Comité des droits de l'homme
Cinquante-quatrième session
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques
- Cinquante-quatrième session -
Communication No 516/1992
Présentée par : Mme Alina Simunek, Mme Dagmar Hastings Tuzilova
et M. Josef Prochazka
Au nom : Des auteurs et de Jaroslav Simunek (mari de Mme Alina Simunek)
Etat partie : République tchèque
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 19 juillet 1995,
Ayant achevé l'examen de la communication No 516/1992 présentée
au Comité des droits de l'homme par Mme Alina Simunek, Mme Dagmar Hastings
Tuzilova et M. Josef Prochazka en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été fournies par les auteurs de la communication et l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
1. Les auteurs de la communication sont Alina Simunek qui agit en son nom
personnel et au nom de Jaroslav Simunek, son mari, Dagmar Tuzilova Hastings
et Josef Prochazka, résidant respectivement au Canada et en Suisse. Ils
affirment être victimes de violations de leurs droits par la République
tchèque. La Tchécoslovaquie a ratifié le Pacte le 23 décembre 1975. Le Protocole
facultatif est entré en vigueur pour la République tchèque le 12 juin 1991
/ La République fédérative tchèque et slovaque a ratifié le
Protocole facultatif en mars 1991 mais elle a cessé d'exister le 31 décembre
1992. Le 22 février 1993, la République tchèque a notifié sa succession
au Pacte et au Protocole facultatif..
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Alina Simunek, citoyenne polonaise née en 1960, et Jaroslav Simunek,
citoyen tchèque, résident actuellement dans la province de l'Ontario au
Canada. Ils affirment qu'ils ont été contraints de quitter la Tchécoslovaquie
en 1987, sous la pression des forces de sécurité du régime communiste. En
vertu de la législation alors en vigueur, leurs biens ont été confisqués.
Après la chute du gouvernement communiste, le 17 novembre 1989, les autorités
tchèques ont publié des avis d'où il ressortait qu'en ce qui concernait
les condamnations pénales les citoyens tchèques expatriés seraient réhabilités
et que leurs biens leur seraient restitués.
2.2 En juillet 1990, M. et Mme Simunek sont retournés en Tchécoslovaquie
afin de demander la restitution de leurs biens, qui avaient été confisqués
par le Comité national de district, un organe de l'Etat, à Jablonec. Or
entre septembre 1989 et février 1990, tous leurs biens et leurs effets personnels
avaient été estimés et vendus aux enchères par le Comité national de district.
Les articles invendables avaient été détruits. Le 13 février 1990, le patrimoine
immobilier des auteurs a été transféré à l'usine Sklarny de Jablonec où
Jaroslav Simunek avait travaillé pendant 20 ans.
2.3 Les auteurs ayant déposé une plainte auprès du Comité national de district,
une procédure d'arbitrage a eu lieu, le 18 juillet 1990, entre eux, leurs
témoins et des représentants de l'usine. Ces derniers ont nié le caractère
illégal du transfert de propriété. Par la suite les auteurs ont formé un
recours devant le procureur du district en demandant l'ouverture d'une enquête
sur cette affaire au motif que le transfert de propriété était illégal puisqu'il
n'avait pas été fait en vertu d'une ordonnance judiciaire ou dans le cadre
d'une procédure judiciaire à laquelle les auteurs auraient été parties.
Le 17 septembre 1990, une enquête a été ouverte par les Services de la police
judiciaire de Jablonec qui ont conclu, dans leur rapport en date du 29 novembre
1990, qu'aucune violation des règles applicables (à l'époque) ne pouvait
être établie avec certitude et que les auteurs du recours devaient être
déboutés, le gouvernement n'ayant pas encore modifié l'ancienne législation.
