Comité des droits de l'homme
Cinquante-troisième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Cinquante-troisième session -
Communication No 541/1993
Présentée par : Errol Simms [représenté par un conseil]
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 avril 1995,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Errol Simms, citoyen jamaïquain,
actuellement en attente d'exécution à la prison du district de Sainte-Catherine
(Jamaïque). Il se déclare victime de violations, par la Jamaïque, du paragraphe
2 de l'article 6, de l'article 7 et des paragraphes 1 et 3 b) de l'article
14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il
est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 17 mai 1987, l'auteur a été inculpé du meurtre d'un certain Michael
Demercado perpétré le 12 avril 1987. Le 16 novembre 1988, il a été reconnu
coupable et condamné à mort par la Home Circuit Court de Kingston.
Le 24 septembre 1990, la cour d'appel de la Jamaïque a rejeté l'appel
qu'il avait formé. Le 6 juin 1991, la section judiciaire du Conseil privé
lui a refusé l'autorisation spéciale de former recours. On considère de
ce fait que les recours internes ont été épuisés. Le meurtre pour lequel
l'auteur a été condamné a été qualifié de meurtre entraînant la peine
capitale en vertu de la loi de 1992 portant modification de la loi relative
aux atteintes à la vie et à l'intégrité des personnes (Offences against
the Person (Amendment) Act).
2.2 D'après l'accusation, le 12 avril 1987, vers 3 heures du matin, l'auteur,
accompagné de deux autres hommes, avait suivi jusque chez elle une certaine
Carmen Hanson, qui revenait d'une fête. Ils lui avaient réclamé de l'argent,
l'avaient menacée et l'avaient frappée. Sur ces entrefaites, le fils de
Carmen Hanson — Owen Wiggan —, accompagné de Michael Demercado
et d'un autre homme, était arrivé devant la maison et avait appelé Carmen
Hanson. L'auteur et ses compagnons étaient sortis et s'étaient retrouvés
face aux trois hommes; l'auteur avait alors abattu Michael Demercado.
2.3 Le dossier de l'accusation reposait sur le témoignage du concubin
de Carmen Hanson, Tyrone Wiggan, et de leur fils, Owen, qui avaient reconnu
l'auteur. Carmen Hanson a déclaré quant à elle que ses agresseurs étaient
masqués; elle n'a pas pu reconnaître l'auteur.
2.4 Tyrone Wiggan a déclaré sous serment qu'au moment des faits, il était
dans sa chambre, en face de la pièce où sa femme avait été agressée. Comme
la lumière était allumée dans la pièce, il pouvait observer l'auteur,
qui était masqué, à travers un espace d'une trentaine de centimètres au
bas de la porte de la chambre; même si pendant quasiment toute la durée
de l'altercation l'auteur se tenait le dos tourné, il avait reconnu l'auteur
— qu'il connaissait depuis deux ou trois ans — à la légère
bosse qu'il avait dans le dos et à certains autres traits. Il a en outre
déclaré que lorsque l'auteur avait quitté la pièce, il avait pu le voir
de face pendant deux secondes.
2.5 Owen Wiggan a déclaré sous serment que pendant trois minutes environ
il s'était trouvé face à l'auteur, qui se tenait à 3 mètres de lui et
qu'il connaissait depuis l'enfance. Il a précisé qu'il avait pu reconnaître
l'auteur car le lampadaire qui était devant la maison éclairait l'entrée
où se trouvaient les trois hommes et qu'il avait vu l'auteur tirer sur
Michael Demercado. Il a ajouté qu'il avait vu l'auteur à la fête un peu
plus t_t dans la soirée et que ce dernier avait eu une altercation avec
le défunt.
2.6 Le moyen invoqué pour la défense était l'alibi. L'auteur a déclaré
sous serment qu'il n'était pas allé à la fête et qu'il était resté chez
lui avec son amie, qu'il s'était couché à 20 heures et s'était réveillé
à 6 heures le lendemain matin, témoignage corroboré par son amie.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil fait valoir que l'identification laissait beaucoup à désirer,
attendu qu'il faisait nuit, que Tyrone Wiggan avait eu à peine le temps
de voir l'agresseur de face et qu'il avait en partie reconnu l'auteur
à son nez et à sa bouche, alors que l'agresseur était masqué. Le conseil
ajoute qu'il ressort de la déposition faite par Owen Wiggan à la police
qu'il n'avait pas identifié l'auteur alors qu'au procès il a déclaré avoir
dit à la police que l'auteur était l'agresseur.
