Comité des droits de l'homme
Cinquante-troisième session
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques
- Cinquante-troisième session -
Communication No 514/1992
Présentée par : Mme Sandra Fei [représentée par un conseil]
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Colombie
Date de la décision concernant la recevabilité : 18 mars 1994
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 4 avril 1995,
Ayant achevé l'examen de la communication No 514/1992 présentée au Comité des droits de l'homme par Mme Sandra Fei en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est Sandra Fei, citoyenne italienne et colombienne née en 1957 à Santa Fé de Bogota et résidant actuellement à Milan, en Italie. Elle affirme être victime de violations, par la Colombie, des articles 2 (par. 2 et 3), 14 (par. 1 et 3 c)), 17, 23 (par. 4) et 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Mme Fei a épousé Jaime Ospina Sardi en 1976; en 1977, des dissensions ont commencé à se produire entre eux et, en 1981, Mme Fei a quitté le domicile conjugal; les deux enfants nées du mariage sont restées avec son mari. L'auteur a essayé de s'établir à Bogota, mais, comme elle n'arrivait à obtenir qu'un emploi temporaire, elle s'est finalement installée à Paris comme correspondante du quotidien 24 Horas.
2.2 Une ordonnance du 19 mai 1982 rendue par une instance colombienne fixait les modalités pour la séparation et la garde des enfants, mais l'auteur a aussi engagé ultérieurement une procédure de divorce auprès d'un tribunal parisien, avec le consentement de son ex-mari.
2.3 En vertu de l'ordonnance rendue en mai 1982 par l'instance colombienne, la garde des enfants était provisoirement confiée au père, étant entendu qu'elle serait confiée à la mère si celui-ci se remariait ou cohabitait avec une autre femme. L'ordonnance établissait en outre une autorité parentale conjointe ainsi qu'un large droit de visite. M. Rodolfo Segovia Salas, sénateur, beau-frère de M. Ospina Sardi et ami intime de la famille, avait été désigné comme garant de l'accord.
2.4 Le 26 septembre 1985, au cours d'une visite à leur mère, les enfants de Mme Fei auraient, au moment où l'auteur quittait son appartement parisien, été enlevées par leur père aidé par trois hommes qui auraient été des employés de l'ambassade de Colombie à Paris. De septembre 1985 à septembre 1988, l'auteur n'a pas eu le moindre contact avec ses enfants et ne savait pas où elles se trouvaient, M. Segovia Salas ayant, selon elle, refusé de coopérer. L'auteur a bénéficié des bons offices des autorités françaises et de l'épouse du Président Mitterrand, mais ces démarches sont restées vaines. Mme Fei a alors sollicité l'assistance du Ministère italien des affaires étrangères, qui a demandé des informations et une assistance judiciaire aux autorités colombiennes compétentes. L'auteur affirme que celles-ci ont, soit donné des réponses évasives, soit purement et simplement nié que ses droits aient été violés. Dans le courant de l'été 1988, un fonctionnaire du Ministère italien des affaires étrangères a réussi à retrouver les enfants à Bogota. En septembre 1988, l'auteur, accompagnée de l'Ambassadeur d'Italie en Colombie, a finalement pu voir ses deux enfants pendant cinq minutes, au troisième étage de l'école américaine de Bogota.
2.5 Dans le même temps, M. Ospina Sardi avait lui-même engagé une procédure de divorce à Bogota en demandant la suspension de l'autorité parentale de l'auteur, ainsi qu'une ordonnance interdisant aux enfants de quitter la Colombie. Le 13 mars 1989, le tribunal civil de première instance (Juzgado Primero Civil) de la circonscription de Bogota a rendu son jugement; selon l'auteur ledit jugement confirmait pour l'essentiel les dispositions de l'accord de séparation conclu plusieurs années auparavant. Mme Fei affirme en outre que dans la procédure de divorce engagée en Colombie, on a délibérément fait abstraction de la procédure toujours en cours à Paris, ainsi que de la double nationalité des enfants.
2.6 Mme Fei affirme qu'elle ne cesse de recevoir des menaces depuis septembre 1985 et qu'il lui est donc impossible de se rendre seule ou sans protection en Colombie. C'est pourquoi, en mars 1989, le Ministère italien des affaires étrangères a organisé pour elle un voyage à Bogota. Après des négociations, elle a pu voir ses enfants pendant deux heures exactement "à titre de faveur exceptionnelle". La rencontre s'est déroulée dans une petite pièce, au domicile de M. Segovia Salas, en présence d'une psychologue qui, jusqu'au dernier moment, avait tout fait pour qu'elle n'ait pas lieu. Par la suite, l'auteur n'a été autorisée à communiquer avec ses enfants que par courrier ou par téléphone; elle affirme que ses lettres étaient fréquemment contrôlées et qu'il lui était pratiquement impossible de joindre ses filles par téléphone.
2.7 En mai 1989, M. Ospina Sardi a rompu les négociations en cours avec l'auteur sans donner d'explication; ce n'est qu'en novembre 1989 que les autorités italiennes ont, sur leur demande, été informées du "jugement définitif de divorce" du 13 mars 1989. M. Ospina Sardi a refusé de se conformer aux termes du jugement. Le 21 juin 1991, il a déposé une demande en révision du jugement de divorce et des droits de visite accordés àl'auteur, invoquant le fait que la situation avait changé et que des droits de visite aussi larges que ceux qui avaient été convenus en 1985 ne se justifiaient plus; l'auteur affirme qu'elle n'a été informée de cette procédure qu'au début de 1992. M. Ospina Sardi a également demandé que l'auteur ne soit pas autorisée à rendre visite à ses enfants en Colombie et que les enfants ne soient pas autorisées à aller chez leur mère en Italie.