2.4 Le 2 février 1991, le Gouvernement de la République fédérative tchèque
et slovaque a adopté la loi No 87/1991 qui est entrée en vigueur le 1er
avril 1991. Cette loi prévoit la réhabilitation des citoyens tchèques qui
avaient quitté le pays sous la pression du régime communiste et fixe les
modalités régissant la restitution des biens ou l'indemnisation pour les
pertes encourues. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la loi, les
particuliers dont les biens sont devenus propriété de l'Etat dans les cas
précisés à l'article 6 de la loi ont droit à la restitution de leurs biens,
à condition toutefois qu'ils soient citoyens de la République fédérative
tchèque et slovaque et résident de façon permanente sur le territoire
de ce pays.
2.5 Selon le paragraphe 1 de l'article 5 de la loi, toute personne se trouvant
en possession (illégale) de tels biens doit les restituer à leur propriétaire
légitime, sur demande écrite de ce dernier, qui doit également prouver son
bon droit et établir la manière dont les biens sont devenus propriété de
l'Etat. En vertu du paragraphe 2 du même article, la demande de restitution
doit être adressée dans un délai de six mois à compter de la date d'entrée
en vigueur de la loi à la personne se trouvant en possession du bien. Si
celle-ci refuse de satisfaire à la demande, l'ayant droit peut engager une
action devant le tribunal compétent dans un délai d'un an à compter de la
date d'entrée en vigueur de la loi (par. 4).
2.6 En ce qui concerne la question de l'épuisement des recours internes,
il semble que les auteurs n'aient pas demandé la restitution de leurs biens
devant les tribunaux locaux, comme le stipule le paragraphe 4 de l'article
5 de la loi. Il ressort de leurs communications qu'ils jugent ce recours
inefficace dans la mesure où ils ne remplissent pas les conditions énoncées
au paragraphe 1 de l'article 3. Alina Simunek ajoute qu'ils ont adressé
en vain des plaintes aux autorités municipales, provinciales et fédérales
compétentes. Elle fait aussi observer que la dernière lettre qu'elle ait
reçue est datée du 16 juin 1992 et émane du Cabinet du Président tchèque
qui l'informe qu'il ne peut pas intervenir dans cette affaire et que seuls
les tribunaux sont compétents pour se prononcer sur la question. Les lettres
ultérieures de l'auteur sont restées sans réponse.
2.7 Dagmar Hastings Tuzilova, citoyenne américaine par mariage et résidant
actuellement en Suisse, a émigré de Tchécoslovaquie en 1968. Le 21 mai 1974,
elle a été condamnée par contumace à une peine de prison ainsi qu'à la confiscation
de ses biens pour avoir "émigré illégalement" de Tchécoslovaquie.
Ses biens, soit cinq dix-huitièmes du patrimoine immobilier de sa famille
à Pilsen, sont actuellement propriété de l'Administration du logement de
cette ville.
2.8 Par décision du tribunal de district de Pilsen en date du 4 octobre
1990, Dagmar Hastings Tuzilova a été réhabilitée; les décisions antérieures
rendues par cette juridiction et par toutes les autres instances qui sont
intervenues dans cette affaire ont été déclarées nulles et non avenues.
Par la suite, toutes les demandes qu'elle a adressées aux autorités compétentes,
et en particulier une demande de négociation adressée à l'Administration
du logement de Pilsen en vue d'un accord portant sur la restitution de ses
biens, n'ont cependant donné aucun résultat concret.
2.9 Apparemment, l'Administration du logement a accepté, au printemps de
1992, de lui restituer les cinq dix-huitièmes de la maison à condition que
le notaire de Pilsen accepte d'enregistrer la transaction. Mais celui-ci
a jusqu'à présent refusé de le faire. Au début de 1993, le tribunal de district
de Pilsen a confirmé le bien-fondé du refus du notaire (affaire No 11 Co.
409/92). L'auteur affirme qu'elle a été informée du fait qu'elle pouvait
faire appel de cette décision par l'intermédiaire du tribunal de district
de Pilsen devant la Cour suprême. Elle a apparemment formé un recours devant
la Cour suprême le 7 mai 1993 mais celle-ci n'avait toujours pas rendu sa
décision le 20 janvier 1994.
