Comité des droits de l'homme
Quarante-septième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Quarante-septième session -
Communication No 496/1992
Présentée par : T. P. [nom supprimé]
Au nom de : L'auteur
Etat partie intéressé : Hongrie
Date de la communication : 19 septembre 1990 (date de la première
communication)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 30 mars 1993,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. La communication, datée du 19 septembre 1990, a pour auteur T. P.,
citoyen hongrois né le 11 août 1924 et résidant actuellement à Budapest
(Hongrie). L'auteur affirme être victime d'une violation par la Hongrie
des articles 6, 7, 9, 12, 14, 17, 18, 19 et 25 du Pacte. La Hongrie est
partie au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif
aux droits civils et politiques depuis le 7 décembre 1989.
Les faits présentés
2.1 L'auteur déclare avoir servi sous les drapeaux vers la fin de la
seconde guerre mondiale. Après la guerre, il a été déporté en Union soviétique
pour travailler dans des camps de travail. A son retour en Hongrie, il
a hérité la moitié du patrimoine immobilier de sa mère décédée, ce qui
l'a fait considérer comme un "koulak". Bien qu'il ait obtenu
un doctorat en droit, il n'a pas été autorisé à exercer sa profession.
Ses biens immobiliers ont été nationalisés. Une législation récemment
adoptée lui donne droit à indemnisation, mais l'auteur déclare que la
réparation prévue par cette loi est totalement insuffisante.
2.2 L'auteur affirme avoir été blessé pendant le soulèvement politique
de 1956. En 1960, il aurait été enlevé par la police secrète; en 1961,
il a été condamné à 15 ans de prison. En 1966, il a commencé une grève
de la faim pour protester contre son maintien en détention et des conditions
carcérales qualifiées d'inhumaines. Au bout de six semaines, il a été
transféré à l'h_pital psychiatrique de la prison, où il a été soumis à
des "électrochocs et chocs insuliniques". L'auteur affirme y
avoir été retenu jusqu'en 1971, toujours dans des conditions d'isolement.
En avril 1971, il a été transféré dans un h_pital psychiatrique civil;
il a été autorisé à en sortir en novembre 1971. Il a été de nouveau détenu
en h_pital psychiatrique pour de brefs séjours en 1981 et 1982.
2.3 L'auteur prétend que la police secrète l'a empêché de trouver un
emploi. Il affirme que s'il avait travaillé pendant plus de six mois,
son statut juridique de malade mental aurait été révoqué. Les interventions
de la police secrète l'auraient empêché d'obtenir autre chose que du travail
de traducteur en pratique libre. Selon lui, cette discrimination se poursuit,
et il met en cause à ce propos le Ministère des relations économiques
internationales qui, le 12 novembre 1991, a refusé de l'engager comme
juriste alors qu'il remplissait toutes les conditions requises.
2.4 L'auteur prétend avoir été enlevé huit fois par la police secrète.
Il a dans chaque cas porté plainte auprès du Procureur public général
mais des sanctions disciplinaires n'ont été prises contre les officiers
en cause qu'une seule fois, en juin 1988.
2.5 L'auteur ajoute que son passeport lui a été retiré le 24 septembre
1986 — ce qui l'empêchait de quitter le pays — au motif qu'il
ne s'était pas comporté en bon citoyen hongrois pendant un voyage en Europe
occidentale en 1986. Il a été débouté de son appel contre cette décision,
laquelle a cependant été rapportée en septembre 1990, après plainte de
l'auteur auprès du Ministre des affaires intérieures.
2.6 A plusieurs reprises (l'auteur cite précisément des manifestations
du 15 mars 1990 et du 1er juin 1991), des allocutions et déclarations
qu'il aurait prononcées n'auraient pas été diffusées par la télévision,
au contraire de celles que faisaient d'autres personnes dans les mêmes
circonstances. Il soutient d'autre part que les autorités hongroises ont
empêché ses articles et ses déclarations de paraître dans les journaux.
