Présentée par : Robert Faurisson
Au nom de : L'auteur
Etat partie : France
Date de la communication : 2 janvier 1993 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 8 novembre 1996,
Ayant achevé l'examen de la communication No 550/1993 présentée par M. Faurisson en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication, datée du 2 janvier 1993, est Robert Faurisson, né au Royaume-Uni en 1929, qui possède la double nationalité française et britannique et réside actuellement à Vichy (France). Il se déclare victime de violations de ses droits fondamentaux par la France. Il n'invoque aucune disposition précise du Pacte.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur était professeur de littérature à la Sorbonne à Paris jusqu'en 1973 et à l'Université de Lyon jusqu'en 1991, année de sa révocation. Conscient de l'importance historique de l'holocauste, il a recherché la preuve des méthodes utilisées, en particulier de l'asphyxie par gaz. Tout en ne contestant pas l'utilisation de gaz aux fins de désinfection, il met en doute l'existence de chambres à gaz homicides à Auschwitz et dans d'autres camps de concentration nazis.
2.2 L'auteur indique que ses thèses ont été rejetées dans de nombreuses publications universitaires et ridiculisées par la presse, notamment en France; néanmoins, il continue de mettre en doute l'existence de chambres à gaz d'extermination. En raison du débat public auquel ses thèses ont donné lieu et de la polémique qui a suivi, il affirme être devenu depuis 1978 la cible de menaces de mort et avoir été, à huit reprises, victime d'agressions. En 1989, il aurait été gravement blessé et aurait eu notamment la mâchoire cassée, ce qui aurait nécessité une hospitalisation. Il soutient que bien que ces agressions aient été portées à l'attention des autorités judiciaires compétentes, aucune enquête sérieuse n'a jamais été ouverte et aucun des coupables n'a jamais été arrêté ni poursuivi. Le 23 novembre 1992, la cour d'appel de Riom, faisant droit à la requête du Procureur du Tribunal de grande instance de Cusset, a rendu une ordonnance de non-lieu, mettant ainsi fin à la procédure engagée par les autorités contre X.
2.3 Le 13 juillet 1990, le Parlement français a adopté la loi dite "loi Gayssot" qui porte modification de la loi sur la liberté de la presse de 1881 par adjonction d'un article 24 bis d'après lequel est passible de sanctions quiconque conteste l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'Accord de Londres du 8 août 1945, sur la base duquel les dirigeants nazis ont été jugés et condamnés par le Tribunal militaire international de Nuremberg en 1945-1946. L'auteur prétend qu'au fond, la "loi Gayssot" élève le procès et le jugement de Nuremberg au statut de dogme, en infligeant des sanctions pénales à quiconque ose contester les prémisses et les conclusions du Tribunal de Nuremberg. Il soutient qu'il a de bonnes raisons de croire que les archives du procès de Nuremberg peuvent effectivement être contestées et que les preuves retenues contre les dirigeants nazis sont sujettes à caution, tout comme le sont, selon lui, les archives touchant le nombre de victimes exterminées à Auschwitz.
2.4 A l'appui de son affirmation selon laquelle les archives de Nuremberg ne sauraient être considérées comme infaillibles, il cite à titre d'exemple l'accusation portée contre les Allemands à propos du massacre de Katyn et renvoie à la soumission, par le Procureur soviétique, de documents censés établir que les Allemands avaient tué les prisonniers de guerre polonais à Katyn (document de Nuremberg USSR-054). Or, fait-il observer, on a maintenant établi sans l'ombre d'un doute que les Soviétiques étaient responsables de ce crime. Il ajoute que les membres de la Commission soviétique (Lyssenko) sur Katyn qui avaient fourni des preuves de la prétendue responsabilité allemande dans le massacre de Katyn, comptaient parmi eux les professeurs Burdenko et Nicolas, qui ont aussi déclaré que les Allemands s'étaient servis de chambres à gaz à Auschwitz pour exterminer quatre millions de personnes (document USSR-006). Or, affirme-t-il, le nombre estimatif des victimes d'Auschwitz a été par la suite révisé à la baisse et ramené à environ un million.
2.5 Peu après l'adoption de la "loi Gayssot", M. Faurisson a été interviewé par le mensuel français Le Choc du Mois, qui a publié l'interview dans son numéro 32, de septembre 1990. Tout en se déclarant préoccupé par le fait que la nouvelle loi constituait une menace à la liberté de recherche et à la liberté d'expression, l'auteur réitérait ses convictions personnelles à savoir qu'il n'existait pas de chambres à gaz homicides destinées à l'extermination des Juifs dans les camps de concentration nazis. Suite à la publication de cette interview, 11 associations françaises de résistants et d'anciens déportés des camps de concentration allemands se sont portées partie civile et ont engagé des poursuites contre M. Faurisson et M. Patrice Boizeau, rédacteur du magazine Le Choc du Mois. Par sa décision du 18 avril 1991, la dix-septième chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris a reconnu MM. Faurisson et Boizeau coupables du crime de "contestation de crimes contre l'humanité" et leur a imposé des amendes et des dépens d'un montant de 326 832 francs.
2.6 La condamnation reposait entre autres choses sur les déclarations suivantes de M. Faurisson :
"... On ne me fera pas dire que deux et deux font cinq, que la Terre est plate, ou que le Tribunal de Nuremberg est infaillible. J'ai d'excellentes raisons de ne pas croire à cette politique d'extermination des Juifs ou à la magique chambre à gaz ..."
"Je souhaite que 100 % des Français se rendent compte que le mythe des chambres à gaz est une gredinerie, entérinée en 1945-1946 par les vainqueurs de Nuremberg et officialisée le 14 juillet 1990 par le gouvernement en place de la République française, avec l'approbation des historiens de cour."
2.7 L'auteur et M. Boizeau ont fait appel de leur condamnation devant la cour d'appel de Paris (onzième chambre). Le 9 décembre 1992, la onzième chambre, présidée par Mme Françoise Simon, a confirmé la condamnation et condamné MM. Faurisson et Boizeau à une amende de 374 045 francs et 50 centimes, compte tenu des dommages et intérêts à verser aux 11 associations plaignantes pour préjudice moral. La cour d'appel a notamment examiné les faits à la lumière des articles 6 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a conclu que la chambre correctionnelle les avaient appréciés correctement. L'auteur ajoute qu'outre cette peine il a encouru des frais considérables, y compris les honoraires d'avocat pour sa défense et l'hospitalisation suite aux blessures dont il a été victime lorsqu'il a été agressé par des membres de Bétar et Tagar le jour de l'ouverture du procès.
2.8 L'auteur fait observer que la "loi Gayssot" a été attaquée devant l'Assemblée nationale elle-même. Ainsi, en juin 1991, M. Jacques Toubon, député du Rassemblement pour la République (RPR) et actuel Ministre français de la justice, a demandé l'abrogation de la loi. M. Faurisson évoque aussi les critiques émises à propos de la loi Gayssot par Mme Simone Veil, elle-même survivante d'Auschwitz, et par l'un des principaux représentants en justice d'une association juive. Dans ce contexte, il s'associe à une suggestion faite par M. Philippe Costa, autre citoyen français jugé en vertu de l'article 24 bis de la loi et acquitté par la cour d'appel de Paris le 18 février 1993, tendant à ce que la loi Gayssot soit remplacée par une législation protégeant spécifiquement tous ceux qui risqueraient de devenir victimes d'incitation à la haine raciale, en particulier à l'antisémitisme, sans entraver la recherche en histoire ni les débats.
