Comité des droits de l'homme
Cinquante-et-unième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Cinquante-et-unième session -
Communication No 517/1992
Présentée par : Curtis Lambert (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 13 février 1992 (date de la communication
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 21 juillet 1994,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Curtis Lambert, citoyen jamaïcain,
marin-pêcheur, qui, au moment où il présentait sa communication, était
détenu à la prison du district de Sainte-Catherine (Jamaïque), où il attendait
d'être exécuté, et qui purge à présent une peine de réclusion criminelle
à perpétuité. Il affirme être victime de violations, par la Jamaïque,
de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 20 juillet 1987, l'auteur a été arrêté et inculpé du meurtre,
le soir du 1er juillet 1987, à Clarendon, d'un certain D. C. Le 21 juillet
1988, il a été reconnu coupable et condamné à mort par la Circuit Court
de Clarendon. La Cour d'appel de la Jamaïque l'a débouté de son recours
le 17 avril 1989. En décembre 1992, le crime commis par l'auteur a été
qualifié de meurtre n'entraînant pas la peine capitale en vertu de l'Offences
against the Persons (Amendments) Act de 1992 (loi portant modification
de la loi relative aux atteintes à la vie et à l'intégrité des personnes);
la peine de mort a donc été commuée en réclusion criminelle à perpétuité.
2.2 Devant la Circuit Court de Clarendon, le principal témoin à charge,
un certain D. B., cousin au deuxième degré de la victime, a déclaré que
le soir du 1er juillet 1987, il se tenait sur la grand-route, en face
d'un bar, au champ de courses de Clarendon, en compagnie d'un autre homme.
Il a vu D. C. passer à bicyclette devant eux; il l'a appelé et la victime
a alors rebroussé chemin et s'est dirigée vers eux. C'est alors que D.
B. a vu l'auteur surgir de derrière un poteau télégraphique, se précipiter
vers la victime et la poignarder dans le dos à l'aide d'un long couteau
effilé. D. B. et l'autre homme ont poursuivi l'auteur, mais n'ont pu l'attraper.
D. C. est tombé de bicyclette, en criant que "le capitaine"
— surnom généralement donné à l'auteur — l'avait poignardé.
D. B. a déclaré en outre savoir que l'auteur et D. C. s'étaient disputés
environ trois semaines et demie avant le crime.
2.3 Un autre témoin, frère de D. B., a confirmé pour l'essentiel cette
version des faits. Il a ajouté qu'il avait vu l'auteur se tenir seul près
d'un poteau télégraphique avant l'incident, les mains cachées derrière
le dos. Un témoin à décharge a témoigné qu'il était allé à la pêche avec
l'auteur, de 17 heures le 1er juillet 1987 à 6 heures du matin le lendemain.
2.4 L'essentiel en l'espèce était d'identifier correctement les intéressés.
Il a été reconnu que les deux témoins et la victime se connaissaient depuis
de longues années, puisqu'ils avaient fréquenté la même école. Pour ce
qui est de l'éclairage du lieu du crime, il s'est avéré que celui-ci était
éclairé par une ampoule de 100 watts qui pendait à l'entrée du bar et
par la lumière provenant d'une maison située en face du bar, à environ
une douzaine de mètres du lieu.
2.5 L'auteur a reconnu s'être disputé avec la victime quelques semaines
avant le décès de cette dernière et a admis qu'il s'était bagarré avec
D. B. Il fait cependant valoir qu'il a usé de son droit de légitime défense,
parce que la victime portait un pistolet au moment du crime et qu'un coup
avait effectivement été tiré sur lui. L'auteur prétend qu'il voulait plaider
coupable sur le chef d'accusation d'homicide involontaire mais que durant
le procès, l'avocat commis d'office, un certain D. W., lui a dit de ne
pas soulever ce point et d'insister au contraire sur le fait qu'il ignorait
tout du crime.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur prétend ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable et
impartial et que plusieurs irrégularités se sont produites au cours du
procès. Ainsi, le premier jour du procès, un juré aurait été vu en train
de parler aux parents de la victime à l'extérieur de la salle d'audience;
la même personne aurait ensuite cherché à influencer les autres jurés.
Le juge en a été informé et a fait le nécessaire pour exclure ledit juré.
Mais l'auteur prétend qu'il avait déjà influencé les autres membres du
jury, que par conséquent le jury était prévenu contre lui et que le juge
aurait dû renvoyer tous les jurés et ordonner la constitution d'un nouveau
jury.