A propos d'une allocution qu'il avait prononcée en novembre 1988 à une
conférence internationale sur la paix, il a, mais sans succès, entamé
une action en diffamation contre le rédacteur en chef d'un journal qui
avait rendu compte de la manifestation.
La plainte
3.1 L'auteur veut recouvrer sa "dignité humaine". Il prétend
que les autorités l'ont qualifié à plusieurs reprises de "malade
mental".
3.2 L'auteur prétend être victime d'une violation des articles suivants
du Pacte :
a) L'article 6, parce que, bien qu'il ait survécu "à la tentative
du léninisme de liquider les classes sociales supérieures", il
a été spolié de tous ses biens et empêché d'exercer sa profession;
b) L'article 7, parce qu'il est resté au régime cellulaire pendant plus
de huit ans et a été soumis à des électrochocs et à un autre traitement
inhumain et dégradant entre 1966 et 1971;
c) L'article 9, parce qu'il a été arbitrairement privé de sa liberté
pendant de nombreuses années;
d) L'article 12, parce qu'il n'a pas été autorisé à quitter le pays
entre septembre 1986 et septembre 1990;
e) L'article 14, parce qu'on ne lui a pas donné l'occasion de prouver
au cours d'un procès équitable que les mesures que les autorités avaient
prises contre lui étaient abusives;
f) L'article 17, parce que les services secrets sont intervenus à maintes
reprises dans sa vie privée; il mentionne à ce propos des lettres recommandées
qui ne lui sont jamais parvenues;
g) Les articles 18 et 19, parce que ses écrits ne sont toujours pas
publiés;
h) L'article 25, parce que seuls ceux qui sont disposés à transiger
avec les autorités ont la possibilité de prendre une part active à la
vie politique.
3.3 L'auteur prétend que les violations en question ont des effets persistants,
qui constituent en eux-mêmes des infractions du Pacte, en ce que les autorités
refusent de le réhabiliter et continuent de réprimer sa liberté d'opinion.
3.4 Pour ce qui est de l'épuisement des recours internes, l'auteur déclare
qu'il réclame un procès équitable depuis 1964. En 1981, la Cour municipale
de Budapest a jugé que son traitement en service psychiatrique était légal
et que rien ne s'y opposait. En 1982, l'auteur a porté plainte auprès
du Procureur général public pour exiger l'abolition des méthodes du KGB.
Il s'est également plaint auprès de l'Académie internationale de la médecine
légale et sociale, au cours d'un congrès tenu à Budapest en septembre
1985, mais en vain.
Délibérations du Comité et questions dont il est saisi
4.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2 Le Comité rappelle que c'est le 7 décembre 1988 que le Protocole
facultatif est entré en vigueur pour la Hongrie. Faisant observer que
le Protocole facultatif n'a pas d'effet rétroactif, il conclut qu'il ne
peut, ratione temporis, examiner des faits survenus avant le 7
décembre 1988, à moins que les violations dénoncées ne se poursuivent
après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour le pays en cause,
ou qu'elles n'aient des effets qui constituent en eux-mêmes une violation
du Pacte. Le Comité conclut donc qu'il n'est pas habilité à examiner les
allégations de l'auteur concernant les violations des droits visés aux
articles 6, 7, 9, 14 et 17 du Pacte.
4.3 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur selon laquelle il serait
victime d'une violation par l'Etat partie de l'article 12 du Pacte, le
Comité fait observer que l'Etat partie a annulé la mesure de privation
de passeport en septembre 1990, ce qui a résolu la situation. L'auteur
ne peut donc invoquer à ce propos l'article 2 du Protocole facultatif.
4.4 Pour ce qui est enfin des autres allégations de l'auteur, le Comité
les considère non étayées aux fins de la recevabilité et donc irrecevables
en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
5. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et, pour information,
à l'Etat partie.
[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol et
en français.]