"Lorsque l'infraction motivant la demande d'extradition est punissable de la peine de mort en vertu des lois de l'Etat requérant et que les lois de l'Etat requis n'autorisent pas cette peine pour une telle infraction, l'extradition peut être refusée à moins que l'Etat requérant ne garantisse à l'Etat requis, d'une manière jugée suffisante par ce dernier, que la peine de mort ne sera pas infligée ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée."
Le Canada a aboli la peine de mort en 1976, sauf pour certains crimes militaires.
2.3 Le pouvoir de demander l'assurance que la peine de mort ne sera pas imposée est conféré au Ministre de la justice par l'article 25 de la loi sur l'extradition.
2.4 S'agissant de l'état de la procédure contre l'auteur, il est indiqué qu'une demande d'habeas corpus a été déposée en son nom le 13 septembre 1991; il était représenté par un avocat commis au titre de l'aide judiciaire. La demande a été rejetée par la Cour supérieure du Québec. Le défenseur de l'auteur a interjeté appel devant la Cour d'appel du Québec, le 17 octobre 1991. Le 25 mai 1992, il a retiré l'appel, considérant à la lumière de la jurisprudence de la Cour qu'il était voué à l'échec.
2.5 Le conseil de l'auteur prie le Comité d'adopter des mesures conservatoires car si l'auteur était extradé aux Etats-Unis, le Comité ne serait plus compétent pour examiner la communication, que l'auteur ne pourrait porter devant une autre instance.
Teneur de la plainte
3. L'auteur soutient que la décision de l'extrader viole les articles 6, 14 et 26 du Pacte; il fait valoir qu'aux Etats-Unis, la peine de mort est généralement prononcée plus facilement contre les Noirs, qui font ainsi l'objet d'une discrimination. Il soutient en outre que s'il était extradé et condamné à mort, il y aurait violation de l'article 7 du Pacte, car il serait exposé au "syndrome du quartier des condamnés à mort", c'est-à-dire des années de détention dans des conditions très dures, dans la hantise de son exécution.
Mesures provisoires
4.1 Le 12 janvier 1993, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a prié l'Etat partie, en vertu de l'article 86 du règlement intérieur du Comité, de surseoir à l'extradition de l'auteur tant que le Comité n'aurait pas eu la possibilité d'examiner la recevabilité des questions dont il était saisi.
4.2 A sa quarante-septième session, le Comité a décidé d'inviter l'auteur et l'Etat partie à faire des observations supplémentaires sur la question de la recevabilité.
Observations de l'Etat partie
5.1 Dans sa réponse datée du 26 mai 1993, l'Etat partie soutient que la communication doit être déclarée irrecevable parce que l'extradition n'entre pas dans le champ d'application du Pacte ou que même si, dans des circonstances exceptionnelles, le Comité pouvait examiner des questions liées à l'extradition, la communication n'est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.
5.2 En ce qui concerne les recours internes, l'Etat partie explique que l'extradition en droit canadien comporte deux étapes. La première consiste en une instance judiciaire où le juge saisi recherche s'il existe un fondement en fait et en droit qui justifie l'extradition. Le juge statue notamment sur l'authentification régulière des pièces dont l'Etat requérant l'a saisi, sur la recevabilité et le caractère suffisant des preuves administrées, sur les questions se rapportant à l'identité de l'individu et sur la question de savoir si le fait pour lequel l'extradition est requise constitue au Canada un crime pour lequel l'extradition peut être accordée. Dans le cas où l'Etat requérant entend juger l'individu, le juge doit s'assurer que les preuves apportées sont suffisantes pour justifier le procès de l'intéressé. L'individu dont l'extradition est demandée peut présenter des preuves au cours de cette instruction judiciaire, en suite de quoi le juge décide s'il doit ordonner l'incarcération de l'individu en attendant qu'il soit livré à l'Etat requérant.
5.3 Le contrôle judiciaire du mandat de dépôt de l'individu qui attend d'être livré peut être demandé par voie d'un recours en habeas corpus, devant une juridiction provinciale. Il est possible d'interjeter appel de la décision du juge en ce qui a trait à l'habeas corpus à la Cour d'appel de la province puis, avec son autorisation, à la Cour suprême du Canada.
5.4 La deuxième étape de la procédure d'extradition commence dès que les appels de la phase judiciaire ont été épuisés. La responsabilité de la décision de livrer l'individu dont l'extradition est demandée revient au Ministre de la justice. L'intéressé peut présenter au Ministre des exposés écrits et son conseil peut comparaître devant le Ministre pour présenter une plaidoirie orale. Lorsqu'il se prononce sur la remise de l'intéressé, le Ministre tient compte de l'ensemble du dossier constitué lors de la phase judiciaire et des plaidoiries orales et écrites de l'intéressé, des dispositions du traité applicables à l'affaire à l'examen et de la loi sur l'extradition. La décision du Ministre est discrétionnaire, mais ce pouvoir discrétionnaire est circonscrit par la loi. La décision est fondée sur la prise en compte d'un très grand nombre de facteurs, notamment les obligations du Canada en vertu du traité d'extradition applicable, les faits caractéristiques de l'individu et la nature du crime sur lequel la demande d'extradition est fondée. En outre, le Ministre doit tenir compte des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que des divers instruments, dont le Pacte, où sont inscrites les obligations internationales du Canada en matière de droits de l'homme. Le fugitif qui fait l'objet d'une demande d'extradition ne peut pas être livré si le Ministre de la justice n'ordonne pas qu'il soit remis à l'Etat requérant et, en tout cas, tant que toutes les procédures de recours disponibles pour faire appel de la décision du Ministre n'ont pas été achevées. Pour les demandes d'extradition antérieures au 1er décembre 1992, ce qui est le cas de la demande d'extradition de l'auteur, la décision du Ministre peut être contrôlée soit par la voie d'un bref d'habeas corpus présenté à une cour provinciale, soit par la voie du contrôle judiciaire demandé à la Cour fédérale en vertu de l'article 18 de la loi sur la Cour fédérale. Comme dans le cas des appels formés à l'encontre d'un mandat de dépôt, il peut être formé appel de l'arrêté d'extradition auprès de la Cour suprême du Canada, avec autorisation.
5.5 Les tribunaux peuvent contrôler la décision du Ministre sur la question juridictionnelle (c'est-à-dire sur le point de savoir si le Ministre a agi équitablement, au sens du droit administratif) et sur sa compatibilité avec la Constitution canadienne, en particulier sur le point de savoir si la décision du Ministre est compatible avec les obligations du Canada en matière de droits de l'homme.
5.6 S'agissant de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de demander des garanties avant d'extrader, l'Etat partie explique que chaque demande d'extradition provenant des Etats-Unis, où l'intéressé encourt la peine capitale, doit être examinée par le Ministre de la justice qui se prononce en fonction des faits particuliers. "Les garanties que la peine de mort ne sera pas appliquée ne sont pas demandées systématiquement. Le droit de les solliciter est gardé en réserve pour les seuls cas où il existe des circonstances exceptionnelles. Cette politique... est suivie en application de l'article 6 du Traité d'extradition entre le Canada et les Etats-Unis. Jamais il n'a été voulu que le Traité oblige à exiger des garanties ipso facto dans tous les cas. Plutôt, l'intention des parties au Traité a été que des garanties concernant la peine de mort ne puissent être exigées que dans les cas où les faits particuliers en cause justifiaient un exercice particulier de ce pouvoir discrétionnaire. Cette politique représente la recherche d'un équilibre entre les droits de l'individu dont l'extradition est demandée et la nécessité de protéger la population canadienne. Elle reflète ... l'attitude du Canada, qui comprend et respecte le système de justice pénale des Etats-Unis."
5.7 Par ailleurs, l'Etat partie signale un afflux continu de criminels en provenance des Etats-Unis et indique que, si cet afflux illégal n'était pas découragé, le Canada risquerait de devenir une terre d'asile pour des délinquants dangereux en provenance des Etats-Unis, compte tenu du fait que le Canada et les Etats-Unis ont une frontière commune, qui n'est pas gardée, de 4 800 kilomètres. Au cours des 12 dernières années, le nombre de demandes d'extradition émanant des Etats-Unis a été en progression constante. En 1980, il y avait eu 29 demandes; en 1992 ce nombre atteignait 88, dont des demandes portant sur des cas éventuels de condamnation à mort, ce qui représentait un problème nouveau et aigu. "Une politique en vertu de laquelle des garanties seraient exigées ipso facto aux termes de l'article 6 du Traité d'extradition entre le Canada et les Etats-Unis encouragerait un plus grand nombre encore de délinquants - les auteurs des crimes les plus graves tout particulièrement - à fuir les Etats-Unis et à venir se réfugier au Canada. Le Canada n'a nullement l'intention de devenir une terre d'asile pour les criminels les plus recherchés et les plus dangereux des Etats-Unis. Si le Pacte devait avoir pour effet de porter atteinte au pouvoir discrétionnaire du Canada de ne pas exiger de garanties, un nombre croissant de criminels pourrait gagner le Canada afin d'échapper à la peine capitale."
6.1 En ce qui concerne les faits particuliers de la communication, l'Etat partie indique que M. Cox est un Noir américain de 40 ans, sain de corps et d'esprit, qu'il s'agit d'un citoyen américain qui n'a pas le statut d'immigré au Canada. Dans l'Etat de Pennsylvanie, il est sous le coup de deux inculpations d'assassinat, d'une inculpation de vol qualifié et d'une inculpation d'association de malfaiteurs en vue de commettre un meurtre et un vol qualifié, à la suite d'une affaire survenue à Philadelphie (Pennsylvanie) en 1988; deux adolescents avaient été tués selon un plan visant à commettre un vol, en rapport avec un réseau de trafic de drogue. Trois hommes, dont l'un serait M. Cox, étaient impliqués dans les meurtres. Dans l'Etat de Pennsylvanie, l'assassinat est passible de la peine de mort ou d'un emprisonnement à vie. La méthode d'exécution prévue par la loi de cet Etat est l'injection d'un produit mortel.
6.2 En ce qui concerne l'épuisement des recours internes, l'Etat partie indique que l'incarcération de M. Cox a été ordonnée le 26 juillet 1991 par un juge de la Cour supérieure du Québec, en attendant l'extradition. L'auteur a contesté le mandat de dépôt en formant un recours en habeas corpus auprès de la Cour supérieure du Québec. La demande a été rejetée le 13 septembre 1991. M. Cox s'est ensuite pourvu auprès de la Cour d'appel du Québec et, le 18 février 1992, avant d'avoir épuisé les recours internes au Canada, il a présenté une communication au Comité, qui a été enregistrée sous le numéro 486/1992. Etant donné que la procédure d'extradition n'en était pas encore au deuxième stade, le Comité a déclaré la communication irrecevable le 26 juillet 1992.
