Comité des droits de l'homme
Cinquante-quatrième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Cinquante-quatrième session -
Communication No 518/1992
Présentée par : Jong-Kyu Sohn (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : République de Corée
Date de la décision concernant la recevabilité : 18 mars 1994
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 19 juillet 1995,
Ayant achevé l'examen de la communication No 518/1992 présentée
au Comité des droits de l'homme au nom de M. Jong-Kyu Sohn en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est M. Jong-Kyu Sohn, citoyen de la République
de Corée résidant à Kwangju (République de Corée). Il affirme être victime,
de la part de la République de Corée, de violations du paragraphe 2 de
l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
L'auteur est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur est président du syndicat de la société Kumho depuis le
27 septembre 1990 et membre fondateur du Forum de solidarité des syndicats
de grandes entreprises. Le 8 février 1991, une grève a été décidée aux
chantiers navals Daewoo, sur l'île de Guhjae, dans la province de Kyungsang-Nam-Do.
Le gouvernement a annoncé qu'il enverrait la police sur place pour mettre
fin au mouvement. A la suite de cette déclaration, l'auteur s'est entretenu,
le 9 février 1991, avec d'autres membres du Forum de solidarité à Séoul,
soit à 400 kilomètres du lieu où se déroulait la grève. Au terme de la
réunion, ils ont fait une déclaration dans laquelle ils exprimaient leur
soutien aux grévistes et condamnaient l'intention qu'avait le gouvernement
d'envoyer les forces de l'ordre. Cette déclaration a été transmise par
télécopieur aux ouvriers du chantier naval Daewoo. La grève dudit chantier
a pris fin pacifiquement le 13 février 1991.
2.2 Le 10 février 1991, l'auteur et une soixantaine d'autres membres
du Forum de solidarité ont été appréhendés par la police alors qu'ils
quittaient le lieu de la réunion. Le 12 février 1991, lui-même et six
autres personnes ont été accusés d'infraction à l'article 13 2) de la
loi sur le règlement des conflits du travail (loi No 1327 du 13 avril
1963, amendée par la loi No 3967 du 28 novembre 1987), qui interdit à
toute personne autre que l'employeur, les employés ou le syndicat concernés,
ou à quiconque n'est pas habilité par la loi, d'intervenir dans un conflit
du travail dans le but de manipuler ou d'influencer les parties concernées.
L'auteur a également été accusé d'infraction à la loi sur les réunions
et les manifestations (loi No 4095 du 29 mars 1989), mais déclare que
sa communication ne porte que sur la loi sur le règlement des conflits
du travail. L'une des personnes accusées en même temps que l'auteur est
par la suite décédée en détention, dans des circonstances que l'auteur
qualifie de suspectes.
2.3 Le 9 août 1991, un juge unique du tribunal pénal de district de Séoul
a reconnu l'auteur coupable des faits qui lui étaient reprochés et l'a
condamné à 18 mois de prison et à trois ans de probation. L'auteur a fait
appel de sa condamnation devant la chambre d'appel de la même juridiction,
mais il a été débouté le 20 décembre 1991. La Cour suprême a rejeté un
nouvel appel le 14 avril 1992. L'auteur affirme qu'étant donné que la
Cour constitutionnelle a, le 15 janvier 1990, déclaré l'article 13 2)
de la loi sur le règlement des conflits du travail conforme à la Constitution,
il a épuisé tous les recours internes.
2.4 L'auteur précise que l'affaire n'a été soumise à aucune autre instance
internationale d'enquête ou de règlement.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur avance que l'article 13 2) de la loi sur le règlement des
conflits du travail est utilisé pour réprimer le soutien aux mouvements
ouvriers et pour isoler les travailleurs. Il fait valoir que cette disposition
n'a jamais été invoquée pour accuser les personnes qui prennent la défense
du patronat dans un conflit du travail. Il estime qu'en raison de son
caractère vague, cette disposition, qui interdit tout acte de nature à
influer sur les parties, viole le principe de la légalité (nullum crimen,
nulla poena sine lege).
3.2 L'auteur ajoute que cette disposition a été incorporée dans la loi
afin de refuser aux partisans des travailleurs et des syndicats le droit
à la liberté d'expression. Il mentionne à cet égard la loi sur les syndicats,
qui interdit de soutenir la constitution d'un syndicat. Il conclut que
le moindre soutien à la cause des travailleurs ou aux syndicats peut être
sanctionné, que ce soit par la loi sur le règlement des conflits du travail
en cas de grève ou par la loi sur les syndicats dans les autres cas.
