Comité des droits de l'homme
Cinquante-quatrième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Cinquante-quatrième session -
Communication No 515/1992
Présentée par : Peter Holder (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Trinité-et-Tobago
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 19 juillet 1995,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Peter Holder / La communication
initiale a été présentée par Peter Holder et Irvin Phillip puis les communications
ont été séparées à la demande du conseil et enregistrées respectivement
sous les Nos 515/1992 et 594/1992., citoyen trinidadien qui, au moment
de la présentation de la communication, attendait d'être exécuté à la
prison d'Etat de Port-of-Spain à la Trinité-et-Tobago. Il affirme être
victime de violations de ses droits de l'homme par la Trinité-et-Tobago.
Sa condamnation à mort a été commuée en peine de prison à vie.
2.1 L'auteur ainsi que deux autres hommes, Irvin Phillip et Errol Janet,
ont été conjointement accusés du meurtre, le 29 mars 1985, d'une certaine
Faith Phillip. Le 5 mai 1988, au terme d'un procès d'un mois, le jury
n'a pu rendre un verdict à l'unanimité, et un nouveau procès a été ordonné.
Le 18 juin 1988, les accusés ont été reconnus coupables des faits qui
leur étaient reprochés et condamnés à mort par la deuxième cour d'assises
de Port-of-Spain. En mars 1990, la cour d'appel de la Trinité-et-Tobago
a rejeté l'appel de M. Holder et de M. Phillip, et acquitté Errol Janet;
elle a rendu son jugement par écrit deux semaines plus tard. Le 27 juin
1994, M. Holder a adressé à la Section judiciaire du Conseil privé une
demande d'autorisation spéciale de recours à laquelle il a été fait droit;
cependant, le Conseil privé n'a pas encore examiné l'affaire.
2.2 L'accusation reposait sur la déposition de l'unique témoin du crime,
une femme, qui a affirmé que le matin du 29 mars 1985, elle travaillait
au Zodiac Recreation Club de Port-of-Spain. Elle se trouvait dans le bar
et Faith Phillip était assise au comptoir lorsque les trois hommes sont
entrés. Ils se sont assis à une table et ont commencé à parler. L'accusé
No 1, dont le témoin a affirmé qu'il s'agissait de M. Holder, a commandé
une boisson. Au bout d'un moment, il est descendu et elle a entendu un
bruit semblable à celui que faisait le portail d'entrée lorsqu'on le fermait.
Lorsqu'il est remonté, elle a demandé à la victime d'aller jeter un coup
d'oeil. A son retour, la victime a été empoignée par l'accusé No 2, dont
le témoin a affirmé qu'il s'agissait de M. Phillip. L'accusé No 1 a alors
ouvert la porte d'un coup de pied et est entré dans le bar en compagnie
de l'accusé No 3, dont le témoin a affirmé qu'il s'agissait de M. Janet.
Chacun était armé d'un couteau. L'accusé No 1 a obligé le témoin à ouvrir
la caisse, ce qu'elle a fait, et l'accusé No 3 s'est emparé de l'argent.
Puis le témoin a été contraint de leur montrer la chambre du propriétaire
du Club, à l'arrière du bâtiment. Là, l'accusé No 1 a attaché le témoin
tandis que l'accusé No 3 fouillait la pièce à la recherche d'objets de
valeur. Elle a reçu l'ordre de se tourner face au mur mais avant d'avoir
eu le temps d'obéir, elle a vu l'accusé No 2 en train de traîner Mme Phillip
vers l'arrière du bâtiment. Puis elle a entendu des bruits de lutte qui
provenaient de la chambre opposée et qui se sont prolongés pendant cinq
minutes environ. Lorsque le calme est revenu, elle a entendu des pas,
comme si les accusés s'en allaient. Elle a finalement été délivrée par
l'électricien du Club qui passait par là, et tous deux ont découvert la
victime étendue sur le sol.
2.3 L'un des coaccusés, M. Phillip, a témoigné sous serment; il a nié
avoir eu connaissance du crime et affirmé qu'il n'avait pas quitté son
domicile le 29 mars 1985. Sa déposition devant les policiers a également
été retenue comme preuve après examen préliminaire (voire dire).
2.4 Le deuxième coaccusé, M. Janet, a confirmé sous serment la déposition
qu'il avait faite devant la police. Il a déclaré que le vol avait été
prévu par les accusés Nos 1 et 2, qui avaient reçu des informations selon
lesquelles le propriétaire du Club gardait tout son argent au Club. Il
a affirmé avoir participé au vol par crainte des deux autres hommes. Il
a en outre déclaré avoir empêché l'accusé No 1 de s'acharner sur la victime.
2.5 La défense reposait sur la déclaration faite sous serment au procès
par M. Holder, dans laquelle celui-ci a reconnu avoir participé au vol.