2.9 M. Faurisson reconnaît qu'il lui serait encore possible de se pourvoir devant la Cour de cassation; il prétend cependant qu'il ne dispose pas des 20 000 francs nécessaires pour payer les honoraires d'un avocat à cette fin et qu'en tout état de cause, vu le climat dans lequel le procès en instance et la procédure en appel se sont déroulés, un nouveau recours devant la Cour de cassation serait vain. Il suppose que, même si la Cour de cassation infirmait les jugements rendus par les juridictions inférieures, elle ordonnerait sans aucun doute un nouveau procès qui produirait les mêmes résultats que le procès initial de 1991.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur soutient que la "loi Gayssot" restreint son droit à la liberté d'expression et à la liberté d'enseignement en général et considère qu'elle le vise personnellement ("lex Faurissonia"). Il se plaint de ce que cette disposition constitue une mesure de censure inacceptable, qui entrave et pénalise la recherche en histoire.
3.2 Pour ce qui est de la procédure judiciaire, M. Faurisson met en doute en particulier l'impartialité de la cour d'appel (onzième chambre). Il affirme notamment que la présidente de la cour avait gardé le visage détourné pendant qu'il déposait et ne l'avait autorisé à donner lecture d'aucun document devant la cour, pas même d'un extrait du jugement de Nuremberg, qui, d'après lui, était capital pour sa défense.
3.3 L'auteur signale que d'autres actions en justice ont été intentées à titre privé et séparément par des organisations différentes contre M. Boizeau et lui-même pour la même interview de septembre 1990 devant deux autres instances judiciaires et qu'au moment où il a soumis la communication, l'audience était fixée au mois de juin 1993. Il considère qu'il s'agit là d'une violation évidente du principe non bis in idem.
3.4 Enfin, l'auteur fait valoir qu'il continue de faire l'objet de menaces et d'être victime d'agressions au point que sa vie est en danger. Il affirme notamment avoir été agressé par des citoyens français le 22 mai 1993 à Stockholm, et une autre fois, le 30 mai 1993, à Paris.
Observations de l'Etat partie sur la question de la recevabilité et commentaires de l'auteur
4.1 Dans ses observations soumises en application de l'article 91, l'Etat partie donne un compte rendu chronologique des faits de l'affaire et explique la raison d'être de la loi du 13 juillet 1990. Concernant la ratio legis il signale que la loi en question remplit un vide dans l'arsenal répressif, en sanctionnant pénalement les actes de ceux qui remettent en question le génocide du peuple juif et l'existence des chambres à gaz. A ce propos, il ajoute que les thèses dites "révisionnistes" échappaient précédemment à toute qualification pénale puisqu'elles ne pouvaient pas tomber sous le coup de l'interdiction de la discrimination (raciale), de l'incitation à la haine raciale ou de l'apologie de crime de guerre ou de crime contre l'humanité.
4.2 L'Etat partie fait observer en outre que pour éviter que l'expression d'une opinion ne devienne un délit dans ce contexte (délit d'opinion), le législateur a déterminé avec précision l'élément matériel de cette infraction en visant seulement la contestation, par l'un des moyens énoncés à l'article 23 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, d'un ou de plusieurs des crimes contre l'humanité au sens de l'article 6 du Statut du Tribunal militaire international. La mission du magistrat saisi de faits susceptibles d'entrer dans le champ d'application de la nouvelle loi ne consiste pas à trancher dans un débat académique ou historique, mais consiste à vérifier si les écrits ou propos litigieux contestent l'existence de crimes contre l'humanité reconnus par des juridictions internationales. L'Etat partie fait remarquer que la loi du 13 juillet 1990 a fait l'objet de commentaires approbateurs de la part du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale en mars 1994.
4.3 L'Etat partie fait valoir que la communication est irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes en ce qui concerne l'allégation de violation de la liberté d'expression, car M. Faurisson n'a pas formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Il rappelle la jurisprudence du Comité qui a établi que l'absence de certitude sur l'efficacité de recours disponibles ne dispensait pas l'auteur d'une communication d'exercer lesdits recours. De plus, l'Etat partie indique que rien ne permet d'affirmer que le recours exercé par l'auteur devant la Cour de cassation ne lui aurait pas permis d'obtenir la réformation de l'arrêt.
4.4 A cet égard, l'Etat partie note que si, effectivement, la Cour de cassation ne se prononce pas sur les faits et les preuves, elle vérifie si la loi a été correctement appliquée aux faits et peut donc constater une violation de la loi, dont le Pacte fait partie intégrante (art. 55 de la Constitution de la France du 4 juin 1958). L'article 55 dispose que les traités internationaux ont une autorité supérieure à celle des lois et, depuis un arrêt du 24 mai 1975, la Cour de cassation écarte l'application de la loi interne contraire à un traité international, même si cette loi lui est postérieure. Ainsi, l'auteur avait la possibilité d'invoquer devant la Cour de cassation les dispositions du Pacte puisque celui-ci a une autorité supérieure à la loi du 13 juillet 1990.
4.5 Pour ce qui est des frais nécessités par l'exercice du recours auprès de la Cour de cassation, l'Etat partie indique que, en vertu des articles 584 et 585 du Code de procédure pénale, il n'est pas obligatoire pour un demandeur condamné pénalement d'être représenté par un avocat devant la Cour de cassation. Il fait observer par ailleurs que l'auteur aurait pu bénéficier de l'aide juridictionnelle en faisant une demande suffisamment motivée, en vertu des dispositions de la loi No 91-647 du 10 juillet 1991 (en particulier de son article 10). L'auteur n'a pas fait cette demande et l'Etat partie fait valoir qu'en l'absence de renseignements sur les ressources financières de l'auteur, rien ne permet d'affirmer que, si elle avait été faite, la demande d'aide juridictionnelle n'aurait pas reçu une suite favorable.
4.6 Pour ce qui est de l'allégation de violation du paragraphe 7 de l'article 14, l'Etat partie souligne que la règle résumée par l'adage "non bis in idem" est un principe fondamental du droit français, et a été confirmée par la Cour de cassation dans de nombreux arrêts (voir en particulier l'article 6 du Code de procédure pénal).
4.7 Dès lors, si de nouvelles poursuites étaient engagées contre l'auteur pour les faits déjà jugés par la cour d'appel de Paris le 9 décembre 1992, l'Etat partie affirme que le ministère public et les juges seraient dans l'obligation de soulever d'office l'exception de chose jugée et mettraient immédiatement fin aux nouvelles poursuites.