3.3 L'auteur affirme que sa condamnation constitue une violation du paragraphe
2 de l'article 19 du Pacte. Il souligne que la manière dont il a fait
usage de sa liberté d'expression n'a porté atteinte ni aux droits, ni
à la réputation d'autrui, et n'a menacé ni la sécurité nationale, ni l'ordre,
la santé ou la morale publics.
Observations de l'Etat partie sur la question de la recevabilité
et commentaires de l'auteur
4.1 Dans sa réponse du 9 juin 1993, l'Etat partie soutient que la communication
n'est pas recevable du fait que tous les recours internes n'ont pas été
épuisés. L'Etat partie avance que les recours internes disponibles dans
une affaire pénale ne sont épuisés que lorsque la Cour suprême a rendu
un jugement en appel et que la Cour constitutionnelle s'est prononcée
sur la constitutionnalité de la loi sur laquelle le jugement est fondé.
4.2 S'agissant de l'argument de l'auteur selon lequel il aurait épuisé
tous les recours internes puisque la Cour constitutionnelle a déjà déclaré
conforme à la Constitution l'article 13 2) de la loi sur le règlement
des conflits du travail sur lequel repose sa condamnation, l'Etat partie
fait observer que, lors de cette décision, la Cour constitutionnelle n'a
examiné que la conformité de cette disposition avec le droit au travail,
le droit à l'égalité et le principe de la légalité, tels qu'ils sont protégés
par la Constitution. Elle n'a pas traité de la question de savoir si cet
article était conforme au droit à la liberté d'expression.
4.3 L'Etat partie estime donc que l'auteur aurait dû demander que la
loi soit examinée à la lumière du droit à la liberté d'expression, tel
que ce dernier est protégé par la Constitution. Comme il ne l'a pas fait,
l'Etat partie est d'avis qu'il n'a pas épuisé tous les recours internes.
4.4 L'Etat partie estime en outre que la condamnation de l'auteur a été
annulée le 6 mars 1993, conformément à l'amnistie générale promulguée
par le Président de la République de Corée.
5.1 Dans les commentaires qu'il a présentés sur la réponse de l'Etat
partie, l'auteur maintient qu'il a épuisé tous les recours internes, et
qu'il serait futile de demander à la Cour constitutionnelle de se prononcer
sur la constitutionnalité de la loi en question, puisqu'elle l'a déjà
fait dans un passé récent.
5.2 L'auteur avance que si la question de la constitutionnalité d'une
disposition juridique est portée devant la Cour constitutionnelle, celle-ci
est juridiquement tenue de prendre en considération toutes les raisons
possibles susceptibles d'invalider une loi. L'auteur est donc d'avis qu'il
serait futile de poser de nouveau à la Cour la même question.
5.3 A cet égard, l'auteur note que, bien que dans l'arrêt de la Cour
constitutionnelle du 15 janvier 1990 l'opinion majoritaire ne se soit
pas référée au droit à la liberté d'expression, des membres de la Cour
l'ont fait dans deux opinions concordantes et une opinion dissidente.
Il est donc évident, selon lui, que la Cour a bien examiné toutes les
raisons d'une inconstitutionnalité éventuelle de la loi, y compris la
violation éventuelle du droit constitutionnel à la liberté d'expression.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 A sa cinquantième session, le Comité a examiné la question de la
recevabilité de la communication. Après avoir examiné les observations
de l'Etat partie et de l'auteur concernant le recours en constitutionnalité,
le Comité a conclu que la Cour constitutionnelle était nécessairement
saisie, en janvier 1990, de la question de la conformité de l'article
13 2) de la loi sur le règlement des conflits du travail à la Constitution,
notamment au droit à la liberté d'expression consacré par la Constitution,
même si l'arrêt majoritaire n'a pas fait mention de ce droit. En l'espèce,
le Comité a considéré que le fait de demander une nouvelle fois à la Cour
constitutionnelle d'examiner l'article 13 2), relativement à la liberté
d'expression, ne constituait pas un recours que l'auteur était encore
tenu d'épuiser en vertu du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.2 Le Comité a constaté que l'auteur avait été arrêté, inculpé et reconnu
coupable non pas pour avoir apporté un quelconque concours matériel à
la grève mais pour avoir participé à une réunion au cours de laquelle
il a exprimé verbalement son appui, et le Comité a considéré que les faits
tels qu'ils sont présentés par l'auteur pouvaient soulever des questions
relevant de l'article 19 du Pacte, qu'il y avait lieu d'examiner quant
au fond. En conséquence, le Comité a déclaré la communication recevable.
