Comité des droits de l'homme
Cinquante-et-unième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Cinquante-et-unième session -
Communication No 504/1992
Présentée par : Denzil Roberts (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
État partie : Barbade
Date de la communication : 1er juin 1992 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 19 juillet 1994,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Denzil Roberts, citoyen barbadien,
né en 1963, en instance d'exécution à la prison de Glendairy (Barbade).
Il affirme être victime de violations par la Barbade des articles 6, 7
et 14, paragraphe 3 c) du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur et son coaccusé, C. T., ont été arrêtés en août 1985 et
accusés d'avoir assassiné, en juillet 1985, un certain M. C. Ils ont été
jugés en janvier 1986. C. T. a été reconnu coupable du fait dont il était
accuséa. Les jurés ne s'étant pas mis d'accord sur la culpabilité
de l'auteur, un nouveau procès a eu lieu et, le 24 avril 1986, l'auteur
a été reconnu coupable de meurtre et condamné à mort. Le recours qu'il
a formulé devant la Cour d'appel de la Barbade a été rejeté le 11 mars
1988; la Cour a produit son arrêt écrit le 17 juin 1988. L'auteur s'est
alors pourvu en appel devant la section judiciaire du Conseil privé. Mais
l'avocat principal à Londres l'a informé qu'il ne servait à rien de saisir
le Conseil privé.
2.2 Le réquisitoire était fondé uniquement sur des aveux écrits faits
par l'auteur le 12 août 1985. Lors du procès, alors qu'il n'était pas
sous serment, l'auteur a déclaré avoir été forcé par la police de signer
sa confession et a clamé son innocence. Il a affirmé l'avoir signée sous
la contrainte, y ayant été amené par les brutalités de la police qu'il
l'y aurait encouragé d'autre part par un marchandage. Cette déposition
a été retenue comme élément de preuve après examen préliminaire.
2.3 L'auteur a été reconnu coupable par application de la qualification
de meurtre avec l'intention implicite de nuire, c'est-à-dire une intention
délictuelle qui n'est pas établie par la preuve directe d'une intention
d'infliger un préjudice, mais par déduction, en constatant les effets
inévitablement préjudiciables des actes commisb. Instruisant
le jury, le juge avait dit aux jurés que s'ils estimaient que la déposition
(c'est-à-dire les aveux de l'auteur) était spontanée et qu'il en ressortait
que l'auteur et C. T. avaient formé ensemble le dessein de commettre un
vol et que C. T. était allé au-delà de ce dessein et avait assassiné M.
C., et que l'auteur n'était nullement impliqué dans le dessein de donner
la mort, si donc ils avaient un doute à son sujet, ils devaient le déclarer
non coupable. Si, en revanche, ils acquéraient la conviction que le dessein
commun de commettre un vol au préjudice de M. C. incluait le recours à
tous moyens qui seraient nécessaires pour atteindre cet objectif ou leur
permettre de s'enfuir sans crainte d'être identifiés par la suite, et
que l'auteur était présent, fournissant aide et assistance, et avait participé
pleinement au meurtre de M. C. en lui liant les pieds avec du fil électrique
tandis que C. T. braquait sur celui-ci un revolver, puis en prenant à
son tour le revolver pour le braquer sur M. C. tandis que C. T. lui passait
du fil autour du cou pour l'étrangler, alors ils devaient déclarer l'auteur
coupable de meurtre.
2.4 Le 23 mai 1992, il a été donné lecture à l'auteur d'un mandat pour
son exécution le 25 mai 1992. Son avocat a immédiatement déposé une requête
constitutionnelle en son nom et un sursis à exécution lui est accordé
le 24 mai 1992. Le 29 septembre 1992, le tribunal de première instance
a rejeté la requête constitutionnellec; le recours formé par
l'auteur contre la décision du tribunal de première instance a été rejeté
par la Cour d'appel de la Barbade le 2 avril 1993. Une demande d'autorisation
aux fins de l'introduction d'un recours contre le rejet de la requête
constitutionnelle par les tribunaux de la Barbade est en instance devant
la section judiciaire du Conseil privé.
2.5 Le recours contre le rejet de la requête constitutionnelle en l'affaire
de l'auteur se fondait sur les moyens ci-après :
a) La règle de l'intention implicite de nuire dans les cas de meurtre
et les sections 2 et 3 du titre 141 de la loi relative aux infractions
contre les personnes (qui rend la peine de mort obligatoire en cas de
crime) sont incompatibles avec la Constitution barbadienne;
b) L'auteur est fondé à demander à bénéficier de la prérogative de grâce
du Gouverneur général vu notamment le retard intervenu dans la mise à
exécution de la sentence de mort;
c) La commutation de la peine capitale serait une réparation appropriée
des violations subies par l'auteur au cours des enquêtes policières, notamment
les bastonnades par la police, le déni des services d'un avocat;
d) Le retard intervenu dans la mise à exécution de la sentence de mort
équivaut à une peine ou autre traitement inhumain ou dégradant, en violation
de la Constitution barbadienne et de l'article 7 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques;
e) Les dispositions du Pacte et du Protocole facultatif s'y rapportant
sont d'application automatique et devraient dès lors pouvoir être invoquées
d'office par quiconque; les tribunaux doivent reconnaître que l'auteur
est fondé en droit à porter son affaire devant le Comité des droits de
l'homme en application du Protocole facultatif et de faire saisir le Gouvernement
barbadien des constatations du Comité, et/ou accessoirement, à s'attendre
que la sentence de mort ne soit pas mise à exécution avant que le Comité
ne se soit définitivement prononcé en l'affaire, l'État partie ayant adhéré
au Pacte et au Protocole facultatif.
