Comité des droits de l'homme
Cinquante et unième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et
politiques
- Cinquante et unième session -
Communication No 498/1992*
Présentée par : Zdenek Drbal
Au nom de : L'auteur
État partie : République tchèque
Date de la communication : 30 août 1991 (lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 juillet 1994,
Adopte le texte ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication (datée du 30 août 1991) est Zdenek Drbal,
citoyen tchèque résidant actuellement à Brno (République tchèque). Il
présente une communication en son propre nom et au nom de sa fille Jitka.
Il affirme qu'ils sont victimes d'une violation de leurs droits de l'homme
par la République tchèquea.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a vécu avec sa fille, née le 6 mars 1983, et la mère de
celle-ci jusqu'en 1985, année où, en raison du comportement agressif qu'aurait
manifesté cette dernière, il est allé habiter chez ses parents avec sa
fille. La mère a ensuite été hospitalisée dans un établissement psychiatrique
et l'enfant, qui souffrait des séquelles des mauvais traitements que sa
mère lui avait infligés, a suivi un traitement ambulatoire.
2.2 Le 23 mai 1985, l'auteur a demandé au tribunal de district de Brno
de lui confier la garde de son enfant. Le médecin qui avait suivi celle-ci
a témoigné en sa faveur; un autre expert a témoigné en faveur de la mère.
Le 8 septembre 1986, le tribunal de district a décidé de confier la garde
de l'enfant à la mère. Le père a continué de vivre avec l'enfant et a
fait appel devant la juridiction régionale de Brno, laquelle a confirmé
la décision le 11 mars 1987. Le 16 mars 1987, l'auteur a déposé plainte
pour violation de la loi auprès du Procureur général, lequel, le 17 décembre
1987, l'a informé qu'il ne porterait pas l'affaire devant la Cour suprême
car il estimait que le jugement et les procédures étaient conformes au
droit. L'auteur affirme avoir épuisé les recours internes, étant donné
que seul le Procureur général a qualité pour porter une affaire devant
la Cour suprême.
2.3 L'auteur continue de vivre avec sa fille car, selon lui, la mère
de celle-ci souffre toujours de troubles psychiques et est agressive,
ne manifestant aucun intérêt pour l'enfant. Il prétend qu'elle ne contribue
pas financièrement à l'entretien de celle-ci, ne vient jamais la voir
et est incapable de s'en occuper.
2.4 Le 13 juillet 1988, accompagnés d'un juge du tribunal de district
de Brno, de la mère de l'enfant et de son conseiller juridique, des policiers
se sont présentés au domicile de l'auteur où il vit avec sa fille et ses
parents. Ils n'ont pas réussi à emmener l'enfant de force. L'auteur a
ensuite déposé une plainte auprès du bureau de l'Assemblée fédérale qui
l'a transmise, le 20 octobre 1988, au Procureur général. Le 8 décembre
1988, celui-ci l'a informé que la tentative faite pour exécuter la décision
du tribunal était légale.
2.5 L'auteur prétend qu'il a adressé de nouvelles lettres au Président
de la Cour suprême et au bureau du Président de la Tchécoslovaquie, sans
résultat.
2.6 Il affirme que le 11 octobre 1988, le Conseil de district a porté
plainte contre lui pour entrave à l'action de la justice. Il n'a cependant
pas été poursuivi car il a bénéficié d'une amnistie générale prononcée
le 28 octobre 1988.
2.7 Le 16 mai 1988, l'auteur a demandé au tribunal de district de changer
officiellement le lieu de résidence de sa fille. Ce tribunal se déclarant
incompétent, la demande a été examinée par le tribunal municipal qui l'a
rejetée le 24 juin 1991. L'auteur a ensuite écrit au Procureur général
et au Président de la Cour suprême, mais sans résultat.
2.8 L'auteur souligne qu'il n'a pas légalement la garde de l'enfant bien
qu'elle vive avec lui, et que la décision du tribunal la confiant à la
mère demeure exécutoire. Il fait valoir qu'il vit dans la crainte constante
qu'on lui enlève son enfant.
Teneur de la plainte
3.1 Bien qu'il n'invoque pas un article précis du Pacte, il semble que
l'auteur estime que lui et sa fille sont victimes d'une violation, par
la République tchèque, du paragraphe 1 de l'article 14, du paragraphe
1 de l'article 23 et du paragraphe 1 de l'article 24 du Pacte.