Observations de l'Etat partie sur le fond et commentaires de l'auteur
7.1 Dans ses observations datées du 25 novembre 1994, l'Etat partie conteste
l'argument avancé par le Comité dans sa déclaration de recevabilité selon
lequel "l'auteur a été arrêté, inculpé et reconnu coupable non pas
pour avoir apporté un quelconque concours matériel à la grève mais pour
avoir participé à une réunion au cours de laquelle il a exprimé verbalement
son appui". L'Etat partie souligne que l'auteur a non seulement assisté
à la réunion du Forum de solidarité du 9 février 1991 mais qu'il a également
participé activement en distribuant des tracts le 10 ou 11 février 1991
et, le 11 novembre 1990, a été impliqué dans une manifestation violente
au cours de laquelle des cocktails Molotov ont été lancés.
7.2 L'Etat partie observe qu'en raison de ces infractions, l'auteur a
été inculpé et condamné pour violation de l'article 13 2) de la loi sur
le règlement des conflits du travail et de l'article 45 2) de la loi sur
les réunions et manifestations.
7.3 L'Etat partie explique que les articles de la loi sur le règlement
des conflits du travail qui interdisent l'intervention de tiers dans les
différends de cet ordre ont pour objet de préserver le caractère indépendant
du conflit entre employeur et employés. Il fait remarquer que cette disposition
n'interdit pas de prodiguer des conseils, juridiques ou autres, aux parties
concernées.
7.4 L'Etat partie invoque le paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte, qui
prévoit que la liberté d'expression peut faire l'objet d'un certain nombre
de restrictions visant, notamment, à sauvegarder la sécurité nationale
ou l'ordre public.
7.5 L'Etat partie réitère que la sentence prononcée contre l'auteur a
été rapportée le 6 mars 1993, dans le cadre d'une amnistie générale.
8.1 Dans ses commentaires, l'auteur déclare qu'il a certes été effectivement
condamné pour sa participation à la manifestation de novembre 1990 en
application de la loi sur les réunions et manifestations, mais que cet
élément ne fait pas partie de sa plainte. Il renvoie au jugement de la
Cour pénale de district de Séoul du 9 août 1991, d'où il ressort bien
que sa participation à la manifestation de novembre était un délit sanctionné
séparément, en vertu de la loi sur les réunions et manifestations, de
sa participation aux activités du Forum de solidarité et son soutien à
la grève du chantier naval Daewoo de février 1991, qui ont été sanctionnés
en vertu de la loi sur le règlement des conflits du travail. L'auteur
déclare que ces deux incidents sont sans rapport l'un avec l'autre. Il
réitère que sa plainte ne porte que sur "l'interdiction de l'intervention
de tiers", qu'il estime contraire au Pacte.
8.2 L'auteur fait valoir que l'Etat partie donne de la liberté d'expression
telle qu'elle est garantie dans le Pacte une interprétation trop restrictive.
Il renvoie au paragraphe 2 de l'article 19, qui prévoit aussi la liberté
de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération
de frontières, que ce soit oralement, par écrit ou sous forme imprimée.
L'auteur fait donc valoir que la distribution de tracts contenant les
déclarations du Forum de solidarité soutenant la grève du chantier naval
Daewoo relève très exactement du droit à la liberté d'expression. Il ajoute
qu'il n'a pas distribué ces déclarations lui-même mais les a simplement
transmises par télécopieur aux ouvriers en grève du chantier naval susmentionné.
8.3 S'agissant de l'argument de l'Etat partie selon lequel son activité
menace la sécurité nationale et l'ordre public, l'auteur relève que l'Etat
partie n'a pas précisé quelle partie des déclarations du Forum de solidarité
menaçait la sécurité nationale et l'ordre public et pour quelles raisons.
Il soutient que la mention générale de la sécurité nationale et de l'ordre
public ne saurait justifier la restriction apportée à sa liberté d'expression.
Il rappelle à cet égard que les déclarations du Forum de solidarité contenaient
des arguments en faveur de la légitimité de la grève en question, un soutien
résolu à cette grève et une critique de l'employeur et des pouvoirs publics
qui menaçaient de briser la grève par la force.
