Communication No 519/1992
Présentée par : Lyndon Marriott (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 14 juillet 1992 (date de la communication
initiale)
Date de la décision
concernant la recevabilité : 30 juin 1994
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 27 octobre 1995,
Ayant achevé l'examen de la communication No 519/1992 présentée
au Comité des droits de l'homme par M. Lyndon Marriott en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est Lyndon Marriott, citoyen jamaïcain,
qui purge actuellement une peine de réclusion à perpétuité à la prison
de district de Ste Catherine. Il affirme être victime de violations par
la Jamaïque des articles 7 et 14 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été arrêté le 12 mars 1987 et inculpé du meurtre d'un
certain Aston Nugent, commis le même jour. Il a été jugé par le Home Circuit
Court de Kingston, reconnu coupable du chef d'inculpation et condamné
à mort le 16 décembre 1987. La cour d'appel a rejeté son appel le 3 octobre
1988. Une autorisation spéciale de former un recours a été rejetée par
la section judiciaire du Privy Council le 4 octobre 1990. D'après son
conseil, la cause a été réexaminée conformément à la loi de 1992 portant
modification de la loi relative aux crimes contre les personnes. Le meurtre
pour lequel l'auteur avait été condamné avait alors été qualifié de crime
non passible de la peine de mort et par conséquent, en décembre 1992,
la condamnation à la peine capitale a été commuée en emprisonnement à
vie; l'auteur pourra prétendre à une libération conditionnelle après 15
ans de réclusion.
2.2 Rosetta Brown, ancienne compagne de l'auteur et compagne du défunt
au moment du meurtre, a déclaré au procès que le 12 mars 1987 l'auteur
était arrivé au domicile du défunt, où elle-même se trouvait, et lui avait
enjoint de rentrer chez elle. Elle était alors allée dans la cour de la
maison voisine, où l'auteur et le défunt l'avaient suivie. Une altercation
avait éclaté entre les deux hommes à son sujet. Apparemment, Nugent a
voulu repousser l'auteur qui avait agrippé le chemisier de Rosetta Brown;
c'est à ce moment-là que l'auteur l'avait poignardé. Rosetta Brown a déclaré
à la barre qu'elle avait vu l'auteur tirer le couteau de sa ceinture mais
qu'elle ne l'avait pas vu poignarder Nugent car elle se trouvait derrière
la victime. Une voisine, Dorette Williams, a déclaré dans sa déposition
avoir vu l'auteur frapper la victime à la poitrine.
2.3 Le troisième témoin à charge, Rosemarie Barnett, était aussi une
amie commune de l'auteur et du défunt. Elle a déclaré que l'auteur était
venu chez elle, le matin du 12 mars 1987, et avait menacé de tuer Nugent.
Il était revenu une heure plus tard tenant à la main un couteau taché
de sang et lui avait dit qu'il venait de poignarder Nugent.
2.4 Au procès, alors qu'il n'était pas sous serment, l'auteur a déclaré
que Nugent l'avait bousculé, lui avait donné des coups de pied et ayant
tiré un couteau de sa poche l'en avait menacé. Dans l'empoignade, Nugent
avait reçu accidentellement un coup de couteau.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable conduit
par un tribunal impartial, en violation du paragraphe 1 de l'article 20
de la Constitution jamaïcaine et de l'article 14 du Pacte. Le juge n'aurait
pas soumis à l'appréciation du jury la possibilité qu'il y ait eu provocation
ou légitime défense. De plus, selon l'auteur, le juge chargé de l'affaire
s'était montré partial à son encontre et avait fait des remarques ironiques
et provocantes en rendant le verdict, comportement qui lui avait valu
par la suite des critiques de la part de la cour d'appel et qui constituait,
d'après l'auteur, une autre preuve de la partialité du tribunal.