4.8 L'Etat partie conteste l'allégation de l'auteur selon laquelle il ferait l'objet de nouvelles poursuites pénales, la qualifiant de manifestement abusive dans la mesure où la seule existence de l'arrêt du 9 décembre 1992 suffit à faire échec à toute autre poursuite. L'Etat partie fait valoir qu'au demeurant M. Faurisson ne fournit aucune pièce pour confirmer la réalité de ces nouvelles poursuites.
5.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'Etat partie, l'auteur fait valoir que le rédacteur en chef du magazine "Le Choc du Mois", qui avait publié l'entretien litigieux en septembre 1990, s'était lui pourvu en cassation et que, le 20 décembre 1994, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait rejeté ce pourvoi. L'auteur a été informé du rejet de ce pourvoi par une lettre recommandée du greffe de la cour d'appel de Paris, datée du 21 février 1995.
5.2 M. Faurisson réaffirme que, même si elle n'est pas obligatoire en vertu de la loi, l'assistance d'un avocat est, dans la pratique, indispensable devant la Cour de cassation : en effet, si la Cour vérifie si la loi a été correctement appliquée aux faits de l'affaire, il faut que la personne condamnée possède elle-même des connaissances juridiques de spécialiste pour pouvoir suivre l'audience. Quant à l'aide juridictionnelle, l'auteur note simplement qu'elle n'est généralement pas accordée à quelqu'un qui perçoit le salaire d'un professeur d'université, même si ce salaire est, dans son cas, considérablement diminué par une avalanche d'amendes, de dommages-intérêts et de frais de justice divers.
5.3 L'auteur souligne qu'il n'invoque pas une violation du droit à la liberté d'expression, lequel admet bien certaines restrictions, mais plutôt une violation de la liberté d'opinion et du droit au doute ainsi que du droit à la recherche. Ce dernier droit, affirme-t-il, ne saurait de par sa nature même faire l'objet de limite. Or la loi du 13 juillet 1990, contrairement à d'autres lois comparables adoptées en Allemagne, en Belgique, en Suisse ou en Autriche, limite strictement le droit au doute et le droit à la recherche en matière d'histoire. Ainsi, elle élève au rang de dogme infaillible les procédures et le verdict du Tribunal militaire international réuni à Nuremberg. L'auteur déclare que, avec le temps, la procédure suivie par le Tribunal, la façon dont il a rassemblé et évalué les preuves et la personnalité des juges eux-mêmes ont fait l'objet de vives critiques, au point que l'on pourrait parler aujourd'hui de "mascarade" (... "la sinistre et déshonorante mascarade judiciaire de Nuremberg").
5.4 L'auteur qualifie d'absurde et d'illogique la ratio legis exposée par l'Etat partie, affirmant que la loi interdit même aux historiens de prouver, et non pas seulement de nier, l'existence de la Shoah ou de l'extermination des Juifs dans les chambres à gaz. Il ajoute que, telle qu'elle est rédigée et appliquée, la loi entérine une fois pour toutes la version orthodoxe juive de l'histoire de la seconde guerre mondiale.
5.5 Pour ce qui est de l'allégation de violation du paragraphe 7 de l'article 14, l'auteur réaffirme qu'un seul et même entretien dans une seule et même publication lui a valu devant la dix-septième chambre criminelle du tribunal de grande instance de Paris trois procès (distincts). Ces procès ont été enregistrés sous les références mécanographiques suivantes : 1) P. 90 302 0325/0; 2) P. 90 302 0324/1; et 3) P. 90 271 0780/1. Le 10 avril 1990, le tribunal a décidé le sursis à statuer en ce qui concernait l'auteur pour les deux derniers procès, en attendant la conclusion de l'appel interjeté par l'auteur contre le jugement rendu dans le premier procès. Le sursis a continué après l'arrêt rendu par la cour d'appel, jusqu'au rejet par la Cour de cassation, le 20 décembre 1994, du pourvoi formé par le mensuel Le Choc du Mois. Depuis lors, la procédure a repris pour les deux derniers procès et les audiences ont eu lieu le 27 janvier et le 19 mai 1995. Une autre audience était prévue pour le 17 octobre 1995.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 A sa cinquante-quatrième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. Il a noté que, quand il a soumis sa communication le 2 janvier 1993, l'auteur n'avait pas formé de pourvoi devant la Cour de cassation contre l'arrêt rendu le 9 décembre 1992 par la cour d'appel de Paris (onzième chambre). L'auteur a fait valoir qu'il n'avait pas les moyens de s'assurer les services d'un avocat à cette fin et qu'en tout état de cause un tel pourvoi serait vain. Pour ce qui est du premier argument, le Comité a noté que l'auteur avait la possibilité de solliciter l'aide juridictionnelle et ne l'a pas fait. Pour ce qui est du deuxième argument, le Comité a renvoyé à sa jurisprudence constante et a rappelé que de simples doutes quant à l'utilité d'un recours ne dispensaient pas l'auteur de l'exercer. Par conséquent, au moment où elle a été soumise, la communication ne satisfaisait pas au critère de l'épuisement des recours internes, tel qu'énoncé au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif. Entre-temps toutefois, le coïnculpé de l'auteur, le rédacteur en chef du magazine "Le Choc du Mois", qui avait publié l'interview litigieuse en septembre 1990, avait formé un pourvoi auprès de la Cour de cassation qui l'avait rejeté le 20 décembre 1994. Il ressort de l'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation que celle-ci a conclu que la loi avait été correctement appliquée au regard des faits, que la loi était constitutionnelle et que son application n'était pas incompatible avec les obligations contractées par la République française en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, et avait fait expressément référence aux dispositions de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme consacrant le droit à la liberté d'opinion et d'expression dans des termes comparables à ceux de l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques concernant le même droit. Dans ces conditions, le Comité a estimé qu'il ne serait pas raisonnable de demander à l'auteur de se pourvoir en cassation pour obtenir réformation d'un jugement sur la même question. Ce recours ne pouvait donc plus être considéré comme un recours utile au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, c'est-à-dire un recours qui offrirait à l'auteur une chance raisonnable d'obtenir réparation judiciaire. La communication ne présentait donc plus le défaut initial d'épuisement des recours internes, dans la mesure où elle semblait soulever des questions au titre de l'article 19 du Pacte.
6.2 Le Comité a estimé qu'aux fins de la recevabilité, l'auteur avait suffisamment étayé ses allégations de violation du droit à la liberté d'expression et d'opinion et du droit à la recherche académique. Ces allégations devraient par conséquent être examinées quant au fond.
6.3 En revanche, le Comité a estimé qu'aux fins de la recevabilité, l'auteur n'avait pas étayé son allégation de violation du droit de ne pas être jugé deux fois pour la même infraction. Les faits de l'affaire ne montraient pas que l'auteur eût invoqué ce droit à un stade quelconque de l'action en justice qui était en cours. Le Comité a noté la réponse de l'Etat partie qui avait fait savoir que le procureur et la Cour seraient tenus d'appliquer le principe non bis in idem, si celui-ci était invoqué, et d'annuler toute nouvelle procédure qui pourrait être engagée si elle se rapportait aux mêmes faits que ceux jugés par la cour d'appel de Paris le 9 décembre 1992. L'auteur n'était donc pas fondé à invoquer une violation à cet égard, en application de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.4 De même, le Comité a estimé qu'aux fins de la recevabilité, l'auteur n'avait pas apporté suffisamment d'éléments au sujet de la partialité des juges de la cour d'appel de Paris (onzième chambre) et du refus des autorités judiciaires d'enquêter sur les agressions dont il se déclarait victime. A cet égard, l'auteur n'était pas non plus fondé à invoquer une violation, en application de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.5 En conséquence, le 19 juillet 1995, le Comité des droits de l'homme a déclaré la communication recevable dans la mesure où elle semblait soulever des questions au titre de l'article 19 du Pacte.