3.2 Le conseil fait observer que l'auteur n'a pas été soumis à une séance
d'identification; il estime que dans une affaire où l'accusation repose
uniquement sur des témoignages, il est impératif d'organiser une séance
d'identification.
3.3 En ce qui concerne le procès, le conseil estime que le juge du fond
n'a pas suffisamment mis en garde le jury contre le risque qu'il y avait
à condamner l'accusé sur de simples dépositions de témoins déclarant le
reconnaître. Il indique que les instructions insuffisantes données par
le juge sur la question de l'identification constituaient le principal
motif du recours; mais la cour d'appel, n'ayant constaté aucune irrégularité,
avait rejeté le pourvoi. La demande d'autorisation spéciale de former
recours déposée auprès de la section judiciaire du Conseil privé était
elle aussi fondée sur la question de l'identification. Pour ce qui est
du rejet de cette demande, le conseil fait valoir que comme le Conseil
privé limite l'examen des recours dans les affaires criminelles aux cas
qui, à son avis, soulèvent une question constitutionnelle ou qui font
apparaître une "grande injustice", il a une compétence beaucoup
plus restreinte que le Comité des droits de l'homme.
3.4 Le conseil fait observer que, pendant l'enquête préliminaire, l'auteur
était représenté par un avocat dont il s'était assuré lui-même les services,
lequel s'était contenté de recueillir une brève déposition. L'avocat,
qui n'était pas satisfait des honoraires qui lui étaient versés, avait
décidé de ne plus représenter l'auteur alors que l'affaire était en instance
devant la Gun Court. Un avocat avait alors été commis d'office.
L'auteur affirme l'avoir rencontré pour la première fois juste avant le
début du procès et n'avoir pas été défendu correctement parce que, d'après
lui, les avocats commis d'office sont mal rémunérés et parfois ne le sont
pas du tout. Pour ce qui est de l'appel, l'auteur n'avait vraisemblablement
pas pu choisir son avocat ni eu la possibilité de communiquer avec lui
avant l'audience. À cet égard, l'avocat aurait dit à son homologue de
Londres qu'il ne se rappelait pas quand il avait rendu visite à l'auteur
ni pendant combien de temps il lui avait parlé et qu'on lui avait versé
"royalement 3 livres environ pour plaider en appel".
3.5 Les faits mentionnés ci-dessus constitueraient une violation des
paragraphes 1 et 3 b) de l'article 14 du Pacte. En outre, à la lumière
de ces considérations, une sentence de mort prononcée à l'issue d'un procès
au cours duquel les dispositions du Pacte ont été violées constituerait
une violation du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte.
3.6 L'auteur affirme que les policiers qui l'ont arrêté l'ont maltraité,
en violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
3.7 Le conseil fait valoir qu'étant donné que l'auteur a été condamné
à mort le 16 novembre 1988, s'il était exécuté maintenant il y aurait
violation de l'article 7 du Pacte, qui interdit les traitements cruels,
inhumains et dégradants. Il affirme que le temps que l'auteur a passé
dans le quartier des condamnés à mort constitue déjà un traitement cruel,
inhumain et dégradant, et cite à l'appui de cette affirmation un rapport
sur les conditions de détention dans la prison du district de Sainte-Catherine
établi par une organisation non gouvernementale en mai 1990.
3.8 Il est indiqué que l'affaire n'a été portée devant aucune autre instance
internationale d'enquête ou de règlement.
Observations de l'État partie et commentaires du conseil
4. Dans ses observations datées du 5 août 1993, l'État partie fait valoir
que la communication est irrecevable au motif du non-épuisement des recours
internes. Il indique, à cet égard, que l'auteur a la possibilité de demander
réparation pour les violations de ses droits dont il s'estime victime
en déposant une requête constitutionnelle.