2.10 Le 16 mars 1992, Dagmar Hastings Tuzilova a engagé une action civile
contre l'Administration du logement, conformément au paragraphe 4 de l'article
5 de la loi. Le 25 mai 1992, le tribunal de district de Pilsen a rejeté
sa demande au motif qu'en sa qualité de citoyenne américaine résidant en
Suisse, elle n'avait pas droit à la restitution de ses biens au sens du
paragraphe 1 de l'article 3 de la loi No 87/1991. L'auteur soutient qu'il
serait vain de faire appel de cette décision.
2.11 Josef Prochazka est un citoyen tchèque né en 1920 qui réside actuellement
en Suisse. En août 1968, en compagnie de sa femme et de ses deux fils, il
a fui la Tchécoslovaquie où il possédait une maison comportant deux appartements
de trois pièces et un jardin, ainsi qu'une autre parcelle de terrain. Vers
le début de 1969, il a fait don de ses biens à son père, en bonne et due
forme et avec l'accord des autorités. Par décisions d'un tribunal de district
en date de juillet et septembre 1971, il a été condamné ainsi que sa femme
et ses fils à des peines de prison pour "émigration illégale"
de Tchécoslovaquie. En 1973, le père de Josef Prochazka est décédé; d'après
son testament, dont la validité a été reconnue par les autorités, les fils
de l'auteur héritaient de la maison et d'autres biens immobiliers.
2.12 En 1974, le tribunal a décrété la confiscation des biens de l'auteur
en raison de son "émigration illégale" avec sa famille, en dépit
du fait que les autorités avaient, plusieurs années auparavant, reconnu
la légalité du transfert de propriété. En décembre 1974, la maison et le
jardin ont été vendus, pour un prix dérisoire selon l'auteur, à un haut
fonctionnaire du parti.
2.13 Par décisions en date du 26 septembre 1990 et du 31 janvier 1991,
respectivement, le tribunal de district d'Ustí a réhabilité l'auteur et
ses fils pour ce qui est de leur condamnation pénale, avec effet rétroactif.
Cela signifie que les décisions judiciaires de 1971 et 1974 (voir par. 2.11
et 2.12 ci-dessus) ont été invalidées.
Teneur de la plainte
3.1 Alina et Jaroslav Simunek soutiennent que les critères énoncés dans
la loi No 87/1991 ont un caractère discriminatoire illégal dans la mesure
où cette loi ne s'applique qu'aux "purs Tchèques vivant dans la République
fédérative tchèque et slovaque". Les Tchèques qui ont fui le pays ou
été contraints à l'exil par l'ex-régime communiste sont dans l'obligation
de redevenir résidents permanents en Tchécoslovaquie pour avoir droit à
la restitution de leurs biens ou à une indemnisation pour les pertes encourues.
Alina Simunek, qui a vécu et a travaillé pendant huit ans en Tchécoslovaquie,
ne pourrait en aucune façon prétendre à la restitution de ses biens du fait
qu'elle est citoyenne polonaise. Les auteurs affirment que la loi légalise
en réalité les anciennes pratiques communistes, plus de 80 % des biens confisqués
appartenant à des personnes qui ne remplissent pas ces conditions.
3.2 Alina Simunek affirme que les conditions prévues par la loi pour obtenir
la restitution de ses biens constituent une discrimination fondée sur les
opinions politiques et la religion mais elle n'étaye pas ses affirmations.
3.3 Dagmar Hastings Tuzilova soutient que les conditions énoncées dans
la loi No 87/1991 ont un caractère discriminatoire illicite et sont donc
contraires à l'article 26 du Pacte.
3.4 Josef Prochazka affirme également être victime des dispositions discriminatoires
de la loi No 87/1991; il ajoute que le tribunal ayant décidé, avec effet
rétroactif, que la confiscation de ses biens était nulle et non avenue,
la loi ne devrait pas lui être appliquée puisqu'il n'a jamais perdu son
titre de propriété et qu'il ne peut donc être question de lui "restituer"
ses biens.
