Présentée par : Uton Lewis (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 10 décembre 1992 (date de la communication
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 18 juillet 1996,
Ayant achevé l'examen de la communication No 527/1993, qui lui a été présentée par M. Uton Lewis en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'État partie,
Adopte les constatations ci-après au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est Uton Lewis, citoyen jamaïcain, qui se trouvait, au moment où il a soumis la communication, en attente d'exécution à la prison du district de St. Catherine (Jamaïque). Il se déclare victime de violations par la Jamaïque des articles 6, 7 et 10 ainsi que des paragraphes 1 et 3 b), d) et e) de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil. La condamnation à mort de M. Lewis a été commuée en une peine d'emprisonnement à perpétuité le 30 mars 1995, après que le crime dont il avait été reconnu coupable eut été qualifié de meurtre non puni de la peine de mort.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 25 octobre 1985, l'auteur et un certain P. G. ont été arrêtés et inculpés de cambriolage, de vol simple ainsi que de coups et blessures intentionnels sur la personne d'un certain B. D. Le 30 octobre 1985, l'un et l'autre ont été inculpés du meurtre de B. D., lequel était mort d'une septicémie causée par l'infection de ses blessures. Le 1er mai 1986, l'auteur a été reconnu coupable et condamné à mort par la Circuit Court de St. James; P. G. a été acquitté. La cour d'appel de la Jamaïque a rejeté le recours de l'auteur le 22 mai 1987. Le 20 février 1991, la section judiciaire du Conseil privé a rejeté la demande d'autorisation spéciale de former recours. L'auteur fait valoir que, de ce fait, tous les recours internes ont été épuisés.
2.2 L'auteur était accusé de s'être introduit par effraction dans une boutique pour voler du tissu, le 25 octobre 1985 vers trois heures du matin, en compagnie de P. G. Surpris par le gardien de nuit, B. D., ils l'avaient agressé au moyen d'un instrument contondant ou d'un couteau, le blessant à la tête et au cou. Les appels à l'aide de la victime avaient été entendus par deux policiers qui patrouillaient dans le quartier. Les policiers ont déclaré avoir vu deux hommes portant des rouleaux de tissu sortir en courant de la boutique. L'un des policiers s'était mis à poursuivre les deux hommes et avait reconnu l'auteur et P. G. Il les connaissait l'un et l'autre.
2.3 L'accusation se fondait en outre sur le témoignage de la propriétaire de la boutique qui avait déclaré que, trois semaines avant le cambriolage, l'auteur était entré dans sa boutique et était reparti sans rien acheter. Elle avait reconnu comme faisant partie des lots volés dans son magasin des pièces de tissu qui se trouvaient en la possession de P. G. et de deux témoins, qui avaient déclaré les avoir reçues de l'auteur. De plus, le policier qui avait procédé à l'arrestation avait déclaré que, après que lui-même avait inculpé les deux hommes de cambriolage, de vol simple et de coups et blessures intentionnels et les avait informés de leurs droits et de leur situation, l'auteur avait déclaré : "C'est Allan qui a tranché la gorge au gardien de nuit, il a jeté le couteau dans la crique". P. G. aurait dit alors que c'était l'auteur qui s'était introduit dans la boutique et avait donné les coups de couteau à B. D., sur quoi l'auteur avait déclaré qu'ils étaient trois à avoir pénétré par effraction dans la boutique, lui-même, P. G. et un certain Allan. Le policier qui avait procédé à l'arrestation avait ajouté que les prévenus avaient répété leurs déclarations une fois inculpés de meurtre.
