Comité des droits de l'homme
Cinquante-troisième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Cinquante-troisième session -
Communication No 494/1992
Présentée par : Lloyd Rogers [représenté par un conseil]
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 4 avril 1995,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Lloyd Rogers, citoyen jamaïquain
qui attend actuellement d'être exécuté à la prison du district de Sainte-Catherine
(Jamaïque). Il se dit victime d'une violation, par la Jamaïque, des droits
qui lui sont reconnus aux paragraphes 2, 7 et 10 de l'article 6 et 1,
3 et 5 de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques. Il est représenté par un conseil.
Les faits tels qu'ils sont présentés par l'auteur
2.1 Le 21 mars 1994, il a été condamné par la Home Circuit Court de Kingston
pour le meurtre, le 5 juillet 1980, d'une certaine Marjorie Thomas. En
juillet 1983, il avait été jugé pour le même crime mais le jury n'ayant
pas rendu un verdict unanime, ordre avait été donné de le rejuger. Après
sa condamnation, il a demandé à être autorisé à se pourvoir devant la
cour d'appel de la Jamaïque, laquelle a confirmé le jugement, le 18 décembre
1985.
2.2 L'auteur, caporal dans la police, était un ami de la victime, Mme
Thomas. Le 5 juillet 1980, il était allé avec elle et deux autres connaissances
sur une plage de Kingston. Alors qu'elle se baignait, Mme Thomas s'est
noyée. L'auteur a rapporté l'incident au commissariat de police. Le corps
de Mme Thomas a été retrouvé le lendemain. L'autopsie a révélé qu'elle
était morte asphyxiée par strangulation. Selon le médecin légiste, une
abrasion relevée sur la partie droite du cou pourrait avoir été provoquée
par un objet rugueux tel qu'une corde, une ceinture ou un bâton.
2.3 Ayant pris connaissance du rapport d'autopsie, l'inspecteur de police
Thomas avait, le 9 juillet 1980, interrogé l'auteur après l'avoir informé
de ses droits. Dans sa déposition, celui-ci avait déclaré que la défunte
était allée nager, qu'elle avait soudainement plongé, avait refait surface
et avait appelé au secours. L'auteur était allé vers elle et avait tenté
de la tirer hors de l'eau. Ne sachant pas nager, il avait dû renoncer
et avait à son tour appelé à l'aide. Un "rasta" était venu à
son secours mais quand il était arrivé sur les lieux, la victime avait
disparu.
2.4 L'accusation reposait essentiellement sur la déclaration faite par
l'auteur le 9 juillet 1980. Lors de son procès, au banc des accusés, l'auteur
avait fait une déclaration dans laquelle il avait affirmé que la victime
était sa petite amie alors que, précédemment, il avait dit qu'il avait
tenté de la sauver à l'aide d'un bâton dont une extrémité était munie
d'un crochet; il le lui avait passé autour du cou et elle s'y était agrippée
des deux mains mais le courant rendait l'opération difficile. Le "rasta"
avait tenté à son tour de lui porter secours. Ses efforts avaient été
vains. Aucun témoin n'avait été appelé à comparaître à la décharge de
l'auteur.
2.5 L'avocate n'avait pas contesté devant la cour d'appel les faits sur
lesquels reposait l'accusation ni les directives données au jury par le
juge. Elle fondait sa requête sur l'existence d'un élément nouveau, à
savoir que l'une des jurés n'était en réalité pas d'accord avec le verdict
de "culpabilité" mais n'avait jamais exprimé son désaccord ouvertement
devant le tribunal. La cour d'appel a estimé que si la jurée en question
avait effectivement hoché la tête en signe de désaccord, ni l'accusation,
ni la défense durant le procès, ni le juge, ni le greffier du tribunal,
ni le chroniqueur judiciaire ne s'en étaient apparemment aperçu. La cour
d'appel n'avait par conséquent trouvé aucune raison de faire droit au
recours, estimant que les directives données par le juge étaient justes
et détaillées.