Décision du Comité concernant la recevabilité
4.1 Le 26 octobre 1993, les communications ont été transmises à l'Etat
partie conformément à l'article 91 du règlement intérieur du Comité des
droits de l'homme. L'Etat partie n'a pas soumis d'observations à leur sujet
comme le stipule l'article 91, bien qu'une lettre de rappel lui ait été
adressée. Les auteurs ont été également priés d'apporter un certain nombre
d'éclaircissements; ils ont satisfait à cette demande par des lettres datées
respectivement du 25 novembre 1993 (Alina et Jaroslav Simunek), du 3 décembre
1993 et du 11-12 avril 1994 (Josef Prochazka) et du 19 janvier 1994 (Dagmar
Hastings Tuzilova).
4.2 A sa cinquante et unième session, le Comité a examiné la question de
la recevabilité de la communication. Il a noté avec regret que l'Etat partie
n'avait pas présenté de renseignements ou d'observations sur cette question.
Malgré cette absence de coopération de la part de l'Etat partie, le Comité
a entrepris de s'assurer que les conditions de recevabilité énoncées dans
le Protocole facultatif avaient été remplies.
4.3 Le Comité a noté que la confiscation et la vente des biens en question
par les autorités de la Tchécoslovaquie avaient eu lieu dans les années
70. Indépendamment du fait que tous ces événements s'étaient produits avant
la date d'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la République tchèque,
le Comité a rappelé que le droit à la propriété, en tant que tel, n'était
pas protégé par le Pacte.
4.4 Le Comité a cependant relevé que les auteurs s'étaient plaints du caractère
discriminatoire des dispositions de la loi No 87/1991 dans la mesure où
celles-ci ne s'appliquaient qu'aux citoyens tchèques illégalement dépouillés
de leurs biens sous l'ancien régime qui résidaient de façon permanente en
République tchèque. La question devait donc déterminer si la loi pouvait
être considérée comme discriminatoire au sens de l'article 26 du Pacte.
4.5 Le Comité a noté que les obligations auxquelles l'Etat partie avait
souscrit en vertu du Pacte le liaient à compter de la date où celui-ci entrait
en vigueur à son égard. Il se posait cependant une autre question, à savoir
la date à laquelle le Comité a compétence pour examiner, en vertu du Protocole
facultatif, des allégations de violation du Pacte. Dans ses décisions antérieures
prises en application du Protocole facultatif, le Comité a toujours estimé
qu'il ne pouvait connaître de violations qui se seraient produites avant
l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'Etat partie à moins que
lesdites violations ne persistent après l'entrée en vigueur du Protocole
facultatif. Une violation persistante s'entend de la perpétuation, par des
actes ou de manière implicite, après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif,
de violations commises antérieurement par l'Etat partie.
4.6 En l'espèce, la condamnation pénale des auteurs a été cassée par les
tribunaux, mais les auteurs continuent de soutenir que la loi No 87/1991
établit une discrimination contre eux en ce sens que deux des requérants
(M. et Mme Simunek; Mme Hastings Tuzilova) ne sont pas des citoyens tchèques
et n'ont pas leur résidence dans la République tchèque et que, s'agissant
du troisième requérant (M. Prochazka), la loi n'aurait pas dû être jugée
applicable à sa situation.
5. Le Comité a donc décidé, le 22 juillet 1994, que la communication
était recevable dans la mesure où elle pouvait soulever des questions au
titre du paragraphe 6 de l'article 14 et de l'article 26 du Pacte.
Explications de l'Etat partie
6.1 Dans ses observations datées du 12 décembre 1994, l'Etat partie soutient
que la législation en question n'est pas discriminatoire. Il appelle l'attention
du Comité sur le fait que, conformément au paragraphe 2 de l'article 11
de la Charte des droits et des libertés fondamentaux, qui fait partie de
la Constitution de la République tchèque, "... la loi peut stipuler
que certains objets ne peuvent appartenir qu'à des citoyens ou des personnes
morales se trouvant en République tchèque".