8.4 L'auteur conteste que les déclarations du Forum de solidarité représentaient
une menace à la sécurité nationale et à l'ordre public de la Corée du
Sud. Il précise que l'auteur et les autres membres du Forum de solidarité
sont tout à fait conscients de la situation délicate créée par l'affrontement
entre la Corée du Sud et la Corée du Nord. L'auteur ne voit pas comment
l'expression de soutien à la grève et la critique de la manière dont l'employeur
et les pouvoirs publics ont géré cette affaire pourraient menacer la sécurité
nationale. L'auteur relève à cet égard qu'aucun des participants à la
grève n'a été inculpé pour violation de la loi sur la sécurité nationale.
L'auteur déclare que le droit de grève étant un droit constitutionnel,
l'intervention des forces de police peut être légitimement critiquée.
Il fait valoir en outre que l'ordre public n'a pas été menacé par les
déclarations du Forum de solidarité, le droit d'exprimer ses opinions
librement et de manière pacifique étant au contraire susceptible de consolider
l'ordre public dans une société démocratique.
8.5 L'auteur fait remarquer que la solidarité entre travailleurs est
interdite et sanctionnée en République de Corée, prétendument pour "maintenir
le caractère indépendant du conflit du travail", mais que les interventions
favorables à la répression des droits des travailleurs par l'employeur
sont encouragées et protégées. Il ajoute que la loi sur le règlement des
conflits du travail a été promulguée par le Conseil législatif pour la
sécurité nationale, qui a été créé en 1980 par le gouvernement militaire
pour remplacer l'Assemblée nationale. Il fait valoir que les lois adoptées
et promulguées par cet organe antidémocratique ne constituent pas des
lois au sens du Pacte, des lois adoptées dans une société démocratique.
8.6 L'auteur relève que le Comité de la liberté syndicale du Bureau international
du Travail a recommandé au gouvernement de rapporter la disposition interdisant
l'intervention de tiers dans un conflit du travail, pour incompatibilité
avec l'acte constitutif de l'OIT, qui garantit la liberté d'expression
des travailleurs en tant qu'élément essentiel de la liberté syndicale
/ 294ème rapport du Comité de la liberté syndicale, juin 1994,
par. 218 à 274. Voir également le 297ème rapport, mars-avril 1995, par.
23..
8.7 Enfin, l'auteur fait remarquer que l'amnistie n'a pas annulé la condamnation
dont il a fait l'objet, pas plus qu'elle ne constitue pour lui une réparation
pour les violations de ses droits en vertu du Pacte, elle a simplement
levé les restrictions qui pesaient encore sur lui par suite de cette condamnation,
la restriction à son droit d'être candidat à un mandat public par exemple.
9.1 Dans des observations ultérieures du 20 juin 1995, l'Etat partie
explique qu'on peut dire de manière générale qu'en République de Corée,
le mouvement ouvrier répond à des motivations politiques et idéologiques
et que ses militants n'hésitent pas en Corée à appeler les travailleurs
à des actions extrêmes, par le recours à la force et à la violence, et
à déclencher des grèves illicites pour atteindre leurs objectifs politiques
ou mettre en pratique leurs principes idéologiques. L'Etat partie fait,
en outre, valoir que dans de nombreux cas, on a ancré dans l'esprit des
travailleurs l'idée d'une révolution prolétaire.
9.2 L'Etat partie affirme que si une tierce partie interfère dans un
conflit du travail au point d'influencer et de pousser les travailleurs
dans le choix de leurs décisions, ou de les empêcher de prendre des décisions,
ce conflit est détourné vers d'autres objectifs. Il explique donc que,
compte tenu de la nature générale du mouvement ouvrier, il s'est vu contraint
de maintenir la loi interdisant l'intervention d'une tierce partie.
9.3 Par ailleurs, l'Etat partie affirme que, dans le cas considéré, la
déclaration écrite distribuée en février 1991 pour appuyer le syndicat
du chantier naval Daewoo visait en fait à inciter tous les travailleurs
à une grève nationale. Il fait valoir que "dans le cas où une grève
nationale serait déclenchée dans quelque pays que ce soit et quelle que
soit sa situation en matière de sécurité, il y a de fortes raisons de
penser que la sécurité nationale et l'ordre public de la nation s'en trouveraient
menacés".