2.8 Le Ministère italien des affaires étrangères a quant à lui été informé que l'affaire avait été transmise au Bureau du Procureur général de Colombie, qui était notamment chargé, en vertu de l'article 277 de la Constitution, de contrôler l'application des jugements rendus par les tribunaux colombiens. Le Procureur général a d'abord négligé l'affaire, s'abstenant de toute enquête; il n'a engagé aucune procédure pénale contre M. Ospina Sardi pour outrage au tribunal et non-respect d'un jugement exécutoire. Plusieurs mois plus tard, il a personnellement demandé à être dessaisi de l'affaire, en raison de ses "liens d'amitié étroits" avec M. Ospina Sardi; le dossier a été transféré à un autre magistrat. Depuis lors, les autorités italiennes ont adressé plusieurs plaintes officielles au Président de la Colombie ainsi qu'au Ministère des affaires étrangères de ce pays et à son ministère du commerce international, ce dernier ayant, à une date antérieure non spécifiée, proposé de trouver un moyen de sortir de l'impasse. Aucune réponse satisfaisante n'a été donnée par les autorités colombiennes.
2.9 L'auteur note qu'au cours de ses voyages en Colombie (en mai et juin 1992), elle n'a pu voir ses enfants que très brièvement (une heure au maximum à chaque visite) et dans des conditions qu'elle juge inacceptables. Lors de son dernier voyage en Colombie en mars 1993, ces conditions auraient encore empiré et les autorités auraient tenté de l'empêcher de quitter la Colombie. Mme Fei a maintenant engagé à son tour une procédure pénale contre M. Ospina Sardi pour non-respect du jugement de divorce.
2.10 En 1992 et 1993, les tribunaux colombiens ont pris de nouvelles mesures à la suite de la demande en révision des décisions concernant l'autorité parentale et les droits de visite déposée par M. Ospina Sardi ainsi que des plaintes déposées au nom de l'auteur auprès de la Cour suprême colombienne. Le 24 novembre 1992, la Section des affaires familiales (Sala de Familia) du Tribunal de grande instance (Tribunal Superior del Distrito Judicial) de Bogota a modifié le régime des droits de visite en interdisant tout contact entre les enfants et l'auteur en dehors de la Colombie; pendant ce temps, l'ensemble du régime des droits de visite était toujours en instance de révision devant le Tribunal de la famille No 19 de Bogota.
2.11 Le conseil de Mme Fei a engagé devant la Cour suprême colombienne une procédure dirigée contre le Tribunal de la famille No 19 de Bogota, contre le Bureau du Procureur général et contre le jugement du 24 novembre 1992, pour non-respect des droits constitutionnels de l'auteur. Le 9 février 1993, la Chambre civile de la Cour suprême (Sala de Casación Civil) a infirmé le paragraphe 1 du dispositif du jugement du 24 novembre 1992 concernant la suspension des contacts entre l'auteur et ses enfants en dehors de la Colombie, tout en confirmant le reste dudit jugement. D'autre part, la Cour suprême a transmis son jugement au Tribunal de la famille No 19 — en demandant que ses observations soient prises en compte dans la procédure engagée par M. Ospina Sardi — et à la Cour constitutionnelle.
2.12 Le 14 avril 1993, le Tribunal de la famille No 19 de Bogota a rendu son jugement concernant la demande de modification des droits de visite. Il imposait certaines conditions quant aux modalités selon lesquelles l'auteur pouvait voir ses enfants, en particulier hors de Colombie, le Gouvernement colombien devant prendre les mesures nécessaires pour garantir la sortie des enfants du territoire colombien et leur retour.
2.13 Finalement, le 28 juillet 1993, la Cour constitutionnelle a partiellement confirmé et partiellement modifié le jugement de la Cour suprême du 9 février 1993. La Cour constitutionnelle critique l'attitude que l'auteur a eue vis-à-vis de ses enfants entre 1985 et 1989, car elle présume que l'auteur a délibérément négligé de rester en contact avec elles entre ces dates. Elle rejette toute possibilité de transfert de la garde des enfants à l'auteur et semble considérer que le jugement du Tribunal de la famille No 19 est définitif ("no vacila ... en oponer como cosa juzgada la sentencia ... dictada el 14 de abril de 1993"). Selon le conseil de l'auteur, cela signifie que l'auteur doit reprendre ses efforts à zéro si elle veut obtenir la garde des enfants. Enfin, la Cour constitutionnelle invite sévèrement l'auteur à s'acquitter plus consciencieusement de ses devoirs à l'avenir ("Previénese a la demandante ... sobre la necesidad de asumir con mayor responsibilidad los deberes que le corresponden como madre de la niñas").
