Comité des droits de l'homme
Cinquantième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
Cinquantième session
Communication No 502/1992
Présentée par : S. M. [nom supprimé] (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
État partie : Barbade
Date de la communication : 12 mai 1992
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 mars 1994,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est S. M., citoyen trinidadien, résidant
à la Trinité. Il affirme être victime d'une violation par la Barbade du
paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur est propriétaire et actionnaire unique d'une société barbadienne,
la S. Foods Limited, qui fait le commerce de produits alimentaires barbadiens,
notamment de produits congelés, conservés dans des installations frigorifiques
dans ses propres locaux. La société a assuré son stock auprès de la Caribbean
Home Insurers Limited, contre les pertes et dégâts causés par des variations
de température dues à une défaillance partielle ou totale des installations
frigorifiques résultant de l'un quelconque des risques couverts.
2.2 En novembre 1985, il perdit une certaine quantité de homards pour
cause de dégâts des eaux à la suite de fortes pluies. Selon l'auteur,
cette perte se montant à 193 689,18 dollars de la Barbadea,
était couverte par l'assurance, mais la compagnie d'assurances déclina
toute responsabilité. Le 8 avril 1986, S. Foods engagea contre la compagnie
d'assurances une action au civil devant la Haute Cour (High Court)
de la Barbade. Le procès devait avoir lieu le 3 juin 1987.
2.3 Le 16 mai 1987, la compagnie d'assurances sollicita une ordonnance
enjoignant à S. Foods de déposer une consignation pour frais de procédure,
au motif que la société avait de graves difficultés financières qui la
mettraient dans l'incapacité de rembourser les dépens à la compagnie d'assurances
si elle perdait son procès. Le 26 mai 1987, le juge enjoignit à S. Foods
de verser la consignation et ajourna les débats jusqu'à ce qu'elle se
fût exécutée; le montant de la consignation était fixé à 20 000 dollars.
2.4 L'auteur déclare que la loi n'habilitait pas le juge à enjoindre
à sa société de déposer la consignation. La disposition de la loi sur
les sociétés qui stipulait qu'une société pouvait être sommée de présenter
une garantie pour le paiement des frais de la défense dans un procès civil
avait été abrogée le 1er janvier 1985. L'auteur fait en outre observer
qu'à ce jour son affaire n'a pas été entendue par le tribunal du fait
que sa société n'a pas été en mesure de verser la consignation. Il déclare
que sa société n'a pas fait appel contre l'injonction parce que, même
si la Cour d'appel l'avait autorisée à se pourvoir, elle l'aurait sommé
de déposer une consignation pour les frais d'appel, probablement d'un
montant de 15 000 dollars de la Barbade, et que S. Foods n'aurait pas
été en mesure de le faire.
2.5 L'auteur soutient que la compagnie d'assurances n'était nullement
fondée en droit à s'élever contre la demande de remboursement, qu'elle
aurait certainement perdu le procès et qu'elle n'a demandé le dépôt d'une
consignation que pour freiner la procédure et retarder la décision du
tribunal.
2.6 Le 26 juin 1987, S. Foods demanda réparation à la Haute Cour au titre
de l'article 24 de la Constitution. Elle soutenait dans sa requête que
l'ordonnance du juge violait son droit constitutionnel d'accès au tribunal
pour détermination de ses droits et obligations civils ainsi que son droit
d'être entendu dans un délai raisonnable. Le 8 décembre 1988, la Haute
Cour a rejeté sa requête. Le 26 février 1990, son pourvoi contre ce jugement
fut rejeté par la Cour d'appel de la Barbade. Par la suite, S. Foods demanda
une autorisation spéciale de recours à la section judiciaire du conseil
privé, qui la lui refusa le 20 janvier 1992. Injonction fut faite à la
société de l'auteur de s'acquitter des dépens afférents aux procédures
d'appel.
2.7 Les tribunaux ont reconnu, ainsi que l'auteur l'avait fait observer,
que le juge n'était pas habilité par la loi à enjoindre à sa société de
verser une consignation; ils ont néanmoins rejeté la demande de réparation
en vertu du paragraphe 2 de l'article 24 de la Constitution, qui stipule
que la Haute Cour n'exerce pas les pouvoirs que lui confère la Constitution
en matière de réparation lorsque des moyens de réparation adéquats sont
ou ont été prévus par toute autre loi. Ils ont considéré que le préjudice
allégué par la société de l'auteur du fait de l'injonction de déposer
une consignation pour frais de procédure aurait pu être réparé si le droit
de recours devant la Cour d'appel avait été exercé.
2.8 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur selon laquelle ce recours
n'était pas efficace puisque sa société risquait de recevoir une injonction
de présenter une consignation pour frais d'appel qui était au-delà de
ses moyens, le Conseil privé a considéré que S. Foods aurait dû commencer
par se prévaloir du recours avant de décréter son inutilité. À cet égard,
le Conseil privé a estimé qu'il était extrêmement improbable, étant donné
les circonstances de la cause, que la Cour d'appel eût enjoint à l'auteur
de verser une consignation et que, si elle l'avait fait, celle-ci aurait
été d'un montant que S. Foods aurait pu payer.
