Présentée par : Harold Elahie
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Trinité-et-Tobago
Date de la communication : 20 février 1992 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 28 juillet 1997,
Ayant achevé l'examen de la communication No 533/1993, présentée
par M. Harold Elahie en vertu du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'Etat partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Harold Elahie, citoyen trinidadien,
qui purge actuellement une peine de quatre ans d'emprisonnement avec travaux
forcés à la prison d'Etat de la Trinité-et-Tobago. Il se dit victime de
violations de ses droits par la Trinité-et-Tobago, mais n'invoque aucune
disposition particulière du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques. Il devait être libéré le 26 novembre 1996.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été arrêté le 6 juillet 1986 et accusé de meurtre et de
plusieurs autres infractions (tentative de meurtre, coups et blessures
volontaires et coups de feu tirés intentionnellement). Il a été présenté
à un juge d'instruction et placé en détention. Le 15 octobre 1986, l'enquête
préliminaire a commencé; peu de temps après, l'auteur a été informé par
son défenseur du fait que le juge d'instruction avait été suspendu de
ses fonctions pour corruption présumée.
2.2 L'auteur n'a été présenté à un autre juge d'instruction que le 22
février 1988. Ce juge d'instruction a repris l'enquête là où elle avait
été suspendue en 1986. L'auteur a été cité à comparaître le 25 mai 1988,
mais le chef d'inculpation finalement retenu n'est pas clair. Il ressort
des lettres de l'auteur que l'un des actes de mise en accusation, daté
du 9 juillet 1990, devait être examiné le 18 novembre 1990, mais qu'avant
l'audience la défense avait déposé une requête contre cet acte de mise
en accusation au motif qu'il était fondé sur une ordonnance de renvoi
illégale. Selon l'auteur, le ministère public a reconnu le bien-fondé
de la requête et, le 19 mars 1991, le juge a annulé l'acte de mise en
accusation et ordonné une nouvelle enquête préliminaire. La défense a
fait appel contre cette ordonnance, mais a apparemment été déboutée car
l'auteur indique : "[Une] deuxième enquête a été menée contre moi
par un autre juge d'instruction".
2.3 Un nouveau procès a été prévu et, le 25 mars 1994, l'auteur a été
condamné à quatre ans d'emprisonnement avec travaux forcés, après avoir
plaidé coupable du chef d'homicide involontaire / Dans sa
réponse, l'Etat partie fait observer que l'auteur a été condamné le 25
mars 1994 pour homicide involontaire et que les autres chefs d'accusation
n'ont pas été retenus./.
2.4 L'auteur ajoute qu'il a plaidé coupable du chef d'homicide involontaire
sur les conseils de son avocat, afin de clarifier sa situation et d'accélérer
la procédure. Il déclare en outre que son avocat lui a recommandé de ne
pas faire appel du jugement car la procédure d'appel serait plus longue
que la peine qu'il lui restait à purger.
Teneur de la plainte
3.1 Bien que l'auteur n'invoque aucune disposition particulière du Pacte,
il semblerait qu'il se déclare victime de violations du paragraphe 1 de
l'article 10 du Pacte, en raison des conditions de sa détention, ainsi
que du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article
14, en raison de la lenteur excessive de la procédure, sept années s'étant
écoulées entre le moment de son arrestation et de sa mise en détention
et celui de sa condamnation en 1994. L'auteur se plaint d'avoir été détenu
pendant sept ans et huit mois avant de passer en jugement.
3.2 L'auteur affirme en outre qu'il est soumis en prison à des traitements
inhumains et dégradants. Par exemple, il indique qu'ils sont cinq détenus
dans la même petite cellule. Ils dorment sur "un morceau d'éponge"
et sur de vieux journaux et la nourriture, impropre à la consommation
humaine, leur est jetée "comme à des porcs". De plus, chaque
fois qu'il reçoit la visite des membres de sa famille, il est attaché
par des menottes à un autre prisonnier. Il affirme que lorsque les détenus
se plaignent de ces conditions aux gardiens, ils sont soumis aux "pires
brutalités" et ils ne sont jamais autorisés à voir le Commissaire
des prisons.
Renseignements et observations communiqués par l'Etat partie concernant
la recevabilité et commentaires de l'auteur à ce sujet
4. Dans une réponse datée du 20 mars 1995, l'Etat partie confirme que
l'auteur a épuisé tous les recours internes disponibles en ce qui concerne
sa plainte relative à la procédure adoptée lors de l'enquête préliminaire.
Il reconnaît également que l'auteur a épuisé les recours internes pour
ce qui est de ses plaintes au sujet des conditions de détention.
Décision du Comité concernant la recevabilité
5. A sa cinquante-cinquième session, le Comité a examiné la recevabilité
de la communication. Il a noté que l'Etat partie avait reconnu que l'auteur
avait épuisé les recours internes disponibles et a constaté que l'auteur
avait suffisamment étayé son allégation selon laquelle il n'avait pas
été traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à
la personne humaine pendant sa détention et que cette allégation pouvait
donc être examinée quant au fond.
6.1 Le Comité a estimé en outre que l'auteur avait suffisamment démontré,
aux fins de la recevabilité, que le délai qui s'était écoulé entre son
arrestation et sa comparution en jugement et le fait qu'il avait été maintenu
en détention durant toute cette période sans bénéficier d'une mise en
liberté sous caution, ainsi que le fait que la peine déjà purgée n'avait
pas été prise en compte, pouvaient soulever des questions au titre du
paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte,
lesquelles appelaient un examen quant au fond.
