Comité des droits de l'homme
Quarante-neuvième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Quarante-neuvième session -
Communication No 522/1992
Présentée par : J. S. [nom supprimé] (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
État partie : Pays-Bas
Date de la communication : 26 août 1992 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 novembre 1993,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est J. S., citoyen néerlandais, actuellement
détenu aux Pays-Bas. Il se déclare victime d'une violation par les Pays-Bas
des paragraphes 1 et 3 e) de l'article 14 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur était accusé du meurtre, le 10 juin 1985, d'un trafiquant
de drogue dénommé L. d. J. Le dossier de l'accusation reposait principalement
sur les déclarations faites par l'auteur et sa coïnculpée, une certaine
T. H.; l'un et l'autre avaient avoué lors des interrogatoires de police
et déclaré à l'audience préliminaire qu'ils avaient projeté de tuer L.
d. J. parce qu'il aurait été impliqué dans l'assassinat de l'ancien ami
de T. H., un certain W. E., commis plusieurs semaines auparavant. À l'origine,
T. H. voulait tuer L. d. J. elle-même, mais l'auteur avait proposé de
le faire à sa place. Le 8 juin 1985, ils s'étaient rendus à Groningue,
où habitaient L. d. J. et la famille de W. E. Le 10 juin 1985, tôt le
matin, l'auteur et T. H. avaient quitté le domicile de W. E. pour se rendre
chez L. d. J. Pendant que T. H. attendait dans la voiture, l'auteur avait
pénétré dans la maison et porté à L. d. J. plusieurs coups de couteau.
Il avait ensuite quitté les lieux et raconté ce qui s'était passé à T.
H. à qui il avait montré le couteau taché de sang.
2.2 Devant le tribunal de district de Groningue, l'auteur avait confirmé
avoir tué L. d. J. Le 11 décembre 1985, le tribunal l'a déclaré coupable
de complicité de meurtre et l'a condamné à 10 ans d'emprisonnement.
2.3 Le 19 décembre 1985, l'auteur a formé un recours devant la cour d'appel
de Leeuwarden. À l'audience, le 6 octobre 1986, il est revenu sur ses
déclarations précédentes et a déclaré : "quand j'étais chez [L. d.
J.], celui-ci a reçu plusieurs coups de couteau". Il a ajouté : "Je
n'ai pas tué L. d. J. Dans la salle de séjour, il y avait une troisième
personne. Je persiste à dire que c'est cette troisième personne qui a
poignardé L. d. J. Je n'en ai pas parlé avant parce que j'ai reçu des
menaces".
2.4 L'avocat de la défense a fait valoir que la nouvelle version des
faits présentée par l'auteur était corroborée par la déclaration faite
à la police les 10 et 11 juin 1985 par K. V., l'amie de L. d. J., laquelle
avait déclaré à la police qu'elle avait vu le meurtrier et en avait donné
une description. La police lui avait montré plusieurs photographies dont
deux de H. E., le frère de W. E.; K. V. l'avait identifié comme étant
le meurtrier. On lui avait demandé d'observer des individus à travers
une glace sans tain et elle avait une nouvelle fois reconnu en H. E. l'homme
qu'elle avait vu poignarder son ami. L'avocat de la défense a aussi fait
valoir qu'à la lumière du nouveau témoignage de l'auteur, les témoignages
précédents qui l'accusaient n'étaient plus probants. Étant donné que l'auteur
n'avait jamais participé à une séance d'identification, sa culpabilité
ne pouvait être établie que s'il était confronté avec le seul témoin oculaire
susceptible de l'identifier. Toutefois, il semble d'après le procès-verbal
de l'audience de la cour d'appel que l'avocat de la défense et l'auteur
aient renoncé à l'idée de procéder à l'audition de témoins supplémentaires.
2.5 Le 16 octobre 1986, la cour d'appel a cassé la décision du tribunal
de district à la suite d'une évaluation différente des éléments de preuve.
Elle a déclaré l'auteur coupable de meurtre et l'a condamné à huit ans
d'emprisonnement, en se fondant sur les preuves et les témoignages apportés
devant le tribunal de première instance et devant la cour d'appel.
2.6 L'auteur a ensuite formé un recours devant la Cour suprême en alléguant
que le jugement de la cour d'appel n'était pas suffisamment motivé. L'avocat
de la défense a affirmé que les conclusions de la cour d'appel reposaient
d'une part sur les aveux précédents de l'auteur et d'autre part sur la
déclaration faite par celui-ci à l'audience, selon laquelle L. d. J. avait
été tué alors que lui, l'auteur, se trouvait sur les lieux. D'après l'avocat,
ces déclarations étaient contradictoires et la cour d'appel aurait donc
dû exposer les motifs pour lesquels : a) elle n'avait retenu comme preuve
contre l'auteur que la partie de sa déclaration où il reconnaissait sa
présence au moment du meurtre; et b) elle n'avait pas tenu compte des
dénégations de l'auteur qui affirmait ne pas l'avoir commis.
2.7 La Cour suprême a rejeté l'appel le 24 novembre 1987, considérant
que le témoignage de l'auteur n'excluait pas qu'il eût commis lui-même
le crime. La question de la contradiction avec les précédents aveux n'a
donc pas été soulevée.