Observations de l'Etat partie sur le fond et commentaires de l'auteur
7.1 Dans ses observations communiquées conformément au paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, l'Etat partie déclare que la communication de l'auteur doit être rejetée en raison de son incompatibilité ratione materiae avec les dispositions du Pacte et, à titre subsidiaire, pour défaut manifeste de fondement.
7.2 L'Etat partie expose de nouveau les antécédents de l'adoption de la "loi Gayssot". Il note à cet égard que la législation antiraciste adoptée par la France dans les années 80 a été considérée insuffisante pour condamner et sanctionner les actes consistant, notamment, à banaliser les crimes nazis commis au cours de la seconde guerre mondiale. La loi adoptée le 13 juillet 1990 répondait aux préoccupations du législateur français face à l'apparition, depuis plusieurs années, de thèses "révisionnistes", le plus souvent présentées par des personnes qui justifiaient leurs écrits en mettant en avant leur (prétendue) qualité d'historiens et qui contestaient l'existence de la Shoah. De l'avis du gouvernement, ces thèses révisionnistes constituent "une forme subtile de l'antisémitisme contemporain" qui, avant le 13 juillet 1990, ne pouvait être attaquée en vertu d'aucune disposition existante de la législation pénale française.
7.3 Le législateur a donc voulu combler un vide juridique en essayant de formuler de nouvelles dispositions contre le révisionnisme de façon aussi précise que possible. L'ancien Ministre de la justice, M. Arpaillange, avait parfaitement résumé la position du gouvernement d'alors en déclarant qu'il était impossible de ne pas s'engager totalement dans la lutte contre le racisme, ajoutant que le racisme n'était pas une opinion, mais une agression, et que chaque fois que le racisme parvenait à s'exprimer publiquement, l'ordre public était immédiatement et gravement mis en danger. C'était précisément parce que M. Faurisson avait manifesté son antisémitisme en publiant ses thèses révisionnistes dans des journaux et des revues et avait ainsi porté atteinte à la mémoire des victimes du nazisme, qu'il avait été condamné en application de la loi du 13 juillet 1990.
7.4 L'Etat partie rappelle que, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Pacte, un Etat partie peut refuser à tout groupe ou tout individu le droit de se livrer à des activités visant à la destruction des droits et des libertés reconnus dans le Pacte; l'article 17 de la Convention européenne des droits de l'homme contient des dispositions analogues. L'Etat partie renvoie à une affaire examinée par la Commission européenne des droits de l'homme / Requêtes Nos 8348/78 et 8406/78 (Glimmerveen et Hagenbeek c. Pays-Bas), déclarées irrecevables le 11 octobre 1979. qui, à son avis, présente de nombreuses similitudes avec l'affaire à l'étude et dont la teneur du jugement pourrait être le fondement de la décision à prendre dans l'affaire de M. Faurisson. Dans l'affaire évoquée, la Commission européenne a considéré que l'article 17 de la Convention européenne visait essentiellement les droits qui permettraient, si on les invoquait, d'essayer d'en tirer le droit de se livrer effectivement à des activités visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la Convention. Elle a considéré que les auteurs, qui avaient été poursuivis pour avoir été trouvés en possession de tracts dont le contenu incitait à la haine raciale et qui avaient invoqué leur droit à la liberté d'expression, ne pouvaient pas se prévaloir de l'article 10 de la Convention européenne (l'équivalent de l'article 19 du Pacte), car ils invoquaient ce droit afin de se livrer à des activités contraires à la lettre et à l'esprit de la Convention.
7.5 Reprenant ces mêmes arguments dans le cas de M. Faurisson, l'Etat partie note que la teneur de l'article de l'auteur paru dans Le Choc du Mois (en septembre 1990) a été à juste titre qualifiée par la cour d'appel de Paris comme relevant de l'application de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, modifiée par la loi du 13 juillet 1990. En contestant la réalité de l'extermination des Juifs pendant la seconde guerre mondiale, l'auteur conduit ses lecteurs sur la voie de comportements antisémites contraires au Pacte et aux autres instruments internationaux ratifiés par la France.
7.6 De l'avis de l'Etat partie, l'appréciation de l'auteur quant à la ratio legis de la loi du 13 juillet 1990, telle qu'elle est formulée dans ses observations adressées au Comité le 14 juin 1995 et selon laquelle la loi consacre définitivement la version orthodoxe juive de l'histoire de la seconde guerre mondiale, révèle clairement la démarche adoptée par l'auteur : ce dernier, sous couvert de recherches historiques, vise à accuser les Juifs d'avoir falsifié et déformé les faits qui se sont produits pendant la seconde guerre mondiale et d'avoir ainsi créé le mythe de l'extermination du peuple juif. Le fait que M. Faurisson ait désigné un ancien grand rabbin comme étant l'auteur de la loi du 13 juillet 1990, alors que la loi est d'origine parlementaire, illustre également les méthodes employées par l'auteur pour alimenter une propagande antisémite.
7.7 Se fondant sur ce qui précède, l'Etat partie conclut que les "activités" de l'auteur, au sens de l'article 5 du Pacte, contiennent manifestement des éléments de discrimination raciale, laquelle est interdite par le Pacte et d'autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme. Il invoque l'article 26, ainsi qu'en particulier le paragraphe 2 de l'article 20 du Pacte, selon lequel "tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence est interdit par la loi". Il rappelle en outre qu'il est partie à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, dont le paragraphe 4 a) de l'article 14 stipule que les Etats parties s'engagent à déclarer délit punissable par la loi toute diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale. Lors de son examen du rapport périodique de la France en 1994, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale s'est tout particulièrement félicité de l'adoption de la loi du 13 juillet 1990. Compte tenu de ce qui précède, l'Etat partie conclut qu'il n'a fait que s'acquitter de ses obligations internationales en faisant de la contestation (publique) des crimes contre l'humanité une infraction pénale.
7.8 L'Etat partie rappelle en outre la décision prise par le Comité des droits de l'homme dans l'affaire No 104/1981 / Communication No 104/1981 (J.R.T. et le W.G. Party c. Canada), déclarée irrecevable le 6 avril 1983, par. 8 b)., dans laquelle le Comité a déclaré que "les opinions que M. T. cherche à diffuser par téléphone constituent nettement une incitation à la haine raciale ou religieuse, que le Canada est tenu d'interdire en vertu du paragraphe 2 de l'article 20 du Pacte" et que l'allégation de l'auteur au titre de l'article 19 était irrecevable car incompatible avec les dispositions du Pacte. L'Etat partie déclare que cette conclusion devrait s'appliquer au cas de M. Faurisson.