2.4 Au procès, l'auteur a fait une déclaration depuis le banc des accusés sans prêter serment. Il a déclaré qu'il se trouvait ailleurs au moment du meurtre et qu'il avait été brutalisé par la police pendant l'interrogatoire au poste de police de Montego Bay. Il a affirmé que, le 25 octobre 1985, il avait reçu des coups de pieds, il avait été frappé et menacé à l'aide d'un revolver et que l'un des policiers l'avait frappé une dizaine de fois sur le côté avec un gros cadenas. Le même policier lui avait fait mettre le doigt sur le bord d'un bureau et lui avait donné des coups de revolver jusqu'à ce que le doigt éclate; on lui avait ensuite fait enlever ses chaussettes pour se bander le doigt et essuyer le sang. L'auteur a indiqué aussi que le 28 octobre 1985, il avait été conduit à nouveau au poste de police, pour interrogatoire. Tous les agents en service l'avaient passé à tabac et l'un d'eux l'avait frappé au visage avec un morceau de miroir. Il avait été reconduit dans sa cellule et on lui avait alors attaché un poids aux testicules. Il avait perdu connaissance et quand il était revenu à lui, on lui avait dit de signer un papier; il avait refusé tant que le juge de paix ne serait pas là. Il aurait alors reçu des décharges électriques dans les oreilles et, après un tel traitement, il aurait signé le papier.
Teneur de la plainte
3.1 D'après l'auteur, dans les juridictions de common law, le juge doit obligatoirement prévenir le jury, dans le cas où la pièce maîtresse de l'accusation est l'identification par un témoin, que l'expérience montre que des erreurs d'identification peuvent se produire, que même quand un témoin affirme connaître le suspect, ce témoin peut se tromper et qu'un témoin honnête n'est jamais à l'abri d'une erreur. Le juge doit signaler aussi au jury l'absence de séance d'identification et la nécessité de confirmer l'identification par un autre témoignage. En l'espèce, affirme l'auteur, le juge n'a adressé aucune mise en garde au jury, ce qui revient à priver l'auteur de son droit à un procès équitable.
3.2 L'auteur affirme qu'il n'a pas bénéficié d'une véritable représentation en justice, au sens des alinéas b) et d) du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte. Avant l'enquête préliminaire, un avocat lui avait été commis au titre de l'aide judiciaire, mais il n'a pas assisté à l'audience. L'auteur a donc été représenté par l'avocat de P. G., alors qu'il y avait un conflit d'intérêts entre les deux inculpés. L'auteur affirme qu'il n'a rencontré son avocat que la veille du procès. Au cours de l'entrevue, l'auteur a signalé à l'avocat qu'il avait trois témoins pour confirmer son alibi et il lui a donné leurs noms et leurs adresses. L'avocat n'a pas interrogé ces témoins et ne les a pas appelés à la barre pour témoigner à décharge alors qu'ils étaient présents dans la salle d'audience. D'après l'auteur, il y a eu là violation du paragraphe 3 e) de l'article 14 du Pacte.
3.3 En ce qui concerne l'appel, l'auteur dit qu'il n'a pas été autorisé à assister à l'audience, en violation du paragraphe 3 d) de l'article 14, alors qu'il avait demandé à être présent, ce qui, dit-il, est d'autant plus grave qu'il n'avait pas pu rencontrer son avocat privé (engagé par sa famille) avant l'audience et n'avait pu communiquer avec lui que par l'intermédiaire d'un tiers. L'auteur se plaint en outre de ce que le seul motif avancé par le conseil pour défendre sa cause en appel était l'insuffisance des instructions données par le juge au jury sur la question de l'intention commune de l'auteur et de son coïnculpé; d'après l'auteur, le conseil a estimé qu'il n'y avait pas lieu de soulever la question de l'insuffisance de sa représentation au procès car si, en vertu du chapitre III de la Constitution jamaïcaine, l'accusé doit disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense et communiquer avec le conseil de son choix, la Constitution ne garantit pas le droit à une représentation appropriée.
3.4 En ce qui concerne les traitements subis les 25 et 28 octobre 1985 au poste de police de Montego Bay, l'auteur déclare qu'ils représentent une violation des droits qui lui sont garantis au titre de l'article 7 du Pacte. Il indique que les policiers lui ont introduit du fil électrique dans les oreilles et que depuis il n'entend pas bien de l'oreille gauche. De plus, il a une cicatrice à l'oreille droite, causée par un morceau de miroir, et une cicatrice au doigt, causée par les coups donnés avec un revolver.