6.2 L'Etat partie affirme son attachement au principe du règlement des
contentieux relatifs à la propriété par la restitution de leurs biens aux
personnes qui ont été lésées pendant la période allant du 25 février 1948
au 1er janvier 1990. Même s'il a fallu fixer certains critères pour la restitution
des biens confisqués, l'objectif n'était pas de violer les droits de l'homme.
La République tchèque ne saurait imposer à quiconque un lieu de résidence.
La restitution des biens confisqués est une opération très compliquée et
constitue de facto une mesure sans précédent; il ne faut par conséquent
pas s'attendre à ce qu'elle permette de réparer tous les torts et de satisfaire
toutes les personnes lésées sous le régime communiste.
7.1 Pour ce qui est de la communication de Mme Alina Simunek, l'Etat partie
affirme que les documents présentés par l'auteur ne définissent pas d'une
façon suffisamment claire l'objet de la requête. Il ressort des observations
de l'auteur que M. Jaroslav Simunek a été emprisonné par les services de
la sécurité de l'Etat. Toutefois, il est difficile de savoir s'il a été
placé en garde à vue ou effectivement condamné à une peine de prison. En
ce qui concerne la confiscation des biens de M. et Mme Simunek, la communication
ne donne aucune indication quant à la nature de la mesure par laquelle ils
ont été privés de leurs droits de propriété. Au cas où M. Simunek aurait
été condamné pour un délit pénal visé à l'article 2 ou à l'article 4 de
la loi No 119/1990 sur la réhabilitation judiciaire telle qu'elle a été
modifiée ultérieurement, il pourrait demander sa réhabilitation en vertu
de la loi ou dans le cadre d'une procédure de révision et adresser, dans
les trois ans qui suivent l'entrée en vigueur de la décision du tribunal
par laquelle il aura été réhabilité, une demande d'indemnisation au Département
des dédommagements du Ministère de la justice de la République tchèque en
application de l'article 23 de la loi susmentionnée. Si M. Simunek a été
illégalement privé de sa liberté et si ses biens ont été confisqués entre
le 25 février 1948 et le 1er janvier 1990, au motif d'un délit pénal visé
à l'article 2 ou à l'article 4 de la loi sans qu'aucune procédure pénale
n'ait été entamée contre lui, il peut demander réparation en se fondant
sur une décision de justice prononcée à la demande de la partie lésée et
présenter à l'appui de sa demande les documents dont il dispose ou ceux
que son conseil aura obtenus au service des archives du Ministère de l'intérieur
de la République tchèque.
7.2 S'agissant de la restitution des biens dont l'auteur a été dépossédé
ou qui ont été confisqués, l'Etat partie conclut qu'Alina Simunek et Jaroslav
Simunek ne remplissent pas les conditions fixées au paragraphe 1 de l'article
3 de la loi No 87/1991 sur les réhabilitations extrajudiciaires, notamment
celles relatives au statut de citoyen de la République fédérative tchèque
et slovaque et à la résidence permanente sur son territoire. En conséquence,
le droit à la restitution ne saurait leur être reconnu. La réparation ne
serait possible que si au moins l'un des deux requérants remplissait les
conditions requises et avait réclamé la restitution dans un délai de six
mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi sur les réhabilitations
extrajudiciaires (c'est-à-dire à la fin de septembre 1991).
8.1 En ce qui concerne la communication de Mme Dagmar Hastings Tuzilova,
l'Etat partie précise que cette dernière réclame la restitution de cinq
dix-huitièmes des parts qu'elle détient dans la maison No 2214, sise à Chechova
61 (Pilsen), dont elle a été dépossédée en application d'une décision prise
par le tribunal de district de Pilsen le 21 mai 1974 qui l'a condamnée pour
émigration illégale conformément au paragraphe 2 de l'article 109 de la
loi pénale. Mme Dagmar Hastings Tuzilova a été réhabilitée en vertu d'une
décision du tribunal de district de Pilsen en date du 4 octobre 1990 prise
conformément à la loi No 119/1990 sur les réhabilitations judiciaires. Elle
a demandé la restitution de ses parts dans la propriété se trouvant à Pilsen
en application de la loi No 87/1991 sur les réhabilitations extrajudiciaires.