2.14 En décembre 1993, à la suite de pressions qu'auraient exercées leur père, les enfants de l'auteur ont engagé une procédure contre leur mère en vertu de l'article 86 de la Constitution colombienne (Acción de Tutela; voir par. 4.5 ci-après). L'affaire a été confiée au Tribunal de grande instance (Tribunal Superior del Distrito Judicial) de Santa Fé de Bogota. Mme Fei affirme que l'action ainsi intentée ne lui a jamais été notifiée. Il semble que le Tribunal lui ait donné jusqu'au 10 janvier 1994 pour présenter sa défense, réservant pour le jugement la date du 14 janvier. Pour une cause inexpliquée, l'audience a alors été avancée au 16 décembre 1993 dans la matinée, le jugement étant rendu le même jour dans l'après-midi. Le jugement enjoint à Mme Fei de mettre fin à la publication en Colombie de son livre (Perdute en italien, Perdidas en espagnol) racontant son histoire et celle de ses enfants.
2.15 L'auteur a fait valoir que son conseil a été mis dans l'impossibilité d'assister à l'audience du 16 décembre 1993 et de présenter la défense de son client. Le conseil a déposé devant la Cour suprême une plainte pour violations des droits fondamentaux de la défense. Le 24 février 1994, la Cour suprême (Sala de Casación Penal) a déclaré que, pour des raisons de procédure, elle n'avait pas compétence pour recevoir cette plainte.
2.16 Mme Fei note qu'en dehors de la procédure relative au divorce et à la garde des enfants, son ex-mari a porté plainte contre elle pour diffamation et faux témoignage délibéré. Elle fait observer qu'elle a gagné le procès pour diffamation en première instance et en appel; elle a également gagné, en première instance, le procès pour faux témoignage, qui est actuellement pendant en appel. Elle affirme que ces poursuites ont été intentées par malveillance et visaient à fournir aux autorités un prétexte pour l'empêcher de quitter la Colombie la prochaine fois qu'elle rendrait visite à ses enfants.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme qu'il y a eu violation des dispositions du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte parce qu'elle n'a pas bénéficié de l'égalité devant les tribunaux colombiens. Elle affirme en outre que les tribunaux n'ont pas entendu sa cause de manière impartiale. A ce propos, elle affirme que, juste avant le prononcé du jugement de la Cour constitutionnelle, la presse a publié des articles contenant des extraits d'un jugement et de déclarations d'un juge du tribunal qui laissaient entendre que la Cour constitutionnelle se prononcerait en sa faveur; de manière inexplicable, le jugement rendu peu après lui était, au moins partiellement, défavorable.
3.2 L'auteur affirme en outre que les autorités et tribunaux colombiens ont délibérément fait traîner la procédure de sorte que la légalité n'a pas été respectée. Elle soupçonne que la stratégie tacitement arrêtée vise simplement à prolonger la procédure jusqu'à ce que les enfants soient majeures.
3.3 Selon l'auteur, les faits présentés ci-dessus équivalent à une violation de l'article 17 du fait des immixtions arbitraires et illégales dans sa vie privée ou des immixtions dans sa correspondance avec les enfants.
3.4 L'auteur se plaint de ce que la Colombie a violé ses droits et ceux de ses enfants qui sont énoncés au paragraphe 4 de l'article 23 du Pacte. En particulier, aucune disposition n'a été prise pour assurer la protection des enfants comme l'exige le Pacte à la fin de ce paragraphe. A cet égard, l'auteur reconnaît que ses enfants ont souffert de l'énorme publicité qui a été donnée à l'affaire dans les médias, tant en Colombie qu'en Italie, avec le résultat qu'elles se sont repliées sur elles-mêmes. Du rapport et du témoignage d'une psychologue auxquels il a été fait appel lors du procès qui a eu lieu devant le Tribunal de la famille No 19 se dégage la conclusion que le comportement relationnel des enfants s'est détérioré brusquement à cause de la "campagne de publicité" menée contre leur père; l'auteur fait observer que cette psychologue a été recrutée par son ex-mari après le retour des enfants en Colombie en 1985, qu'elle a reçu des instructions quant au traitement à appliquer aux enfants et qu'elle les a littéralement soumises à un "lavage de cerveau".
3.5 L'auteur affirme qu'il y eu violation de l'article 24, en vertu duquel les enfants sont présumées avoir le droit d'acquérir la nationalité italienne, ainsi que le droit de voir leur père et leur mère dans les mêmes conditions.
3.6 Enfin, le conseil de l'auteur affirme que le Comité devrait tenir compte du fait que la Colombie a aussi violé les articles 9 et 10 de la Convention relative aux droits de l'enfant, articles qui concernent les contacts entre les parents et leurs enfants. Dans ce contexte, il note que la Convention relative aux droits de l'enfant a été intégrée dans la législation colombienne par la Loi No 12 de 1991 et soutient que les tribunaux, et en particulier le Tribunal de la famille No 19, n'ont pas appliqué lesdits articles.
3.7 L'auteur fait observer que, même si certaines formes de recours internes restent disponibles, les procédures de recours internes ont déjà excédé des délais raisonnables au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, surtout si l'ont tient compte du fait que le différend porte sur la garde d'enfants mineurs et sur la possibilité de leur rendre visite.
Observations de l'Etat partie touchant la recevabilité
4.1 Dans ses observations, l'Etat partie affirme que la communication est irrecevable du fait que les recours internes n'ont pas été épuisés. Il explique la procédure engagée devant le Tribunal de la famille No 19, procédure qui, à la date de sa réponse, était encore en instance.