3.2 L'auteur affirme que son ex-beau-père a déclaré, en 1985, qu'il avait
des amis au tribunal de Brno et qu'il veillerait à ce que la garde de
l'enfant ne lui soit pas confiée. Il affirme que le Président du tribunal
de district de Brno a fait preuve de partialité à son égard et que le
témoignage d'un des experts déclarant que la mère était en mesure de s'occuper
de l'enfant était faux. Il prétend qu'il y a eu conspiration contre lui
pour lui enlever l'enfant. Le Président du tribunal régional de Brno lui
aurait dit avant d'examiner l'affaire qu'il statuerait contre lui. En
outre, il ne lui aurait pas donné la possibilité d'exposer son point de
vue pendant que l'affaire était en jugement. L'auteur dit que ce juge
a été révoqué en 1990. Il prétend également qu'un membre du tribunal municipal
de Brno l'a menacé, le 24 juin 1991, l'accusant d'avoir enlevé l'enfant.
3.3 L'auteur affirme que le refus de la justice de lui confier la garde
de son enfant, bien que des experts aient récemment déclaré que la mère
était incapable de s'en occuper, constitue une violation au regard des
droits de l'homme. Il soutient que les autorités tchèques estiment qu'un
enfant doit rester avec sa mère, quelles que soient les circonstances,
sans se préoccuper de son intérêt.
Réponse de l'État partie et commentaires de l'auteur
4. Par une communication en date du 10 février 1994, l'État partie a
fourni des renseignements sur les recours disponibles en République tchèque
et a confirmé que l'auteur avait épuisé les recours disponibles à l'époque
où il a adressé sa communication au Comité. L'État partie précise que,
depuis cette date, les citoyens ont également le droit d'adresser un recours
à la Cour constitutionnelle mais que l'on ne voit pas clairement si l'auteur
s'est prévalu de ce droit.
5. Dans ses commentaires, l'auteur affirme qu'il a adressé, le 28 janvier
1992, un recours à la Cour constitutionnelle mais que celle-ci l'a déclaré
irrecevable le 22 avril 1992. L'auteur affirme qu'il ne dispose donc d'aucun
autre recours interne. Il ajoute que sa fille vit toujours avec lui et
qu'elle est en bonne santé.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, vérifier si cette communication est ou n'est pas recevable
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que l'État partie n'a soulevé aucune objection quant
à la recevabilité de la communication et a confirmé que l'auteur avait
épuisé les recours internes. Néanmoins, il incombe au Comité de déterminer
si tous les critères relatifs à la recevabilité énoncés dans le Protocole
facultatif sont réunis.
6.3 Le Comité constate en outre que l'auteur affirme que les tribunaux
étaient prévenus contre lui et que c'est à tort qu'ils ont décidé d'accorder
la garde de sa fille à la mère et non à lui, et de ne pas changer le lieu
de résidence officiel de l'enfant. Cette plainte porte essentiellement
sur l'évaluation des faits et des éléments de preuve par le tribunal.
Le Comité rappelle que c'est généralement aux tribunaux des États parties
au Pacte et non au Comité qu'il appartient d'évaluer les faits et les
éléments de preuve dans un cas donné, à moins qu'il n'apparaisse que les
décisions des tribunaux sont manifestement arbitraires ou équivalent à
un déni de justice. Dans le cas considéré, qui a trait à la question complexe
de la garde d'un enfant, le Comité n'a pas la preuve que les décisions
des tribunaux tchèques ou le comportement des autorités tchèques ont été
arbitraires. La communication est donc irrecevable en vertu de l'article
3 du Protocole facultatif.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole
facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et à l'État
partie.
_____________
* Opinion individuelle présentée par M. Bertil Wennergren
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.]
Note
a Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la République
fédérale tchèque et slovaque le 12 juin 1991. Le 31 décembre 1992, la
République fédérale tchèque et slovaque a cessé d'exister. Le 22 février
1993, la République tchèque a notifié sa succession au Pacte et au Protocole
facultatif s'y rapportant avec effet rétroactif au 1er janvier 1993.
APPENDICE
Opinion individuelle concernant la communication No 498/1992
(Zdenek Drbal c. République tchèque), présentée par M. Bertil
Wennergren
Dans sa communication, l'auteur s'élève contre les décisions des tribunaux
tchèques qui ont confié la garde de sa fille Jitka, née le 6 mars 1983,
à sa mère Jana Drbalova. Sa plainte porte essentiellement sur les jugements
prononcés par le tribunal de district de Brno-venkov (P 120/85), le tribunal
régional de Brno (jugement No 12 CO 626/86) et le tribunal municipal de
Brno (décision du 24 juin 1991) et sur la façon dont les procédures se
sont déroulées. Mais, à mon sens, ce qui est aussi en cause c'est l'intérêt
de sa fille.