Mme Hastings Tuzilova a conclu un accord de restitution avec l'Administration
du logement à Pilsen que le notaire d'Etat de Pilsen a refusé d'enregistrer
pour non-conformité avec les dispositions du paragraphe 1 de l'article 3
de la loi sur les réhabilitations extrajudiciaires.
8.2 Bien qu'elle ait été réhabilitée en application de cette loi, Mme Hastings
Tuzilova ne peut être considérée comme un ayant droit au sens de l'article
19 de la loi sur les réhabilitations extrajudiciaires, parce qu'à la date
de la demande, elle ne remplissait pas les conditions fixées au paragraphe
1 de l'article 3 de la loi susmentionnée, à savoir être citoyen de la République
fédérative tchèque et slovaque et résider de façon permanente sur le territoire
de la République. En outre, elle n'a pas satisfait aux conditions requises
avant l'expiration du délai de forclusion fixé au paragraphe 2 de l'article
5 de la loi sur les réhabilitations extrajudiciaires. En effet, Mme Hastings
Tuzilova n'est devenue citoyenne tchèque et n'a élu domicile sur le territoire
de la République que le 30 septembre 1992.
8.3 Le paragraphe 3 de l'article 20 de la loi sur les réhabilitations extrajudiciaires
stipule que la période légale pour la présentation des demandes de restitution
fondées sur l'annulation de la peine de confiscation, en application de
la loi sur les réhabilitations extrajudiciaires, commence le jour où l'annulation
prend effet. Néanmoins, cette disposition n'est pas applicable dans le cas
de Mme Hastings Tuzilova puisque sa réhabilitation judiciaire a pris effet
le 9 octobre 1990, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur (le 1er avril
1991) de la loi No 87/1991 sur les réhabilitations extrajudiciaires.
9.1 S'agissant de la communication de M. Josef Prochazka, l'Etat partie
déclare que l'article 3 de la loi No 87/1991 sur les réhabilitations extrajudiciaires
définit l'ayant droit comme étant la personne habilitée à réclamer dans
les délais prescrits par la loi la restitution des biens ou l'indemnisation.
Les requérants qui ne sont pas devenus citoyens de la République fédérative
tchèque et slovaque et qui n'ont pas élu domicile sur le territoire de la
République avant l'expiration des délais fixés par la loi pour la présentation
des demandes (le 1er octobre 1991 pour les personnes qui demandent la restitution
et le 1er avril 1992 pour celles qui demandent à être indemnisées) ne sont
pas considérés comme des ayants droit.
9.2 Au sujet des observations de M. Prochazka, l'Etat partie indique que
les biens en cause ont été dévolus à l'Etat en vertu d'une décision prononcée
en 1974 par le tribunal de district d'Ustí nad Labem, qui a déclaré nul
et non avenu l'acte de donation de 1969 au motif que le donateur avait quitté
le territoire de l'ex-République socialiste tchécoslovaque. De tels cas
relèvent du paragraphe 1 f) de l'article 6 de la loi sur les réhabilitations
extrajudiciaires, lequel définit l'ayant droit comme la personne devenue
cessionnaire par le biais d'un acte déclaré nul, soit en l'occurrence le
père de M. Prochazka dont le nom n'est pas indiqué. Par conséquent, les
personnes auxquelles s'applique la peine de dépossession, invalidée en vertu
de la loi No 119/1990 sur les réhabilitations judiciaires, ne peuvent être
considérées comme les ayants droit, contrairement à ce que croit M. Prochazka.