3.2 L'auteur affirme en outre que le président du jury était une connaissance
du défunt et que par conséquent le tribunal n'était pas impartial. De
plus, à l'audience préliminaire la défense n'a pas été informée que l'accusation
comptait faire comparaître un troisième témoin, de sorte qu'elle n'avait
pas pu préparer le contre-interrogatoire.
3.3 De plus, l'auteur affirme que devant la cour d'appel, son conseil,
qui n'était pas celui qui avait assuré sa défense en première instance,
n'a rien fait pour étayer l'appel. Ce conseil, désigné pour défendre l'auteur
par le Conseil jamaïcain pour les droits de l'homme, explique qu'il y
avait certes des questions qui auraient pu être soulevées en première
instance mais, comme "l'incompétence du conseil n'est pas un motif
d'appel", il aurait été vain d'insister sur cet aspect.
3.4 L'auteur affirme que la période passée dans l'aile des condamnés
à mort, durant laquelle il lui a été impossible de se prévaloir de procédures
de recours, constitue un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens
du paragraphe 1 de l'article 17 de la Constitution jamaïcaine et de l'article
7 du Pacte.
Observations de l'Etat partie relatives à la recevabilité et commentaires
de l'auteur à ce sujet
4.1 Dans ses observations datées du 22 juin 1993, l'Etat partie soutient
que la communication est irrecevable. Il invoque l'article 25 de la Constitution
qui stipule que quiconque affirme être victime d'une violation de l'un
quelconque de ses droits fondamentaux peut s'adresser à la Cour suprême
pour demander réparation. Le droit à un procès équitable est garanti par
l'article 20 de la Constitution. Comme l'auteur n'a pas déposé de requête
constitutionnelle, l'Etat partie fait valoir que la communication est
irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes.
4.2 L'Etat partie fait valoir en outre que la communication soulève des
questions en rapport avec des faits et des preuves que le Comité n'est
pas compétent pour examiner. Il affirme que la communication est irrecevable
pour ce motif aussi.
5.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'Etat partie, le conseil
de l'auteur nie qu'une requête auprès de la Cour suprême de la Jamaïque
en vertu de l'article 25 de la Constitution constitue un recours disponible
et utile dans le cas de l'auteur, ajoutant que celui-ci n'a aucune aide
judiciaire pour former son recours. Le conseil fait valoir en outre que
l'auteur ayant eu la possibilité de se pourvoir auprès de la cour d'appel
et du Privy Council, la Cour suprême n'aurait pas exercé ses pouvoirs,
en application du paragraphe 2 de l'article 25 de la Constitution.
5.2 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 7 du Pacte,
le Conseil affirme qu'une requête constitutionnelle aurait été vaine car
la Cour suprême se serait estimée liée par la décision rendue en 1981
par la section judiciaire du Privy Council (Riley c. Attorney-General),
qui avait statué que quels que soient les motifs du retard, le Privy Council
n'accepterait pas l'argument selon lequel une exécution était contraire
à l'article 17 de la Constitution jamaïcaine.
5.3 Enfin, le conseil objecte que l'auteur ne demande pas au Comité des
droits de l'homme d'apprécier les faits de la cause et qu'il ne soulève
pas de questions touchant aux faits et aux preuves administrés. Il souligne
que ce que l'auteur demande au Comité c'est de déterminer s'il a eu droit
à ce que sa cause soit entendue équitablement, comme le prévoit l'article
14 du Pacte, ajoutant que les faits et les questions soulevés dans cette
affaire sont importants compte tenu du fait qu'un défendeur ne doit jamais
être reconnu coupable d'une infraction passible de la peine de mort s'il
n'y a pas de preuves claires et incontestables.
Décision concernant la recevabilité
6.1 A sa cinquante et unième session, le Comité a examiné la recevabilité
de la communication.