4.2 L'Etat partie fait en outre observer que si l'auteur avait voulu porter plainte pour non-exécution de l'accord de séparation du 19 mai 1982, elle aurait pu intenter une action en vertu de ce qui était alors l'article 335 du Code de procédure civile. Il note qu'entre 1986 et le 13 mars 1989, l'auteur n'a pas fait usage de cette procédure.
4.3 En ce qui concerne l'attitude de l'auteur entre le 13 mars 1989 et le 21 juin 1991, l'Etat partie semble estimer, comme M. Ospina Sardi, que pendant cette période l'auteur n'a pas rendu visite à ses enfants en Colombie et n'a eu avec elles que des rapports téléphoniques ou épistolaires. Il fait valoir en outre que Mme Fei ne s'est pas prévalue de la possibilité d'intenter une action en vertu de l'article 336 du Code de procédure civile pour demander l'application de la décision du Tribunal de première instance de Bogota. L'Etat partie affirme donc que les recours internes n'ont pas été épuisés à deux égards : a) une procédure est toujours en instance devant un tribunal de la famille; et b) Mme Fei ne s'est pas prévalue des procédures de recours dont elle disposait en vertu du Code de procédure civile.
4.4 De plus, l'Etat partie soutient que rien ne permet d'affirmer que l'auteur a été victime d'un déni de justice puisque :
a) Les autorités judiciaires ont agi avec diligence et impartialité, ainsi qu'en témoignent l'accord de séparation du 19 mai 1982, le jugement de divorce du 13 mars 1989 et la procédure devant le Tribunal de la famille No 19;
b) Les autorités judiciaires de l'Etat partie ignoraient avant le 21 juin 1991 que les décisions de mai 1982 et mars 1989 n'avaient pas été appliquées, car en matière civile, les tribunaux n'engagent pas de poursuites ex officio mais seulement sur demande de la partie ou des parties concernées;
c) En l'espèce, malgré les plaintes déposées par le représentant de l'auteur contre le Bureau du Procureur général, par exemple, aucune omission ou carence ne peut être imputée aux autorités judiciaires colombiennes.
4.5 L'Etat partie appelle l'attention sur la possibilité d'utiliser une procédure spéciale (Acción de Tutela), qui est régie par l'article 86 de la Constitution colombienne de 1991 en vertu duquel tout individu peut demander la protection de ses droits fondamentaux / L'article 86 de la Constitution est libellé comme suit :
"Toda persona tendrá acción de tutela para reclamar ante los jueces,
en todo momento y lugar, mediante un procedimiento preferente y sumario,
por sí misma or por quien actue en su nombre, la protección immediate
de sus derochos constitucionales fundamentales...".
L'action qui a conduit au jugement du 28 juillet 1993 de la Cour constitutionnelle
était en fait intentée en vertu de l'article 86 de la Constitution..
4.6 Enfin, l'Etat partie réaffirme qu'aucun obstacle n'empêche Mme Fei
d'entrer sur le territoire colombien et d'intenter les actions en justice
pertinentes pour faire valoir ses droits.
Décision du Comité concernant la recevabilité
5.1 En mars 1994, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.
Il a pris note des observations des parties sur la question de l'épuisement
des recours internes, et a noté en particulier que, dans cette affaire,
des actions en justice ont été intentées en 1982 et que deux des actions
qui, selon l'Etat partie, restaient ouvertes à l'auteur, avaient entre-temps
été engagées et achevées sans que l'auteur ait obtenu la réparation recherchée.
Le Comité a également observé qu'après plus de 11 ans de procédure judiciaire,
les litiges concernant la garde des enfants et la possibilité pour l'auteur
de les voir n'étaient toujours pas réglés et il a conclu que ces délais
étaient excessifs. Il a fait observer qu'en cas de différends concernant
la garde des enfants ou les droits de visite lors de la dissolution du
mariage, il faudrait statuer rapidement sur les recours en justice.
5.2 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 24, le
Comité a noté que cette violation aurait dû faire l'objet d'une plainte
formulée pour le compte des enfants de l'auteur, mais que la communication
n'a pas été présentée en leur nom. Le Comité en a conclu que cette allégation
n'avait pas été étayée aux fins de la recevabilité.
5.3 Pour ce qui était de l'allégation de violation du paragraphe 3 c)
de l'article 14, le Comité a rappelé que le droit d'être jugé sans retard
excessif s'applique aux personnes accusées d'infractions pénales. Puisque,
dans le cas de l'auteur, il ne s'agit pas d'infractions pénales, à l'exception
de celles mentionnées au paragraphe 2.16 ci-dessus et à propos desquelles
il n'a pas été fait état de retard, le Comité a conclu que cette allégation
était irrecevable, ratione materiae, parce qu'elle était incompatible
avec les dispositions du Pacte.
5.4 Le Comité a considéré que les autres allégations formulées au titre
des articles 14 (par. 1), 17 et 23 (par. 4) du Pacte avaient été suffisamment
étayées aux fins de la recevabilité. Le 18 mars 1994, le Comité a déclaré
la communication recevable dans la mesure où elle semblait soulever des
questions au titre des articles 14 (par. 1), 17 et 23 (par. 4) du Pacte.
Observations de l'Etat partie quant au fond et commentaires de l'auteur
6.1 Dans la réponse qu'il a envoyée en application du paragraphe 2 de
l'article 4 du Protocole facultatif, le 28 septembre 1994, l'Etat partie
nie que les droits reconnus à l'auteur par le Pacte aient été violés.
