8 - 26 juillet 1996
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques
- Cinquante-septième session -
Communication No 537/1993
Présentée par : Paul Anthony Kelly [représenté par un conseil]
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 15 février 1993 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 17 juillet 1996,
Ayant achevé l'examen de la communication No 537/1993 qui lui a été présentée au nom de M. Paul Anthony Kelly, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'État partie,
Adopte les constatations ci-après au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif.
1. L'auteur de la communication est Paul Anthony Kelly, citoyen jamaïcain, né en 1951, qui, à l'époque où la communication a été présentée, était en attente d'exécution à la prison du district de St. Catherine (Spanish Town, Jamaïque). Il se déclare victime d'une violation par la Jamaïque du paragraphe 3 de l'article 2 et des paragraphes 1, 3 b) et 3 d) de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil. Au printemps 1995, sa peine a été commuée en emprisonnement à vie, à la suite de la décision rendue par la section judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Pratt et Morgan c. Attorney-General of Jamaica.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 28 avril 1988, l'auteur a été reconnu coupable par la Home Circuit Court du meurtre de M. Aloysius James, perpétré le 21 mars 1987 aux alentours de 19 h 30 à Chelsea (Irwin). Son coïnculpé, Errol Williams, a été reconnu coupable d'homicide. Le meurtre a eu lieu au domicile du défunt au cours d'un vol à main armée commis par un groupe de six personnes pendant une panne de courant. L'accusation a cité deux témoins oculaires, l'épouse de facto et le frère du défunt. Le témoignage du frère a toutefois été jugé douteux et le jury a reçu pour instruction de ne pas en tenir compte. L'épouse a témoigné à l'audience qu'elle avait assisté à la fusillade et qu'elle avait vu le visage du meurtrier à la lumière d'une seule bougie.
2.2 La cour d'appel de la Jamaïque a rejeté le 13 mars 1989 l'appel que l'auteur avait formé de sa condamnation. Sa demande d'autorisation spéciale de se pourvoir devant la section judiciaire du Conseil privé a été rejetée le 6 juin 1991.
2.3 L'auteur a été arrêté à son travail, à Love Lane, le 24 mars 1987. Il a déclaré être innocent, faisant valoir qu'il avait passé la soirée du 21 mars à Love Lane, un quartier de Montego Bay, à plusieurs kilomètres de Chelsea, et qu'il avait des témoins. Il affirme que la police lui en voulait à cause d'une affaire précédente et que c'est pour cette raison qu'il a été arrêté. Il n'a pu voir un avocat que cinq jours après son arrestation et n'a pas fait de déclaration à la police. Le 2 avril 1987, une séance d'identification a été organisée en présence du conseil de l'auteur, et la femme du défunt a désigné l'auteur comme étant le meurtrier. L'auteur déclare qu'elle n'a pu le reconnaître que parce qu'il lui manque une partie d'une oreille et que la police le lui avait dit. De plus, elle ne l'aurait identifié que quand un policier l'avait incitée à désigner un coupable en lui demandant qui avait tué son mari, au moment où elle se trouvait devant l'auteur.
2.4 L'accusation était fondée sur ce témoignage tandis que la défense reposait sur l'alibi de l'auteur. L'auteur a fait une déposition sous serment selon laquelle il se trouvait à Love Lane le soir du 21 mars 1987. Sur les 10 personnes qui, d'après l'auteur, pouvaient confirmer son alibi, deux seulement ont été citées à comparaître par son avocat. Le premier témoin à décharge, une connaissance de l'auteur, a confirmé son récit. Le deuxième, une femme agent de police qui se trouvait dans le quartier à cause d'une querelle de ménage, a témoigné tout d'abord qu'elle avait vu l'auteur à Love Lane immédiatement avant la coupure de courant; l'auteur affirme que suivant les instructions des policiers présents à l'audience, elle a modifié sa déclaration et a dit à la Cour qu'elle avait vu l'auteur pour la dernière fois aux alentours de 17 h 45, soit bien avant la coupure de courant. L'auteur soutient que l'une ou l'autre des 10 autres personnes aurait pu témoigner qu'il se trouvait à Love Lane et qu'il avait été aperçu beaucoup plus tard dans la soirée par l'agent de police.