3.5 Les conditions de détention dans la prison du district de St. Catherine, aggravées par l'angoisse causée par l'incarcération prolongée dans le quartier des condamnés à mort et le traitement auquel les condamnés à mort sont soumis, représentent, d'après l'auteur, une violation des articles 7 et 10 du Pacte. Dans son cas précis, l'auteur dit qu'il a été enfermé 12 fois dans une cellule sans rien à boire. Il ajoute que les autorités pénitentiaires ne lui ont pas permis de recevoir les soins médicaux dont il avait besoin, malgré ses demandes.
3.6 L'auteur reconnaît que, sur l'intervention de l'Ombudsman, il lui est arrivé de recevoir des soins médicaux, mais à la condition toutefois qu'il paie les médicaments prescrits. L'auteur explique que, depuis cinq ans, il a des "boursouflures" sur la peau. Les autorités pénitentiaires n'auraient rien fait à cet égard jusqu'au début de 1992, où un membre du Conseil jamaïcain pour les droits de l'homme est intervenu en sa faveur. On lui a donc permis de consulter trois fois un médecin à l'hôpital, mais on ne l'a pas laissé aller à son quatrième rendez-vous, ni à aucun des rendez-vous ultérieurs. De plus, l'auteur se plaint de souffrir d'une autre maladie de peau et de douleurs abdominales chroniques qui, d'après lui, sont provoquées par l'insuffisance de la nourriture à la prison. Sa ration quotidienne consisterait en 12 biscuits, un paquet de lait écrémé en poudre et une petite quantité de sucre roux. L'auteur affirme que malgré ses réclamations, ce régime n'a pas été modifié. Enfin, d'après lui, les condamnés à mort n'ont pas les mêmes possibilités de travail et de loisirs que les autres prisonniers. Il ne dit pas en quoi il est personnellement victime de cet état de choses.
3.7 Enfin, l'auteur affirme qu'en l'absence de critères précis pour l'exercice du droit de grâce par le Conseil privé à la Jamaïque et compte tenu des distinctions illogiques appliquées dans la pratique, toute décision tendant à ne pas exercer le droit de grâce qui pourrait conduire à l'exécution de l'auteur reviendrait à une privation arbitraire de la vie, contraire à l'article 6 du Pacte.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité et commentaires de l'auteur
4.1 Dans ses observations datées du 6 avril 1994, l'État partie a fait valoir que la communication était irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes. Il a indiqué à cet égard que les droits protégés à l'article 7 et au paragraphe 3 d) et e) de l'article 14 du Pacte correspondaient rigoureusement à ceux qui étaient consacrés à l'article 17 et au paragraphe 6 c) et d) de l'article 20 de la Constitution jamaïcaine et que l'auteur avait la possibilité de demander réparation pour les violations de ses droits dont il s'estimait victime en déposant une requête constitutionnelle auprès de la Cour suprême.
4.2 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle il avait été privé de soins médicaux, l'État partie a signalé qu'il avait demandé au Département de l'administration pénitentiaire d'ouvrir une enquête à ce sujet, précisant qu'il informerait le Comité des résultats de l'enquête dès qu'il en aurait connaissance.
5.1 Dans ses commentaires datés du 4 janvier 1994, l'auteur a déclaré que l'aide judiciaire n'étant pas prévue pour déposer la requête constitutionnelle, celle-ci ne constituait pas, dans son cas, un recours utile.
5.2 En ce qui concerne l'absence de soins médicaux, l'auteur a indiqué qu'en 1993, huit rendez-vous avaient été pris pour lui chez un médecin, mais qu'aucun de ces rendez-vous n'avait été tenu. Il a ajouté qu'il avait rendez-vous chez un dermatologue en février 1994, mais que les autorités pénitentiaires avaient refusé de l'y conduire gratuitement.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 Le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication à sa cinquante-troisième session.