3.2 L'auteur se plaint de ce que, malgré ses instructions, l'avocat commis
d'office n'ait pas soulevé cette objection particulière à l'audience.
Dans ces conditions, il estime avoir été mal représenté et fait valoir
qu'il n'avait pas les moyens de choisir librement son avocat. D. W. aurait
été le seul avocat d'office disponible; l'auteur prétend que son avocat
se trouvait en état d'ébriété à l'audience et que le juge de fond a relevé
avec désapprobation son comportement étrange. Devant la Cour d'appel,
l'auteur était représenté par un autre avocat, D. C., qui ne l'a pas consulté
et aurait reconnu ne pas trouver de motif sur lequel fonder le recours.
3.3 En ce qui concerne l'obligation de l'épuisement des recours internes,
l'auteur fait observer qu'après avoir été débouté de son appel, il a reçu
une lettre de son conseil l'informant qu'il n'était pas justifié de demander
une autorisation spéciale de recours devant la section judiciaire du Conseil
privé. Une demande de clémence a été adressée au Gouverneur général de
la Jamaïque le 8 novembre 1989. En 1990, deux Queen's Counsels (Conseillers
de la Couronne), agissant en tant que conseils principaux, ont confirmé
qu'à leur avis, une requête adressée à la section judiciaire ne manquerait
pas d'échouer, car les motifs sur lesquels le recours avait été fondé
concernaient des questions de preuve qui n'avaient été soulevées ni pendant
le procès, ni en appel.
Observations de l'État partie et commentaires de l'auteur
4. Dans ses observations du 7 juillet 1993, l'État partie soutient que
la communication est irrecevable dans la mesure où l'auteur n'a pas présenté
de demande d'autorisation spéciale de recours devant la section judiciaire
du Conseil privé et n'a donc pas épuisé les recours internes disponibles.
5.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'État partie, le conseil
de l'auteur renvoie à l'avis, qu'il avait déjà transmis au Comité, des
deux Queen's Counsels, selon lesquels il n'était pas justifié d'adresser
une requête au Conseil privé. Il ajoute toutefois que compte tenu des
objections de l'État partie, il a chargé un autre conseil de préparer
une demande d'autorisation spéciale de recours devant la section judiciaire
du Conseil privé.
5.2 Dans une lettre, en date du 6 septembre 1993, l'auteur informe le
Comité qu'il s'est assuré les services d'un avocat pour préparer le dép_t
d'un recours constitutionnel devant la Cour suprême de la Jamaïque.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte contenue dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son
règlement intérieur, décider si la communication est ou n'est pas recevable
en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que les allégations de l'auteur portent essentiellement
sur la façon dont le juge a mené le procès et sur l'évaluation des éléments
de preuve par le jury. Il rappelle que c'est généralement aux tribunaux
des États parties au Pacte qu'il appartient d'évaluer les faits et les
éléments de preuve dans une affaire donnée. De même, c'est aux cours d'appel
des États parties et non au Comité qu'il incombe d'apprécier les instructions
données au jury par le juge ou la façon dont le procès a été mené, à moins
que les instructions données au jury aient manifestement été arbitraires
ou aient constitué un déni de justice, ou que le juge ait manifestement
violé son obligation d'impartialité. Or, ni les allégations de l'auteur
ni le procès-verbal ne permettent de conclure que le procès ait été entaché
de tels vices. Rien ne donne à penser en particulier que le juge, en excluant
un juré à l'issue de la première audience, puis en laissant le procès
suivre son cours, ait manqué à son devoir d'impartialité. Sur ce point,
la plainte de l'auteur ne relève donc pas de la compétence du Comité.
En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable car elle
est incompatible avec les dispositions du Pacte, en vertu de l'article
3 du Protocole facultatif.
6.3 Quant au fait que l'avocat commis d'office ne se serait pas acquitté
de ses obligations professionnelles et n'aurait pas représenté convenablement
l'auteur, le Comité relève que le procès-verbal ne donne pas à penser
que l'avocat ait agi de façon incompatible avec ses responsabilités; il
note également que ni l'auteur ni son conseil n'ont apporté de preuves
à l'appui de leurs allégations, aux fins de la recevabilité. Dans ces
conditions, le Comité estime que l'auteur ne peut pas se prévaloir des
dispositions de l'article 2 du Protocole facultatif.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3
du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie, à l'auteur
de la communication et à son conseil.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.]