6.2 Le Comité a rappelé que sa jurisprudence avait toujours été de considérer
qu'aux fins du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif
les recours internes devaient être utiles et disponibles. Le Comité a
noté que la Cour suprême de la Jamaïque avait dans des affaires récentes
portant sur des violations de droits fondamentaux fait droit à des demandes
de réparation constitutionnelle après le rejet de l'appel au pénal. Toutefois,
le Comité a rappelé également que l'Etat partie avait indiqué à plusieurs
occasions / Voir, par exemple, les communications No 283/1988
(Aston Little c. Jamaïque), constatations adoptées le 1er
novembre 1991, No 321/1988 (Maurice Thomas c. Jamaïque),
constatations adoptées le 19 octobre 1993, et No 352/1989 (Douglas,
Gentles and Kerr c. Jamaïque), constatations adoptées le 19
octobre 1993./ que l'aide judiciaire n'était pas prévue pour les requêtes
constitutionnelles. Il a considéré qu'en l'absence d'une assistance judiciaire,
une requête constitutionnelle ne constituait pas, dans les circonstances
de l'affaire, un recours disponible qui devait être épuisé aux fins du
Protocole facultatif. Le Comité a donc conclu qu'il n'était pas empêché
par le paragraphe 2 b) de l'article 5 d'examiner la communication.
6.3 En ce qui concerne les allégations de l'auteur, concernant la façon
dont le juge avait conduit le procès, l'évaluation des preuves, par le
tribunal et les instructions données au jury par le juge, le Comité a
rappelé qu'il appartenait généralement aux juridictions d'appel des Etats
parties d'évaluer les faits de la cause et les preuves administrés dans
une affaire déterminée. De même, il appartenait aux juridictions d'appel
et non au Comité d'examiner les instructions expresses données par les
juges au jury, à moins que de toute évidence celles-ci n'aient été arbitraires
ou ne représentent un déni de justice, ou à moins que le juge n'ait manifestement
manqué à son devoir d'impartialité. Il ne ressortait pas des allégations
de l'auteur que les instructions du juge au jury ou sa conduite du procès
aient été entachées de tels vices. A cet égard les allégations de l'auteur
ne relevaient donc pas de la compétence du Comité. La partie de la communication
concernant ces allégations était par conséquent irrecevable en vertu de
l'article 3 du Protocole facultatif.
6.4 En ce qui concerne l'argument de l'auteur selon lequel le président
du jury était un ami du défunt, le Comité a noté que ni l'auteur ni son
conseil n'avaient fait d'objection lors du procès ou en appel. Cette partie
de la communication était donc irrecevable au motif du non-épuisement
des recours internes.
6.5 Le Comité a noté que l'auteur avait également affirmé que son défenseur
n'avait pas été informé de la comparution d'un troisième témoin à charge,
qu'il avait élevé une objection à ce sujet auprès du juge, mais que celui-ci
n'avait pas reporté l'audience pour permettre à la défense de préparer
son contre-interrogatoire. Le Comité considère que cette allégation pouvait
soulever des questions au titre du paragraphe 3 b) et e) de l'article
14 du Pacte, qui devaient être examinées quant au fond.
6.6 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur concernant le conseil
qui l'avait représenté en appel, le Comité a noté que ce dernier avait
été désigné par le Conseil jamaïcain pour les droits de l'homme, une organisation
non gouvernementale. Il a estimé par conséquent que s'il y avait eu manquement
à l'obligation de représenter correctement l'auteur, cela ne saurait être
imputé à l'Etat partie. Cette partie de la communication était donc irrecevable
en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
6.7 Au sujet de l'allégation de l'auteur au titre de l'article 7, le
Comité a considéré que l'auteur n'avait pas montré quelles démarches il
avait faites pour porter ses doléances à l'attention des autorités à la
Jamaïque. A cet égard, l'auteur n'avait pas épuisé les recours internes
comme il était prescrit au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole
facultatif.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme a décidé que la communication
était recevable dans la mesure où elle pouvait soulever des questions
au titre du paragraphe 3 b) et e) de l'article 14 du Pacte.
