteau.
Il a également déclaré qu'il ne savait pas comment elle pouvait être blessée
en trois endroits, ni comment il s'était emparé du couteau. Il a nié avoir
fait les prétendues remarques rapportées par les témoins de l'accusation.
Au cours du contre-interrogatoire, l'auteur a admis qu'il avait poignardé
P. M., mais qu'il ne savait pas à combien de reprises.
2.6 J. A., qui avait été témoin à charge lors du premier procès, a été
appelé comme témoin à décharge quand l'affaire est repassée en jugement.
Il a déposé alors qu'il était manifestement sous l'influence de l'alcool
et/ou de drogues; sa déposition a été préjudiciable pour la défense, car
il a affirmé que les faits s'étaient produits dans la rue et non dans
la cour comme l'auteur le prétendait. La défense n'a toutefois pas demandé
au juge de suspendre l'audience pour permettre au témoin de désenivrer.
2.7 Devant les jurés, la représentante de l'auteur a souligné qu'elle
plaidait la provocation. Le juge, dans son résumé, s'en est remis au jury
pour ce qui était de la légitime défense et de la mort accidentelle, mais
il semblerait qu'il ait émis l'idée que l'opinion des jurés était déjà
faite. Il a déclaré :
"Je passerai maintenant en revue très brièvement les témoignages
produits, Mesdames et Messieurs les membres du jury. Nous pouvons peut-être
nous fonder d'abord sur les photographies. Je suis certain qu'il n'y
a pas de doute dans votre esprit, mais, en ma qualité de juge du fond,
je suis tenu de faire mon devoir et dois du moins examiner succinctement
les preuves testimoniales avec vous. Si je ne le fais pas, et que vous
rendez un verdict de culpabilité, vous risquez ensuite d'apprendre que
l'avocat de la défense interjette appel et déclare que le juge du fond
a manqué à ses obligations en ne récapitulant pas les dépositions en
faveur de la défense avec le jury. Nous ne voulons pas qu'il en soit
ainsi et j'accomplirai donc ma tâche. Je vous demande un peu de patience
bien que, j'en suis sûr, les faits soient parfaitement clairs dans votre
esprit et que, peut-être, l'opinion de la plupart d'entre vous soit
déjà faite. Je vous en prie, attendez encore un peu avant de vous prononcer."
2.8 Selon les termes de la Cour d'appel, le témoignage de J. A. "a
démoli l'argumentation [de l'auteur]". De plus, la Cour d'appel a
reconnu qu'un juge du fond ne devrait pas autoriser à déposer un témoin
qui n'est pas en état de le faire et que, en ne donnant pas à ce témoin
la possibilité de désenivrer, il pouvait causer un sérieux préjudice à
la défense de l'accusé. Elle a toutefois estimé qu'avant de réformer un
jugement pour ce motif, il fallait notamment établir que les preuves testimoniales
attendues [de J. A.] étaient favorables à la défense, sans quoi il ne
pourrait être considéré qu'il était porté préjudice à cette dernière et
que, en de semblables circonstances, on pouvait s'attendre à ce qu'un
ajournement soit demandé. La Cour d'appel a ensuite examiné la déposition
que J. A. aurait probablement faite, en se fondant sur ce qu'il avait
déclaré au cours de l'instruction (en tant que témoin à charge). Elle
a conclu qu'il n'avait pas été porté préjudice à la défense de l'auteur
et que la version des faits donnée par J. A. aurait sans doute étayé l'accusation.
Elle a formulé la conclusion suivante : "Laisser entendre que J.
A. aurait pu, s'il n'avait pas été ivre, apporter des preuves testimoniales
favorables [à l'auteur] relève de la simple conjecture et il n'est guère
surprenant, à notre avis, que la défense n'ait pas demandé une suspension
d'audience dans son intérêt."
La plainte
3.1 Quant à la violation des droits conférés à l'auteur par l'article
14, paragraphe 1, du Pacte, le conseil met en lumière que le juge du fond
avait fait savoir aux jurés que, même s'ils estimaient que les faits s'étaient
produits comme l'auteur l'avait dit, ils pouvaient toujours rendre un
verdict de culpabilité. Le conseil estime que c'était là une indication
tendancieuse car, si les jurés pensaient que les faits s'étaient produits
comme l'auteur l'avait déclaré, ce dernier aurait eu le droit d'être acquitté
puisque l'intention criminelle était éliminée. En outre, en passant en
revue les témoignages à l'intention du jury, le juge du fond avait laissé
entendre que ce dernier avait déjà sans doute pris une décision. Le conseil
estime que c'était irrégulier et revenait à inviter le jury à reconnaître
l'auteur coupable d'assassinat. En outre, le conseil est d'avis que la
défense de l'auteur a été sérieusement compromise, car le juge a autorisé
un important témoin à décharge à déposer sous l'influence de l'alcool
et/ou de drogues. Le conseil admet que le juge du fond a dit aux jurés
que le témoin n'était guère fiable, mais il objecte que, néanmoins, le
juge n'aurait pas dû saisir le jury de la déposition qui était défavorable
à l'auteur et lui permettre de l'utiliser dans ses délibérations. Dans
ces circonstances, le juge aurait dû suspendre l'audience pour que J.