6.2 Il s'est assuré, comme le prescrit l'alinéa a) du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
6.3 Le Comité a pris note de l'objection de l'État partie pour qui la communication était irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes. Il a rappelé que sa jurisprudence avait toujours été de considérer qu'aux fins du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, les recours internes devaient être utiles et disponibles. En ce qui concerne l'argument de l'État partie selon lequel l'auteur avait encore la possibilité de présenter une requête constitutionnelle, le Comité a noté que la Cour suprême de la Jamaïque avait, dans quelques affaires portant sur des violations des droits fondamentaux, fait droit à des demandes de réparation constitutionnelle après le rejet de l'appel au pénal. Toutefois, le Comité a rappelé également que l'État partie avait indiqué à plusieurs reprises Voir, par exemple, Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-septième session, Supplément No 40 (A/47/40), annexe IX.J, communication No 283/1988 (Little c. Jamaïque), constatations adoptées le 1er novembre 1991, par. 6.5; et ibid., quarante-neuvième session, Supplément No 40 (A/49/40), vol. II, annexe IX.A, communication No 321/1988 (Thomas c. Jamaïque), constatations adoptées le 19 octobre 1993, par. 5.2 et annexe IX.G, communication No 352/1989 (Douglas, Gentles et Kerr c. Jamaïque), constatations adoptées le 19 octobre 1993, par. 7.2. que l'aide judiciaire n'était pas prévue pour les requêtes constitutionnelles. Il a considéré qu'en l'absence d'aide judiciaire, une requête constitutionnelle ne constituait pas, dans les circonstances de l'affaire, un recours disponible qui devait être épuisé aux fins du Protocole facultatif. Le Comité a donc conclu qu'il n'était pas empêché par le paragraphe 2 b) de l'article 5 d'examiner la communication.
6.4 Le Comité a noté que les allégations de l'auteur concernaient en partie les instructions données au jury par le juge. Renvoyant à sa jurisprudence, il a réaffirmé qu'il appartenait généralement aux juridictions d'appel des États parties au Pacte d'apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire déterminée. De même, il n'appartient pas au Comité d'examiner les instructions données au jury par le juge du fond, à moins qu'il ne puisse être établi qu'elles ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montraient pas que les instructions du juge ou la conduite du procès aient été entachées de telles irrégularités. Par conséquent, cette partie de la communication était irrecevable pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte, conformément à l'article 3 du Protocole facultatif.
6.5 Le Comité a pris note de l'allégation de l'auteur selon laquelle il n'avait pas bénéficié d'une représentation en justice suffisante pendant son procès, en particulier parce que l'avocat qui lui avait été commis au titre de l'aide judiciaire ne s'était pas présenté à l'audience préliminaire, qu'il ne l'avait rencontré que la veille du procès, qu'il ne l'avait pas interrogé et qu'il n'avait pas appelé de témoins à décharge à la barre. Le Comité a estimé que ces allégations pouvaient soulever des questions au titre du paragraphe 3 b), d) et e) de l'article 14 du Pacte, à examiner quant au fond.
6.6 En ce qui concerne la plainte de l'auteur relative à l'appel qui, d'après lui, ne s'était pas déroulé dans les conditions prescrites au paragraphe 3 d) de l'article 14, le Comité a noté que l'auteur avait été défendu en appel par un avocat payé par un de ses proches. Il a considéré que l'État partie ne pouvait pas être tenu pour responsable d'erreurs imputées à un avocat dont on s'était assuré les services à titre privé, à moins qu'il ait été manifeste aux yeux du juge ou des autorités judiciaires que le comportement de l'avocat était incompatible avec les intérêts de la justice. Vu les circonstances de l'espèce, cette partie de la communication était irrecevable.
6.7 Le Comité a estimé que l'allégation de l'auteur selon laquelle les policiers qui l'avaient arrêté l'avaient brutalisé pour le contraindre à signer une déclaration pouvait soulever des questions au titre de l'article 7 et du paragraphe 3 g) de l'article 14 du Pacte, à examiner quant au fond.