2.6 En examinant le moyen a), la Cour d'appel s'est notamment référée
au paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques et au paragraphe 2 de l'article 4 de la Convention
américaine relative aux droits de l'homme. Elle a noté que, dès lors que
la Barbade n'a pas aboli la peine de mort, l'imposition de celle-ci s'agissant
des crimes les plus graves ne constitue pas une violation de ces dispositions
et la question de savoir ce qui constitue un des "crimes les plus
graves" au sens des dispositions en question doit à l'évidence être
réglée à la Barbade et nulle part ailleurs. Quant au moyen e), la Cour
d'appel a observé que, dans la mesure où la Barbade n'a pas adopté de
texte de loi pour honorer les obligations conventionnelles qu'elle a souscrites
en vertu du Pacte et du Protocole facultatif, les dispositions conférant
le droit de saisir le Comité des droits de l'homme de communications écrites
et les dispositions d'ordre procédural et autres y afférentes, ne font
pas partie du droit barbadien. La Cour a conclu que : "une fois la
sentence de mort prononcée, l'instance close et tous droits éteints, le
condamné peut solliciter une mesure de clémence extrajudiciaire du Gouverneur
général [...]. Il peut également chercher à bénéficier d'une mesure de
clémence en adressant des communications écrites au Comité des droits
de l'homme institué par le Pacte international mais, en l'état actuel
du droit, il s'agit là d'une question sur laquelle la Cour n'est pas en
mesure de se prononcer".
2.7 Quant au moyen selon lequel l'auteur est fondé en droit à s'attendre
que l'État en cause ne mette pas la sentence de mort à exécution avant
que le Comité n'ait examiné les droits que lui confèrent le Pacte et le
Protocole facultatif, la Cour d'appel a déclaré que "ce moyen tombe
car toutes les voies de recours légales ont été épuisées, la sentence
de mort reste en vigueur et la seule voie ouverte maintenant au condamné
est la voie extralégale et extrajudiciaire" (c'est-à-dire le droit
de grâce du Gouverneur général).
Teneur de la plainte
3.1 S'agissant du procès de l'auteur, son conseil fait observer que,
malgré l'absence de preuve qu'il avait effectivement tué M. C., le jury
a dû déduire des instructions du juge qu'il avait participé au meurtre.
Il déclare que le fait d'avoir prononcé la peine de mort par application
de la règle dite de l'intention implicite de nuire, qui ne distingue pas
entre le meurtre commis avec préméditation et l'homicide involontaire,
constitue une violation de l'article 6 du Pacte, aux termes duquel la
sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves.
3.2 L'avocat fait observer que l'auteur séjourne dans le quartier des
condamnés à mort depuis près de huit ans. L'incertitude dans laquelle
ce dernier se trouve quant au sort qui lui est réservé, aggravée par les
lenteurs de la justice, serait une source de tension extrêmement éprouvante,
équivalant à une peine cruelle, inhumaine et dégradante en violation de
l'article 7 du Pacte.
3.3 L'avocat fait remarquer que l'auteur a été jugé en janvier 1986,
qu'il a été reconnu coupable en avril 1986 à la suite d'un nouveau procès,
le recours qu'il a formé ayant été rejeté en mars 1988. Il fait en outre
remarquer que l'auteur, indigent, était tributaire de l'octroi d'une aide
légale tout au long des poursuites judiciaires engagées contre lui. Trois
jours après le rejet du recours de l'auteur par la Cour d'appel de la
Barbade, le dossier d'appel a été envoyé à des officiers de justice à
Londres aux fins de saisine de la section judiciaire du Conseil privé.
Toutefois, ce n'est qu'en août 1989 que les autorités compétentes de la
Barbade ont versé des honoraires aux officiers de justice anglais, qui
ont alors engagé les démarches préliminaires en vue de saisir la section
judiciaire d'une demande d'autorisationd. L'avocat fait valoir
que les poursuites judiciaires engagées contre l'auteur ont excédé des
délais raisonnables, en violation de l'alinéa c) du paragraphe 3 de l'article
14.
Informations et observations présentées par l'État partie et commentaires
du conseil
4.1 Par lettre datée du 10 septembre 1992, l'État partie fait observer
que le Conseil privé de la Barbade, institué en vertu de l'article 76
de la Constitution barbadienne pour conseiller le Gouverneur général en
matière d'exercice du droit de grâce, a examiné l'affaire de l'auteur
mais n'a pas recommandé de commuer la peine de mort.