5. Dans ses commentaires, le conseil objecte que certes le recours constitutionnel
existe en théorie, mais que l'auteur ne peut pas s'en prévaloir, car il
n'a pas les moyens, et l'État partie ne fournit aucune aide judiciaire
pour présenter la requête constitutionnelle.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que les allégations de l'auteur concernent en partie
l'appréciation des éléments de preuve et les instructions données au jury
par le juge. Il renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu'il appartient
généralement aux juridictions d'appel des États parties au Pacte d'apprécier
les faits et les éléments de preuve dans un cas d'espèce. De même, il
n'appartient pas au Comité d'examiner les instructions données au jury
par le juge de fond, sauf s'il peut être établi qu'elles ont été manifestement
arbitraires et ont représenté un déni de justice. Les éléments portés
à la connaissance du Comité ne montrent pas que les instructions du juge
ou la conduite du procès aient été entachées de telles irrégularités.
En conséquence, cette partie de la communication, étant incompatible avec
les dispositions du Pacte, est irrecevable conformément à l'article 3
du Protocole facultatif.
6.3 L'auteur a affirmé en outre qu'il n'avait pas eu suffisamment de
temps pour préparer sa défense, en violation du paragraphe 3 b) de l'article
14 du Pacte. Le Comité note que l'avocat qui représentait l'auteur à son
procès a déclaré qu'il avait eu, en fait, suffisamment de temps pour préparer
la défense et citer des témoins. Pour ce qui est de l'appel, le Comité
relève dans l'arrêt d'appel que l'auteur était représenté par un avocat,
lequel a bien exposé les motifs du recours; il note que l'auteur et le
conseil qui le représente actuellement n'ont pas précisé la teneur des
griefs invoqués lors de l'appel. Dans ces conditions, le Comité considère
que l'allégation n'a pas été étayée, aux fins de la recevabilité de la
communication. Cette partie de la communication est donc irrecevable au
titre de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.4 En ce qui concerne l'allégation de mauvais traitements que les policiers
auraient infligés lors de l'arrestation, le Comité note qu'elle n'a jamais
été portée à l'attention des autorités jamaïquaines, ni dans la déposition
faite par l'auteur au procès ou en appel, ni sous quelque autre forme.
Le Comité renvoie à sa jurisprudence, rappelant qu'il considère que l'auteur
d'une communication doit faire preuve d'un minimum de diligence dans l'exercice
des recours internes disponibles. Cette partie de la communication est
donc irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes.
6.5 Le Comité a ensuite examiné la plainte de l'auteur selon laquelle
la détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort constitue
une violation de l'article 7. Certains tribunaux nationaux de dernier
recours ont fait valoir qu'une détention de cinq ans ou plus dans le quartier
des condamnés à mort viole leur constitution ou leur législation
/ Voir notamment le jugement du Comité judiciaire du Privy Council,
daté du 2 novembre 1993 (Pratt et Morgan c. Jamaïque).,
mais la jurisprudence du Comité demeure qu'une détention d'une longueur
déterminée ne constitue pas une violation de l'article 7 du Pacte en l'absence
d'autres circonstances convaincantes / Voir constatations
du Comité concernant les communications 210/1986 et 225/1987 (Earl
Pratt et Ivan Morgan c. Jamaïque), adoptées le 6 avril 1989,
par. 12.6. Voir aussi constatations du Comité sur les communications 270/1988
et 171/1988 (Randolph Barrett et Clyde Sutcliffe c. Jamaïque),
adoptées le 30 mars 1992, et 470/1991 (Kindler c. Canada),
adoptées le 30 juillet 1993. Il note que l'auteur n'a étayé, aux fins
de la recevabilité de la communication, aucun élément soulevant la question
d'une violation éventuelle de l'article 7 du Pacte. Cette partie de la
communication est donc irrecevable au titre de l'article 2 du Protocole
facultatif.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie, à l'auteur
et à son conseil.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Sera
publié ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport
annuel du Comité à l'Assemblée générale.]