Au sujet de l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article 14,
l'Etat fait valoir que les articles 113, 116, 228 et 229 de la Constitution
colombienne garantissent l'indépendance du pouvoir judiciaire colombien.
L'article 230 garantit l'impartialité des juges en stipulant qu'ils sont
tenus seulement de respecter les lois du pays.
6.2 En ce qui concerne les "délais excessifs" des diverses
procédures que le Comité a mentionnés dans sa décision concernant la recevabilité,
l'Etat partie estime que le seul fait que les procédures aient duré plus
de 12 ans ne justifie pas en lui-même la conclusion selon laquelle elles
ont excédé les délais raisonnables. L'Etat partie cite les jugements rendus
par les différentes instances de Bogota en 1982, 1989, 1992 et 1993, et
les procédures engagées par les filles de l'auteur et son ex-mari au mois
de décembre 1993 et au mois de juin 1994, et prétend que, dans toutes
ces procédures, le principe de l'égalité des moyens a été respecté, étant
donné que les deux parties ont eu la même possibilité d'engager la procédure
et de présenter une demande reconventionnelle et de plaider leur cause
("... han tenido las mismas oportunidades para iniciar y contestar
las acciones..."). En résumé, l'auteur aurait bénéficié de toutes
les garanties constitutionnelles existantes et, en particulier, des garanties
d'une procédure régulière énoncées à l'article 29 de la Constitution.
6.3 L'Etat partie fait observer que, si l'une des parties n'exécute pas
le jugement ou la décision du tribunal, dans un litige familial, la loi
précise la procédure à suivre pour obtenir l'exécution du jugement ou
de la décision, ainsi que les peines encourues pour non-respect desdites
obligations. En l'occurrence, la procédure décrite à l'article 86 de la
Constitution peut s'appliquer, puisqu'elle permet à quiconque de s'adresser
à la justice pour demander la défense immédiate de ses droits fondamentaux.
L'auteur a engagé une procédure au titre de l'article 86 devant la Cour
suprême de Colombie, laquelle a, par un arrêt du 9 février 1993, rétabli
le droit de visite de l'auteur à l'égard de ses filles.
6.4 Pour l'Etat partie, les explications susmentionnées montrent que
les tribunaux colombiens ont respecté les principes d'égalité et d'impartialité
dans l'affaire de l'auteur, que les procédures n'ont pas excédé les délais
nécessaires et que, par conséquent, ils ont respecté les obligations découlant
pour eux du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
6.5 L'Etat partie juge non fondée et réfute l'allégation formulée par
l'auteur d'immixtions arbitraires et illégales dans sa vie privée par
les autorités colombiennes, qui auraient fait inutilement obstacle aux
contacts entre elle et ses enfants. Selon l'Etat partie, cette allégation
n'a pas été suffisamment étayée. A ce sujet, il affirme avoir toujours
fourni à l'auteur les garanties et assurances requises par l'intermédiaire
de l'ambassade italienne afin de faciliter les voyages de l'auteur en
Colombie. Ces garanties auraient comporté, au besoin, une protection.
L'Etat partie rappelle qu'il n'y a pas, et qu'il n'y a jamais eu, d'obstacles
susceptibles d'empêcher l'auteur d'entrer en territoire colombien pour
rendre visite à ses enfants, ou pour engager les procédures judiciaires
qu'elle juge opportunes pour défendre ses droits.
6.6 En ce qui concerne l'allégation formulée au titre du paragraphe 4
de l'article 23, l'Etat partie fait valoir que l'auteur n'a pas démontré
de quelle manière il y a eu infraction à cette disposition dans son cas.
Il rappelle que les parents sont convenus l'un et l'autre, en 1982, que
la garde et l'entretien des enfants étaient confiés à M. Ospina Sardi;
cet accord a été remis en question au cours de nombreuses procédures engagées
devant les tribunaux colombiens.
6.7 L'Etat partie juge infondé et rejette le grief formulé par l'auteur
selon lequel l'Etat partie n'aurait rien fait, ou pas assez, pour protéger
les "intérêts des enfants", au sens du paragraphe 4 de l'article
23. A ce propos, l'Etat partie invoque les articles 30 et 31 du Code des
mineurs (Codigo del Menor) qui régit la protection des enfants. L'article
31, en particulier, stipule que l'Etat garantit la protection des enfants,
à titre subsidiaire, si les parents ou le tuteur légal ne remplissent
pas leur rôle. Étant donné qu'aucun élément susceptible de justifier l'application
des articles 30 et 31 du Code des mineurs n'a jamais été porté à l'attention
des autorités colombiennes compétentes, l'Etat partie en déduit que les
filles de l'auteur ne se sont jamais trouvées dans une situation où elles
auraient eu besoin de l'intervention de l'Etat.
6.8 Toujours dans le contexte du paragraphe 4 de l'article 23 du Pacte,
l'Etat partie note que la législation colombienne stipule que les droits
des enfants l'emportent sur les droits des autres intéressés. L'article
44 de la Constitution énonce un certain nombre de droits fondamentaux
reconnus aux enfants. Une juridiction spéciale pour mineurs garantit le
respect de ces droits.