7.9 A titre subsidiaire, l'Etat partie affirme que l'allégation de l'auteur en vertu de l'article 19 est manifestement infondée. Il note que le droit à la liberté d'expression énoncé à l'article 19 du Pacte peut être soumis à des limitations (il renvoie au paragraphe 3 de l'article 19) et que la législation française régissant l'exercice de ce droit est parfaitement conforme aux principes énoncés dans l'article 19, ce qui a été confirmé par une décision du Conseil constitutionnel français en date des 10 et 11 octobre 1984 / No 84-181 D.C. des 10 et 11 octobre 1984, Rec. p. 78.. En l'espèce, la restriction du droit de M. Faurisson à la liberté d'expression résulte de l'application de la loi du 13 juillet 1990.
7.10 L'Etat partie souligne que la lecture des dispositions de la loi du 13 juillet 1990 montre que l'infraction dont l'auteur a été reconnu coupable est définie en termes précis et en fonction de critères objectifs, afin d'éviter la création d'une catégorie d'infractions liées uniquement à l'expression d'opinion ("délit d'opinion"). La perpétration d'une infraction suppose a) que soient contestés des crimes contre l'humanité, tels qu'ils sont définis et reconnus sur le plan international, et b) que ces crimes contre l'humanité aient été judiciairement établis. En d'autres termes, la loi du 13 juillet 1990 ne sanctionne pas l'expression d'une opinion, mais la négation d'une réalité historique universellement reconnue. De l'avis de l'Etat partie, l'adoption de cette disposition était nécessaire, non seulement pour protéger les droits et la réputation d'autrui, mais également pour sauvegarder l'ordre et la moralité publics.
7.11 A cet égard, l'Etat partie rappelle une fois de plus les termes violents dans lesquels l'auteur, dans ses observations adressées le 14 juin 1995 au Comité, a critiqué le jugement du Tribunal international de Nuremberg, en le qualifiant de sinistre et déshonorante mascarade judiciaire. Ce faisant, l'auteur a non seulement porté atteinte à l'autorité du jugement du Tribunal de Nuremberg, mais également porté illégalement atteinte à la réputation et à la mémoire des victimes du nazisme.
7.12 A l'appui de ses arguments, l'Etat partie renvoie aux décisions de la Commission européenne des droits de l'homme concernant l'interprétation de l'article 10 de la Convention européenne (l'équivalent de l'article 19 du Pacte). Dans une affaire sur laquelle la Commission a pris sa décision le 16 juillet 1982 / Requête No 9235/81 (X. c. République fédérale d'Allemagne), déclarée irrecevable le 16 juillet 1982. concernant l'interdiction, par décision de justice, de l'exposition et de la vente de brochures alléguant que l'assassinat de millions de Juifs au cours de la seconde guerre mondiale était une escroquerie sioniste, la Commission avait déclaré qu'il n'était "ni arbitraire, ni déraisonnable de considérer les brochures exposées par le requérant comme une attaque diffamatoire dirigée contre la communauté juive en général et chacun de ses membres en particulier. En qualifiant de mensonges et d'escroquerie sioniste le fait historique de l'assassinat de millions de Juifs, fait que l'auteur lui-même a reconnu, les brochures en question ont non seulement donné une image déformée de faits historiques, mais également terni la réputation de tous ceux qu'elles qualifiaient de menteurs et d'escrocs...". La Commission a, en outre, justifié les restrictions imposées à la liberté d'expression du requérant, en déclarant que "la restriction imposée répondait non seulement à un objectif légitime reconnu par la Convention (protection de la réputation d'autrui), mais pouvait également être considérée comme nécessaire dans une société démocratique. Pareille société repose en effet sur les principes de tolérance et de largeur d'esprit qui faisaient manifestement défaut aux brochures en question. Il est tout particulièrement indiqué de sauvegarder ces principes à l'égard de groupes qui ont historiquement souffert de discrimination...".
7.13 L'Etat partie note que des considérations identiques ont motivé l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 décembre 1992, dans lequel celle-ci a confirmé la condamnation de M. Faurisson, en renvoyant, notamment, à l'article 10 de la Convention européenne et à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il conclut que la condamnation de l'auteur a été pleinement justifiée, non seulement par la nécessité de respecter le jugement du Tribunal international militaire de Nuremberg, et à travers lui la mémoire des survivants et des descendants des victimes du nazisme, mais également par la nécessité de maintenir la cohésion sociale et l'ordre public.
8.1 Dans sa réponse, l'auteur affirme que les observations de l'Etat partie sont fondées sur un malentendu : il reconnaît qu'en effet la liberté d'opinion et la liberté d'expression connaissent certaines limites, mais il déclare qu'il invoque moins ces libertés que la liberté de douter et la liberté de chercher qui, à son avis, ne souffrent aucune limite. Ces dernières libertés sont bafouées par la loi du 13 juillet 1990 qui met au rang d'une seule et incontestable vérité ce qu'un groupe de personnes, juges d'un tribunal militaire international, ont décrété d'avance comme authentique. M. Faurisson note que les Gouvernements espagnol et britannique ont récemment reconnu que l'adoption de lois antirévisionnistes à la manière française constituait un recul pour le droit et l'histoire.
8.2 L'auteur réaffirme que le souci de lutter contre l'antisémitisme ne peut justifier aucune restriction à la liberté de recherche sur un sujet présentant un intérêt manifeste pour les organisations juives : il qualifie d'"exorbitant" le "privilège de censure" dont bénéficient les représentants de la communauté juive en France. Il déclare qu'à sa connaissance aucun autre sujet de recherche n'est jusqu'à présent devenu pratiquement tabou à la demande d'une autre communauté religieuse ou politique. A son avis, aucune loi ne devrait pouvoir interdire la publication d'études sur des sujets quelconques, sous le prétexte qu'il n'y aurait plus rien à chercher sur le sujet.
8.3 M. Faurisson affirme que l'Etat partie n'a pas fourni le moindre élément de preuve indiquant que ses propres écrits et ses thèses constituent "une forme subtile de l'antisémitisme contemporain" (voir le paragraphe 7.2 ci-dessus) ou incitent à des comportements antisémites (voir le paragraphe 7.5 ci-dessus). Il accuse l'Etat partie de qualifier sans aucun fondement sa recherche et ses écrits de "prétendument scientifiques" et ajoute qu'il ne nie rien, mais qu'il conteste simplement ce que l'Etat partie considère comme "une réalité universellement reconnue". Il ajoute qu'au cours des deux dernières décennies, l'école révisionniste a été en mesure de contester comme faux ou douteux un tel grand nombre d'éléments de la "réalité universellement reconnue" que la loi mise en question devient d'autant plus injustifiée.
8.4 L'auteur affirme qu'il n'existe aucune loi en vigueur qui l'empêcherait de contester la validité du verdict et du jugement du Tribunal international de Nuremberg. Il conteste l'argument de l'Etat partie selon lequel cette interdiction est précisément fondée sur la loi du 13 juillet 1990, argument qu'il considère comme pure tautologie et pétition de principe. Il note en outre que même les tribunaux français ont reconnu que les procédures suivies et les décisions prises par le Tribunal international pouvaient à juste titre être critiquées / Voir dix-septième chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, 18 avril 1991..