9.4 Quant à la promulgation de la loi sur le règlement des conflits du
travail par le Conseil législatif pour la sécurité nationale, l'Etat partie
fait valoir que, par la révision de la Constitution, l'efficacité des
lois promulguées par le Conseil a été reconnue par tous. Par ailleurs,
la disposition interdisant l'intervention d'une tierce partie est appliquée
équitablement tant aux ouvriers qu'aux employeurs partie à un conflit.
Il mentionne, à ce propos, le cas d'une personne actuellement poursuivie
pour être intervenue dans un conflit du travail aux c_tés de l'employeur.
Délibérations du Comité
10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations que les parties lui avaient
communiquées conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole
facultatif.
10.2 Le Comité a pris note de l'argument de l'Etat partie selon lequel
l'auteur a participé à une manifestation violente en novembre 1990, motif
pour lequel il a été condamné en vertu de la loi sur les réunions et manifestations.
Le Comité a aussi noté que la plainte de l'auteur porte non sur cette
dernière condamnation, mais uniquement sur sa condamnation pour avoir
diffusé la déclaration du Forum de solidarité en février 1991. Le Comité
considère que ces deux condamnations se rapportent à deux événements différents,
qui ne sont pas liés. La question posée au Comité est donc seulement de
savoir si la condamnation de l'auteur en application du paragraphe 2 de
l'article 13 de la loi sur le règlement des conflits du travail pour s'être
associé à la diffusion d'une déclaration de soutien à la grève du chantier
naval de Daewoo et avoir condamné la menace proférée par les pouvoirs
publics d'envoyer des troupes briser la grève constitue une violation
du paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte.
10.3 Le paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte garantit le droit à la
liberté d'expression, qui comprend la "liberté de rechercher, de
recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce,
sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée
ou artistique, ou par tout autre moyen". Le Comité considère qu'en
s'associant à d'autres pour diffuser une déclaration de soutien à la grève
et critiquer les pouvoirs publics, l'auteur exerçait son droit de répandre
des informations et des idées au sens du paragraphe 2 de l'article 19
du Pacte.
10.4 Le Comité fait remarquer que la liberté d'expression ne peut faire
l'objet de restrictions conformément au paragraphe 3 de l'article 19 que
si les conditions ci-après sont en même temps réunies : la restriction
doit être prévue par la loi, elle doit répondre à l'un des objectifs énoncés
aux alinéas a) et b) du paragraphe 3 de l'article 19 et elle doit être
nécessaire pour atteindre l'objectif légitime. Bien que l'Etat partie
ait affirmé que les restrictions étaient justifiées afin de protéger la
sécurité nationale et l'ordre public et qu'elles étaient prévues par la
loi, conformément à l'article 13 2) de la loi sur le règlement des conflits
du travail, le Comité doit toutefois déterminer si les mesures prises
à l'encontre de l'auteur étaient nécessaires aux fins déclarées. Le Comité
note que l'Etat partie a invoqué la sécurité nationale et l'ordre public
en se référant à la nature générale du mouvement ouvrier et en affirmant
que la déclaration faite par l'auteur en collaboration avec d'autres visait
en fait à inciter à une grève générale. Le Comité considère que l'Etat
partie n'a pas précisé la nature exacte de la menace qui était, selon
lui, posée du fait de l'exercice par l'auteur de son droit à la liberté
d'expression et estime qu'aucun des arguments avancés par l'Etat partie
ne suffit pour prouver que la restriction imposée au droit de l'auteur
à la liberté d'expression était compatible avec les dispositions du paragraphe
3 de l'article 19.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, considère que les faits dont
il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 2 de l'article
19 du Pacte.
12. Le Comité estime que M. Sohn est en droit, en vertu du paragraphe
3 a) de l'article 2 du Pacte, de disposer d'un recours utile, notamment
d'être indemnisé comme il se doit au titre de sa condamnation pour exercice
de son droit à la liberté d'expression. Il invite par ailleurs l'Etat
partie à réexaminer l'article 13 2) de la loi sur le règlement des conflits
du travail. L'Etat partie est dans l'obligation de veiller à ce que des
violations du même ordre ne se produisent pas à l'avenir.
13. Considérant qu'en devenant partie au Protocole facultatif, l'Etat
partie a reconnu la compétence du Comité pour déterminer s'il y a eu ou
non violation du Pacte et qu'en application de l'article 2 du Pacte, l'Etat
partie s'est engagé à assurer à toutes les personnes vivant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à garantir
un recours utile et exécutoire en cas de violation avérée, le Comité souhaite
recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours, des informations
sur les mesures prises pour donner suite aux constatations du Comité.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]