L'auteur a informé le Comité que Jitka n'était pas bien traitée par
sa mère et qu'en 1985 un médecin local, le Dr Anna Vrbikova, avait alerté
le Service de protection infantile de l'administration du district. La
mère de Jitka ayant par la suite été hospitalisée dans un établissement
psychiatrique pour y être traitée, l'auteur était allé habiter chez ses
parents avec Jitka. Il avait demandé au tribunal du district de Brno-venkov
de lui confier la garde de Jitka. Traumatisée parce qu'elle aurait été
délaissée par sa mère, la fillette suivait un traitement ambulatoire à
la section psychiatrique de l'h_pital universitaire de Brno, sous la supervision
du médecin-chef, le Dr Vratislav Vrazal. Celui-ci a témoigné devant le
tribunal. D'après l'auteur, le médecin aurait déclaré que Jitka était
satisfaite de l'existence qu'elle menait avec son père et que, d'un point
de vue médical, il ne recommandait pas que la fillette soit retirée à
son père. Un autre expert, le Dr Vera Capponi, a déclaré que la mère de
Jitka était parfaitement capable de s'occuper de sa fille et qu'elle était
mieux en mesure de le faire que l'auteur. Dans sa décision du 8 septembre
1986, le tribunal a décidé de confier la garde de Jitka à sa mère. Le
tribunal régional de Brno a confirmé ce jugement dans sa décision du 11
mars 1987. Toutefois, l'auteur a refusé de remettre Jitka à sa mère. Le
13 juillet 1988, une tentative d'exécution des jugements rendus par les
tribunaux a été faite, avec le concours de la police, pour remettre Jitka
à sa mère. Un membre du Service de protection infantile de l'administration
du district de Brno-venkov était présent sur les lieux, ainsi que le Président
du tribunal et la mère de Jitka accompagnée de son conseiller juridique.
Jitka, alors âgée de 5 ans, ayant refusé de quitter le domicile de son
père, cette tentative se solda par un échec. Deux mois auparavant, l'auteur
avait adressé au tribunal de district une requête en révision du jugement
attribuant la garde de l'enfant à sa mère. Dans un rapport daté du 17
juillet 1989, deux experts en psychiatrie et en psychologie, le Dr Marta
Holanova et le Dr Marta Skulova, auraient déclaré que l'auteur était capable
d'élever seul sa fille et que, au cas où elle lui serait enlevée de force,
la santé de celle-ci en pâtirait. Le tribunal de district a renvoyé sa
requête devant le tribunal municipal de Brno, qui l'a rejetée le 24 juin
1991. Jitka était alors âgée de 8 ans; elle en a maintenant 11 et vit
toujours avec l'auteur et les parents de celui-ci.
Rien, dans les informations communiquées au Comité, ne fait apparaître
que les décisions des tribunaux ont été manifestement arbitraires ou qu'elles
équivalent à un déni de justice. Toutefois, ni les procès verbaux d'audience,
ni les jugements motivés n'ont été mis à la disposition du Comité. Selon
toute probabilité, ils ne feraient pas apparaître de déni de justice flagrant.
Ce qui, en revanche, me paraît être un réel sujet de préoccupation, c'est
que la situation créée, après les jugements rendus par les tribunaux —
jugements qui n'ont pu être exécutés — aboutit à une anomalie de
fait qui risque d'empêcher un développement sain et équilibré de la fillette
et son plein épanouissement. L'auteur soutient que, tant que la mère a
légalement la garde de la fillette, la santé de cette dernière risque
d'en pâtir. Elle ne peut pas aller et venir librement, en particulier
à l'école, puisqu'elle risque en permanence d'être emmenée de force et
transplantée dans un milieu inconnu. Elle ne connaît pas sa mère. Tous
ces facteurs font qu'elle est perturbée mentalement. Cette situation anormale
et alarmante est le résultat, intentionnel ou non, de l'action des tribunaux,
qui n'ont pas su régler l'affaire correctement, comme il est désormais
clair. Cette carence de la justice va, à mon sens, à l'encontre de l'intérêt
de l'enfant. J'estime donc que la communication soulève des questions
au titre du paragraphe 1 de l'article 24 du Pacte, qui dispose que tout
enfant a droit à des mesures de protection appropriée de la part de sa
famille, de la société et de l'État. En conséquence, je considère que
la communication est recevable à cet égard.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.]