8.5 L'auteur fait observer qu'à l'occasion d'une récente affaire de révisionnisme (affaire Roger Garaudy), la grande majorité des intellectuels français, ainsi que des représentants de la Ligue française des droits de l'homme, ont publiquement manifesté leur opposition au maintien de la loi du 13 juillet 1990.
8.6 Pour ce qui est des violations de son droit à la liberté d'expression et d'opinion, l'auteur note que cette liberté reste sérieusement restreinte : ainsi, il ne dispose pas du droit de réponse dans les grands médias et, s'agissant de la procédure judiciaire à son égard, ses procès tendent à devenir des procès à huis clos. Précisément à cause de l'application de la loi du 13 juillet 1990, il est désormais illégal de donner la parole à l'auteur dans la presse ou de rapporter ce qui a été dit pour sa défense au cours de ses procès. M. Faurisson note qu'il a intenté un procès au journal Libération qui lui avait refusé un droit de réponse; il a été condamné en première instance et en appel et a dû verser une indemnité au rédacteur du journal. L'auteur conclut qu'il est "enterré vivant" dans son propre pays.
8.7 M. Faurisson déclare qu'il serait regrettable d'examiner son affaire et sa situation du simple point de vue juridique. Il propose d'examiner son cas dans un contexte plus large : à titre d'exemple, il cite le cas de Galilée dont les découvertes étaient vraies, et dans le cas duquel toute loi qui aurait permis de prononcer une condamnation aurait été de par sa nature fausse ou absurde. M. Faurisson affirme que la loi du 13 juillet 1990 a été rédigée et mise en forme à la hâte par trois hommes et que le projet de loi a avorté devant l'Assemblée nationale lorsqu'il a été présenté au début du mois de mai 1990. Il affirme que ce n'est qu'après la profanation du cimetière juif de Carpentras (Vaucluse) le 10 mai 1990, et "l'exploitation nauséabonde" de l'incident par le ministre de l'intérieur d'alors, M. Joxe, et le Président de l'Assemblée nationale, M. Fabius, que la loi a été adoptée. L'auteur conclut que si celle-ci a été adoptée dans de telles conditions, elle ne devra que disparaître un jour, comme le "mythe" des chambres à gaz d'Auschwitz.
8.8 Dans de nouvelles observations datées du 3 juillet 1996, l'Etat partie explique le but poursuivi par la loi du 13 juillet 1990. Il souligne que le but recherché par la promulgation de cette loi s'inscrivait dans la lutte contre l'antisémitisme. A ce sujet, il renvoie à une déclaration faite devant le Sénat par le Ministre de la justice de l'époque, M. Arpaillange, qui a qualifié la négation de l'holocauste d'expression contemporaine du racisme et de l'antisémitisme.
8.9 Dans ses commentaires datés du 11 juillet 1996 concernant les observations de l'Etat partie, l'auteur reprend son argumentation précédente; entre autres choses il conteste de nouveau la version "admise" de l'extermination des Juifs, pour manque de preuve. Il indique par exemple qu'aucun décret ordonnant l'extermination n'a jamais été retrouvé et qu'il n'a jamais été établi comment il était techniquement possible de tuer un aussi grand nombre de personnes par gazage. Il ajoute qu'on a fait croire aux personnes qui visitent Auschwitz que la chambre à gaz qu'elles voient est authentique alors que les autorités savent que c'est une reconstitution montée à un endroit différent du lieu où l'originale aurait existé. Il conclut qu'en tant qu'historien qui s'intéresse aux faits il n'est pas disposé à accepter la version traditionnelle des événements et ne peut que la contester.
Examen quant au fond
9.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication à l'étude en tenant compte de toutes les informations que les parties lui avaient communiquées, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
9.2 Le Comité note que la loi Gayssot a donné lieu en France à un débat public et a suscité des commentaires négatifs de la part des parlementaires français, et prend note également des arguments avancés dans d'autres pays, principalement européens, favorables et opposés à l'introduction de législations de cette nature.
9.3 S'il ne conteste pas que l'application des dispositions de la loi Gayssot qui, dans leurs effets, érigent en infraction pénale le fait de mettre en cause les conclusions et le verdict du Tribunal militaire international de Nuremberg peut conduire, dans des circonstances différentes de celles de la présente affaire, à des décisions ou à des mesures incompatibles avec le Pacte, le Comité n'a pas à faire la critique dans l'abstrait des lois promulguées par les Etats parties. Le rôle assigné au Comité par le Protocole facultatif consiste à déterminer si les conditions des restrictions imposées à la liberté d'expression sont remplies dans les communications qui lui sont soumises.
9.4 Toute restriction à la liberté d'expression doit remplir simultanément les conditions ci-après : elle doit être fixée par la loi, elle doit viser l'un des objectifs énoncés aux alinéas a) et b) du paragraphe 3 de l'article 19 et elle doit être nécessaire pour atteindre un objectif légitime.
9.5 La restriction de la liberté d'expression imposée à l'auteur était bien fixée par la loi : la loi du 13 juillet 1990. D'après sa jurisprudence constante, le Comité considère qu'une loi restrictive doit être elle-même compatible avec les dispositions du Pacte. A ce sujet, il conclut de la lecture du jugement de la 17ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris que la culpabilité de l'auteur a été établie à cause des deux déclarations suivantes : "... J'ai d'excellentes raisons de ne pas croire à cette politique d'extermination des Juifs ou à la magique chambre à gaz... Je souhaite que 100 % des Français se rendent compte que le mythe des chambres à gaz est une gredinerie". Sa condamnation n'a donc pas porté atteinte à son droit d'avoir une opinion et de l'exprimer, en général : le tribunal a condamné M. Faurisson pour avoir attenté aux droits et à la réputation d'autrui. Pour ces raisons, le Comité a acquis la conviction que la loi Gayssot, telle qu'elle a été lue, interprétée et appliquée dans le cas de l'auteur par les tribunaux français, est compatible avec les dispositions du Pacte.
9.6 Afin d'apprécier si les restrictions imposées à sa liberté d'expression par la condamnation pénale de l'auteur ont été appliquées pour répondre aux buts prévus par le Pacte, le Comité note tout d'abord, comme il l'a fait dans son Observation générale 10, que certaines restrictions au droit à la liberté d'expression sont permises par le paragraphe 3 de l'article 19, eu égard aux intérêts d'autrui ou de la communauté dans son ensemble. Etant donné que les propos tenus par l'auteur, replacés dans leur contexte intégral, étaient de nature à faire naître ou à attiser des sentiments antisémites, la restriction visait à faire respecter le droit de la communauté juive de ne pas craindre de vivre dans un climat d'antisémitisme. Le Comité conclut par conséquent que la restriction imposée à la liberté d'expression de l'auteur était permise en vertu du paragraphe 3 a) de l'article 19 du Pacte.