6.3 Le 25 mai 1992, M. Cox a retiré l'appel qu'il avait formé auprès de la Cour d'appel du Québec, ce qui fait que la phase judiciaire de la procédure d'extradition se trouvait achevée. La deuxième phase, la phase ministérielle, a alors commencé. L'auteur a demandé au Ministre de la justice de solliciter l'assurance que la peine de mort ne serait pas prononcée. Outre les plaidoiries écrites, le conseil de l'auteur s'est présenté devant le Ministre pour faire une plaidoirie orale. "D'après l'auteur et son conseil, le système judiciaire de l'Etat de Pennsylvanie serait inadéquat et discriminatoire. Ils ont présenté des documents tendant à montrer que le système judiciaire de cet Etat en ce qui concernait l'application de la peine capitale se caractérisait par une représentation en justice insuffisante des accusés démunis, par un système de désignation des juges qui aboutissait à l'instauration d'un 'tribunal spécialisé dans la peine capitale', par un système de choix des jurés qui aboutissait à la constitution de 'jurys portés à condamner à mort' et par un problème général de discrimination raciale. Le Ministre de la justice était d'avis que les allégations fondées sur une prétendue discrimination raciale reposaient principalement sur le fait que dans l'Etat de Pennsylvanie il était possible qu'intervienne un certain procureur qui, d'après des autorités de cet Etat, n'a plus aucun rapport avec l'affaire de l'auteur. L'auteur et son conseil faisaient valoir que, si l'auteur était livré aux Etats-Unis où il risquait la peine capitale, il serait exposé au 'syndrome du quartier des condamnés à mort'. Selon le Ministre de la justice, les pièces présentées indiquaient que les conditions de détention dans l'Etat de Pennsylvanie étaient conformes aux normes constitutionnelles des Etats-Unis et que, dans les cas où la situation devait être améliorée, les choses étaient prises en main... L'auteur et son conseil demandaient que des garanties soient sollicitées au motif qu'il existe un mouvement international de plus en plus fort en faveur de l'abolition de la peine de mort... Le Ministre de la justice a décidé de livrer M. Cox sans demander de garanties parce qu'il a conclu que celui-ci n'avait pas prouvé que ses droits seraient violés dans l'Etat de Pennsylvanie, d'une quelconque manière spécifique à son propre cas, qui ne pourrait faire l'objet d'un contrôle judiciaire par la Cour suprême des Etats-Unis, en vertu de la Constitution de ce pays. C'est-à-dire que le Ministre a statué que les questions soulevées par M. Cox pouvaient être traitées en faisant jouer les mécanismes internes du système de la justice des Etats-Unis, système qui correspond suffisamment aux notions de justice et d'équité du Canada pour justifier l'entrée et le maintien en vigueur du Traité d'extradition entre le Canada et les Etats-Unis." Le 2 janvier 1993, le Ministre de la justice, ayant statué qu'il n'y avait pas, dans le cas particulier de l'auteur, de circonstances exceptionnelles nécessitant des garanties, a donné l'ordre qu'il soit remis aux Etats-Unis sans demander de garanties.
6.4 Le 4 janvier 1993, le conseil de l'auteur a cherché à relancer l'examen de sa première communication au Comité et a indiqué au Gouvernement canadien qu'il ne comptait pas faire appel de la décision du Ministre auprès des tribunaux canadiens. Toutefois l'Etat partie ne conteste pas la recevabilité de la question sur ce point.
7.1 En ce qui concerne la portée du Pacte, l'Etat partie fait valoir que l'extradition, en tant que telle, n'est pas régie par le Pacte et il renvoie aux travaux préparatoires qui montrent que les auteurs du Pacte ont étudié et rejeté une proposition d'insertion d'une mention de l'extradition dans le Pacte. "Il a été soutenu que l'insertion d'une disposition sur l'extradition dans le Pacte susciterait des difficultés au sujet des rapports entre le Pacte, les traités et les accords bilatéraux en vigueur." (A/2929, chap. VI, par. 72). A la lumière de l'histoire de la négociation du Pacte, l'Etat partie est d'avis "qu'une décision d'étendre le Pacte aux traités d'extradition ou aux décisions applicables à des cas individuels prises sur leur fondement, aurait élargi les principes qui régissent l'interprétation du Pacte et des instruments relatifs aux droits de l'homme en général d'une manière déraisonnable et inacceptable. D'une manière déraisonnable parce que les principes d'interprétation qui reconnaissent que les instruments relatifs aux droits de l'homme sont susceptibles de croître et que les droits de l'homme évoluent avec le temps ne peuvent être invoqués à l'encontre de limitations expresses apportées à l'application d'un instrument donné. L'absence de mention de l'extradition dans les articles du Pacte considérée en conjonction avec l'intention des auteurs doit être interprétée comme une limitation expresse".
7.2 En ce qui concerne la qualité de "victime" de l'auteur au sens de l'article premier du Protocole facultatif, l'Etat partie reconnaît que l'auteur est soumis à sa juridiction tout le temps où il se trouve au Canada durant la procédure d'extradition. Il soutient toutefois que "Cox n'est victime d'aucune violation des droits reconnus dans le Pacte au Canada parce que, ... le Pacte ne prévoit aucun droit en ce qui concerne l'extradition. Même si tel était le cas, le Gouvernement canadien affirme que le Pacte ne peut s'appliquer au traitement du fugitif dont l'extradition est demandée qu'en ce qui concerne le déroulement de la procédure d'extradition à l'intérieur de l'Etat partie au Protocole. Le traitement que le fugitif peut recevoir dans l'Etat requérant ne saurait être l'objet d'une communication qui concerne l'Etat partie au Protocole (l'Etat qui extrade) sauf peut-être dans le cas où l'Etat qui extrade a des preuves qu'une violation du Pacte dans l'Etat requérant était raisonnablement prévisible".
7.3 L'Etat partie affirme que les éléments de preuve apportés par le conseil de l'auteur au Comité et au Ministre canadien de la justice ne permettent pas de conclure qu'il était raisonnablement prévisible que le traitement auquel l'auteur est exposé aux Etats-Unis constituerait une violation de ses droits en vertu du Pacte. Le Ministre de la justice et les tribunaux canadiens, dans la mesure où l'auteur a fait usage des possibilités de contrôle judiciaire disponibles, ont examiné tous les éléments et les arguments avancés par le conseil et ont conclu que le fait d'extrader M. Cox vers les Etats-Unis, où il risque la peine capitale, ne constituerait pas une violation de ses droits, ni en vertu du droit canadien, ni en vertu des instruments internationaux, y compris le Pacte. Ainsi, l'Etat partie conclut que la communication est irrecevable parce que l'auteur n'a pas fourni de preuves permettant d'étayer les allégations selon lesquelles il est victime d'une violation quelconque au Canada des droits énoncés dans le Pacte.
Observations du conseil de l'auteur concernant la recevabilité
8.1 Dans ses observations datées du 7 avril 1993, le conseil de l'auteur fait valoir qu'il serait vain d'essayer d'épuiser les recours internes au Canada étant donné l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans les affaires Kindler et Ng. "... J'ai décidé de soumettre la communication et de déposer une demande d'adoption de mesures conservatoires avant de renoncer à la procédure en appel. J'ai pris cette décision car je présumais que l'abandon de la procédure en appel entraînerait l'extradition immédiate de M. Cox. Il était plus judicieux de m'adresser tout d'abord au Comité avant de retirer l'appel et je pense que cette mesure de précaution a été sage, puisque M. Cox est toujours au Canada... Après l'abandon de la procédure en appel, j'ai déposé une requête auprès du Ministre de la justice, Mme Kim Campbell, lui demandant instamment d'exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en vertu de l'article 6 du Traité d'extradition et de refuser l'extradition jusqu'à ce que le Gouvernement des Etats-Unis ait donné l'assurance que, si M. Cox était reconnu coupable, la peine de mort ne serait pas appliquée... J'ai obtenu une audience devant Mme Campbell le 13 novembre 1992. Dans un exposé daté du 2 janvier 1993, le Ministre a exposé les raisons pour lesquelles elle refusait d'exercer son pouvoir discrétionnaire et de demander au Gouvernement des Etats-Unis l'assurance que la peine de mort ne serait pas appliquée... Il est possible de demander le contrôle judiciaire de la décision du Ministre en invoquant le motif du non-respect de la justice naturelle ou de toute autre irrégularité flagrante. Toutefois, il ne semble pas que cette voie de recours soit suffisamment justifiée et, en conséquence, aucune mesure dilatoire n'a été prise dans ce sens... Tous les recours internes utiles et efficaces visant à contester la décision d'extrader M. Cox ont donc été épuisés."
8.2 Le Conseil prétend que s'il est extradé, M. Cox sera exposé à plusieurs dangers réels et imminents :
a) Exécution arbitraire, en violation de l'article 6 du Pacte;
b) Application discriminatoire de la peine de mort, en violation des articles 6 et 26 du Pacte;
c) Application de la peine de mort en violation des garanties fondamentales de procédure, notamment par un jury impartial (phénomène des jurys 'portés à condamner à mort'), en violation des articles 6 et 14 du Pacte;
d) Détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort, en violation de l'article 7 du Pacte."
8.3 En ce qui concerne le système de justice pénale aux Etats-Unis, le conseil de l'auteur fait état des réserves formulées par les Etats-Unis lors de la ratification du Pacte, en particulier à l'égard de l'article 6 : "Les Etats-Unis se réservent le droit, sous réserve de leurs obligations constitutionnelles, d'imposer la peine de mort à toute personne (autre qu'une femme enceinte) dûment reconnue coupable en vertu de la législation actuelle ou future autorisant l'imposition de la peine de mort, y compris pour les crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans." Le conseil de l'auteur fait valoir qu'il s'agit là d'une réserve dont la portée est "extrêmement vaste, qui est sans nul doute incompatible avec la nature et le but du Pacte et qui de surcroît ... laisse supposer que les Etats-Unis n'ont pas l'intention de respecter les dispositions de l'article 6 du Pacte."
9.1 Dans ses observations datées du 10 juin 1993 en réponse aux observations de l'Etat partie, au sujet du refus du Ministre de demander l'assurance que la peine capitale ne serait pas appliquée, le conseil de l'auteur cite un livre intitulé "La Forest's Extradition to and from Canada", où il est indiqué que le Canada demande en fait systématiquement ces garanties. L'auteur conteste en outre l'interprétation de l'Etat partie qui affirme que les auteurs du traité d'extradition n'ont jamais voulu que des garanties soient demandées systématiquement. "Chacun sait que la disposition portée dans le Traité d'extradition conclu avec les Etats-Unis a été ajoutée à la demande des Etats-Unis. Le Canada dispose-t-il de preuves recevables par un tribunal à l'appui d'une revendication aussi contestable ? Je refuse d'accepter cette idée en l'absence de preuves sérieuses."