Mais il a nié avoir frappé la victime. Il a affirmé que pendant que l'accusé
No 3 et lui-même vidaient les tiroirs dans la chambre du propriétaire
du Club, il avait vu l'accusé No 2 dans le couloir avec la victime. Ils
l'avaient retrouvé en partant, à l'extérieur du bâtiment. L'auteur a également
nié avoir avoué le crime à la police. Mais ses déclarations ont néanmoins
été retenues comme preuve, bien que la défense ait tenté de démontrer
qu'elles n'étaient pas volontaires.
2.6 L'auteur affirme qu'il s'est rendu au commissariat de police le 3
avril 1985 au matin, car il avait entendu dire que la police le cherchait.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme qu'il n'a pas eu droit à un procès équitable, en
violation de l'article 14 du Pacte. Sur ce point, il met en lumière les
éléments suivants :
- Durant le premier procès, un article est paru dans le journal local
qui lui a été fortement préjudiciable. Il indique que le juge et trois
de ses avocats ont demandé aux journalistes de publier une mise au point.
Mais l'effet produit était déjà tel qu'il aurait été impossible de réunir
un jury objectif pour le second procès.
- La date du second procès a été initialement fixée au 1er juin 1988.
Or ce jour-là, M. Holder a été informé que son conseil et celui de M.
Phillip avaient renoncé à les défendre. Malgré des demandes insistantes,
ils n'ont pu obtenir de choisir eux-mêmes leurs conseils; le juge leur
a fait savoir qu'il désignerait lui-même un avocat et a reporté le procès
au 16 juin 1988. Le 6 juin 1988, l'auteur a adressé une lettre aux services
d'aide juridique leur demandant de choisir lui-même son conseil. Il affirme
que la veille du procès il a reçu la visite d'un autre avocat commis d'office
qui n'a consacré que 30 minutes à parler de l'affaire. Selon l'auteur,
la désignation d'un avocat contraire à son choix constitue une violation
de l'article 4 (par. b) et d)) et de l'article 5 (par. 2 c)) de la Constitution
de la Trinité-et-Tobago. Il affirme également n'avoir pas bénéficié du
temps nécessaire à la préparation de sa défense.
- Le juge a empêché la défense de jouer efficacement son r_le. L'auteur
affirme que le juge interrompait constamment la défense ou la mettait
dans l'embarras en lui suggérant les questions à poser et en faisant objection
aux questions qu'elle souhaitait réellement poser. Avant le procès, le
juge aurait fixé une date limite, faisant ainsi pression sur la défense
pour qu'elle prépare son argumentation dans un temps déterminé. Lorsque
la défense a demandé une suspension d'audience, le juge aurait empêché
la défense de demander des instructions à l'auteur en cours de procès.
Il aurait en outre contraint l'auteur à répondre d'une manière qui l'incriminait
à des questions posées par le ministère public dans le cadre de son contre-interrogatoire,
en menaçant de l'accuser d'entrave à la bonne marche de la justice s'il
ne répondait pas.
- Le conseil n'a pas représenté correctement l'auteur. Ce dernier se
plaint que son avocat était inexpérimenté et a négligé de procéder au
contre-interrogatoire des témoins sur des questions pertinentes. Ceci
est présenté comme un manquement caractérisé.
- La police n'a pas correctement informé l'auteur des chefs d'accusation
retenus contre lui. L'auteur affirme n'avoir été accusé que de vol, alors
qu'il a par la suite été reconnu coupable de meurtre.
3.2 L'auteur affirme en outre que, lors de sa mise en détention, il a
été placé dans une cellule qui, selon lui, était déjà si pleine qu'il
a dû rester debout toute la journée et toute la nuit. Il déclare avoir
été empêché d'aller aux toilettes et privé d'eau et de nourriture. Il
affirme d'autre part que, le matin suivant, il a été emmené dans un bureau
où il a été "agressé physiquement" par des policiers, en violation
de l'article 10 du Pacte.
3.3 Il n'est pas précisé si cette affaire a été soumise à une autre instance
internationale d'enquête ou de règlement.
Renseignements et observations communiqués par l'Etat partie
4. Dans une réponse datée du 12 novembre 1993, l'Etat partie déclare
que l'affaire est devant le Conseil privé. Dans une autre réponse datée
du 9 février 1994, l'Etat partie informe le Comité que la condamnation
à mort de l'auteur a été commuée en peine de prison à vie.
Délibérations du Comité
5.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément
au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même
affaire n'a pas été soumise à une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
5.3 En ce qui concerne l'obligation d'épuisement des recours internes
énoncée au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, le
Comité note que l'Etat partie et l'auteur sont d'accord sur le fait que
l'affaire est toujours pendante devant la Section judiciaire du Conseil
privé. Le Comité en conclut que les recours internes n'ont pas été épuisés.
6. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b)
de l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie, à l'auteur
et à son conseil.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.
Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le
rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]