2.5 Au procès, l'auteur et son coïnculpé ont affirmé l'un et l'autre qu'ils s'étaient rencontrés pour la première fois en prison. Le coïnculpé a déclaré ne pas se souvenir de l'endroit où il se trouvait la nuit du meurtre. L'auteur cependant déclare qu'avant le procès il avait découvert dans la chaussure de son coïnculpé un morceau de papier parchemin portant le nom de l'auteur, celui d'un policier et celui de deux ou trois juges. Quand il lui en a parlé, le coïnculpé a avoué qu'il avait participé au vol, devant l'auteur et son avocat ainsi que devant son propre avocat. Il aurait également révélé la véritable identité de l'assassin. D'après l'auteur, le coïnculpé a fait une déclaration à un sergent de police du poste de police de Banhurst, reconnaissant qu'il se trouvait parmi les hommes qui avaient tiré et que l'auteur n'y était pas. Il n'a cependant pas témoigné en faveur de l'auteur lors du procès et le défenseur de l'auteur n'a pas produit le parchemin comme preuve ni posé de questions aux témoins au sujet des aveux du coïnculpé.
2.6 L'auteur ajoute qu'un officier de police, Lester Davis, lui a dit que l'épouse du défunt, interrogée la nuit du meurtre, avait déclaré n'avoir pas pu voir le visage du meurtrier. Bien que l'auteur en eût averti son défenseur, la question n'avait pas été évoquée au procès et il n'avait pas été procédé à un contre-interrogatoire de l'épouse sur ce point. Le conseil joint une copie d'une déclaration écrite de M. Davis, datée du 24 avril 1990, dans laquelle celui-ci indique que la nuit du meurtre, l'épouse du défunt a dit qu'elle n'avait pu distinguer clairement les agresseurs et que selon lui, aucun des témoins oculaires ne pouvait reconnaître les hommes qui avaient tiré car il n'y avait pas assez de lumière.
2.7 En appel, l'auteur était représenté par un autre avocat (commis au titre de l'aide judiciaire) qui ne lui aurait pas fait connaître la date de l'audience, ne l'aurait pas consulté et aurait déclaré à la Cour que l'appel n'était pas fondé. Bien qu'il sût qu'un certain nombre de témoins pouvaient confirmer l'alibi de l'auteur, l'avocat n'avait pas cherché à les interroger et n'avait prêté aucune attention aux aveux du coïnculpé ni à la déclaration du policier. Bien que l'auteur eût fait savoir qu'il voulait être présent à l'audience en appel, il n'en avait appris la date qu'après le rejet.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme qu'il y a eu dans son cas violation des droits consacrés au paragraphe 3 b) de l'article 14 du Pacte parce que a) il n'a pas été autorisé à communiquer avec son avocat pendant les cinq premiers jours de sa garde à vue; b) il n'a pas été informé de la date de l'audience en appel et n'a donc pas pu examiner à fond les questions concernant l'appel avec son avocat; et c) celui-ci ne l'a pas consulté avant l'audience.
3.2 L'auteur se déclare en outre victime d'une violation du paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte. Il se réfère à cet égard à ce qui est dit plus haut ainsi qu'au fait que durant le procès son défenseur n'a pas dénoncé les irrégularités de la séance d'identification, n'a pas cité des témoins essentiels qui auraient pu confirmer son alibi, n'a pas fait connaître au tribunal les aveux du coïnculpé et n'a pas interrogé les témoins sur ce point. L'auteur affirme en outre qu'il y a violation du paragraphe 3 d) de l'article 14 parce que l'avocat commis pour le représenter en appel n'a pas tenu compte des renseignements qui lui avaient été donnés et a déclaré devant la cour d'appel que le recours n'était pas fondé et parce que la Cour, en entendant cette déclaration, n'a pas désigné un autre avocat.
3.3 L'auteur affirme en outre qu'il y a violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte eu égard à la négligence de son conseil et au fait que le juge a laissé les autres policiers présents au procès influencer la femme agent de police qui avait témoigné à décharge.
3.4 Enfin l'auteur se déclare victime d'une violation du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte parce qu'il n'a pas eu la possibilité de former un recours utile. Il indique que la requête constitutionnelle n'est qu'un recours théorique pour lui puisque le coût de la procédure auprès de la Cour (constitutionnelle) suprême est prohibitif et qu'il n'existe pas d'aide judiciaire à cette fin.