4.2 L'État partie fait observer en outre qu'en conséquence, tous les
recours internes ont été épuisés et la sentence de mort demeure. Il déclare
que l'auteur ne sera pas exécuté avant que la requête constitutionnelle
le concernant (qui, à la date à laquelle l'État partie a présenté sa communication
était en instance devant le tribunal de première instance) ne soit entendue.
Il n'est nullement fait référence à la demande faite par le Rapporteur
spécial en faveur de l'adoption de mesures de protection provisoires en
application de l'article 86 du règlement intérieur du Comité, demande
qui avait été communiquée à l'État partie les 2 et 14 juillet 1992. Depuis
juillet 1992, aucun renseignement supplémentaire n'a été reçu de l'État
partie au sujet de la requête constitutionnelle.
5.1 Par lettre datée du 24 novembre 1992, le conseil fait observer que
le tribunal de première instance a rejeté la requête constitutionnelle
le 29 septembre 1992, mais a accordé un sursis à exécution de six semaines
jusqu'au 10 novembre 1992; entre-temps, l'auteur s'est pourvu en appel
devant la Cour d'appel et a demandé un sursis à exécution en attendant
qu'il soit statué sur son recours contre la décision du tribunal de première
instance. La Cour d'appel a accordé le sursis à exécution le 19 novembre
1992.
5.2 Le conseil fait valoir que le tribunal de première instance a refusé
d'accorder un sursis à exécution en faveur de l'auteur en attendant que
le Comité des droits de l'homme examine la communication de ce dernier
et qu'il a jugé que l'auteur ne pouvait pas invoquer les dispositions
du Pacte, que le Pacte ne faisait pas partie du droit barbadien et ne
liait pas le Gouvernement barbadien vis-à-vis de ses citoyens.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité relève que les questions que l'auteur soulève dans sa communication
s'apparentent aux moyens de recours invoqués à l'occasion de sa requête
constitutionnelle. Il relève en outre qu'une demande d'autorisation de
recours contre le rejet de la requête constitutionnelle par la Cour d'appel
de la Barbade demeure en instance devant la section judiciaire du Conseil
privé. Cela étant, tous les recours internes disponibles n'ont pas été
épuisés tel que le prescrit l'alinéa b) du paragraphe 2 de l'article 5
du Protocole facultatif.
6.3 Le Comité note avec préoccupation les conclusions de la Cour d'appel
de la Barbade relativement à la requête constitutionnelle de l'auteur
évoquée plus haut aux paragraphes 2.6 et 5.2. En ratifiant le Pacte et
le Protocole additionnel, la Barbade s'est engagée à honorer les obligations
qu'elle a souscrites en vertu de ces instruments et a reconnu le Comité
compétent pour recevoir et examiner les communications d'individus relevant
de sa juridiction qui se prétendent victimes de violation par l'État partie
de l'un quelconque des droits consacrés par le Pacte; certes, le Pacte
ne fait pas partie du droit interne de la Barbade et ne peut pas être
appliqué directement par les tribunaux, mais l'État partie n'en a pas
moins accepté l'obligation juridique de donner effet à ses dispositions.
En ce sens, l'État partie est tenu de prendre des mesures appropriées
pour donner un effet juridique aux constatations du Comité concernant
l'interprétation et l'application du Pacte dans des cas particuliers soumis
au titre du Protocole facultatif. Cela vaut pour les constatations du
Comité, au titre de l'article 86 du règlement intérieur, relatives à l'opportunité
de prendre des mesures provisoires pour éviter qu'un préjudice irréparable
ne soit causé à la victime de la violation alléguée.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'alinéa b) du paragraphe
2 de l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que, dans la mesure où la présente décision pourrait être réexaminée
en vertu du paragraphe 2 de l'article 92 du règlement intérieur du Comité,
si celui-ci recevait de l'auteur ou en son nom une demande écrite contenant
des informations tendant à prouver que les motifs d'irrecevabilité ne
sont plus valables, l'État partie sera prié, compte tenu de l'esprit et
de l'objet de l'article 86 du règlement intérieur du Comité, de ne pas
mettre à exécution la peine de mort prononcée contre l'auteur avant que
celui-ci ait disposé d'un délai raisonnable, après avoir épuisé les recours
internes effectifs disponibles, pour demander au Comité de réexaminer
la présente décision;
c) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et au conseil
de l'auteur.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.]
Notes
a La condamnation à mort de C. T. a été commuée en réclusion
à perpétuité en 1989.
b "Quiconque use de violences à l'occasion de la commission
d'une infraction pénale impliquant des coups et blessures à des personnes,
le fait à ses propres risques et périls et est coupable de meurtre si
ces violences entraînent la mort, même accidentelle, de la victime";
R. c. Jarmain [1945] 2 ALL ER 613.
c La requête constitutionnelle de l'auteur et celle de P.
B. (voir annexe X.L ci-dessus, communication No 489/1992, décision concernant
la recevabilité adoptée le 19 juillet 1994, à la cinquante et unième session
du Comité) ont été jointes d'un commun accord.
d Par la suite, l'avocat de l'auteur à la Barbade a décidé,
sur l'avis du conseiller principal à Londres, qu'il ne servirait à rien
d'introduire un recours devant la section judiciaire du Conseil privé.