2.6 Débouté, l'auteur avait tenté de déposer une demande d'autorisation
spéciale de recours auprès de la Section judiciaire du Conseil privé.
Le 24 mai 1990, l'avocat principal l'avait informé que sa requête serait
rejetée, se fondant, pour l'affirmer, sur la jurisprudence de cette juridiction,
notamment sur la décision que celle-ci avait rendue dans l'affaire R.
c. Lalchan Nanan, dans laquelle le Conseil privé avait refusé d'examiner
une demande d'annulation d'une condamnation à mort qui, en dépit des apparences,
n'avait paraît-il pas été prononcée à l'unanimité des membres du jury.
Au vu de ce précédent, l'avocat ne pense pas qu'une demande d'autorisation
spéciale de recours constitue un recours efficace au sens du Protocole
facultatif.
La plainte
3.1 Le conseil prétend qu'il y a violation des articles 7 et 10 dans
la mesure où un "traitement inhumain et dégradant" serait infligé
à l'auteur, qui attend d'être exécuté dans le quartier des condamnés à
mort.
3.2 Le conseil soutient également que la condamnation de l'auteur, du
fait qu'elle n'a pas été prononcée à l'unanimité des membres du jury,
constitue une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
3.3 Le conseil affirme en outre que l'avocate choisie par l'auteur pour
le défendre l'a mal représenté. À cet égard, il a été déclaré que l'avocate
était absente lors de l'audience préliminaire, n'avait fait comparaître
aucun témoin à décharge, n'avait pas contesté les preuves présentées par
le Procureur et n'avait pas fait correctement appel.
3.4 Le conseil a également soutenu que les témoins à décharge potentiels
avaient été intimidés par la police sans toutefois fournir aucun détail
à ce sujet.
Observations communiquées par l'État partie
4. Dans sa réponse datée du 9 septembre 1992, l'État partie soutient
que la communication est irrecevable parce qu'elle ne révèle aucune violation
du Pacte.
5. Comme suite à la réponse de l'État partie, le conseil fait savoir
qu'il n'a rien à ajouter à sa requête initiale.
Questions et procédures devant le Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte formulée dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit, en application de l'article 87 de son
règlement intérieur, décider si la communication est ou n'est pas recevable
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 S'agissant de l'affirmation de l'auteur selon laquelle sa détention
dans le quartier des condamnés à mort constitue une violation des articles
7 et 10 du Pacte, le Comité renvoie à ses décisions antérieures, selon
lesquelles la détention dans le quartier des condamnés à mort ne constitue
pas en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant, qui équivaille
à une violation de l'article 7 du Pacte / Voir les vues du
Comité sur les communications Nos 210/1986 et 225/1987 (Earl Pratt
et Ivan Morgan c. Jamaïque), adoptées le 6 avril 1989, par.
13.6. Voir aussi, entre autres, les vues du Comité sur les communications
Nos 270/1988 et 271/1988 (Randolph Barret et Clyde Sutcliffe c.
Jamaïque), adoptées le 30 mars 1992, et No 470/1991 (Kindler
c. Canada), adoptée le 30 juillet 1993. Le Comité note que l'auteur
n'a pas indiqué quels étaient les traitements particuliers auxquels il
avait été soumis et qui pouvaient soulever un problème relevant des articles
7 et 10 du Pacte. Cette partie de la communication est donc irrecevable
en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.3 Le Comité considère en outre que le conseil n'a pas étayé, aux fins
de la recevabilité, ses allégations selon lesquelles l'avocate qui avait
défendu l'auteur l'avait mal représenté et le verdict du jury n'avait
pas été unanime, autant de circonstances qui constituaient une violation
du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Cette partie de la communication
est donc irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
7. Le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et au conseil
de l'auteur.
[Texte adopté en anglais, espagnol et français, le texte anglais étant
la version originale. Ce texte sera également publié par la suite en arabe,
chinois et russe dans le cadre du rapport annuel que le Comité présentera
à l'Assemblée générale.]