6.2 Le 12 octobre 1995, le Comité des droits de l'homme a déclaré la
communication recevable dans la mesure où elle semblait soulever des questions
au titre du paragraphe 1 de l'article 10, du paragraphe 3 de l'article
9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.
Autres informations reçues de l'Etat partie
7.1 Dans une autre communication relative à la recevabilité, reçue après
l'adoption de la décision concernant la recevabilité, l'Etat partie a
déclaré que, le 19 mars 1991, l'acte initial de mise en accusation de
l'auteur avait été annulé au motif qu'"il était fondé sur une ordonnance
de renvoi nulle, illégale, sans effet et excédant les limites de la loi
sur les enquêtes préliminaires concernant les infractions majeures".
Le juge a ordonné l'annulation de l'acte de mise en accusation et a demandé
une nouvelle enquête préliminaire.
7.2 A l'issue de la nouvelle enquête préliminaire, l'auteur a été cité
à comparaître pour meurtre, tentative de meurtre, coups et blessures volontaires
et coups de feu tirés intentionnellement. Au procès en assises, l'auteur
a plaidé coupable du chef d'homicide involontaire et a été condamné, le
25 mars 1994, à quatre ans d'emprisonnement avec travaux forcés.
Examen quant au fond
8.1 Le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les
informations fournies par les parties, comme il est tenu de le faire conformément
au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif. Il note avec préoccupation
qu'après la transmission de sa décision concernant la recevabilité, l'Etat
partie n'a fourni aucun autre renseignement. Le Comité rappelle qu'il
ressort implicitement du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif
que l'Etat partie examine en toute bonne foi toutes les allégations le
concernant et qu'il fournit au Comité toutes les informations dont il
dispose. Compte tenu de l'absence de coopération de l'Etat partie avec
le Comité dans l'affaire à l'étude, bien qu'un rappel lui ait été envoyé
le 11 mars 1997, toute l'importance voulue doit être accordée aux allégations
de l'auteur, dans la mesure où elles ont été étayées.
8.2 Le Comité note que les renseignements dont il dispose indiquent que
l'auteur a été arrêté le 6 juillet 1986, que peu après le début de l'enquête
préliminaire le juge d'instruction auquel l'affaire avait été confiée
avait été suspendu de ses fonctions, et que l'auteur n'a été présenté
à un autre juge d'instruction que le 22 février 1988. L'auteur a été cité
à comparaître le 25 mai 1988. Une requête constitutionnelle a été déposée
le 1er novembre 1990, à la suite de laquelle l'acte de mise en accusation
de l'auteur a été annulé et une nouvelle enquête préliminaire a été ordonnée,
le 19 mars 1991. L'auteur a été reconnu coupable d'homicide involontaire
le 25 mars 1994. La chronologie des faits indique que l'auteur a été maintenu
en détention pendant sept ans et huit mois avant d'avoir été reconnu coupable
d'homicide involontaire et condamné. L'auteur a été condamné à une peine
de quatre ans d'emprisonnement avec travaux forcés qui tenait compte apparemment
du temps déjà passé en détention. Néanmoins, le Comité considère que le
délai de sept ans et huit mois intervenu entre l'arrestation de l'auteur
et le début de son procès constitue effectivement, en l'absence d'explications
pertinentes de la part de l'Etat partie pour justifier ce délai, une violation
du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du
Pacte, car le procès visant une personne maintenue en détention n'a pas
été engagé, ni achevé, dans un délai raisonnable et il y a eu des retards
indus dans le déroulement même du procès.
8.3 Le Comité note que l'Etat partie n'a soumis aucune information pour
récuser les allégations de l'auteur concernant ses conditions de détention
et les mauvais traitements dont il aurait été victime. Toute l'importance
voulue doit en conséquence être accordée aux affirmations de l'auteur
selon lesquelles il dormait "sur un morceau d'éponge et sur de vieux
journaux", la nourriture qui lui était donnée était "impropre
à la consommation humaine" et il était traité avec brutalité par
les gardiens lorsqu'il se plaignait. De l'avis du Comité, l'auteur n'a
pas été traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente
à la personne humaine, ce qui constitue une violation du paragraphe 1
de l'article 10 du Pacte.
9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître des violations du paragraphe 1 de l'article
10, du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article
14 du Pacte.
10. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'auteur a droit
à un recours utile, y compris à une indemnisation, pour les mauvais traitements
qu'il a subis et les retards excessifs intervenus dans la procédure le
concernant. Le Comité réaffirme l'obligation qu'ont les Etats parties
de traiter les personnes privées de leur liberté avec le respect qu'impose
la dignité inhérente à la personne humaine. L'Etat partie est tenu de
veiller à ce que des violations analogues ne se produisent pas à l'avenir.
11. Etant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'Etat partie
a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait
eu ou non violation du Pacte et que, aux termes de l'article 2 du Pacte,
il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le
Comité souhaite recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
_____________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati,
M. Thomas Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth
Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer,
Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Julio Prado Vallejo, M. Martin Scheinin,
M. Danilo Türk et M. Maxwell Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport
annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]