2.8 Le 12 janvier 1988, l'avocat de la défense a demandé au parquet du
tribunal de district de Groningue de procéder à une nouvelle révision
de l'affaire, l'auteur ayant décidé de révéler l'identité du véritable
coupable. Le parquet n'a pas fait droit à cette demande. L'auteur a ensuite
demandé à la Cour suprême la révision de son procès. À la demande du Procureur
général auprès de la Cour suprême, la police a mené une nouvelle enquête
en mars 1989.
2.9 Au cours de cette enquête, l'auteur a déclaré, entre autres choses,
que, le 10 juin 1985, il s'était rendu avec T. H. au domicile de la victime
dans l'intention de lui donner une correction parce qu'elle était impliquée
dans l'assassinat de l'ancien ami de T. H. En entrant dans la salle de
séjour, il avait vu H. E. attaquer L. d. J. et lui donner des coups de
couteau. Toujours selon lui, T. H. avait monté un complot avec H. E. En
outre, T. H. avait maintenu ses déclarations antérieures.
2.10 K. V. a déclaré que chacun savait dans le voisinage que H. E. avait
l'intention de tuer L. d. J. Aussi, est-ce son nom qu'elle avait donné
à la police le 10 juin 1985, bien qu'elle ne l'ait jamais vu auparavant
et qu'elle n'ait vu le meurtrier qu'un bref instant. Quand elle était
arrivée au poste de police, elle avait vu une photographie dans les mains
de l'un des policiers et avait entendu dire qu'il s'agissait de H. E.
Elle avait donc choisi les deux photographies analogues à celle qu'elle
venait de voir. Elle a donné d'autres explications sur sa prétendue identification
de H. E.
2.11 Le 5 septembre 1989, la Cour suprême a déclaré non recevable la
demande de révision du procès introduite par l'auteur, entre autres motifs,
pour les motifs suivants :
a) La nouvelle déposition de T. H. était sur le fond conforme à la précédente
déclaration sur laquelle la cour d'appel s'était fondée pour établir la
culpabilité de l'auteur;
b) La déclaration de K. V. ne faisait que donner un nouvel éclairage
à son premier témoignage; cette nouvelle déclaration précisait seulement
comment K. V. en était venue à désigner H. E.; et
c) Le témoignage de l'auteur déclarant qu'il se trouvait avec H. E.
sur les lieux du crime était incompatible avec la déclaration de K. V.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur prétend qu'il y a violation du paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte parce que la cour d'appel a retenu comme preuve à charge la
partie de sa déclaration qui ne pouvait pas être considérée comme reflétant
la teneur de celle-ci. Si l'auteur admet que la cour d'appel avait le
droit d'utiliser cette partie de sa déclaration, il affirme que, eu égard
à son contenu contradictoire, elle était tenue d'exposer les motifs pour
lesquels elle n'avait pas tenu compte de sa déclaration selon laquelle
c'était une autre personne, et non lui, qui avait tué L. d. J.
3.2 L'auteur prétend en outre qu'il y a eu violation du paragraphe 1
de l'article 14 du fait que la cour d'appel n'a pas expliqué pourquoi
elle avait rejeté l'argument de l'avocat de la défense selon lequel la
déclaration de K. V. était essentielle.
3.3 Enfin, l'auteur affirme que, eu égard à ses dénégations et à la déclaration
de K. V. le disculpant, la cour d'appel aurait dû procéder d'office à
l'audition de K. V. De plus, elle aurait dû organiser d'office une confrontation
avec K. V. de façon à obtenir une certitude quant à sa culpabilité. Ces
manquements sont considérés comme équivalant à une violation du paragraphe
3 e) de l'article 14 du Pacte.
Délibérations du Comité
4.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2 Le Comité note que la plainte de l'auteur au regard du paragraphe
1 de l'article 14 concerne en substance l'évaluation des faits et des
témoignages par la cour d'appel de Leeuwarden. Il rappelle qu'il appartient
en général aux instances d'appel des États parties au Pacte d'évaluer
les faits et les témoignages dans les affaires dont elles sont saisies.
Ce n'est en principe pas au Comité d'examiner les faits et témoignages
présentés devant les tribunaux nationaux et évalués par ceux-ci, sauf
si l'on peut établir que les procédures suivies étaient manifestement
arbitraires, qu'il y a eu des irrégularités de procédure assimilables
à un déni de justice ou que le juge a manifestement violé son obligation
d'impartialité. Après avoir soigneusement étudié les éléments d'information
portés à sa connaissance, le Comité ne peut constater aucune irrégularité
de cette nature. Par conséquent, cette partie de la communication est
jugée irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
4.3 En ce qui concerne la plainte de l'auteur au regard du paragraphe
3 e) de l'article 14, le Comité note que ces questions ont été soulevées
par l'avocat de la défense au cours de l'audience en appel. Il relève
en outre que ce dernier a déclaré par la suite ne pas souhaiter faire
comparaître les témoins qu'il avait mentionnés dans son plaidoyer, proposition
à laquelle l'auteur s'est rallié. Il note par ailleurs que la cour d'appel
disposait de la déposition faite initialement par K. V. à la police. Dans
ces conditions, le Comité est d'avis que l'auteur n'a pas, aux fins de
la recevabilité, étayé sa plainte selon laquelle le fait que la cour d'appel
n'a pas procédé d'office à l'audition de K. V. et à sa confrontation avec
lui constitue une violation du paragraphe 3 e) de l'article 14 du Pacte.
Sur ce point, l'auteur ne peut donc se prévaloir du Pacte, au sens de
l'article 2 du Protocole facultatif.
5. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3
du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur, à son conseil
et, pour information, à l'État partie.
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et français.]