9.7 Enfin, le Comité doit se demander si la restriction imposée à la liberté d'expression était nécessaire. Il a noté l'argument de l'Etat partie qui a fait valoir que la promulgation de la loi Gayssot s'inscrivait dans la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Il a également noté la déclaration d'un membre du Gouvernement français, le Ministre de la justice de l'époque, pour qui la négation de l'holocauste était le principal vecteur de l'antisémitisme. En l'absence du moindre argument tendant à infirmer la position de l'Etat partie en ce qui concerne la nécessité de la restriction, le Comité a acquis la conviction que la restriction de la liberté d'expression imposée à M. Faurisson était nécessaire au sens du paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte.
10. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits, tels qu'il les a constatés, ne révèlent pas une violation par la France du paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte.
____________
* Conformément à l'article 85 du règlement intérieur du Comité, Christine Chanet et Thomas Buergenthal n'ont pas pris part à l'examen de la communication. Une déclaration de M. Buergenthal est jointe au présent document.
** Le texte de cinq opinions individuelles, émanant de sept membres du Comité, est joint au présent document.
[Adopté en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
A. Déclaration de M. Thomas Buergenthal
En tant que survivant des camps de concentration d'Auschwitz et de Sachsenhausen, dont le père, les grands-parents maternels et de nombreux autres membres de la famille ont été tués pendant l'holocauste nazi, je me vois dans l'obligation de me récuser et de ne pas participer à la décision concernant cette affaire.
Thomas Buergenthal [signé]
[Original : anglais]
B. Opinion individuelle de Nisuke Ando
Si je ne suis pas opposé à l'adoption par le Comité des droits de l'homme de ses constatations dans l'affaire à l'étude, je tiens à faire part de ma préoccupation concernant les dangers possibles de la législation française en question, c'est-à-dire la loi Gayssot. Comme je comprends les choses, la loi érige en infraction pénale la "contestation" par un des moyens énoncés à l'article 23 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, de l'existence d'un ou de plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg (voir par. 4.2 de la décision). A mon avis, le mot "contestation", s'il est interprété dans un sens large, peut viser diverses formes d'expression de l'opinion et risque par conséquent de menacer le droit à la liberté d'expression ou d'y porter atteinte, alors que ce droit constitue une condition préalable essentielle au bon fonctionnement d'une société démocratique. Pour écarter ce risque, il serait sans doute plus avisé de remplacer la loi en cause par des dispositions législatives spécifiques interdisant des actes antisémites bien définis ou par une disposition du Code pénal protégeant les droits ou la réputation d'autrui en général.
Nisuke Ando [signé]
[Original : anglais]
C. Opinion individuelle d'Elizabeth Evatt et de David Kretzmer, cosignée par Eckart Klein
1. Tout en souscrivant à l'opinion du Comité qui a conclu que dans les circonstances particulières de cette affaire le droit à la liberté d'expression n'a pas été violé, nous avons décidé, étant donné l'importance des questions en jeu, de joindre une opinion individuelle exposant en détail notre argumentation.
2. Toute restriction à la liberté d'expression doit remplir simultanément les conditions ci-après : elle doit être fixée par la loi, elle doit viser l'un des objectifs énoncés aux alinéas a) et b) du paragraphe 3 de l'article 19 et elle doit être nécessaire pour atteindre ce but. Dans l'affaire à l'étude, ce qui nous intéresse c'est la restriction de la liberté d'expression imposée à la suite de la condamnation de l'auteur pour ses déclarations dans l'entretien publié par Le Choc du Mois. Cette condamnation étant fondée sur l'interdiction énoncée dans la loi Gayssot, elle était bien fixée par la loi. La principale question qui se pose est de savoir si l'Etat partie a démontré que la restriction était nécessaire, au sens du paragraphe 3 a) de l'article 19, au respect des droits ou de la réputation d'autrui.
3. L'Etat partie a fait valoir que la condamnation de l'auteur était justifiée "par la nécessité de respecter le jugement du Tribunal international militaire de Nuremberg, et à travers lui la mémoire des survivants et des descendants des victimes du nazisme". Si nous ne doutons en aucune manière que les propos de l'auteur soient éminemment offensants à l'égard à la fois des survivants de l'holocauste et des descendants des victimes de l'holocauste (ainsi qu'à l'égard de bien d'autres personnes), la question qui se pose au regard du Pacte est de savoir si une restriction imposée à la liberté d'expression pour atteindre cet objectif peut être considérée comme nécessaire pour le respect des droits d'autrui.
4. Tout individu a le droit non seulement de ne pas être victime d'une discrimination fondée sur la race, la religion et l'origine nationale mais aussi d'être protégé contre la provocation à une telle discrimination, comme il est expressément garanti par l'article 7 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Cette garantie est implicite dans l'obligation faite aux Etats parties en vertu du paragraphe 2 de l'article 20 du Pacte d'interdire par la loi tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence. L'infraction pour laquelle l'auteur a été condamné en vertu de la loi Gayssot ne comprend pas expressément l'élément d'incitation, et les propos qui ont fait naître la procédure et la condamnation n'entrent pas clairement dans la catégorie de l'incitation, que l'Etat partie était tenu d'interdire conformément au paragraphe 2 de l'article 20. Il peut toutefois y avoir des circonstances dans lesquelles le droit d'un individu d'être protégé contre l'incitation à la discrimination au motif de la race, de la religion ou de l'origine nationale ne peut pas être pleinement garanti par une loi étroite, explicite, relative à l'incitation qui entre précisément dans les limites énoncées au paragraphe 2 de l'article 20. Tel est le cas où, dans un contexte social et historique particulier, il peut être prouvé que certaines déclarations, qui ne répondent pas à la stricte définition légale de l'incitation, s'inscrivent dans le cadre d'un système de provocation à l'encontre d'un groupe racial, religieux ou national déterminé; tel est le cas aussi où les personnes qui ont intérêt à répandre l'hostilité et la haine adoptent des formes d'expression subtiles qui ne sont pas punissables en vertu de la loi contre l'incitation raciale même si leurs effets peuvent être aussi, sinon plus, pernicieux qu'une incitation ouverte.
5. Lors de la discussion de la loi Gayssot au Sénat, le Ministre de la justice de l'époque, M. Arpaillange, a expliqué que la loi, qui interdit entre autres choses la négation de l'holocauste, était nécessaire parce que la négation de l'holocauste est une expression contemporaine de racisme et d'antisémitisme. De plus, l'influence des propos de l'auteur sur la haine raciale ou religieuse a été examinée par la Cour d'appel de Paris qui a statué que, comme de tels propos propagent des idées tendant à faire revivre la doctrine nazie et la politique de discrimination raciale, ils ont pour effet de perturber la coexistence harmonieuse des différents groupes vivant en France.
6. L'idée que dans la situation actuelle de la France la contestation de l'holocauste peut constituer une forme d'incitation à l'antisémitisme ne peut pas être rejetée. C'est la conséquence non pas de la simple contestation de faits historiques dûment prouvés, établis à la fois par des historiens de convictions et d'horizons différents et par des tribunaux internationaux et nationaux, mais du contexte dans lequel il est sous-entendu sous couvert de recherches universitaires impartiales que les victimes du nazisme étaient coupables d'une invention malhonnête, que l'histoire de leur persécution est un mythe et que les chambres à gaz dans lesquelles tant de personnes ont été assassinées sont "magiques".