3.5 Le conseil de l'auteur fait valoir que dans les affaires de condamnation à mort la défense doit être du plus haut niveau possible, ne pas être de pure forme et être efficace. Il renvoie à ce sujet à la jurisprudence du Comité des droits de l'homme selon laquelle il va de soi que l'assistance d'un défenseur doit être assurée lorsque l'accusé risque la peine capitale. En déclarant que l'appel ne se justifiait pas, le défenseur commis pour la procédure d'appel avait privé l'auteur de toute représentation en justice; le conseil se réfère à cet égard aux constatations adoptées par le Comité le 20 juillet 1990 au sujet de la communication No 250/1987 (Reid c. Jamaïque) Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-cinquième session, Supplément No 40 (A/45/40), vol. II, annexe IX.J.. Il indique en outre que les questions soulevées dans cette affaire ne relèvent pas du simple exercice de la profession mais que les actes et les opinions des avocats qui ont représenté l'auteur devant les tribunaux jamaïcains ne peuvent être considérés comme constituant une assistance professionnelle suffisante que l'on est en droit d'attendre d'un avocat de la défense. Il affirme que, vu que l'auteur a été condamné sur la foi du témoignage d'une seule personne, lors d'une séance d'identification, que les témoins essentiels qui pouvaient confirmer l'alibi n'ont pas été cités par la défense et que le témoignage de la personne qui a reconnu l'auteur a été insuffisamment vérifié, la défense de l'auteur n'a pas été valablement assurée, ce qui a conduit à sa condamnation.
Observations de l'État partie et commentaires de l'auteur
4. Dans ses observations datées du 12 octobre 1993, l'État partie fait valoir que la communication est irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes. Il indique à cet égard que l'auteur a la possibilité de demander réparation pour les violations de ses droits dont il s'estime victime en déposant une requête constitutionnelle auprès de la Cour suprême.
5. Dans ses commentaires, datés du 4 janvier 1994, le conseil relève que l'aide judiciaire ne s'appliquant pas au dépôt d'une requête constitutionnelle, cette dernière ne constitue pas, dans le cas de l'auteur, un recours utile.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 Le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication à sa cinquante-troisième session. Il a relevé que l'État partie avait affirmé que la communication était irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes et a rappelé que sa jurisprudence a toujours été de considérer qu'aux fins du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, les recours internes doivent être utiles et disponibles. En ce qui concerne l'argument de l'État partie selon lequel l'auteur a encore la possibilité de présenter une requête constitutionnelle, le Comité a noté que la Cour suprême de la Jamaïque avait, dans certains cas fait droit à des demandes de réparation de cette nature portant sur des violations de droits fondamentaux, après le rejet de l'appel au pénal. Toutefois, le Comité a rappelé également que l'État partie avait indiqué à plusieurs occasions que l'aide judiciaire n'était pas prévue pour les requêtes constitutionnelles. Il a considéré qu'en l'absence d'aide judiciaire, une requête constitutionnelle ne constituait pas, dans les circonstances de l'affaire, un recours disponible devant être épuisé aux fins du Protocole facultatif. Le Comité a donc conclu qu'il n'était pas empêché par le paragraphe 2 b) de l'article 5 d'examiner la communication.
6.2 Le Comité a estimé que l'auteur et son conseil avaient suffisamment étayé leurs allégations, aux fins de la recevabilité de la communication, pour qu'il puisse conclure qu'elle pouvait soulever des questions au titre de l'article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, qui devaient être examinées quant au fond.
6.3 Le 15 mars 1995, le Comité a donc déclaré la communication recevable.
Observations de l'État partie quant au fond et commentaires du conseil
7.1 Dans ses observations au titre du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, datées du 20 octobre 1995, l'État partie note que dans sa décision déclarant la communication recevable, le Comité n'a pas précisé quelles dispositions de l'article 14 du Pacte pourraient avoir été violées alors qu'il ressort clairement de la communication que toutes les dispositions de l'article 14 ne sont pas en cause.