6.9 L'Etat partie rappelle que les filles de l'auteur ont elles-mêmes
engagé une procédure contre leur mère en vertu de l'article 86 de la Constitution,
afin de faire valoir leurs droits au titre des articles 15, 16, 21, 42
et 44 de la Constitution, en invoquant notamment l'immixtion dans leur
vie privée et le préjudice moral grave dus à l'énorme publicité dont ont
été entourées les tentatives de leur mère pour reprendre contact avec
elles ainsi qu'à la publication d'un livre relatant ses tribulations.
Par une décision rendue le 16 décembre 1993, un tribunal de Bogota (Sala
Penal del Tribunal Superior del Distrito Judicial de Santafé de Bogotá)
a enjoint l'auteur de s'abstenir de publier son livre (Perdute
en italien, Perdidas en espagnol) en Colombie, ainsi que de toute
autre activité portant atteinte aux droits de ses filles. Ce jugement
a été confirmé par la Cour constitutionnelle (Corte Constitucional, Sala
Quinta de Revisión) le 27 juin 1994.
7.1 Dans ses commentaires, l'auteur réaffirme qu'elle n'a pas bénéficié
de l'égalité des armes devant les tribunaux colombiens. C'est ainsi que
les procédures qu'elle a engagées ont excédé les délais raisonnables pour
ce qui est de l'instruction et du prononcé de la décision, alors que les
procédures engagées par son ex-mari, directement ou indirectement, ont
été instruites immédiatement et que la décision a été rendue parfois avant
la date de l'audience initialement annoncée à l'auteur.
7.2 A titre d'exemple, l'auteur mentionne la procédure engagée par ses
filles à la fin de 1993. Elle insiste sur le fait qu'elle n'en a reçu
notification qu'à la fin du mois de janvier 1994, alors que la date limite
fixée pour la présentation de sa défense avait été fixée au 10 janvier
1994 et que l'audience était prévue pour le 14 janvier 1994. De surcroît,
les dates en question étaient fausses puisque l'audience a en fait eu
lieu dans la matinée du 16 décembre 1993 et que le jugement a été rendu
le jour même, dans l'après-midi.
7.3 L'auteur mentionne également le nouveau régime de la garde et du
droit de visite décidé par les tribunaux en 1992 et en 1993, qui est exposé
de manière détaillée aux paragraphes 2.10 à 2.13 ci-dessus. Certaines
des décisions rendues étaient défavorables à son mari, mais l'auteur fait
valoir que les autorités judiciaires n'ont pas réagi au refus par ce dernier
d'exécuter ou d'accepter lesdites décisions. C'est pour cette raison que
l'auteur a demandé aux autorités colombiennes de garantir l'exécution
des décisions rendues par les tribunaux colombiens et qu'un magistrat
a été chargé d'enquêter sur la question. Des mois se sont écoulés avant
que le magistrat ne demande à être dessaisi de cette affaire en raison
de ses liens d'amitié avec M. Ospina Sardi et que l'enquête ne soit confiée
à un autre juge. L'auteur rappelle que cette question fait l'objet d'une
enquête depuis le milieu de l'année 1992, et que rien n'indique qu'une
décision ait été prise.
7.4 Au sujet de la violation de l'article 17, l'auteur note qu'elle était
certes libre de se rendre en Colombie, mais qu'elle devait prendre elle-même
des dispositions pour assurer sa protection personnelle. Les autorités
colombiennes ne l'ont jamais aidée à faire respecter ses droits de visite.
Les nombreuses démarches entreprises à cet effet par l'ambassade d'Italie
à Bogota sont restées sans réponse ou ont donné lieu à des réponses dilatoires.
L'auteur estime qu'en agissant ainsi, ou en s'abstenant d'agir, l'Etat
partie se rend coupable d'immixtion passive dans sa vie privée.
7.5 Toujours dans le contexte de l'article 17, l'auteur soutient qu'en
deux occasions, l'Etat partie s'est immiscé de manière arbitraire dans
sa vie privée. La première immixtion remonte à 1992, lorsqu'elle s'est
rendue en Colombie. L'auteur déclare qu'elle n'a pas été informée personnellement
de l'action engagée par son ex-mari et qu'il a fallu l'intervention personnelle
de l'ambassadeur d'Italie pour que le magistrat chargé de l'affaire accepte
finalement de recueillir sa déclaration quelques heures avant qu'elle
ne reparte pour l'Italie. La seconde immixtion s'est produite en 1993,
lorsque la police colombienne a, selon l'auteur, tenté de l'empêcher de
quitter le territoire colombien; là encore, il a fallu l'intervention
de l'ambassadeur d'Italie pour que l'avion dans lequel elle se trouvait
soit autorisé à décoller.
7.6 Enfin, l'auteur soutient que dans son cas, il y a violation flagrante
du paragraphe 1 de l'article 23. Elle décrit les conditions précaires
dans lesquelles se sont déroulées les visites à ses filles, en dehors
de chez elles, en présence d'une psychologue engagée par M. Ospina Sardi
et pendant des laps de temps très courts. Les témoignages de Mme Susanna
Agnelli, qui accompagnait l'auteur au cours de ses visites, apporteraient
clairement la preuve de la violation de ces dispositions.