9.2 En ce qui concerne l'argument de l'Etat partie selon lequel l'extradition vise à protéger la société canadienne, le conseil de l'auteur conteste la conviction de l'Etat partie que si des garanties étaient demandées systématiquement, les criminels seraient encouragés à chercher refuge au Canada et objecte que rien ne permet d'étayer une telle conviction. De plus, en ce qui concerne la crainte que, si les Etats-Unis ne donnent pas les garanties demandées, le Canada ne soit pas en mesure d'extrader et soit donc contraint de garder sur son territoire le criminel sans le juger, le conseil de l'auteur répond que "le gouvernement d'un Etat aussi attaché à la peine capitale à titre de châtiment suprême préférerait incontestablement obtenir l'extradition et détenir le criminel à perpétuité plutôt que de le voir libre au Canada. Je connais deux affaires dans lesquelles les garanties ont été demandées aux Etats-Unis : dans l'une, l'Etat requis était le Royaume-Uni et l'Etat requérant l'Etat de Virginie (affaire Soering) et, dans l'autre, l'Etat requis était le Canada et l'Etat requérant l'Etat de Floride (affaire O'Bomsawin). Dans les deux cas, les Etats n'ont pas hésité à donner les garanties demandées. C'est par pure démagogie que le Canada brandit le spectre d'une terre d'asile pour les criminels qui cherchent à échapper à la peine de mort, en l'absence de preuves".
9.3 En ce qui concerne les assassinats dont M. Cox était accusé, le conseil de l'auteur indique que "deux individus ont plaidé coupables pour le crime et purgent actuellement une peine d'emprisonnement à vie en Pennsylvanie. Chacun d'eux a prétendu que l'autre avait effectivement commis le meurtre et que Keith Cox y avait participé".
9.4 En ce qui concerne la portée du Pacte, le conseil de l'auteur se réfère aux travaux préparatoires et fait valoir que l'examen de la question de l'extradition doit être replacé dans le contexte des débats sur le droit d'asile, affirmant que l'extradition était en fait un point mineur dans les débats. De plus, "rien dans les comptes rendus analytiques ne montre qu'il y a eu la moindre proposition tendant à ce que le Pacte ne s'applique pas aux demandes d'extradition dans le cas où des tortures ou peines cruelles, inhumaines ou dégradantes risquent d'être infligées... en ce qui concerne l'interprétation du Pacte et en ce qui concerne les affirmations du Canada concernant la portée du droit relatif aux droits de l'homme, il faut rappeler un instrument plus récent, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui prévoit en son article 3 qu'aucun Etat n'extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture... Nous nous permettons respectueusement d'affirmer qu'il est juste d'interpréter les articles 7 et 10 du Pacte à la lumière des dispositions plus détaillées de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les deux instruments ont été élaborés par la même Organisation et font partie du même système international de défense des droits de l'homme. La Convention contre la torture vise à assurer une protection plus détaillée et spécialisée; elle représente un enrichissement par rapport au Pacte".
9.5 Pour ce qui est de la notion de victime en vertu du Protocole facultatif, le conseil de l'auteur soutient que la question ne se pose pas au stade de la recevabilité mais relève de l'examen quant au fond.
Délibérations du Comité
10.1 Avant d'examiner une plainte qui fait l'objet d'une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
10.2 En ce qui concerne l'épuisement des recours internes, le Comité a noté que l'auteur n'a pas été jusqu'au bout de l'étape judiciaire de l'examen, puisqu'il a retiré le recours formé auprès de la Cour d'appel après avoir été avisé qu'il n'aurait aucune perspective d'aboutir et que, de ce fait, il ne bénéficierait pas d'une aide judiciaire à cet effet. S'agissant de l'étape ministérielle, l'auteur a fait savoir qu'il ne comptait pas faire appel de la décision du Ministre de le livrer sans demander de garanties, puisque, comme il le fait valoir, l'exercice de tout autre recours interne aurait été vain eu égard à l'arrêt rendu en 1991 par la Cour suprême du Canada dans les affaires Kindler et Ng / La Cour suprême a estimé que la décision du Ministre d'extrader M. Kindler et M. Ng sans demander la garantie que la peine capitale ne leur serait pas imposée ou, si elle devait l'être, ne serait pas exécutée, ne violait pas les droits qui étaient les leurs aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés. . Le Comité a noté que l'Etat partie a déclaré explicitement qu'il ne tenait pas à exprimer un avis sur la question de savoir si l'auteur avait épuisé les recours internes et ne contestait pas la recevabilité de la communication sur ce point. En l'espèce, se fondant sur les renseignements dont il disposait, le Comité a conclu que les conditions requises au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Pacte étaient réunies.
10.3 L'extradition en tant que telle est en dehors du domaine d'application du Pacte (communication No 117/1981, M.A. c. Italie, par. 13.4 : "Aucune disposition du Pacte n'interdit à un Etat partie de solliciter l'extradition d'une personne d'un autre pays"). L'extradition est un important instrument de coopération dans l'administration de la justice; elle exige qu'il n'y ait pas de sanctuaire pour ceux qui tentent d'échapper à un procès équitable pour des infractions pénales, ou qui s'évadent après un tel procès. Cependant, l'Etat partie peut avoir des obligations en rapport avec une question en elle-même extérieure au Pacte par référence à d'autres dispositions de cet instrument / Voir les décisions prises par le Comité à propos des communications Nos 35/1978 (Aumeeruddy-Cziffra et consorts c. Maurice, constatations adoptées le 9 avril 1981) et 291/1988 (Torres c. Finlande, constatations adoptées le 2 avril 1990).. Dans le cas présent, l'auteur ne prétend pas que l'extradition en soi viole le Pacte, mais plutôt que les circonstances particulières liées aux effets de son extradition soulèveraient des questions en rapport avec des dispositions spécifiques du Pacte. Le Comité estime donc que la communication de ce fait n'est pas exclue ratione materiae.
10.4 Quant aux allégations selon lesquelles si M. Cox était extradé, il serait exposé à un risque réel et imminent de violation des articles 14 et 26 du Pacte aux Etats-Unis, le Comité a fait observer que les éléments de preuve soumis n'étaient pas suffisants pour permettre de conclure, aux fins de la recevabilité, que de telles violations seraient une conséquence prévisible et nécessaire de l'extradition. Il ne suffit pas d'affirmer au Comité que le système de la justice pénale des Etats-Unis est incompatible avec le Pacte. A cet égard, le Comité a rappelé sa jurisprudence : le Protocole facultatif ne l'habilite pas à examiner in abstracto la compatibilité avec le Pacte de lois et de pratiques dans un Etat déterminé / Constatations concernant la communication No 61/1979, Leo Hertzberg et consorts c. Finlande, paragraphe 9.3. . Aux fins de recevabilité, l'auteur doit étayer l'allégation selon laquelle, dans les circonstances particulières de l'affaire, les tribunaux de Pennsylvanie commettraient probablement une violation des droits consacrés aux articles 14 et 26 et qu'il n'aurait pas de véritable possibilité de contester les mesures ainsi qualifiées de violations devant les tribunaux des Etats-Unis. L'auteur ne l'a pas fait. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
10.5 Le Comité a estimé que la dernière allégation, à savoir que la décision du Canada d'extrader M. Cox sans demander la garantie que la peine capitale ne lui serait pas imposée ou que, si elle l'était, elle ne serait pas exécutée, pouvait soulever des questions relevant des articles 6 et 7 du Pacte, qui devraient être examinées quant au fond.
11. Le 3 novembre 1993, le Comité des droits de l'homme a décidé que la communication était recevable dans la mesure où elle pouvait soulever des questions relevant des articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a de nouveau demandé à l'Etat partie, en vertu de l'article 86 de son règlement intérieur, de surseoir à l'extradition de l'auteur tant qu'il n'aurait pas examiné la communication quant au fond.
Demande de réexamen par l'Etat partie de la décision de recevabilité et observations quant au fond
12.1 Dans ses observations au titre du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, l'Etat partie soutient que la communication est irrecevable et demande au Comité de revoir sa décision du 3 novembre 1993. L'Etat partie présente aussi sa réponse quant au fond.
12.2 Pour ce qui est de la notion de "victime", au sens de l'article premier du Protocole facultatif, l'Etat partie précise que M. Keith Cox n'a été reconnu coupable d'aucun délit aux Etats-Unis et que les éléments de preuve soumis ne sont pas suffisants pour permettre de conclure, aux fins de la recevabilité, que des violations des articles 6 et 7 du Pacte seraient une conséquence prévisible et nécessaire de l'extradition.
12.3 L'Etat partie explique ce qu'est la procédure d'extradition au Canada, plus particulièrement dans le contexte du Traité d'extradition entre le Canada et les Etats-Unis. Il s'étend sur la phase judiciaire qui comporte une évaluation méthodique et approfondie des faits dans chaque cas particulier. La deuxième étape de la procédure commence dès que les recours de la phase judiciaire ont été épuisés. La responsabilité de la décision de livrer l'individu dont l'extradition est demandée revient au Ministre de la justice. Lorsque l'intéressé encourt la peine capitale, il appartient au Ministre de la justice de décider si les faits de l'affaire considérée justifient la demande de garanties que la peine de mort ne sera pas appliquée. Tout au long de la procédure, l'intéressé peut présenter ses arguments contre l'extradition et son conseil peut comparaître devant le ministre pour plaider oralement contre la décision de livrer son client et, le cas échéant, pour la demande de garanties. La décision du ministre fait l'objet d'un examen judiciaire. Dans de nombreux cas, la Cour suprême du Canada a eu l'occasion de réexaminer l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire en matière d'extradition et elle a statué que le droit à la vie et le droit de ne pas en être privé, si ce n'est conformément aux principes de justice fondamentale, entrent en ligne de compte dans les décisions ministérielles relatives à l'extradition.