7.2 En ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 3 b) de l'article 14 du Pacte, l'État partie relève qu'"une enquête sera ouverte" pour établir si, comme le prétend l'auteur, celui-ci n'a pas pu voir un avocat pendant les cinq premiers jours qui ont suivi son arrestation Au 15 mai 1996, aucune information concernant l'issue de l'enquête promise n'avait été envoyée par l'État partie. . Il reconnaît toutefois qu'en vertu de la loi jamaïcaine l'auteur avait le droit de consulter un avocat après son arrestation. Pour ce qui est de la non-notification à l'auteur de la date de l'audience en appel, l'État partie rappelle que c'est le greffier de la cour d'appel qui est chargé d'aviser les détenus de la date à laquelle l'appel sera jugé. Il affirme que "le greffe s'acquitte de cette tâche très efficacement et que les manquements sont rares". Le dossier montre que l'auteur a bien été informé de la date de l'appel mais la date exacte à laquelle la lettre a été envoyée n'est pas précisée.
7.3 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur qui affirme que, ne connaissant pas la date de l'audience en appel, il n'avait pas pu consulter l'avocat et que ce dernier ne l'avait pas non plus consulté, l'État partie réaffirme que, comme M. Kelly avait bien été notifié de la date de l'audience en appel, ce n'est pas cela qui avait pu l'empêcher de consulter son avocat. De plus, l'État partie fait valoir qu'il ne peut pas être tenu pour responsable de la façon dont un avocat commis au titre de l'aide judiciaire assure la défense de son client : l'État a le devoir de désigner un conseil compétent pour ce faire et de ne pas l'empêcher d'assurer cette défense. Une fois que l'État s'est acquitté de cette obligation, la conduite de la défense incombe au conseil et les erreurs d'appréciation ou autres manquements ne peuvent pas être attribués à l'État partie. Celui-ci nie donc qu'il y ait eu violation du paragraphe 3 b) de l'article 14 en ce qui concerne la notification à l'auteur de la date de l'audience en appel et la possibilité qu'avait celui-ci de communiquer avec son conseil.
7.4 Pour ce qui est de l'allégation de violation du paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte, concernant la façon dont le conseil a assuré la défense de l'accusé au procès et en appel, l'État partie réaffirme qu'il ne peut en être tenu pour responsable : les considérations développées au paragraphe 7.3 ci-dessus s'appliquent ici aussi. La négligence dont a fait preuve le conseil — qui n'aurait pas dénoncé les irrégularités commises lors de la séance d'identification, qui n'aurait pas appelé des témoins essentiels pour confirmer l'alibi de l'auteur ou qui n'aurait pas attiré l'attention du tribunal sur les aveux du coïnculpé ni interrogé les témoins sur ce point — concerne, de l'avis de l'État partie, le système de défense qu'il a choisi, exerçant en cela son jugement professionnel. L'État partie nie en conséquence qu'il y ait eu violation du paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte.
7.5 Concernant l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, à savoir que le juge du fond n'aurait rien fait pour empêcher les policiers présents dans la salle d'audience d'influencer la femme policier venue témoigner à décharge, l'État partie note que "rien, si ce n'est les dires de l'auteur, n'indique que les policiers présents dans la salle d'audience ont persuadé la femme policier de revenir sur son témoignage. Dans le cas improbable où cela se serait effectivement produit, rien ne montre que l'attention du juge du fond ait été appelée sur cet élément". De l'avis de l'État partie, il revenait manifestement au conseil de porter une question aussi importante à l'attention du juge. Étant donné que rien ne montre qu'il l'ait fait, l'État partie nie qu'il y ait eu violation du paragraphe 1 de l'article 14.
7.6 Pour ce qui est de la violation présumée du paragraphe 3 de l'article 2 — l'impossibilité pour l'auteur de déposer une requête constitutionnelle en raison de l'absence d'aide judiciaire pour ce faire — l'État partie réaffirme que le Pacte ne prévoit aucune obligation d'assurer l'aide judiciaire pour les pourvois devant la Cour constitutionnelle, le paragraphe 3 de l'article 14 disposant clairement que les garanties minimales de la défense, y compris l'aide judiciaire, concernent la détermination de l'infraction pénale. De surcroît, l'absence d'aide judiciaire n'empêche pas le dépôt des requêtes constitutionnelles même pour les personnes sans ressources, comme l'a démontré l'affaire Pratt et Morgan c. Attorney-General Jugement de la section judiciaire du Conseil privé en date du 2 novembre 1993..
