Comité des droits de l'homme
Quarante-neuvième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Quarante-neuvième session -
Communication No 509/1992
Présentée par : A. R. U. [nom supprimé] (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
État partie : Pays-Bas
Date de la communication : 21 avril 1992 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 19 octobre 1993,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est M. A. R. U., citoyen néerlandais,
résidant actuellement à Delft, aux Pays-Bas. Il affirme être victime d'une
violation par les Pays-Bas des articles 4, 5, 6, 7, 14, 18 et 26 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté
par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Au début de 1987, l'auteur a été officiellement informé qu'il serait
enrôlé dans l'armée pour faire son service militaire au cours de l'année.
Il s'y est opposé, faisant valoir qu'en faisant son service militaire
il se rendrait complice de crimes contre la paix et du crime de génocide
étant donné qu'il serait forcé de participer à des activités préparant
à l'emploi de l'arme nucléaire. Ses objections ont été rejetées par les
autorités.
2.2 Par la suite, l'auteur a intenté une action en référé, demandant
au tribunal d'ordonner qu'il ne soit pas enrôlé dans l'armée aux fins
de service militaire, ou que cet enrôlement soit retardé jusqu'à ce que
ses objections au service militaire puissent être examinées quant au fond
et qu'une décision soit prise sur cette base. Le 31 mars 1987, le Président
du tribunal de district de La Haye (Arrondissementsrechtbank) a rejeté
cette demande, considérant qu'elle était prématurée étant donné que les
objections de l'auteur concernaient une éventuelle guerre nucléaire et
non le service militaire en tant que tel. Le 28 avril 1988, la Cour d'appel
de La Haye (Gerechtshof) a débouté l'auteur, considérant qu'il aurait
pu invoquer la loi sur l'objection de conscience au service militaire
(Wet Gewetensbezwaren Militaire Dienst), ce qui aurait permis d'apprécier
ses objections en vue de l'exempter du service militaire. Le 12 janvier
1990, la Cour suprême (Hoge Raad) a rejeté le pourvoi en cassation de
l'auteur.
2.3 Il ressort de l'arrêt de la Cour d'appel que, avant d'intenter son
action en justice, l'auteur avait demandé à l'État d'être exempté de service
militaire en vertu de l'article 15 de la loi sur le service militaire
(Dienstplichtwet), lequel peut être invoqué dans "des cas spéciaux".
Cette demande a été rejetée, tout comme le Conseil d'État (Raad van State),
la plus haute instance judiciaire pertinente, a rejeté l'appel de l'auteur
le 18 décembre 1986. Le 3 septembre 1987, l'auteur a été arrêté au motif
qu'il ne s'était pas présenté aux autorités militaires pour faire son
service. Le 3 décembre 1987, le tribunal militaire (Krijgsraad) l'a condamné
à six mois de prison pour avoir refusé d'obéir à des ordres militaires.
L'auteur a fait appel de ce jugement et le Tribunal militaire suprême
(Hoog Militair Gerechtshof) s'est prononcé le 16 mars 1988. Aucune information
n'est toutefois fournie quant à la teneur de cette décision.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur soutient que le service militaire aux Pays-Bas, qui s'inscrit
dans le cadre de la stratégie de défense de l'OTAN, laquelle repose sur
la menace du recours à l'arme nucléaire et le recours à cette arme, constitue
une violation des articles 6 et 7 du Pacte. Il affirme que la possession
d'armes nucléaires et la préparation à l'usage desdites armes sont une
violation du droit public international et qu'elles sont assimilables
à un crime contre la paix et à un complot aux fins de génocide. À cet
égard, il se réfère notamment à l'observation générale 14 (23) du Comité
des droits de l'hommea concernant l'article 6 du Pacte. Il fait valoir
que l'armée néerlandaise est une organisation criminelle étant donné qu'elle
prépare un crime contre la paix en envisageant le recours à l'arme nucléaire.
3.2 L'auteur soutient que faire son service militaire mettrait sa vie
en danger en raison des mesures de représailles auxquelles donnerait lieu
l'usage de l'arme nucléaire par l'OTAN. Il soutient également que le recours
à l'arme nucléaire, par les conséquences qu'il a — retombées radioactives
et hiver nucléaire —, porte directement atteinte à son droit à la
vie et à son droit de ne pas être soumis à la torture ou à des traitements
cruels, inhumains ou dégradants. Il fait valoir que le Comité des droits
de l'homme devrait fournir une protection face à pareille menace de violation
de ces droits. Il affirme aussi qu'en le forçant à devenir complice de
crimes contre la paix et de violations du droit à la vie et du droit de
ne pas être torturé, on viole les droits qui lui sont garantis par ces
articles.
3.3 L'auteur soutient en outre qu'il est victime d'une violation des
articles 14 et 26 du Pacte car le droit à un traitement équitable lui
aurait été dénié par la Cour suprême, laquelle a estimé qu'il n'avait
pas le droit de former un recours devant un tribunal civil étant donné
qu'il aurait pu se prévaloir de la loi sur l'objection de conscience.
L'auteur affirme toutefois que cette loi vise les objections de conscience
à des obligations légales découlant du service militaire, et non des objections
à des obligations qui sont imposées illégalement et violent le droit international.
3.4 L'auteur affirme enfin être victime d'une violation de l'article
18 en même temps que de l'article 5 du Pacte. En estimant qu'il aurait
dû demander à être affecté à d'autres formes de service en vertu de la
loi sur l'objection de conscience, la Cour suprême a considéré que les
objections de l'auteur concernant le caractère illégal du service militaire
se limitaient à une question de conscience. L'auteur soutient toutefois
que l'article 18 du Pacte ne s'applique que lorsqu'il y a conflit entre
la conscience de l'objecteur et une obligation légale valide. En conséquence,
l'auteur est d'avis que la Cour suprême n'a pas interprété correctement
l'article 18 du Pacte, l'empêchant ainsi de protester contre la participation
des forces de défense néerlandaises à un complot visant à commettre un
crime contre la paix et le crime de génocide.
Délibérations du Comité
4.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur selon laquelle il est
victime d'une violation par l'État partie des articles 6 et 7 du Pacte,
le Comité note que l'auteur ne peut prétendre être victime d'une violation
des articles 6 et 7 au simple motif qu'il est tenu de faire son service
militaireb. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu
de l'article 3 du Protocole facultatif.
4.3 Le Comité estime que l'auteur n'a pas étayé, aux fins de la recevabilité,
l'affirmation selon laquelle il est victime de violations des articles
14, 18 et 26 du Pacte. Cette partie de la communication est donc irrecevable
en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
5. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3
du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur et, pour information,
à l'État partie.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.]
Notes
a Documents officiels de l'Assemblée générale, quarantième session,
Supplément No 40 (A/40/40), annexe VI.
b Ibid., quarante sixième session, Supplément No 40 (A/46/40),
annexe X.T et U, communications No 401/1990 (J. P. K. c. Pays-Bas)
et 403/1990 (T. W. M. B. c. Pays-Bas), déclarées irrecevables
le 7 novembre 1991.