12.4 Quant aux faits particuliers de l'affaire Keith Cox, l'Etat partie expose les arguments qu'il a fait valoir devant les tribunaux canadiens, le Ministre de la justice (voir par. 6.2 et 6.3 ci-dessus) et devant le Comité et conclut que les moyens de preuve soumis ne montrent pas comment M. Cox répond aux critères de "victime" au sens de l'article premier du Protocole facultatif. Premièrement, il n'a pas été allégué que l'auteur avait déjà été victime d'une violation quelconque de ses droits au titre du Pacte; deuxièmement, il n'est pas raisonnablement prévisible qu'il deviendrait une victime après son extradition aux Etats-Unis. Se référant à des statistiques du Parquet de Pennsylvanie, l'Etat partie fait valoir que depuis 1976, date de promulgation de la loi actuellement en vigueur en Pennsylvanie sur la peine de mort, personne n'a été exécuté dans cet Etat. L'Etat partie fait aussi valoir que le système juridique de la Pennsylvanie prévoit plusieurs procédures d'appel. Il ajoute que M. Cox n'a été ni jugé, ni reconnu coupable, ni condamné à mort. A cet égard, l'Etat partie fait observer que les deux autres individus qui auraient commis les crimes avec M. Cox n'ont pas été condamnés à mort, mais qu'ils purgent une peine d'emprisonnement à vie. De plus, la peine capitale n'est pas requise dans toutes les affaires de meurtre. Même si elle est demandée, elle ne peut être exécutée en l'absence de facteurs aggravants qui doivent l'emporter sur toutes circonstances atténuantes. Se référant à la jurisprudence du Comité dans l'affaire Ameeruddy-Cziffra, à savoir que le risque encouru par la victime présumée "dépasse le cadre des possibilités théoriques", l'Etat partie fait valoir qu'aucun élément de preuve n'a été présenté aux tribunaux canadiens, ou au Comité, indiquant que M. Cox court un risque réel de devenir une victime. Les éléments de preuve présentés par M. Cox soit ne sont pas pertinents dans son cas, soit ne démontrent pas que ses droits seraient violés d'une manière qu'il ne pourrait véritablement contester devant les tribunaux de Pennsylvanie ou des Etats-Unis. L'Etat partie conclut que, l'auteur n'ayant pas, aux fins de la recevabilité de sa communication, étayé ses allégations, ladite communication devrait être déclarée irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
13.1 Quant au fond de l'affaire, l'Etat partie se réfère aux constatations du Comité dans les affaires Kindler et Ng qui établissent certains principes en ce qui concerne l'application du Pacte aux cas d'extradition.
13.2 Pour ce qui est de l'application de l'article 6, l'Etat partie invoque la constatation du Comité que le paragraphe 1 (Droit à la vie) doit être considéré à la lumière du paragraphe 2 (Imposition de la peine de mort) et qu'un Etat partie violerait les dispositions du paragraphe 1 de l'article 6 s'il extradait une personne risquant la peine de mort dans un Etat requérant où existait un risque réel de violation du paragraphe 2 de l'article 6.
13.3 A l'allégation de M. Cox selon laquelle il serait exposé à un risque réel de violation de l'article 6 du Pacte du fait que les Etats-Unis "ne respectent pas l'interdiction d'exécuter des mineurs", l'Etat partie répond que M. Cox est âgé de plus de 40 ans. Quant aux autres dispositions du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte, il indique que M. Cox est accusé d'assassinat, ce qui constitue un délit pénal très grave, et que si la peine de mort devait être prononcée contre lui, rien ne permet de croire qu'elle ne le serait pas en vertu d'un jugement définitif rendu par un tribunal.
13.4 En ce qui concerne d'hypothétiques violations du droit de M. Cox à un procès équitable, l'Etat partie rappelle que le Comité a déclaré la communication irrecevable en vertu des articles 14 et 26 du Pacte, l'auteur n'ayant pas étayé ses allégations aux fins de la recevabilité. Par ailleurs, M. Cox n'a pas démontré qu'il n'aurait aucun recours efficace contre de telles violations devant des tribunaux aux Etats-Unis.
13.5 Pour ce qui est de l'article 7 du Pacte, l'Etat partie précise d'abord que la méthode d'exécution prévue par la loi de l'Etat de Pennsylvanie est l'injection d'un produit mortel. Cette méthode a été récemment adoptée par la législature de Pennsylvanie qui a considéré qu'elle était celle qui infligeait le moins de souffrance. L'Etat partie indique par ailleurs que lorsqu'il a statué sur l'affaire Kindler, dans laquelle existait également la possibilité d'une exécution judiciaire par injection d'un produit mortel dans l'Etat de Pennsylvanie, le Comité n'a relevé aucune violation de l'article 7.
13.6 Passant ensuite aux allégations du conseil de M. Cox quant aux conditions de détention en Pennsylvanie, l'Etat partie affirme que les renseignements fournis sont périmés et fait état d'importantes améliorations dans les prisons de Pennsylvanie, en particulier en ce qui concerne les conditions de détention des condamnés à mort. Désormais, ces prisonniers sont logés dans des unités nouvellement aménagées où les cellules sont plus grandes que dans les autres quartiers. Les détenus sont autorisés à avoir des postes de radio et de télévision dans leur cellule et participent aux programmes et activités de la prison (programmes d'orientation, services religieux, programmes d'éducation et accès à la bibliothèque).
13.7 Pour ce qui est du prétendu "syndrome du quartier des condamnés à mort", l'Etat partie établit une distinction entre les faits de l'affaire Cox et ceux de l'affaire Soering c. Royaume-Uni jugée par la Cour européenne de justice. Dans cette dernière affaire, la décision tenait compte non seulement des mauvaises conditions existant véritablement dans certaines prisons de l'Etat de Virginie mais aussi de l'état de santé précaire de M. Soering. Rien n'indique que l'état de santé mentale ou physique de M. Cox soit fragile; il n'est ni mineur ni âgé. A cet égard, l'Etat partie se réfère à la jurisprudence du Comité dans l'affaire Vuolanne c. Finlande, à savoir que "la détermination de ce qui constitue un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 7 dépend de toutes les circonstances, par exemple la durée et les modalités du traitement considéré, ses conséquences physiques et mentales ainsi que le sexe, l'âge et l'état de santé de la victime" / Voir communication No 265/1987, Vuolanne c. Finlande, paragraphe 9.2..
13.8 Quant aux "effets d'une détention prolongée", l'Etat partie se réfère à la jurisprudence du Comité selon laquelle une détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort ne constitue pas une violation de l'article 7 si elle est due au fait que le condamné se prévaut des recours dont il dispose pour faire appel de la sentence. Dans le cas de M. Cox, il n'est pas du tout évident qu'il aura à séjourner dans le quartier des condamnés à mort, ni qu'il y restera pendant une période prolongée du fait qu'il se prévaudra de recours.
Observations de l'auteur
14.1 Dans ses observations sur la réponse de l'Etat partie, le conseil de M. Cox souligne que l'Etat de Pennsylvanie a indiqué dans sa demande d'extradition que la peine de mort était demandée. La possibilité qu'il y ait exécution n'est donc pas si faible.
14.2 Au sujet de l'article 7 du Pacte, le conseil de l'auteur soutient que la pratique du marchandage judiciaire en cas de condamnation à mort correspond à la définition de la torture. "Ce que le Canada admet ... c'est que M. Cox aura à choisir entre une peine d'emprisonnement à vie ou la peine de mort, s'il plaide coupable. En d'autres termes, s'il reconnaît avoir commis le crime, il évitera les souffrances physiques inhérentes à l'imposition de la peine de mort."
14.3 Quant à la méthode d'exécution, le conseil de l'auteur admet que la communication initiale ne contient aucun élément à ce sujet. Il affirme néanmoins que l'exécution au moyen de l'injection d'un produit mortel constituerait une violation de l'article 7 du Pacte, citant un témoignage du professeur Michael Radelet de l'Université de Floride selon lequel dans bien des cas d'exécution par injection de produit mortel, les choses ne se passent pas aussi facilement qu'on le dit.
14.4 S'agissant du "syndrome du quartier des condamnés à mort", le conseil de M. Cox demande expressément au Comité de revoir sa jurisprudence et de statuer qu'il y a risque de violation de l'article 7 dans l'affaire Cox du fait que "personne n'a été exécuté en Pennsylvanie depuis plus de 20 ans et que certains détenus attendent d'être exécutés dans le quartier des condamnés à mort depuis 15 ans".
14.5 Bien que le Comité ait déclaré la communication irrecevable en ce qui concerne les articles 14 et 26 du Pacte, le conseil de l'auteur affirme que l'article 6 du Pacte serait violé si la sentence de mort devait être imposée "arbitrairement" à M. Cox du fait qu'il est noir. Il affirme qu'il existe un racisme systématique en ce qui concerne l'application de la peine de mort aux Etats-Unis.
Examen quant au fond
15. Le Comité a pris note des renseignements communiqués par l'Etat partie et de ses arguments concernant la recevabilité, qu'il a reçus après avoir pris sa décision, le 3 novembre 1993. Il relève qu'il n'a pas été présenté de fait nouveau justifiant l'annulation de sa décision de recevabilité. En conséquence, il décide d'examiner la communication quant au fond.
16.1 Pour ce qui est d'une éventuelle violation par le Canada de l'article 6 du Pacte, si M. Cox devait être extradé alors qu'il risque peut-être d'être condamné à mort aux Etats-Unis, le Comité renvoie aux critères établis dans ses constatations relatives aux communications Nos 470/1991 (Kindler c. Canada) et 469/1991 (Chitat Ng c. Canada). D'après sa jurisprudence, les Etats qui ont aboli la peine capitale et qui reçoivent une demande d'extradition émanant d'un pays où l'intéressé peut être condamné à mort, l'Etat appelé à extrader doit veiller à ce que l'intéressé ne soit pas exposé à un risque réel de violation de ses droits au titre de l'article 6, dans l'Etat requérant. En d'autres termes, si un Etat partie au Pacte prend une décision à l'égard d'un individu qui relève de sa juridiction, et que la conséquence nécessaire et prévisible de cette décision est que les droits de l'individu, en vertu du Pacte, seront violés dans une autre juridiction, l'Etat partie lui-même peut commettre une violation du Pacte. Dans ce contexte, le Comité rappelle également son Observation générale relative à l'article 6 / Observation générale No 6/16 du 27 juillet 1982, paragraphe 6., où il est indiqué clairement que, si les Etats parties ne sont pas obligés d'abolir totalement la peine capitale, ils sont en revanche tenus d'en limiter l'application.
16.2 Le Comité note que le paragraphe 1 de l'article 6 doit être lu conjointement avec le paragraphe 2 de ce même article, qui n'interdit pas l'imposition de la peine de mort pour les crimes les plus graves. Si le Canada n'a pas lui-même infligé la peine capitale à M. Cox, il a reçu une demande d'extradition vers les Etats-Unis, où M. Cox risque d'être condamné à mort. Si, aux Etats-Unis, celui-ci devait être exposé, du fait de l'extradition, à un risque réel de violation du paragraphe 2 de l'article 6, cela comporterait une violation par le Canada de ses obligations au titre du paragraphe 1 de l'article 6. Le paragraphe 2 de l'article 6 prévoit, entre autres prescriptions, que la peine capitale ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves, dans des circonstances qui ne soient pas en contradiction avec le Pacte et d'autres instruments, et que cette peine ne peut être appliquée qu'en vertu d'un jugement définitif rendu par un tribunal compétent. Le Comité note que M. Cox doit être jugé pour complicité dans deux meurtres, crimes assurément très graves. Il avait plus de 18 ans quand les crimes ont été commis. L'auteur n'a pas étayé l'allégation qu'il avait faite devant les tribunaux canadiens et devant le Comité, selon laquelle un procès mené par un tribunal de Pennsylvanie, avec la possibilité de faire appel, ne serait pas compatible avec le droit à un procès équitable, qui est reconnu dans le Pacte.