6.8 Le Comité a noté que l'État partie avait ordonné une enquête sur l'absence de soins médicaux dont l'auteur s'était plaint. Il a constaté que près d'un an s'était écoulé depuis que l'État partie avait donné cette information et que les résultats n'avaient toujours pas été portés à sa connaissance. Dans ces conditions, le Comité a considéré que la plainte de l'auteur pouvait soulever des questions au titre de l'article 10 du Pacte, à examiner quant au fond.
6.9 Dans la mesure où l'auteur prétendait que sa détention prolongée au quartier des condamnés à mort constituait une violation de l'article 7 du Pacte, le Comité a réaffirmé sa jurisprudence selon laquelle une très longue détention dans le quartier des condamnés à mort ne constituait pas en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant contraire à l'article 7 du Pacte Ibid., quarante-quatrième session, Supplément No 40 (A/44/40), annexe X.F, communications No 210/1986 et 225/1987 (Pratt et Morgan c. Jamaïque), constatations adoptées le 6 avril 1989, par. 13.6; ibid., quarante-septième session, Supplément No 40 (A/47/40), annexe IX.F, communications No 270/1988 et 271/1988 (Barrett et Sutcliffe c. Jamaïque), constatations adoptées le 30 mars 1992, par. 8.4; et ibid., quarante-huitième session, Supplément No 40 (A/48/40), vol. II, annexe XII.U, communication No 470/1991 (Kindler c. Canada), constatations adoptées le 30 juillet 1993, par. 6.4.. Il a observé que l'auteur n'avait, aux fins de recevabilité, étayé aucune allégation de circonstance spécifique touchant son affaire qui, à cet égard, serait de nature à soulever une question au titre de l'article 7 du Pacte. Cette partie de la communication était, de ce fait, irrecevable au titre de l'article 2 du Protocole facultatif.
7. En conséquence, le 15 mars 1995, le Comité a décidé que la communication était recevable dans la mesure où elle semblait soulever des questions au titre des articles 7 (au sujet des mauvais traitements subis au moment de l'arrestation) et 10 et des alinéas b, d) (au sujet de l'audience préliminaire et du procès), e) et g) du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte.
Observations de l'État partie quant au fond et commentaires du conseil
8.1 L'État partie, dans ses observations datées du 9 janvier 1996, fait valoir que l'auteur n'a pas indiqué au cours de l'enquête préliminaire qu'il avait été victime de mauvais traitement. Il note en outre que l'auteur ne présente pas de dossier médical à l'appui de sa plainte, bien qu'il prétende souffrir d'une lésion auditive permanente.
8.2 En ce qui concerne la représentation de l'auteur à l'audience préliminaire, l'État partie relève que l'auteur était libre de protester s'il ne souhaitait pas être représenté par le conseil de son coïnculpé, mais qu'il ne l'a pas fait. L'État partie explique en outre que l'enquête préliminaire vise à déterminer s'il y a cause probable d'action, ce qui ne nécessite qu'un niveau de preuve peu élevé. Il affirme que rien ne permet de penser que la décision du juge aurait été différente si l'auteur avait été représenté par un autre avocat.
8.3 En ce qui concerne la représentation de l'auteur au procès, il indique que le devoir de l'État partie consiste à désigner un conseil compétent pour défendre les personnes ayant besoin d'une aide judiciaire et non à entraver l'action de ce conseil.
8.4 À propos des plaintes fondées sur l'article 10 du Pacte, concernant le refus d'accorder des soins médicaux à l'auteur dans le quartier des condamnés à mort, l'État partie indique qu'il s'efforcera d'accélérer l'enquête et qu'il en communiquera les résultats au Comité dès qu'il les aura en sa possession.
9.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'État partie, le conseil de l'auteur fait valoir que, puisqu'à l'enquête préliminaire, l'auteur n'avait pas été représenté valablement, ce dernier ignorait vraisemblablement qu'il pouvait faire une déclaration au sujet des mauvais traitements dont il avait été victime et demander un examen médical. Le conseil relève que l'auteur a effectivement évoqué la question des mauvais traitements dès qu'il a eu la possibilité de le faire, lors du procès.