8.1 Dans ses observations, l'avocate qui représente l'auteur, signale qu'elle n'a appris la commutation de la peine que par une lettre datée du 29 août 1995 émanant du Secrétaire permanent du bureau du Gouverneur général de la Jamaïque. La peine capitale ayant été commuée, son client a quitté la prison du district de St. Catherine mais elle n'a pas pu savoir où il avait été transféré, en dépit de deux demandes adressées aux autorités de l'État partie; elle est donc dans l'incapacité d'obtenir les instructions de son client sur la façon dont elle doit répondre aux observations de l'État partie, observations qu'elle qualifie de préliminaires. Elle qualifie également de violation supplémentaire du paragraphe 3 b) de l'article 14 du Pacte le fait que l'État partie n'indique pas où se trouve M. Kelly.
8.2 Le conseil réaffirme que son client avait, conformément au paragraphe 3 b) de l'article 14 du Pacte, le droit de consulter un avocat après son arrestation. Étant donné qu'il n'a pas pu le faire pendant cinq jours — ce que l'État partie est incapable de réfuter — il y a eu violation de cette disposition. Quand à l'affirmation de l'État partie concernant la notification à M. Kelly de la date de l'audience en appel, le conseil note que l'État partie n'est pas en mesure de donner la date exacte de la lettre de notification, et moins encore d'en faire tenir une copie. À son avis, il s'agit, à première vue, d'un des "rares" cas où, de l'aveu de l'État partie, il y a eu "manquement". De plus, il "va de soi que la cour d'appel devait s'enquérir de l'absence de l'auteur à l'audience qui n'aurait pas dû continuer tant qu'[il] n'avait pas été informé et n'avait pas eu la possibilité d'être présent". Dès lors que l'État partie ne l'avait pas notifié de la date de l'audience en appel, M. Kelly n'avait pas pu consulter son conseil pour préparer sa défense.
8.3 Le conseil réaffirme que l'État partie a commis une violation du paragraphe 3 d) de l'article 14 en désignant au titre de l'aide judiciaire un avocat incompétent pour représenter l'auteur. En effet, celui-ci : a) n'a pas notifié l'auteur de la date de l'audience en appel lorsqu'il en a eu connaissance; b) n'a pas consulté M. Kelly pour préparer l'audience en appel; c) n'a pas veillé à ce que l'auteur soit bien présent à l'audience en appel; d) n'a pas appelé l'attention du tribunal sur les aveux du coaccusé; e) n'a pas fait le nécessaire pour citer les témoins; f) n'a pas appelé l'attention du tribunal sur les irrégularités dont l'affaire était entachée; g) n'a pas, d'une façon générale, protégé les intérêts de M. Kelly; h) a déclaré, lors de l'audience en appel, qu'il n'y avait pas matière à recours. Ce dernier point, en particulier, serait un exemple de défense "frustratoire active" de l'auteur.
8.4 Toujours au sujet du paragraphe 3 d) de l'article 14, le conseil fait valoir qu'au sens de cette disposition la représentation en justice doit être effective et non de pure forme et que la question de la compétence doit être déterminée au regard de ce qui peut être raisonnablement attendu des compétences professionnelles d'un conseil : le conseil invoque la jurisprudence du Comité, qui a établi que "l'aide judiciaire apportée à un accusé risquant la peine capitale doit être de nature à garantir une justice adéquate et effective" Voir Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-cinquième session, Supplément No 40 (A/45/40), Vol. II, annexe IX.H, communication No 232/1987 (Pinto c. Trinité-et-Tobago), constatations adoptées le 20 juillet 1990, par. 12.5..
8.5 À la lumière des considérations développées plus haut, aux paragraphes 8.2 à 8.4, le conseil affirme que le procès de M. Kelly et l'audience d'appel n'ont pas été "équitables" au sens du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Le fait que le conseil n'a pas interrogé les témoins à décharge, n'a pas appelé l'attention du tribunal sur les aveux du coïnculpé et autres omissions témoigne de l'iniquité de la procédure en appel.