7.7 L'auteur soutient en outre qu'il y a violation du paragraphe 4 de
l'article 23 parce que ses filles ont été contraintes de témoigner contre
elle à plusieurs reprises au cours des procédures judiciaires engagées
par M. Ospina Sardi, et que ces témoignages auraient gravement compromis
leur équilibre mental. De surcroît, la procédure engagée par les enfants
contre l'auteur en vertu de l'article 86 de la Constitution serait imputable
aux pressions exercées par M. Ospina Sardi. Selon l'auteur, cela ressort
clairement du texte du témoignage initial qui, à son avis, ne peut avoir
été rédigé que par un homme de loi, mais pas par un enfant.
7.8 Dans une lettre datée du 5 octobre 1994, l'ancien avocat de l'auteur
appelle l'attention sur l'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le
27 juin 1994, qui interdit la publication et la diffusion du livre de
l'auteur en Colombie. Il soutient que cet arrêt constitue une violation
évidente de la Constitution colombienne, qui interdit la censure, et prétend
que la Cour n'avait pas compétence pour examiner la teneur d'un livre
qui n'avait été ni publié ni diffusé en Colombie au moment de l'audience.
Examen quant au fond
8.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication à la lumière
de tous les éléments d'information, documents et pièces de la procédure
fournis par les parties. Il fonde ses constatations sur les considérations
indiquées ci-dessous.
8.2 Le Comité a pris note de l'argument de l'Etat partie selon lequel
les autorités judiciaires colombiennes ont agi de manière indépendante
et impartiale dans l'affaire à l'examen, sans aucune pression extérieure,
selon lequel le principe d'égalité devant la justice a été respecté et
selon lequel la procédure relative à la garde des filles de l'auteur et
au droit de visite n'a pas excédé des délais raisonnables. L'auteur a
réfuté ces affirmations.
8.3 Sur la base des éléments d'information dont il était saisi, le Comité
n'a pas de raison de conclure que les autorités judiciaires colombiennes
n'ont pas observé leur obligation d'indépendance et d'impartialité. Rien
n'indique qu'il y ait eu pression du pouvoir exécutif sur les différents
tribunaux saisis de l'affaire et l'un des magistrats qui était chargé
d'une enquête sur les griefs de l'auteur a en fait demandé à en être dessaisi
en raison de ses liens d'amitié avec l'ex-mari de l'auteur.
8.4 Le principe d'un "procès équitable" au sens du paragraphe
1 de l'article 14, toutefois, comporte aussi d'autres éléments. Parmi
ces derniers, comme le Comité a eu l'occasion de le faire observer
/ Constatations sur les communications Nos 203/1986 (Muñoz
c. Pérou), par. 11.3, et 207/1986 (Morael c. France),
par. 9.3., figurent le respect des principes de l'égalité des armes, du
débat contradictoire et de la rapidité de la procédure. Dans le cas présent,
le Comité n'est pas convaincu que la condition relative à l'égalité des
armes et à la rapidité de la procédure ait été remplie. Il convient de
remarquer que dans toutes les actions judiciaires qu'elle a engagées,
l'auteur a dû attendre plusieurs années avant qu'une décision soit rendue;
et les difficultés de communication avec l'auteur, qui ne réside pas dans
le territoire de l'Etat partie, ne peuvent expliquer de tels délais puisque
celle-ci a choisi un avocat en Colombie. L'Etat partie n'a pas expliqué
les retards en question. Par ailleurs, les actions engagées par l'ex-mari
de l'auteur et par ses enfants, ou en leur nom, ont été examinées et ont
fait l'objet d'une décision beaucoup plus rapidement. Comme le Comité
l'a déjà relevé dans sa décision concernant la recevabilité, la nature
même des procédures concernant la garde des enfants ou le droit de visite
permettant à un parent divorcé de voir ses enfants exige que les décisions
soient rendues rapidement. De l'avis du Comité, étant donné la lenteur
avec laquelle la justice s'est prononcée sur les actions engagées par
l'auteur, tel n'a pas été le cas.
8.5 Le Comité a noté en outre que les autorités de l'Etat partie n'ont
pas fait en sorte que l'ex-mari de l'auteur se conforme aux décisions
judiciaires accordant à l'auteur le droit de voir ses enfants, à savoir
la décision du mois de mai 1982 ou le jugement rendu par le tribunal de
première instance de la circonscription de Bogota le 13 mars 1989. Les
plaintes déposées par l'auteur concernant le non-respect de ces décisions
font encore l'objet d'enquêtes, semble-t-il, plus de 30 mois après leur
dépôt, ou sont encore pendantes; il y a là un autre élément indiquant
que la condition relative à l'égalité des armes et au jugement dans les
meilleurs délais n'a pas été remplie.
8.6 Enfin, il est à noter que, dans le cadre de la procédure engagée
au titre de l'article 86 de la Constitution colombienne au nom des filles
de l'auteur au mois de décembre 1993, l'audience a eu lieu et le jugement
a été rendu le 16 décembre 1993, c'est-à-dire avant l'expiration du délai
fixé pour le dépôt des conclusions de la défense par l'auteur. L'Etat
partie n'ayant pas répondu sur ce point, la version de l'auteur n'est
par conséquent pas contestée. De l'avis du Comité, l'impossibilité pour
Mme Fei de présenter ses arguments avant que le jugement ne soit prononcé
est incompatible avec le principe de la procédure contradictoire et donc
contraire au paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
8.7 Le Comité a noté et accepte l'argument de l'Etat partie selon lequel,
dans les procédures engagées par les enfants d'un parent divorcé, les
intérêts et le bien-être des enfants sont prioritaires. Le Comité ne prétend
pas être mieux placé que les tribunaux nationaux pour mesurer ces intérêts.