9.3 Comme le père de M. Prochazka est décédé avant l'entrée en vigueur
de la loi sur les réhabilitations extrajudiciaires, les ayants droit sont
ses héritiers testamentaires, ses fils Josef et Jiri Prochazka, à condition
qu'ils aient été citoyens de l'ex-République fédérative tchèque et slovaque
et qu'ils aient résidé d'une façon permanente sur le territoire de la République.
Le fait qu'ils ont été réhabilités en application de la loi sur les réhabilitations
judiciaires ne change rien en l'espèce. L'Etat partie conclut d'après les
observations de M. Prochazka que Josef et Jiri Prochazka sont citoyens tchèques
mais vivent en Suisse et n'ont pas fait de demande pour résider en permanence
en République tchèque.
Observations de l'auteur au sujet des explications de l'Etat partie
10.1 Dans une lettre datée du 21 février 1995, Mme Alina Simunek et M.
Jaroslav Simunek font valoir que l'Etat partie n'a pas répondu aux questions
soulevées dans leur communication, notamment celle de la compatibilité de
la loi No 87/1991 avec le principe de la non-discrimination énoncé à l'article
26 du Pacte. Ils affirment que les inconditionnels tchèques sont toujours
au pouvoir et qu'ils n'ont pas intérêt à ce que les biens confisqués soient
restitués parce qu'ils ont eux-mêmes bénéficié de leur confiscation. Une
véritable loi sur la restitution devrait être fondée sur des principes démocratiques
et interdire toute restriction de nature à exclure les anciens citoyens
tchèques et les citoyens tchèques qui vivent à l'étranger.
10.2 Par lettre en date du 12 juin 1995, M. Prochazka a informé le Comité
que conformément à une décision du tribunal de district du 12 avril 1995,
la parcelle de terrain qu'il avait héritée de son père lui sera restituée
(par. 2.11).
10.3 Mme Hastings Tuzilova n'avait toujours pas présenté d'observations
quand le Comité a commencé l'examen des communications au fond.
Examen quant au fond
11.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication en tenant
compte de toutes les informations que les parties lui avaient communiquées
conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
11.2 Le Comité a déclaré la présente communication recevable uniquement
dans la mesure où elle pouvait soulever des questions au titre du paragraphe
6 de l'article 14 et de l'article 26 du Pacte. Pour ce qui est du paragraphe
6 de l'article 14, le Comité estime que les auteurs n'ont pas suffisamment
étayé leurs allégations et que les informations dont il dispose ne permettent
pas de conclure à une violation.
11.3 Comme le Comité l'a déjà indiqué dans sa décision concernant la recevabilité
(par. 4.3 ci-dessus), le droit à la propriété n'est pas protégé par le Pacte.
Cependant, la confiscation d'un bien privé ou l'absence d'indemnisation
pour sa perte par un Etat partie au Pacte pourrait encore entraîner une
violation du Pacte si l'action ou l'omission en question était fondée sur
des motifs discriminatoires interdits par l'article 26.
11.4 Le Comité doit déterminer si l'application de la loi No 87/1991 aux
auteurs a entraîné une violation de leur droit à l'égalité devant la loi
et à l'égale protection de la loi. Les auteurs soutiennent que cette loi
entérine en fait les confiscations discriminatoires opérées antérieurement.
Le Comité fait observer que ce ne sont pas les confiscations proprement
dites qui sont en cause mais le refus d'accorder réparation aux auteurs
alors que d'autres plaignants ont récupéré leurs biens ou ont été indemnisés.