8.6 Enfin, le conseil fait valoir que contrairement à ce qu'affirme l'État partie, on ne peut pas tirer de la décision de la section judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Pratt et Morgan c. Attorney-General argument pour objecter que l'absence d'aide judiciaire pour déposer une requête constitutionnelle n'empêche en aucune manière les personnes sans ressources de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle. D'après le conseil, comme l'aide judiciaire n'est pas prévue pour le dépôt des requêtes constitutionnelles, il ne s'agit pas d'un recours disponible ou utile pouvant être exercé par l'auteur pour les violations qu'il a subies, ce qui est contraire au paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte.
Examen quant au fond
9.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
9.2 L'auteur se déclare victime d'une violation du paragraphe 3 b) de l'article 14 du Pacte parce qu'il n'a pas pu communiquer avec un avocat de son choix pendant cinq jours après avoir été arrêté. L'État partie s'est engagé à enquêter sur cette plainte mais n'a pas fait tenir les résultats de l'enquête au Comité; il reconnaît toutefois que, selon la législation jamaïcaine, l'auteur avait le droit de consulter un avocat après son arrestation. D'après le dossier, qui a été transmis à l'État partie pour observations, quand l'auteur a été conduit au poste de police de Hanover, le 24 mars 1988, il a dit aux policiers qu'il voulait parler à son avocat, Me McLeod, mais les policiers n'ont pas accédé à sa requête pendant cinq jours. Dans ces conditions, le Comité conclut qu'il y a eu atteinte au droit de l'auteur de communiquer avec l'avocat de son choix, prévu au paragraphe 3 b) de l'article 14.
9.3 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 3 d) de l'article 14 — l'incompétence dont aurait fait preuve l'avocat commis d'office pour défendre l'auteur — le Comité note que les documents mis à sa disposition ne révèlent pas que la décision de l'avocat de M. Kelly de ne pas appeler à la barre plusieurs personnes qui auraient pu confirmer l'alibi ou de ne pas souligner les irrégularités commises lors de la séance d'identification, s'expliquait autrement que par l'exercice du jugement professionnel de l'avocat; cela est confirmé par les réponses données par l'auteur à un questionnaire que le conseil lui a soumis pour la présente communication. L'auteur n'a pas appelé l'attention de la cour d'appel sur ce qu'il estimait être des manquements ou des omissions de la part de son avocat. Dans ces circonstances, le Comité conclut qu'il n'y a pas eu violation du paragraphe 3 d) de l'article 14 en ce qui concerne la conduite du procès.
9.4 Pour ce qui est de la notification de la date de l'audience en appel et de la représentation de l'auteur devant la cour d'appel, le Comité réaffirme qu'il va de soi que les condamnés à la peine capitale doivent être représentés en justice, à tous les stades de la procédure judiciaire. Dans le cas de l'auteur, il faut déterminer tout d'abord s'il a été dûment avisé de la date de l'audience en appel et s'il a pu préparer sa défense avec l'avocat désigné pour le représenter devant la cour d'appel. M. Kelly affirme qu'il n'en a été informé qu'après avoir été débouté, alors que l'État partie soutient que le greffe de la cour d'appel a notifié M. Kelly de la date de l'audience. Certes l'État partie n'est pas en mesure de préciser la date exacte de l'acte de notification ni de fournir une copie de cet acte, mais le Comité relève dans le dossier que l'avocat qui avait été commis pour représenter l'auteur en appel, Me D. Chuck, a bien été notifié de la date de l'audience. Cet avocat avait alors écrit à l'auteur en prison, le 24 février 1989, pour lui demander s'il avait quoi que ce soit à ajouter en vue de préparer l'audience en appel. M. Kelly affirme n'avoir eu aucun contact avec Me Chuck avant d'avoir reçu cette lettre, le 1er mars, mais lui avoir envoyé des explications immédiatement. Dans ces conditions, le Comité conclut que l'auteur savait que l'examen en appel de son cas était imminent.