A. désenivre. A cet égard, le conseil renvoie à la décision écrite de
la Cour d'appel.
3.2 Il est soutenu que les irrégularités commises dans l'admission des
preuves, les indications données aux jurés et les observations que le
juge a faites en récapitulant les témoignages ont privé l'auteur d'un
procès équitable.
3.3 Le conseil souligne que l'assassinat présumé s'est produit en août
1979, que V. B. a été jugé pour la première fois et a interjeté appel
quelque temps après et que l'affaire n'a pas été portée une deuxième fois
devant la justice avant mai 1983, soit près de quatre ans après le crime.
L'ajournement a alors été prononcé parce que l'auteur n'avait pas de représentant.
Il y a eu un nouveau renvoi de près de trois ans, essentiellement parce
que l'auteur n'avait toujours pas de conseil. L'auteur a finalement comparu
en mars 1986, près de sept ans après les faits. Le conseil admet que ce
retard est pour partie dû à l'auteur qui n'a pas réussi à engager lui-même
un avocat et a omis de demander à nouveau une assistance judiciaire après
son premier procès. Il affirme que, néanmoins, la révision du procès est
intervenue au bout d'un laps de temps inacceptable, en violation de l'article
14, paragraphe 3 c).
Renseignements et observations de l'Etat partie
4. L'Etat partie admet que l'auteur a épuisé tous les recours internes
disponibles. Il n'élève pas d'objection quant à la recevabilité de la
communication.
Délibérations du Comité et questions dont il est saisi
5.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le
Comité des droits de l'homme, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, décide si la communication est ou n'est pas recevable en vertu
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2 Bien que l'Etat partie n'élève pas d'objection quant à la recevabilité
de la communication, il est du devoir du Comité de s'assurer que toutes
les conditions de recevabilité énoncées dans le Protocole facultatif ont
été réunies. Le Comité a donc examiné la recevabilité de la plainte de
l'auteur qui prétend être la victime d'un procès inéquitable a) parce
que le juge a autorisé un important témoin à décharge à faire une déposition
alors qu'il était sous l'influence de l'alcool ou de drogues, déposition
dont le jury a été saisi et qu'il appartenait au jury d'accepter ou de
rejeter, et b) parce que le juge aurait donné des indications et formulé
des observations irrégulières au jury. A cet égard, le Comité rappelle
qu'il a toujours invariablement décidé qu'il appartenait aux juridictions
d'appel des Etats parties et non à lui d'évaluer les faits et les preuves
testimoniales dont étaient saisies les instances nationales. Pareillement,
c'était aux juridictions d'appel et non à lui qu'il incombait d'examiner
le déroulement du procès ou les indications données au jury par le juge
à moins qu'il ne fût déterminé que le déroulement du procès ou les indications
données au jury par le juge étaient manifestement arbitraires ou équivalaient
à un déni de justice. Le dossier dont il était saisi ne lui permettait
pas de considérer que les indications données par le juge ou le déroulement
du procès avaient été entachés de tels vices. En particulier, le Comité
note que la Cour d'appel de Trinité-et-Tobago comme la section judiciaire
du Conseil privé ont examiné ces questions. En conséquence, cette partie
de la communication, étant incompatible avec les dispositions du Pacte,
est irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
5.3 Concernant la prolongation excessive de la procédure judiciaire,
le Comité note, à partir des renseignements dont il dispose, que les retards
qui se sont produits sont essentiellement imputables à l'auteur. Le Comité
conclut qu'à cet égard, l'auteur ne peut invoquer le Pacte en vertu de
l'article 2 du Protocole facultatif.
6. En conséquence, le Comité décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3
du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie, à l'auteur
et à son conseil.
[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol et
français.]
Notes
Le conseil ne donne pas de détails sur le premier procès de l'auteur ni
sur les circonstances du premier recours.