16.3 En outre, le Comité fait observer que la décision d'extrader M. Cox aux Etats-Unis a été prise à la suite de procédures devant les tribunaux canadiens, au cours desquelles le conseil de M. Cox a pu présenter des arguments. Le conseil a également eu la possibilité de faire valoir des arguments lors de la phase de l'examen ministériel de la procédure, laquelle était aussi susceptible de recours. Dans ces conditions, le Comité estime que les obligations découlant du paragraphe 1 de l'article 6 n'exigeaient pas que le Canada refuse l'extradition de l'auteur de la communication sans avoir la garantie qu'il ne serait pas condamné à mort.
16.4 Le Comité note que le Canada a lui-même aboli la peine capitale, sauf pour certaines catégories d'infractions militaires; toutefois, il n'est pas partie au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Pour ce qui est de savoir si les obligations contractées par le Canada en vertu du Pacte exigeaient qu'il refuse l'extradition ou qu'il sollicite les assurances qu'il était en droit de demander en vertu du Traité d'extradition, le Comité note que l'abolition de la peine capitale ne libère pas le Canada des obligations qu'il a contractées en vertu de traités d'extradition. Toutefois, on doit en principe s'attendre que, alors qu'il exerce une faculté prévue dans un traité d'extradition (en l'occurrence, la faculté de demander ou de ne pas demander l'assurance que la peine capitale ne sera pas imposée), un Etat qui a lui-même renoncé à la peine capitale doit tenir dûment compte, en prenant sa décision, de la politique qu'il a lui-même choisie. Le Comité note toutefois que l'Etat partie a indiqué que la faculté de demander des garanties serait normalement exercée dans le cas où il existait des circonstances exceptionnelles. Cette possibilité a été examinée avec attention. Le Comité prend note des motifs avancés par le Canada pour ne pas demander de garanties dans le cas de M. Cox, en particulier l'absence de circonstances exceptionnelles, le fait de pouvoir compter sur une procédure régulière dans l'Etat de Pennsylvanie et la nécessité pour le Canada de ne pas offrir un refuge à toutes les personnes accusées ou reconnues coupables de meurtre.
16.5 Les Etats doivent prendre en considération les possibilités qui peuvent s'offrir en ce qui concerne la protection de la vie, lorsqu'ils exercent leurs pouvoirs discrétionnaires en appliquant un traité d'extradition; toutefois, le Comité ne considère pas que la décision d'extrader sans avoir obtenu des assurances ait été prise arbitrairement ou sommairement. Les éléments dont il dispose font apparaître que le Ministre de la justice a pris sa décision après avoir entendu les arguments favorables à des démarches visant à obtenir des garanties.
16.6 Le Comité note que l'auteur prétend que la procédure du marchandage judiciaire, qui lui permettrait d'éviter la peine capitale à condition de plaider coupable, est une autre violation de ses droits au titre du Pacte. Il estime qu'il n'en est pas ainsi dans le contexte de l'administration de la justice pénale en Pennsylvanie.
16.7 Pour ce qui est des allégations selon lesquelles une discrimination raciale serait systématiquement exercée dans l'administration de la justice pénale aux Etats-Unis, le Comité ne considère pas, au vu des éléments dont il dispose, que M. Cox serait soumis à une violation de ses droits du fait de la couleur de sa peau.
17.1 En outre, le Comité a examiné la question de savoir si, dans les circonstances de l'affaire, l'incarcération dans le quartier des condamnés à mort pourrait constituer une violation des droits de M. Cox en vertu de l'article 7 du Pacte. Si la détention dans le quartier des condamnés à mort est nécessairement une épreuve, aucun facteur spécifique lié à l'état psychique de M. Cox n'a été porté à l'attention du Comité. Celui-ci note également que le Canada a fourni des renseignements précis sur la situation pénitentiaire actuelle dans l'Etat de Pennsylvanie, en particulier en ce qui concerne les installations réservées aux condamnés à mort, qui ne sembleraient pas incompatibles avec l'article 7 du Pacte.
17.2 Pour ce qui est de la période de détention dans le quartier des condamnés à mort au regard de l'article 7, le Comité note que M. Cox n'a pas encore été reconnu coupable ni condamné et que les deux complices des meurtres dont il est également inculpé ont été condamnés non pas à la peine capitale mais à l'emprisonnement à vie. D'après la jurisprudence du Comité / Constatations concernant les communications suivantes : No 210/1986 et No 225/1987 (Earl Pratt et Ivan Morgan c. Jamaïque), paragraphe 13.6; No 250/1987 (Carlton Reid c. Jamaïque), paragraphe 11.6; No 270/1988 et No 271/1988 (Randolph Barrett et Clyde Sutcliffe c. Jamaïque), paragraphe 8.4; No 274/1988 (Loxley Griffith c. Jamaïque), paragraphe 7.4; No 317/1988 (Howard Martin c. Jamaïque), paragraphe 12.1; No 470/1991 (Kindler c. Canada), paragraphe 15.2., d'une part, tout détenu se trouvant dans le quartier des condamnés à mort doit avoir la possibilité de se prévaloir de toutes les voies de recours ouvertes et, d'autre part, l'Etat partie doit veiller à ce que les possibilités de recours soient offertes aux condamnés dans des délais raisonnables. L'Etat canadien a donné des renseignements précis montrant que, dans l'Etat de Pennsylvanie, les condamnés à mort ont toute possibilité de faire engager plusieurs procédures d'appel, et peuvent aussi solliciter la grâce. L'auteur n'a pas fourni d'éléments qui montrent que ces procédures ne sont pas disponibles dans des délais raisonnables, ni qu'il y a des retards indus imputables à l'Etat. Dans ces conditions, le Comité estime que l'extradition de M. Cox aux Etats-Unis n'entraînerait pas une violation de l'article 7 du Pacte.
17.3 Pour ce qui est de la méthode d'exécution, le Comité a déjà eu l'occasion d'examiner la question dans l'affaire Kindler et a conclu à cette occasion qu'une éventuelle exécution judiciaire par injection d'un produit mortel ne constituait pas une violation de l'article 7 du Pacte.
18. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi ne portent pas à conclure que l'extradition de M. Cox aux Etats-Unis, où il devra répondre d'un crime passible de la peine capitale, constituerait une violation par le Canada d'une disposition quelconque du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
______________
* Le texte de huit opinions individuelles, signées de 13 membres du Comité, est joint en annexe au présent document.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
APPENDICES
A. OPINIONS INDIVIDUELLES JOINTES A LA DECISION DE RECEVABILITE PRISE PAR LE COMITE LE 3 NOVEMBRE 1993
1. Opinion individuelle de Mme Rosalyn Higgins, cosignée par MM. Laurel Francis, Kurt Herndl, Andreas Mavrommatis, Birame Ndiaye et Waleed Sadi (dissidente)
Nous estimons que la communication aurait dû être déclarée irrecevable. Bien que l'extradition en tant que telle soit en dehors du domaine d'application du Pacte (voir M.A. c. Italie, communication No 117/1981, décision du 10 avril 1984, par. 13.4), le Comité a expliqué, dans sa décision relative à la communication No 470/1991 (Joseph J. Kindler c. Canada, constatations adoptées le 30 juillet 1993), que l'Etat partie pouvait avoir des obligations en rapport avec une question en elle-même extérieure au Pacte par référence à d'autres dispositions de cet instrument.
En revanche, dans le cas présent, comme dans les autres cas, les critères de recevabilité prescrits par le Protocole facultatif doivent être remplis. Dans sa décision dans l'affaire Kindler, le Comité a examiné la question de savoir s'il était compétent, ratione loci, par référence à l'article 2 du Protocole facultatif, dans une affaire d'extradition qui mettait en jeu d'autres dispositions du Pacte. Il a fait observer que "si un Etat partie prend une décision concernant une personne sous sa juridiction, dont la conséquence nécessaire et prévisible est que les droits de cette personne en vertu du Pacte seront violés sous une autre juridiction, l'Etat partie lui-même peut violer le Pacte" (par. 6.2).
Nous ne voyons pas sur quelle base juridictionnelle le Comité se fonde pour conclure que la communication est recevable au titre des articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité estime que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif (par. 10.4) en ce qui concerne les allégations de violation du droit à un jugement équitable (art. 14) et de discrimination devant la loi (art. 26). Sur ce point nous l'approuvons. Toutefois, cette décision négative ne peut pas servir de base à une décision de recevabilité au titre des articles 6 et 7. Le Comité aurait dû appliquer le même critère ("conséquences prévisibles et nécessaires") aux allégations de l'auteur au titre des articles 6 et 7, avant de simplement les déclarer recevables à l'égard de ces articles. Il ne l'a pas fait - et à notre avis, s'il l'avait fait, dans les circonstances particulières de l'affaire, il n'aurait pas pu trouver de base juridique véritable pour se déclarer compétent.
Le critère précité est également pertinent en ce qui concerne la condition de recevabilité prévue à l'article premier du Protocole facultatif, selon laquelle l'auteur d'une communication doit être "victime" d'une violation pour laquelle il dépose une plainte. En d'autres termes, il n'est pas toujours nécessaire qu'une violation ait déjà eu lieu pour qu'un acte entre dans le champ d'application de l'article premier. Mais la violation qui le touchera personnellement doit être une "conséquence nécessaire et prévisible" de l'acte de l'Etat défendeur.
Il est évident que dans le cas de M. Cox, contrairement à celui de M. Kindler, ce critère n'est pas rempli. A l'époque où le Gouvernement canadien avait décidé de l'extrader, M. Kindler avait été jugé aux Etats-Unis pour meurtre et reconnu coupable de ce chef d'inculpation et le jury s'était prononcé pour la peine de mort. M. Cox, au contraire, n'a pas encore été jugé et, a fortiori, n'a pas été reconnu coupable et aucun jury ne s'est prononcé pour la peine de mort. D'ores et déjà, il est évident que son extradition n'entraînerait pas la possibilité d'une "conséquence nécessaire et prévisible d'une violation de ses droits" qui exigerait un examen quant au fond. La non-satisfaction de la condition de "victime future" au sens de l'article premier du Protocole facultatif est confirmée par le fait que les deux coaccusés de M. Cox ont déjà été jugés dans l'Etat de Pennsylvanie et ont été condamnés non pas à mort mais à l'emprisonnement à vie.
Ce n'est pas parce que le Comité a estimé - et à notre avis à juste titre - que l'affaire Kindler avait soulevé des questions qui méritaient un examen quant au fond et que les critères de recevabilité étaient remplis dans son cas que toutes les affaires d'extradition de cette nature sont nécessairement recevables. Les critères relevant de l'article premier et des articles 1, 2, 3 et 5 (par. 2) du Protocole facultatif doivent toujours être appliqués aux faits particuliers de chaque affaire.
Le Comité ne s'est pas du tout préoccupé de déterminer si, comme l'exige l'article premier du Protocole facultatif, M. Cox pouvait être considéré comme une "victime" au regard de ses allégations de violation des articles 14, 26, 6 ou 7 du Pacte.