Il rappelle cependant que, lorsque de telles affaires sont soumises à
un tribunal local, celui-ci doit respecter toutes les garanties d'un procès
équitable.
8.8 L'auteur a affirmé avoir fait l'objet d'immixtions arbitraires et
illégales dans sa vie privée. Le Comité note que les allégations de l'auteur
qui prétend avoir fait l'objet de harcèlement et de menaces lors de ses
voyages en Colombie sont restées d'ordre général, et il ne ressort pas
des minutes du procès dont le Comité a eu connaissance que cette question
ait été soulevée devant les tribunaux. Le bien-fondé du grief selon lequel
la correspondance de l'auteur avec ses enfants a souvent été ouverte n'a
pas été établi non plus. Quant aux difficultés que l'auteur a éprouvées
pour suivre les procédures judiciaires engagées devant les différentes
instances judiciaires, le Comité note que des désagréments même sérieux
causés par l'existence de procédures judiciaires auxquelles l'auteur d'une
communication est partie ne peuvent être qualifiés d'immixtions "arbitraires"
ou "illégales" dans la vie privée de cette personne. Enfin,
rien n'indique qu'il y ait eu atteinte illicite à l'honneur de l'auteur
du seul fait des procédures judiciaires. Le Comité conclut que ces éléments
ne constituent pas une violation de l'article 17.
8.9 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 4 de l'article
23, le Comité rappelle que cette disposition reconnaît, sauf circonstances
exceptionnelles, le droit à des contacts réguliers entre les enfants et
chacun des deux parents lors de la dissolution du mariage. La volonté
unilatérale contraire de l'un des deux parents ne constitue généralement
pas une circonstance exceptionnelle au sens de la disposition /
Constatations sur la communication No 201/1985 (Hendriks c. Les
Pays-Bas), adoptées le 27 juillet 1988, par. 10.4..
8.10 En l'occurrence, c'est l'ex-mari de l'auteur qui a cherché à empêcher
celle-ci de voir régulièrement ses filles, malgré les décisions judiciaires
autorisant l'auteur à les voir. Sur la base des éléments d'information
dont le Comité était saisi, le refus du père était apparemment justifié
par "l'intérêt supérieur" des enfants. Le Comité ne saurait
partager cet avis. Aucune circonstance particulière n'a été signalée qui
puisse justifier les restrictions imposées aux rencontres entre l'auteur
et ses enfants. Il semble plutôt que l'ex-mari de l'auteur ait cherché
à entraver par tous les moyens dont il disposait les contacts entre l'auteur
et ses filles ou à rendre celles-ci hostiles à leur mère. Les restrictions
sévères qui ont été imposées à Mme Fei par son ex-mari lors de ses rares
rencontres avec ses filles corroborent cette conclusion. Les démarches
de Mme Fei tendant à introduire une action pénale contre son ex-mari pour
non-exécution de l'ordonnance du tribunal lui accordant le droit de visite
ont été entravées par des retards et l'inaction du Bureau du procureur.
En de telles circonstances, il n'était pas raisonnable de s'attendre à
ce que Mme Fei utilise toutes les voies de recours prévues par le Code
de procédure civile. De l'avis du Comité, en l'absence de circonstances
particulières, dont on ne peut trouver aucune trace dans l'affaire à l'examen,
on ne saurait considérer que "l'intérêt supérieur" des enfants
exige la suppression de toute rencontre, pratiquement, avec l'un des parents.
Le fait que Mme Fei ait réduit ses tentatives pour faire valoir son droit
de visite, depuis 1992-1993, ne saurait être retenu contre elle, de l'avis
du Comité. Au regard de toutes les circonstances propres à l'affaire à
l'examen, le Comité conclut qu'il y a eu violation du paragraphe 4 de
l'article 23. En outre, l'incapacité du Bureau du procureur à garantir
le droit à des contacts permanents entre l'auteur et ses filles se traduit
également par une violation du paragraphe 1 de l'article 17 du Pacte.
9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître des violations par la Colombie du paragraphe
1 de l'article 14 et du paragraphe 4 de l'article 23 en conjonction avec
le paragraphe 1 de l'article 17 du Pacte.
10. En application des dispositions du paragraphe 3 a) de l'article 2
du Pacte, l'Etat partie est tenu de garantir à l'auteur un recours utile.
De l'avis du Comité, l'Etat partie doit garantir à l'auteur la possibilité
de voir régulièrement ses filles et assurer le respect des termes du jugement
qui lui sont favorables. L'Etat partie est dans l'obligation de veiller
à ce que des violations similaires ne se reproduisent pas.
11. Considérant qu'en devenant partie au Protocole facultatif, l'Etat
partie a reconnu au Comité la compétence de déterminer s'il y a eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, l'Etat
partie s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son
territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte
et à veiller à ce qu'ils disposent d'un recours utile en cas de violation
de ces droits et à ce qu'une bonne suite soit donnée à ce recours, le
Comité souhaiterait recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures qu'il aura prises pour donner suite
à ses constatations.
[Texte adopté en anglais (version originale) en espagnol et en français.
Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport
annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]