11.5 En l'espèce, les auteurs ont été lésés par les mesures d'exclusion
découlant des dispositions de la loi No 87/1991 qui imposent à la fois d'être
citoyens tchèques et de résider dans la République tchèque. Le Comité doit
donc se demander si ces conditions préalables à la restitution des biens
ou à l'indemnisation sont compatibles avec l'interdiction de la discrimination
faite à l'article 26 du Pacte. A ce sujet, le Comité rappelle sa jurisprudence
et réaffirme que toute différence de traitement n'est pas considérée comme
discriminatoire au regard de l'article 26 du Pacte / Zwaan
de Vries c. Pays-Bas, communication No 182/1984, constatations
adoptées le 9 avril 1987, par. 13.. Une différence de traitement compatible
avec les dispositions du Pacte et fondée sur des motifs raisonnables ne
représente pas une discrimination prohibée au sens de l'article 26.
11.6 Pour se prononcer sur la compatibilité avec le Pacte des conditions
imposées pour obtenir la restitution des biens ou une indemnisation, le
Comité doit prendre en considération tous les facteurs, notamment le droit
de propriété initial des auteurs sur les biens en question et la nature
des confiscations. L'Etat partie reconnaît lui-même que les confiscations
ont été discriminatoires et que c'est précisément pour cette raison qu'une
législation spécifique a été promulguée, en vue d'assurer une forme de restitution.
Le Comité fait observer que cette législation ne doit pas faire de discrimination
entre les victimes des confiscations effectuées dans le passé, étant donné
que toutes les victimes ont droit à réparation, sans aucune distinction
arbitraire. Comme le droit de propriété initial des auteurs sur leurs biens
ne dépendait ni de la citoyenneté ni de la résidence, le Comité estime que
les conditions imposées dans la loi No 87/1991 relatives à la citoyenneté
et à la résidence sont déraisonnables. A cet égard, il note que l'Etat partie
n'a avancé aucun motif pour justifier ces restrictions. De plus, on sait
que les auteurs et de nombreuses autres personnes dans leur situation ont
quitté la Tchécoslovaquie en raison de leurs opinions politiques et que
leurs biens avaient été confisqués soit pour cette raison soit parce qu'ils
avaient émigré. Ces victimes de persécutions politiques se sont installées
dans d'autres pays et y ont demandé la citoyenneté. Etant donné que l'Etat
partie lui-même est responsable du départ des auteurs, exiger qu'ils retournent
définitivement dans le pays à titre de condition pour obtenir la restitution
de leurs biens ou une indemnisation appropriée serait incompatible avec
le Pacte.
11.7 L'Etat partie fait valoir qu'il n'y a pas violation du Pacte parce
que les législateurs tchèques et slovaques n'avaient pas l'intention d'exercer
une discrimination quand la loi No 87/1991 a été adoptée. Le Comité est
toutefois d'avis que l'intention du législateur n'est pas le seul facteur
déterminant pour établir une violation de l'article 26 du Pacte. Une différence
de traitement motivée par des raisons politiques ne saurait guère être considérée
comme compatible avec l'article 26. Sans être inspirée par des motivations
politiques, une loi peut néanmoins être en infraction avec l'article 26
si elle a des effets discriminatoires.
11.8 Etant donné les considérations qui précèdent, le Comité conclut que
la loi No 87/1991 a eu pour les auteurs des effets qui entraînent une violation
de leurs droits au regard de l'article 26 du Pacte.
12.1 Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif, est d'avis que le refus de restituer
leurs biens aux auteurs ou de les indemniser constitue une violation de
l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
12.2 En vertu du paragraphe 3.1 de l'article 2 du Pacte, l'Etat partie
est tenu d'assurer aux auteurs un recours utile, qui peut prendre la forme
d'une indemnisation si les biens en question ne peuvent pas être restitués.
Notant qu'une restitution partielle des biens de M. Prochazka semble avoir
été effectuée ou être sur le point d'être effectuée (par. 10.2), le Comité
se félicite de cette mesure et considère que l'Etat partie a ainsi donné
partiellement suite à ses constatations. Il engage l'Etat partie à revoir
sa législation de façon à garantir que la loi ne soit pas discriminatoire
dans ses dispositions ni dans son application.
12.3 Etant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'Etat partie
a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu
ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, l'Etat
partie s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son
territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte
et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie,
le Comité souhaite recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ces constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]