Nous considérons donc que M. Cox n'était pas une "victime" au sens de l'article premier du Protocole facultatif et que la communication qu'il a adressée au Comité des droits de l'homme n'est pas recevable.
Le fait que la peine de mort soit en jeu dans une affaire ne dispense pas d'examiner rigoureusement les conditions de recevabilité d'une communication énoncées dans le Protocole facultatif.
Pour toutes ces raisons, nous considérons que le Comité aurait dû déclarer la communication irrecevable.
Rosalyn Higgins
Laurel Francis
Kurt Herndl
Andreas Mavrommatis
Birame Ndiaye
Waleed Sadi
[Original : anglais]
2. Opinion individuelle de Mme Elizabeth Evatt (dissidente)
Pour que sa plainte soit recevable, l'auteur devait prouver sa condition de victime. A cette fin, il devait avancer des faits qui permettaient d'établir que l'extradition l'exposait à un risque réel de violation de ses droits en vertu des articles 6 et 7 du Pacte (au sens où la violation est nécessaire et prévisible). L'auteur de la communication en cause ne l'a pas fait.
Pour ce qui est de l'article 6, l'auteur court évidemment le risque, s'il est extradé, d'être condamné à mort pour le crime dont il est accusé. Mais il n'a avancé aucun fait montrant un risque réel que l'imposition de la peine de mort violerait en soi l'article 6, lequel permet la peine de mort dans certaines circonstances limitées. En outre, ses complices dans le crime dont il est accusé ont été condamnés à l'emprisonnement à vie, élément qui ne va pas dans le sens de l'allégation selon laquelle l'extradition de l'auteur l'exposerait de façon "nécessaire et prévisible" au risque d'être condamné à mort.
En ce qui concerne l'article 7, l'allégation selon laquelle l'extradition a exposé l'auteur à un risque réel de violation de ses droits en vertu de cet article repose sur le "syndrome du quartier des condamnés à mort" (par. 8.2); or l'auteur n'a pas présenté de faits qui, à la lumière de la jurisprudence du Comité, montrent qu'il existe un risque réel de violation de cet article s'il est extradé vers les Etats-Unis. En outre, puisqu'à mon avis l'extradition n'expose pas l'auteur au risque réel d'être condamné à mort, elle n'entraîne pas a fortiori, comme conséquence nécessaire et prévisible, une violation de ses droits.
Pour ces raisons, j'estime que la communication est irrecevable au titre de l'article premier et de l'article 2 du Protocole facultatif.
Elizabeth Evatt
[Original : anglais]
B. OPINIONS INDIVIDUELLES JOINTES AUX CONSTATATIONS DU COMITE
1. Opinion individuelle de MM. Kurt Herndl et Waleed Sadi (concordante)
Nous souscrivons aux constatations du Comité qui a conclu que les faits de l'affaire ne révélaient pas une violation de l'article 6 ni de l'article 7 du Pacte.
A notre avis toutefois, il eût été préférable, pour conserver la cohérence avec la jurisprudence, que le Comité annule la décision de recevabilité prise le 3 novembre 1993 et déclare la communication irrecevable en vertu de l'article premier et de l'article 2 du Protocole facultatif, au motif que l'auteur ne peut pas être considéré comme une "victime" au regard des critères établis par le Comité. Etant donné que M. Cox n'a pas été jugé, et a fortiori n'a pas été reconnu coupable ni condamné à mort, les violations hypothétiques semblent très éloignées, aux fins de la recevabilité, de la communication.
Néanmoins, étant donné que le Comité a entrepris d'examiner l'affaire quant au fond, nous tenons à soumettre les considérations ci-après concernant la portée des articles 6 et 7 du Pacte et leur application au cas de M. Keith Cox.
Article 6
En premier lieu, nous notons que l'article 6 n'interdit pas expressément l'extradition d'un individu qui risque d'être condamné à mort. Néanmoins, il y a lieu de se demander si l'interdiction découlerait nécessairement de l'article 6.
En appliquant le paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte, le Comité doit, conformément à l'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, interpréter cette disposition de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes dans leur contexte. Pour ce qui est du sens ordinaire des mots, une interdiction d'extrader n'apparaît pas dans la disposition. Quant au contexte, nous pensons que le paragraphe 1 de l'article 6 doit être lu conjointement avec le paragraphe 2, qui n'interdit pas l'imposition de la peine capitale pour les crimes les plus graves; il faut également considérer comme faisant partie du contexte le fait qu'une grande majorité d'Etats - au moment de l'élaboration du Pacte et aujourd'hui encore - maintienne la peine capitale. On peut ne pas aimer ce contexte objectif, on ne peut pas ne pas en tenir compte.
De plus, la notion d'interprétation "de bonne foi" implique que l'intention des parties à un traité doit être établie et réalisée. Il existe un principe général de droit international qui veut qu'aucun Etat ne puisse être lié sans son consentement. Les Etats qui sont devenus parties au Pacte ont donné leur consentement à certaines obligations spécifiques découlant de l'article 6 du Pacte. Le fait que, dans cette disposition, le rapport entre la protection du droit à la vie et la pratique établie de certains Etats en matière d'extradition ne soit pas abordé n'est pas sans importance.
Si les rédacteurs de l'article 6 avaient eu l'intention d'empêcher catégoriquement l'extradition dans le cas d'un individu qui risque la peine capitale, ils l'auraient fait. Etant donné que l'article 6 comporte six paragraphes, il est improbable qu'une question aussi importante ait pu être laissée de côté pour être interprétée plus tard. L'affaire pourrait malgré tout soulever une question au titre de l'article 6 si l'extradition était accordée aux fins de condamner l'intéressé à mort, en violation des paragraphes 2 et 5 de l'article 6. Si le Comité a admis cet élément dans sa jurisprudence (voir les constatations concernant la communication No 469/1991 (Ng c. Canada) et la communication No 470/1990 (Kindler c. Canada), le critère à appliquer pour déterminer une violation éventuelle des paragraphes 2 et 5 de l'article 6 demeure restrictif. Ainsi, l'Etat qui extrade doit être réputé commettre une violation du Pacte exclusivement si la conséquence nécessaire et prévisible de sa décision d'extrader est une violation, dans une autre juridiction, des droits consacrés dans le Pacte à l'égard de la personne extradée.
Dans ce contexte, il peut également être fait référence au deuxième Protocole facultatif qui ne traite pas de la question de l'extradition, élément important qui tend à confirmer l'idée qu'en droit international l'extradition d'un individu qui risque d'être condamné à mort n'est pas interdite dans toutes les circonstances. S'il en avait été autrement, les rédacteurs de ce nouvel instrument auraient sans aucun doute inclus une disposition pour refléter cette interprétation.
L'obligation de ne pas extrader, par principe, sans avoir demandé des garanties, est une obligation de fond qui a des conséquences considérables, sur le plan interne comme sur le plan international. De telles conséquences ne peuvent être présumées en l'absence d'éléments indiquant que les parties les ont prévues et voulues. Si le Pacte n'impose pas expressément ces obligations, les Etats ne sauraient être réputés les avoir contractées. Il faut faire ici référence à la jurisprudence de la Cour internationale de Justice pour qui interpréter un traité ne consiste pas à le réviser ni à y lire ce qu'il ne contient pas expressément ou par implication nécessaire / Oppenheim, International Law, édition de 1992, vol. 1, p. 1271..
Certes, étant donné que les premiers bénéficiaires des traités relatifs aux droits de l'homme ne sont pas des Etats ou des gouvernements mais sont des êtres humains, la protection des droits de l'homme demande un mode d'approche plus libéral que celui qui s'applique normalement dans le cas de dispositions ambiguës de traités multilatéraux où, en règle générale, il faut préférer le sens qui impose la charge moins lourde à l'Etat qui a contracté l'obligation, ou le sens qui entraîne une moindre ingérence dans la souveraineté territoriale et personnelle d'un Etat partie, ou implique des restrictions moins générales aux parties / Ce principe correspond au principe d'interprétation désigné sous l'adage in dubio mitius. Ibid., p. 1278.. Néanmoins, si l'on donne une interprétation large à un traité de défense des droits de l'homme, il faut veiller à ne pas faire échec à la volonté vérifiable des rédacteurs. Ici, les règles d'interprétation énoncées à l'article 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités sont utiles, car elles permettent de recourir aux travaux préparatoires. De fait, l'étude de l'historique de la rédaction du Pacte révèle que, quand les rédacteurs ont examiné la question de l'extradition, ils ont décidé de n'inclure dans le Pacte aucune disposition spécifique à cet égard de façon à éviter tout conflit ou des retards indus dans l'exécution des traités d'extradition existants (E/CN.4/SR.154, par. 26 à 57).
Il a été dit qu'extrader un individu qui risque d'être condamné à mort équivalait, pour un Etat qui a aboli la peine capitale, à rétablir une telle peine. Si l'article 6 du Pacte est muet sur la question du rétablissement de la peine capitale, il faut rappeler, par comparaison, que le rétablissement de la peine capitale est expressément interdit au paragraphe 3 de l'article 4 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme et que le Protocole 6 de la Convention européenne ne permet pas de dérogation. L'engagement de ne pas rétablir la peine de mort est louable et correspond assurément à l'esprit du paragraphe 6 de l'article 6 du Pacte. Mais c'est là une question à laquelle les Etats parties doivent réfléchir avant d'assumer une obligation contraignante. Cette obligation peut être lue dans le deuxième Protocole facultatif, qui n'est pas susceptible de dérogation. Or au mois de novembre 1994, 22 pays seulement étaient parties à ce Protocole - et le Canada ne l'avait ni signé ni ratifié. Quoi qu'il en soit, faire droit à une demande d'extradition, dans le cas d'un ressortissant étranger qui risque d'être condamné à mort dans une autre juridiction, ne peut pas être considéré comme équivalant au rétablissement de la peine capitale.
De plus, nous rappelons que le Canada n'inflige pas lui-même la peine de mort mais ne fait que s'acquitter d'une obligation de droit international qu'il a contractée en vertu d'un traité d'extradition valable. L'Etat qui ne s'acquitte pas d'une obligation conventionnelle engage sa responsabilité pour un fait illicite au plan international, avec toutes les conséquences de droit international que cela comporte pour l'Etat qui n'honore pas ses obligations. En extradant M. Cox, avec ou sans garanties, le Canada ne fait que s'acquitter de l'obligation qu'il a contractée en vertu du traité d'extradition signé avec les Etats-Unis en 1976, ce qui, on notera, est compatible avec le traité type d'extradition des Nations Unies.