9.2 En ce qui concerne la représentation de l'auteur à l'enquête préliminaire, le conseil indique que l'auteur risquait peut-être de ne pas être représenté du tout s'il n'avait pas accepté d'être représenté par le conseil de son coïnculpé. Ce dernier aurait dû informer l'auteur du conflit d'intérêts potentiel et n'aurait pas dû agir en son nom sans avoir reçu d'instructions expresses de l'auteur.
Délibérations du Comité
10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
10.2 En ce qui concerne les allégations de violation de l'article 7 et du paragraphe 3 g) de l'article 14 du Pacte, le Comité note que, d'après les pièces du procès, le jury en a été saisi lors du procès, que les jurés les ont rejetées et qu'il n'en a pas été question en appel. Dans ces conditions, le Comité conclut que les informations dont il est saisi ne permettent pas de constater une violation de l'article 7 et du paragraphe 3 g) de l'article 14 du Pacte.
10.3 En ce qui concerne les griefs exprimés par l'auteur au sujet de sa représentation à l'enquête préliminaire et au procès, le Comité note qu'il n'est pas contesté que l'avocat commis au titre de l'aide judiciaire ne s'est pas présenté à l'enquête préliminaire, que l'auteur a donc été représenté par le conseil de son coïnculpé avec lequel il avait un conflit d'intérêts, et que l'auteur n'a rencontré son avocat qu'un jour avant l'ouverture du procès. Le Comité considère que l'avocat dont l'auteur s'était assuré les services à titre privé aurait pu évoquer ces questions en appel et que s'il a négligé de le faire, cela ne peut être imputé à l'État partie. En conséquence, le Comité conclut que les informations dont il est saisi ne permettent pas de constater une violation du paragraphe 3 b), d) et e) de l'article 14 du Pacte.
10.4 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur selon laquelle les soins médicaux qu'il avait demandés alors qu'il se trouvait dans le quartier des condamnés à mort lui ont été refusés, le Comité note que l'auteur a fourni des renseignements précis indiquant que les rendez-vous pris avec un médecin n'ont pas été tenus, et que sa maladie de peau n'a pas été soignée. Le Comité constate en outre que l'État partie a déclaré avoir ouvert une enquête mais que, deux ans et demi après que la plainte a été portée à l'attention de l'État partie et plus d'un an après que la communication a été déclarée recevable, l'État partie n'a fourni aucune explication permettant d'élucider la question. Dans ces conditions, le Comité estime que l'absence de soins médicaux constitue une violation du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
12. Le Comité estime que M. Uton Lewis a droit, en vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, à un recours utile entraînant une réparation, ainsi que des soins médicaux suffisants à l'avenir. L'État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
13. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte, et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte, à assurer un recours utile lorsqu'une violation a été établie et à y donner bonne suite, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
____________
* Conformément à l'article 85 du règlement intérieur du Comité, M. Laurel Francis, membre du Comité, n'a pas pris part à l'adoption des constatations. Le texte de l'opinion individuelle d'un membre du Comité est reproduit à l'appendice du présent document.
[Texte adopté en anglais, espagnol et français. Version originale : anglais.]
Notes
APPENDICE**
Opinion individuelle de M. Francisco José Aguilar Urbina,
membre du Comité
Bien que nous partagions l'opinion majoritaire dans le cas d'espèce, la manière dont elle a été exprimée nous oblige à faire connaître notre opinion individuelle. L'opinion majoritaire reprend, une fois encore, la jurisprudence antérieure, selon laquelle le facteur temps ne constitue pas en soi une violation de l'article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en rapport avec le "syndrome de l'antichambre de la mort". En maintes occasions, le Comité a soutenu que le seul fait d'être condamné à mort ne constitue pas une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant.
À cet égard, nous voudrions nous référer à l'opinion et à l'analyse que nous avons exposées concernant la communication No 588/1994 (Errol Johnson c. Jamaïque) [voir sect. W ci-après].