9.5 Le Comité doit ensuite déterminer si l'avocat commis au titre de l'aide judiciaire pour défendre l'auteur en appel était habilité à renoncer effectivement à faire recours sans consulter au préalable l'auteur. Il n'est pas contesté que Me Chuck n'a pas informé l'auteur de son intention de plaider qu'il n'y avait pas matière à recours, privant M. Kelly de toute représentation en justice. Le Comité rappelle sa jurisprudence, à savoir qu'en vertu du paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte, la cour devrait veiller à ce que la conduite de la défense par l'avocat ne soit pas incompatible avec les intérêts de la personne concernée devant la justice. S'il n'appartient pas au Comité de contester le jugement professionnel du conseil, il n'en considère pas moins que dans une affaire où l'accusé a été condamné à mort, lorsque le conseil plaide que l'appel est sans fondement, la cour doit s'assurer qu'il a consulté l'accusé et l'a dûment informé. Dans le cas contraire, la cour doit veiller à ce que l'accusé en soit informé et ait la possibilité d'engager un autre conseil. Le Comité est d'avis qu'en l'espèce, M. Kelly aurait dû être informé que son conseil commis d'office ne ferait valoir aucun moyen de défense à l'appui de l'appel, ce qui lui aurait donné la possibilité d'étudier toute autre possibilité qui pouvait lui rester (voir également plus haut section G, par. 105). En l'espèce, le Comité conclut qu'il y a eu violation du paragraphe 3 d) de l'article 14.
9.6 L'auteur invoque une atteinte au paragraphe 1 de l'article 14 car le juge du fond n'est pas intervenu quand les policiers présents dans la salle d'audience ont cherché à influencer le témoin à décharge. Toutefois, rien dans les pièces du procès ni dans d'autres documents mis à la disposition du Comité n'indique que des tentatives visant à infléchir le témoignage aient été portées à l'attention du tribunal ni que la question ait été avancée comme moyen d'appel. Le conseil ou l'auteur lui-même aurait dû soulever une question d'une telle importance devant le juge du fond. Dans ces circonstances, le Comité considère qu'il n'y a pas eu violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
9.7 Quant à l'argument de l'auteur selon lequel l'absence d'aide judiciaire pour le dépôt d'une requête constitutionnelle constitue une violation du Pacte, le Comité rappelle que la détermination des droits dans une procédure devant la Cour constitutionnelle doit respecter le droit du requérant à ce que sa cause soit entendue équitablement, conformément au paragraphe 1 de l'article 14. Cela signifie que l'application du droit à ce que la cause soit entendue équitablement par la Cour constitutionnelle devrait être conforme aux principes énoncés au paragraphe 3 d) de l'article 14. Il s'ensuit que si un condamné souhaitant faire réexaminer par la Cour constitutionnelle des irrégularités constatées au cours d'un procès au pénal ne dispose pas de moyens suffisants pour faire face aux dépenses qu'implique une telle procédure, et si l'intérêt de la justice l'exige, l'État devrait lui fournir une assistance judiciaire Ibid., quarante-neuvième session, Supplément No 40 (A/49/40), vol. II, annexe IX.L, communication No 377/1989 (Currie c. Jamaïque), constatations adoptées le 29 mars 1994, par. 13.2 à 13.4.. En l'espèce, l'absence d'aide judiciaire a privé l'auteur de la possibilité de contester la régularité du procès pénal devant la Cour constitutionnelle lors d'un procès équitable, et constitue par conséquent une violation du paragraphe 1 de l'article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte.
9.8 Le Comité estime qu'une condamnation à la peine de mort à l'issue d'un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées constitue, quand il n'existe aucune autre possibilité de faire appel du jugement, une violation de l'article 6 du Pacte. Comme le Comité l'a relevé dans son observation générale No 6 (16), la disposition selon laquelle la peine de mort ne peut être prononcée que conformément à la législation et ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte suppose que "les garanties d'ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant, la présomption d'innocence, les garanties minima de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure" Ibid., trente-septième session, Supplément No 40 (A/37/40), annexe V, observation générale No 6 (16), par. 7.. Dans le cas d'espèce, étant donné que cette peine a été prononcée en dernier ressort sans que l'auteur ait été valablement représenté en appel, il y a eu en conséquence violation de l'article 6 du Pacte.
10. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par la Jamaïque des paragraphes 3 b) et 3 d) de l'article 14, ainsi que du paragraphe 1 de l'article 14 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte.
11. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, M. Paul Anthony Kelly a droit à un recours utile qui, compte tenu des circonstances de l'affaire, devrait être la remise en liberté.
12. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Texte adopté en anglais, espagnol et français. Version originale : anglais.]