Enfin, on a laissé entendre que le Canada avait peut-être apporté une restriction à l'article 6 ou y avait dérogé, violant ainsi le paragraphe 2 de l'article 5 du Pacte (la "clause de sauvegarde", voir le commentaire du Pacte élaboré par Manfred Nowak, 1993, p. 100 et seq.). Il n'en est rien, parce que les droits des individus placés sous la juridiction canadienne qui font l'objet d'une demande d'extradition vers les Etats-Unis n'étaient pas nécessairement plus étendus en vertu d'une quelconque disposition du droit canadien qu'en vertu du Pacte et n'avaient pas été définitivement établis tant que la Cour suprême du Canada n'avait pas rendu ses arrêts dans les affaires Kindler et Ng, en 1991. De surcroît, cette détermination des droits n'était pas fondée sur le Pacte mais sur la Charte canadienne des droits et libertés.
Article 7
Le Comité s'est prononcé dans de nombreux cas sur la question du "syndrome du quartier des condamnés à mort" et a conclu que "des périodes prolongées de détention dans des conditions sévères, dans un quartier de condamnés à mort, ne peuvent être considérées comme constituant un traitement cruel, inhumain ou dégradant", même si elles peuvent être une cause de souffrance psychique pour les condamnés / Constatations concernant les communications No 210/1986 et No 225/1987 (Earl Pratt et Ivan Morgan c. Jamaïque) adoptées le 6 avril 1989, paragraphe 13.6. Cette position a été réaffirmée dans une dizaine d'affaires ultérieures, notamment dans les constatations relatives aux communications No 270/1988 et No 271/1988 (Randolph Barrett et Clyde Sutcliffe c. Jamaïque), adoptées le 30 mars 1992, paragraphe 8.4, et relatives à la communication No 470/1991 (Kindler c. Canada), adoptées le 30 juillet 1993, paragraphe 15.2. . Nous nous associons à la réaffirmation du Comité et au développement de cette position qu'il a fait figurer dans sa décision concernant la communication à l'étude. De surcroît, nous considérons qu'un emprisonnement prolongé dans le cas d'un condamné à mort pourrait soulever une question au titre de l'article 7 du Pacte si les retards étaient déraisonnables et essentiellement imputables à l'Etat, comme dans le cas où l'Etat est responsable de retards dans le traitement d'un recours en appel ou quand l'Etat ne produit pas les documents requis ou des jugements écrits. Or, dans les circonstances précises de l'affaire, nous considérons que M. Cox n'a pas montré que, s'il était condamné à mort, sa détention dans le quartier des condamnés à mort serait déraisonnablement prolongée pour des motifs imputables à l'Etat.
Nous sommes convaincus en outre qu'il est dangereux d'imposer des délais rigides pour l'achèvement de toutes les procédures de recours en appel et de demande de grâce et que cela peut même se retourner contre le condamné à mort en accélérant son exécution. D'une façon générale il est dans l'intérêt du condamné de demeurer en vie aussi longtemps que possible. Et du reste, tant que des voies de recours demeurent ouvertes il y a un espoir et la plupart des condamnés n'ont de cesse de se prévaloir de ces possibilités, même si la conséquence en est pour eux le prolongement de l'incertitude. Il y a là un dilemme inhérent à l'administration de la justice dans toutes les sociétés qui n'ont pas encore aboli la peine capitale.
Kurt Herndl
Waleed Sadi
[Original : anglais]
2. Opinion individuelle de M. Tamar Ban (partiellement concordante, partiellement dissidente)
Je souscris à la conclusion du Comité qui a estimé que l'extradition de M. Cox par le Canada aux Etats-Unis où il risque d'être condamné à mort, ne constituerait pas, dans les circonstances précises de l'affaire, une violation de l'article 6 du Pacte, et que l'exécution judiciaire par injection d'un produit mortel ne constituerait pas, en l'espèce, une violation de l'article 7.
En revanche je ne peux pas accepter la position du Comité qui déclare que la perspective pour M. Cox d'être incarcéré pendant une longue période dans le quartier des condamnés à mort, s'il devait être condamné à mort, ne représenterait pas une violation de ses droits au titre de l'article 7 du Pacte.
Pour établir qu'il n'y a pas violation de l'article 7, en ce qui concerne le "syndrome du quartier des condamnés à mort", le Comité se fonde sur les arguments suivants : 1) les conditions pénitentiaires dans l'Etat de Pennsylvanie ont été considérablement améliorées ces dernières années; 2) M. Cox n'a pas encore été reconnu coupable ni condamné et ses deux complices, qui sont passés en jugement, n'ont pas été condamnés à mort; 3) aucun élément n'a été apporté pour montrer que toutes les possibilités de faire appel ne lui seraient pas offertes dans des délais raisonnables ou qu'il y aurait des retards indus qui seraient imputables à l'Etat (supra, par. 17.1 et 17.2).
En ce qui concerne les conditions pénitentiaires en Pennsylvanie, l'Etat partie, le Canada, a en fait montré que des améliorations notables dans les conditions d'incarcération des condamnés à mort avaient été apportées dans cet Etat (par. 13.6). Les mesures prises consistent principalement, dit-on, dans l'amélioration des conditions matérielles des détenus.
Je veux bien admettre que les conditions matérielles jouent un rôle important s'agissant d'évaluer la situation générale des condamnés à mort mais je suis convaincu que le facteur déterminant est plutôt psychologique que physique; une longue période passée à attendre l'exécution ou la grâce entraîne nécessairement un état permanent d'angoisse, une appréhension toujours plus grande qui finit par hanter le condamné et qui, de par la nature même de la situation, représente - selon la durée de cette attente - un traitement cruel, inhumain et dégradant, quelles que puissent être les mesures prises pour améliorer les conditions matérielles de la détention.
Passant au deuxième argument, selon lequel M. Cox n'a pas encore été reconnu coupable ni condamné et qu'il n'est pas fondé à invoquer l'article 7 (car seuls les condamnés à mort de fait peuvent invoquer une violation de leur droit de ne pas être soumis à la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant), j'estime que cet argument n'a pas sa place dans un examen de l'affaire quant au fond. Il aurait pu être avancé au cours de l'examen de la recevabilité et du reste l'Etat partie l'a bien soulevé; mais le Comité n'y a pas donné suite. Je ferais observer que le Comité a adopté une position nette, dans sa jurisprudence, au sujet de la responsabilité des Etats parties qui prennent la décision, légale par ailleurs, d'envoyer un individu se trouvant dans leur juridiction dans une autre juridiction où les droits de cette personne pourraient être violés de façon nécessaire et prévisible en conséquence de la décision (par exemple constatations du Comité dans l'affaire Kindler, par. 6.2). J'essaierai de montrer plus loin, en commentant le troisième argument, qu'en l'espèce la violation des droits de M. Cox à la suite de l'extradition est une conséquence nécessaire et prévisible.
En ce qui concerne le troisième argument, le Comité estime que l'auteur n'a pas apporté d'éléments pour montrer que dans l'Etat de Pennsylvanie toutes les voies de recours possibles ne seraient pas ouvertes dans des délais raisonnables, ou qu'il y aurait des retards indus imputables à cet Etat, ce qui fait que M. Cox risquerait de subir de façon prolongée le "syndrome des condamnés à mort".
Je conteste cette conclusion du Comité. Dans ses observations datées du 18 septembre 1994, le conseil de M. Cox a affirmé que "personne n'a été exécuté en Pennsylvanie depuis plus de vingt ans et certains détenus attendent d'être exécutés depuis au moins quinze ans".
Dans ses observations datées du 21 octobre 1994, l'Etat partie commente plusieurs affirmations faites par le conseil dans ses observations du 18 septembre et reste muet sur ce point. En d'autres termes, il n'a pas nié ni contesté l'argument. A mon avis, ce manque de réaction montre que l'auteur a apporté des éléments suffisants pour prouver que les procédures d'appel dans l'Etat de Pennsylvanie peuvent durer aussi longtemps qu'il l'a dit, ce qui ne saurait être considéré comme raisonnable.
Tout en souscrivant pleinement à la jurisprudence du Comité qui a conclu à d'autres occasions que toute personne condamnée à mort doit avoir la possibilité de se prévaloir de toutes les voies de recours possibles, conformément au paragraphe 4 de l'article 6 - droit dont l'exercice dans le cas d'un condamné à mort entraîne automatiquement un séjour plus ou moins long dans le quartier pénitentiaire spécial - je suis convaincu que, dans de telles affaires, les Etats parties doivent rechercher un équilibre entre deux obligations : d'une part tous les moyens de recours existants doivent être offerts mais d'autre part - compte dûment tenu du paragraphe 3 c) de l'article 14 - des mesures efficaces doivent être prises pour qu'une décision finale soit rendue dans des délais raisonnables de façon à éviter toute violation des droits consacrés à l'article 7, à l'égard du condamné.
Etant donné que dans l'Etat de Pennsylvanie les condamnés risquent généralement de passer très longtemps - parfois quinze ans - dans le quartier des condamnés à mort, la violation des droits de M. Cox peut être considérée comme une conséquence prévisible et nécessaire de son extradition. Pour cette raison, j'estime que le fait pour le Canada d'extrader M. Cox aux Etats-Unis, sans demander de garanties raisonnables, équivaudrait à une violation des droits de l'intéressé au titre de l'article 7 du Pacte.
Je tiens à préciser que ma position est fortement motivée par le fait que, une fois que M. Cox aura été livré aux Etats-Unis, le Comité perdra tout droit de regard sur un individu qui se trouve actuellement dans la juridiction d'un Etat partie au Protocole facultatif.
Tamar Ban
[Original : anglais]
3. Opinion individuelle de MM. Francisco José Aguilar Urbina et Fausto Pocar (dissidente)
Nous ne pouvons adhérer aux conclusions du Comité qui a estimé que, en l'espèce, il n'y a pas violation de l'article 6 du Pacte. A notre avis, il faut répondre par l'affirmative à la question de savoir si, du fait que le Canada a aboli la peine capitale sauf pour certaines infractions militaires, les autorités de ce pays étaient tenues de demander aux Etats-Unis l'assurance que la peine capitale ne serait pas infligée à M. Keith Cox et devaient refuser l'extradition si elles n'obtenaient pas des assurances claires à cet effet.
En ce qui concerne la peine capitale, il faut rappeler que, bien que l'article 6 du Pacte ne prescrive pas catégoriquement l'abolition de cette peine, il impose aux Etats parties qui ne l'ont pas encore abolie un ensemble d'obligations. Comme le Comité l'a souligné dans son Observation générale 6(16), "d'une manière générale, l'abolition est évoquée dans cet article en des termes qui suggèrent sans ambiguïté que l'abolition est souhaitable". De surcroît, le libellé des paragraphes 2 et 6 de l'article 6 indique clairement que - dans certaines limites et en vue de son abolition future - la peine capitale est tolérée dans les Etats parties qui ne l'ont pas encore abolie, mais ces dispositions ne sauraient en aucun cas être interprétées comme autorisant un Etat partie à retarder l'abolition ou, a fortiori, à en élargir la portée, à l'introduire ou à la rétablir. Par conséquent, l'Etat partie qui a aboli la peine capitale est à notre avis légalement tenu, en vertu du paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte, de ne pas la rétablir. Cette obligation concerne à la fois le rétablissement direct de la peine sur le territoire de l'Etat partie et son rétablissement indirect, ce qui est le cas quand l'Etat agit de telle sorte - par exemple en prenant une mesure d'extradition, d'expulsion ou de rapatriement forcé - qu'un individu se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction risque d'être condamné à mort dans un autre Etat. Nous concluons dès lors qu'en l'espèce, il y a bien eu violation de l'article 6 du Pacte.