Teneur de la plainte
3. L'auteur se déclare victime d'une violation de l'article 14 du Pacte
puisqu'il n'a pas eu droit à ce que sa cause soit entendue équitablement
et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, aux
termes du paragraphe 1 dudit article.
Observations de l'État partie et commentaires de l'auteur
4.1 Dans ses observations du 14 juin 1993, l'État partie affirme que
la communication est irrecevable. Il soutient que l'auteur n'a apporté
aucun élément à l'appui de son allégation, selon laquelle il n'aurait
pas eu droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement
conformément à l'article 14 du Pacte. Il estime que même si l'injonction
de verser une consignation était illégale au regard de la législation
barbadienne, elle ne constitue pas une violation de l'article 14.
4.2 L'État partie affirme en outre que l'auteur n'a pas épuisé les recours
internes et qu'il a eu à tout moment le droit de faire appel contre l'injonction
du juge, mais qu'il ne l'a pas fait, sans pour autant avancer de raison
valable. À cet égard, l'État partie affirme que la Cour d'appel lui aurait
certainement donné l'autorisation de se pourvoir et qu'il était inconcevable
qu'elle l'eût sommé de déposer une consignation pour frais d'appel, l'objet
du recours étant précisément une injonction de verser un cautionnement.
L'État partie soutient que l'auteur d'une plainte doit commencer par se
prévaloir des moyens de recours disponibles avant d'affirmer que les recours
internes disponibles sont inutiles.
4.3 À cet égard, l'État partie rappelle qu'à l'audience devant le Conseil
privé, les juges ont souligné que S. Foods Limited pouvait encore demander
une autorisation de recours et qu'il était inconcevable que la Cour d'appel
ne la lui accorde pas ou exige le versement d'une garantie.
5.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'État partie, le conseil
de l'auteur affirme qu'il aurait été inutile d'interjeter appel contre
l'injonction du juge devant la Cour d'appel, car la compagnie d'assurances
aurait pu demander le dépôt d'une garantie conformément à la loi en vigueur
s'appliquant aux recours. À cet égard, l'auteur soutient que l'indication
du Conseil privé, selon laquelle la Cour d'appel n'aurait peut-être pas
enjoint à l'auteur de verser une consignation, ou, si elle l'avait fait,
que celle-ci n'aurait peut-être pas été d'un montant élevé, n'était qu'une
simple supposition.
5.2 Il soutient en outre que la réparation qu'aurait permis d'obtenir
un recours aurait été insuffisante; car elle aurait simplement consisté
à annuler l'ordonnance du juge et n'aurait pas réparé le retard occasionné
par celle-ci. Toutefois, en vertu de l'article 24 de la Constitution,
la Haute Cour aurait pu non seulement annuler l'ordonnance du juge, mais
aussi allouer des dommages-intérêts, en compensation du fait que le procès
n'avait pu avoir lieu dans les délais normaux, ce qui aurait constitué
une réparation plus appropriée. À cet égard, le conseil soutient que la
décision du juge a ralenti encore une affaire qui présentait un caractère
d'urgence, car de sa solution dépendait la capacité de la société de continuer
à tourner.
5.3 L'auteur souligne que les tribunaux locaux et le Conseil privé ont
mal interprété l'article 24 de la Constitution qui, selon lui, garantit
réparation en première instance à partir du moment où un droit fondamental
a été violé. Le conseil fait valoir que les tribunaux et le Conseil privé,
considérant que l'injonction de verser une garantie violait effectivement
le droit de la société d'accéder aux tribunaux, auraient dû annuler l'injonction
et allouer des dommages-intérêts à l'auteur.
5.4. L'auteur fait observer que, s'il demandait une autorisation de recours
devant la Cour d'appel hors délai, ainsi que l'avait suggéré le Conseil
privé, il aurait des frais supplémentaires sans garantie de résultat.
Il souligne à nouveau que l'erreur juridique faite par le juge de la Haute
Cour équivaut à un déni de son droit fondamental à ce que sa cause soit
entendue par le tribunal.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte présentée dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son
règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en
vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que l'auteur a présenté sa communication alléguant
qu'il était victime d'une violation de son droit d'accéder aux tribunaux
en vertu du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, parce que le juge de
l'instance initiale avait enjoint à la société dont il était propriétaire
et seul actionnaire de verser une consignation et avait alors ajourné
le procès jusqu'au paiement de celle-ci. Essentiellement, l'auteur fait
valoir devant le Comité des violations des droits de sa société. Bien
qu'il en soit l'unique actionnaire, la société a sa personnalité juridique
propre. Tous les recours internes évoqués dans l'affaire en cause ont
été introduits en fait au nom de la société et non en celui de l'auteur.
6.3 En vertu de l'article 1 du Protocole optionnel, seuls les particuliers
sont habilités à adresser des communications au Comité des droits de l'homme.
Le Comité considère que l'auteur, en alléguant des violations des droits
de sa société, auxquels les protections prévues par le Pacte ne sont pas
applicables, n'est pas fondé dans sa requête aux termes de l'article 1
du Protocole optionnel.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 1 du Protocole
facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie, à l'auteur
et à son conseil.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.]
Note
a 1 dollar de la Barbade = 0,5 dollar É.-U.