Observations de l'Etat partie sur le fond et commentaires du conseil
8. Dans ses observations datées du 27 janvier 1995, l'Etat partie signale
que les allégations au titre du paragraphe 3 b) et e) de l'article 14,
qui ont été déclarées irrecevables par le Comité, se rapportent à une
question qui aurait dû être soulevée en tant que motif justifiant l'appel.
L'Etat partie ne peut être tenu responsable du fait que le conseil ne
l'a pas fait. Comme l'auteur n'a pas fait usage du recours qui était disponible,
l'Etat partie conclut qu'il n'y a pas eu de violation.
9.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'Etat partie, le conseil
soutient que la question qui se pose au titre du paragraphe 3 b) et e)
de l'article 14 engage la responsabilité de l'Etat partie, en ce sens
que l'article 14 du Pacte est pris en compte dans la Constitution jamaïcaine,
et qu'en même temps l'auteur n'a pas pu se prévaloir du recours offert
par la Constitution parce qu'il n'a pas bénéficié d'une assistance juridique.
9.2 Le conseil affirme en outre que ces questions ont été en fait soulevées
en appel, puisque l'auteur a fait appel, entre autres, au motif qu'il
n'avait pas bénéficié d'un procès équitable. Même si le conseil de l'auteur
n'a pas exposé les motifs de l'appel, la cour aurait dû les examiner d'office.
Le conseil note à cet égard que la cour a examiné les faits retenus contre
l'auteur proprio motu.
9.3 Le conseil affirme que, si l'auteur avait eu le temps d'examiner
sa position en fonction de la déposition du troisième témoin à charge,
il aurait peut-être décidé de faire sa déposition sous serment pour renforcer
sa position; il aurait aussi pu modifier sa déclaration depuis le banc
des accusés en fonction de la déposition du troisième témoin ou renoncer
à plaider la légitime défense et l'accident et ne mentionner que la provocation.
En l'espèce, la nouvelle déposition, s'ajoutant au fait que l'auteur n'a
pas fait de déposition, a amené le juge à ne pas suggérer au jury de la
possibilité qu'il y ait pu avoir provocation et légitime défense.
9.4 Le conseil note en outre que la demande d'autorisation spéciale de
former un recours devant la Section judiciaire du Privy Council a été
faite au motif que le juge du fond n'avait pas donné de directives correctes
en ce qui concerne la légitime défense et la provocation, faisant valoir,
à ce propos, que cet aspect ne doit pas être envisagé indépendamment des
conséquences du refus du juge de fond de donner à la défense plus de temps
pour examiner les faits nouveaux.
Examen quant au fond
10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées
par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole
facultatif.
10.2 Le Comité des droits de l'homme note que les minutes du procès montrent
que le conseil a indiqué au juge qu'il n'avait été informé que le matin
de l'audience que le procureur allait appeler à la barre un troisième
témoin, il n'a pas demandé d'ajournement. Il en ressort aussi qu'à 15
h 38, immédiatement après que le troisième témoin eut prêté serment, le
juge a ajourné l'audience pour d'autres raisons. Le procès a repris le
jour suivant à 10 heures, avec l'examen du troisième témoin et le conseil
a procédé au contre-interrogatoire sans demander un autre ajournement.
L'auteur a lui-même fait sa déclaration depuis le banc des accusés plus
tard dans la journée. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les
faits dont il dispose ne montrent pas que le droit de l'auteur de bénéficier
de suffisamment de temps et de moyens pour préparer sa défense et son
droit de contre-interroger les témoins à charge ont été violés.
11. Le Comité des droits de l'homme estime que, conformément au paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, les faits qui lui ont été soumis ne font
apparaître aucune violation de l'une quelconque des dispositions du Pacte.
[Texte adopté en anglais (version originale), et traduit en espagnol
et en français. Il paraîtra en arabe, en chinois et en russe dans le prochain
rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]