En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 7, nous ne pouvons conclure avec le Comité à une non-violation du Pacte. Comme le Comité l'a fait observer dans ses constatations concernant la communication No 469/1991 (Charles Chitat Ng c. Canada), "par définition, toute exécution d'une sentence de mort peut être considérée comme constituant un traitement cruel et inhumain au sens de l'article 7 du Pacte", à moins que l'exécution ne soit permise en vertu du paragraphe 2 de l'article 6. Par conséquent, toute violation des dispositions de l'article 6 qui peut dans certaines circonstances permettre un tel traitement, entraîne nécessairement et indépendamment de la méthode d'exécution appliquée - une violation de l'article 7 du Pacte. Pour ces raisons nous concluons qu'en l'espèce il y a bien eu violation de l'article 7 du Pacte.
Francisco José Aguilar Urbina
Fausto Pocar
[Original : anglais]
4. Opinion individuelle de Mme Christine Chanet (dissidente)
Comme dans le cas Kindler, pour répondre aux questions relatives à l'article 6 du Pacte, le Comité, afin de conclure à une non-violation par le Canada de ses obligations au titre de cet article, est contraint à une analyse conjointe des paragraphes 1 et 2 de l'article 6 du Pacte.
Rien ne permet d'affirmer qu'il s'agit là d'une interprétation correcte de l'article 6. En effet, chaque paragraphe des articles du Pacte doit pouvoir s'interpréter isolément, sauf indication contraire expressément mentionnée dans le texte lui-même ou se déduisant de la rédaction de celui-ci.
Tel n'est pas le cas en l'espèce.
La nécessité dans laquelle s'est trouvé le Comité de prendre les deux paragraphes à l'appui de son argumentation montre à l'évidence que chaque paragraphe pris isolément conduisait à une conclusion contraire, c'est-à-dire la constatation d'une violation.
Selon le paragraphe 1 de l'article 6, nul ne peut être arbitrairement privé du droit à la vie; ce principe est absolu et ne souffre aucune exception.
Le paragraphe 2 de l'article 6 commence par les termes "Dans les pays où la peine de mort n'a pas été abolie..." Cette formule appelle une série de remarques :
- Elle est négative, elle ne vise pas les pays dans lesquels la peine de mort existe, mais ceux dans lesquels elle n'a pas été abolie. L'abolition est la règle, le maintien de la peine capitale, l'exception.
- Le paragraphe 2 de l'article 6 ne concerne que les pays dans lesquels la peine de mort n'a pas été abolie et exclut ainsi l'application du texte aux pays qui ont aboli la peine de mort.
- Enfin, une série d'obligations sont imposées par le texte à ces Etats.
Dès lors, en se livrant à une interprétation "conjointe" des deux premiers paragraphes de l'article 6 du Pacte, le Comité commet, à mon sens, trois erreurs de droit :
- Une erreur, lorsqu'il applique à un pays qui a aboli la peine de mort, le Canada, un texte exclusivement réservé par le Pacte, et ce de manière expresse et dépourvue d'ambiguïtés, aux Etats non abolitionnistes.
- La deuxième erreur, en considérant comme une autorisation de rétablir la peine de mort dans un pays qui l'aurait abolie, la simple reconnaissance implicite de son existence. Il s'agit là d'une interprétation extensive qui se heurte au démenti apporté par le paragraphe 6 de l'article 6 en vertu duquel "aucune disposition du présent article ne peut être invoquée à l'encontre de l'abolition de la peine capitale". Cette interprétation, restrictive de droits, se heurte également aux dispositions de l'article 5, paragraphe 2, du Pacte selon lequel "il ne peut être admis aucune restriction ou dérogation aux droits fondamentaux de l'homme reconnus ou en vigueur dans tout Etat partie au présent Pacte, en application de lois, de conventions, de règlements ou de coutumes, sous prétexte que le présent Pacte ne les reconnaît pas ou les reconnaît à un moindre degré". L'ensemble de ces textes interdit à un Etat de se livrer à une application distributive de la peine de mort. Rien dans le Pacte ne contraint un Etat à l'abolition, mais s'il a choisi d'abolir la peine capitale, le Pacte lui fait interdiction de la rétablir de manière arbitraire, fût-ce indirectement.
- La troisième erreur commise par le Comité dans la décision est la conséquence des deux premières. En effet, considérant le Canada comme implicitement autorisé par l'article 6(2) du Pacte à, d'une part, rétablir la peine capitale et, d'autre part, à l'appliquer dans certains cas, le Comité, comme s'il s'agissait d'un pays non abolitionniste, soumet le Canada à la vérification des obligations imposées aux Etats non abolitionnistes : peine applicable aux crimes les plus graves, jugement prononcé au terme d'un procès équitable, etc.
Cette analyse montre que selon le Comité, en extradant M. Cox vers les Etats-Unis, le Canada qui a aboli la peine de mort sur son territoire, l'a rétablie "par procuration" à l'égard de personnes placées sous sa juridiction.
Je partage cette analyse mais, à la différence du Comité, j'estime que ce comportement n'est pas autorisé par le Pacte.
De plus, après avoir ainsi rétabli la peine de mort par procuration, le Canada limite son application à une certaine catégorie de personnes : celles qui sont extradables vers les Etats-Unis.
Le Canada reconnaît son intention de pratiquer ainsi afin de ne pas constituer un refuge pour les délinquants venant des Etats-Unis. Son intention se manifeste par son abstention à solliciter des assurances selon lesquelles la peine de mort ne serait pas exécutée en cas d'extradition vers les Etats-Unis, comme le lui permet son traité bilatéral d'extradition avec ce pays.
C'est donc délibérément que lorsqu'il extrade des personnes dans la situation de M. Cox, le Canada les expose à l'application de la peine capitale dans l'Etat requérant.
En agissant ainsi, le choix opéré par le Canada à l'égard d'une personne relevant de sa juridiction selon qu'elle soit extradable vers les Etats-Unis ou non, constitue une discrimination en violation des articles 2(1) et 26 du Pacte.
Un tel choix portant sur le droit à la vie et laissant celui-ci "in fine" entre les mains du gouvernement qui pour des raisons de politique pénale décide ou non de solliciter des assurances que la peine de mort ne sera pas exécutée constitue une privation arbitraire du droit à la vie interdite par l'article 6(1) du Pacte et en conséquence, une méconnaissance par le Canada de ses engagements au titre de cet article du Pacte.
Christine Chanet
[Original : français]
5. Opinion individuelle de M. Rajsoomer Lallah (dissidente)
A mon avis, en refusant de demander l'assurance que M. Cox ne serait pas condamné à mort ou que s'il était condamné à mort il ne serait pas exécuté, le Canada enfreint les obligations qu'il a contractées en vertu du paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte, lu conjointement avec les articles 2, 5 et 26. Les raisons qui me conduisent à cette conclusion ont été développées dans l'opinion individuelle que j'ai jointe aux constatations du Comité dans l'affaire Joseph Kindler c. Canada (communication No 470/1991).
J'ajouterais une observation. Le fait que M. Cox n'ait pas encore été jugé et n'a donc pas été condamné à mort, contrairement à M. Kindler qui était déjà condamné quand le Comité a adopté ses constatations le concernant, ne fait aucune différence matérielle. Il suffit que le crime pour lequel M. Cox est traduit en justice aux Etats-Unis soit en principe puni de la peine capitale par la loi des Etats-Unis. M. Cox est donc sous le coup d'une inculpation qui met sa vie en danger.
Rajsoomer Lallah
[Original : anglais]
6. Opinion individuelle de M. Bertil Wennergren (dissidente)
Je ne partage pas l'avis du Comité qui a conclu à une non-violation de l'article 6 du Pacte, comme il ressort des paragraphes 16.2 et 16.3 des constatations. Pour les raisons que j'ai exposées en détail dans mon opinion individuelle jointe aux constatations du Comité concernant la communication No 470/1991 (Joseph John Kindler c. Canada), à mon avis, le Canada a bien commis une violation du paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte, lorsque, après que la décision d'extrader M. Cox aux Etats-Unis eut été prise, le Ministre de la justice a ordonné l'extradition sans demander la garantie que la peine capitale ne serait prononcée ou, si l'intéressé était condamné, qu'il ne serait pas exécuté.
Pour ce qui est de la question de savoir si l'extradition de M. Cox aux Etats-Unis entraînerait une violation de l'article 7 du Pacte en raison de ce qu'il est convenu d'appeler le "syndrome du quartier des condamnés à mort" associé à l'imposition de la peine capitale en l'espèce, je voudrais faire état des observations que m'inspirent les constatations du Comité telles qu'elles sont exposées aux paragraphes 17.1 et 17.2. Le Comité a été informé que personne n'avait été exécuté en Pennsylvanie depuis plus de vingt ans. D'après les renseignements disponibles, les condamnés sont incarcérés à l'écart des autres prisonniers. S'ils bénéficient de certaines conditions particulières - par exemple des cellules plus grandes, la possibilité d'avoir des postes de radio et de télévision personnels - ils n'en sont pas moins détenus dans le quartier des condamnés à mort, en attente d'exécution, pendant des années. Et ce n'est pas parce qu'ils se prévalent de toutes sortes de recours judiciaires, mais parce que l'Etat partie ne juge pas opportun, pour le moment, de procéder à l'exécution. Si l'Etat partie estime nécessaire, pour des raisons de politique, de recourir à la sentence de mort en tant que telle mais n'estime pas nécessaire ni même opportun de l'exécuter, le détenu devrait à mon avis être maintenu dans le quartier des condamnés à mort le moins de temps possible, la commutation de la peine capitale en emprisonnement à vie devant avoir lieu le plus tôt possible. Demeurer pendant une période prolongée et indéterminée dans le quartier des condamnés à mort, dans des conditions d'isolement particulièrement sévères, et sous la menace d'une exécution qui pourrait se réaliser, du fait de changements imprévisibles de politique, n'est pas à mon sens compatible avec les prescriptions de l'article 7, du fait des souffrances psychiques excessives que cela suppose.
Par conséquent, l'extradition de M. Cox pourrait constituer également une violation de l'article 7. Toutefois, on ne dispose pas de suffisamment de renseignements en l'espèce pour avoir de la pratique actuelle de la justice pénale de Pennsylvanie et du système pénitentiaire une idée assez précise pour permettre de tirer la conclusion que j'ai indiquée plus haut. Les éléments développés ci-dessus demeurent hypothétiques et relèvent des principes.