7. Le Comité souligne à juste titre, comme il l'a fait dans son Observation générale 10, que certaines restrictions au droit à la liberté d'expression sont permises par le paragraphe 3 de l'article 19, eu égard aux intérêts d'autrui ou de la communauté dans son ensemble. C'est tout spécialement vrai du cas où le droit garanti est le droit d'être protégé contre la provocation à la haine raciale, nationale ou religieuse. Les tribunaux français ont analysé les propos tenus par l'auteur et sont arrivés à la conclusion qu'ils étaient de nature à faire naître ou à attiser des tendances antisémites. Il apparaît donc que la restriction imposée à la liberté d'expression visait à protéger le droit de la communauté juive en France de vivre sans craindre les provocations à l'antisémitisme. Cet élément nous conduit à conclure que l'Etat partie a montré que le but des restrictions à la liberté d'expression dans le cas de l'auteur était de faire respecter les droits d'autrui, comme indiqué au paragraphe 3 de l'article 19. La question de savoir si la décision d'imposer la responsabilité pénale pour de tels propos était nécessaire à la protection de ces droits est plus difficile.
8. La faculté d'imposer des restrictions à la liberté d'expression conférée aux Etats parties par le paragraphe 3 de l'article 19 ne doit pas être interprétée comme autorisant l'interdiction de discours impopulaires ou de discours que certains groupes de la population peuvent juger offensants. Dans bien des cas des propos offensants peuvent être définis comme des propos qui portent atteinte aux valeurs énoncées aux paragraphes 3 a) ou 3 b) de l'article 19 (les droits ou la réputation d'autrui, la sécurité nationale, l'ordre public, la santé ou la moralité publiques). Le Pacte dispose donc que la volonté de protéger l'une de ces valeurs n'est pas, en soi, un motif suffisant pour restreindre la liberté d'expression. La mesure doit être nécessaire pour protéger ladite valeur. Cette obligation de nécessité suppose une certaine proportionnalité. L'ampleur de la restriction imposée à la liberté d'expression doit être proportionnée à la valeur que la restriction vise à protéger. Elle ne doit pas dépasser la mesure nécessaire pour protéger cette valeur. Comme le Comité l'indique dans son Observation générale 10 la restriction ne doit pas porter atteinte au droit lui-même.
9. La loi Gayssot est rédigée dans les termes les plus généraux et semblerait interdire la publication de recherches menées de bonne foi sur les matières qui ont fait l'objet d'une décision par le Tribunal de Nuremberg. Même si le but de cette interdiction est de sauvegarder le droit d'être protégé contre la provocation à l'antisémitisme, les restrictions imposées ne répondent pas au critère de la proportionnalité. Elles ne rattachent pas la responsabilité à l'intention de l'auteur ni à la tendance de la publication d'inciter à l'antisémitisme. De plus, l'objet légitime de la loi aurait assurément pu être atteint par une disposition moins radicale qui ne donnerait pas à penser que l'Etat partie a cherché à faire de vérités et d'expériences historiques un dogme législatif qui ne peut pas être contesté, indépendamment du but caché de la contestation, et de ses conséquences probables. Dans le cas d'espèce toutefois nous n'avons pas à nous occuper de la loi Gayssot dans l'abstrait mais nous devons nous intéresser seulement à la restriction imposée à la liberté d'expression de l'auteur à la suite de sa condamnation pour les propos publiés dans Le Choc du Mois. Cette restriction satisfait-elle au principe de proportionnalité ?
10. Les tribunaux français ont procédé à une analyse très minutieuse des propos tenus par l'auteur. Leurs décisions, et la teneur de l'entrevue elle-même, démentent l'argument de l'auteur qui affirme n'être poussé que par son intérêt pour la recherche historique. Dans l'entrevue, l'auteur a dit qu'il exigeait que "les historiens, en particulier juifs, qui sont d'accord avec nous" pour dire que certaines conclusions du Tribunal de Nuremberg étaient fausses "soient poursuivis". L'auteur parle de "la magique chambre à gaz" et du "mythe des chambres à gaz" qui était une "gredinerie" entérinée par les vainqueurs à Nuremberg. Dans ces déclarations, l'auteur a désigné les historiens juifs et non les autres historiens et a clairement laissé entendre que les Juifs, les victimes des nazis, avaient inventé l'histoire des chambres à gaz pour servir leurs propres buts. S'il y a tout lieu de garantir qu'aucune restriction ne soit imposée dans le cas de recherches historiques menées de bonne foi, même quand elles contestent les vérités historiques acceptées et ce faisant offensent certaines personnes, des allégations antisémites comme celles que profère l'auteur, qui bafouent le droit d'autrui de la façon qui a été décrite, ne peuvent pas prétendre au même titre à une protection contre la restriction à la liberté d'expression. Les restrictions imposées à l'auteur ne portaient pas atteinte à l'essence de son droit à la liberté d'expression et ne touchaient en rien à sa liberté de recherche; elles étaient intimement liées à la valeur devant être garantie - le droit d'être protégé contre la provocation au racisme ou à l'antisémitisme; la sauvegarde de cette valeur n'aurait pas pu être obtenue, dans les circonstances, par des moyens moins radicaux. C'est pour ces raisons que nous souscrivons à la conclusion du Comité qui a établi que, dans les circonstances particulières de l'affaire, les restrictions imposées à la liberté d'expression de l'auteur répondaient au critère de la proportionnalité et étaient nécessaires pour protéger les droits d'autrui.
Elisabeth Evatt [signé]
David Kretzmer [signé]
Eckart Klein [signé]
[Original : anglais]
D. Opinion individuelle de Cecilia Medina Quiroga
1. J'approuve l'avis du Comité dans cette affaire et je voudrais m'associer à l'opinion individuelle formulée par Mme Evatt et M. Kretzmer car j'y vois clairement exprimée mon opinion.
2. Je voudrais ajouter un élément déterminant pour ma position : même si la loi Gayssot, appliquée telle qu'elle est libellée, pourrait constituer une violation manifeste de l'article 19 du Pacte, le tribunal français qui a jugé M. Faurisson a interprété et a appliqué la loi à la lumière des dispositions du Pacte, rendant ainsi la loi conforme aux obligations internationales contractées par la France en matière de liberté d'expression.
Cecilia Medina Quiroga [signé]
[Original : espagnol]
E. Opinion individuelle de Rajsoomer Lallah
1. J'ai des réserves sur le mode d'approche suivi par le Comité pour parvenir à ses conclusions. J'arrive aux mêmes conclusions pour des raisons différentes.
2. Il est peut-être nécessaire de déterminer en premier lieu quelles restrictions ou interdictions un Etat partie peut légitimement imposer, par la loi, à la liberté d'expression et d'opinion, que ce soit en vertu du paragraphe 3 de l'article 19 ou en vertu du paragraphe 2 de l'article 20 du Pacte et, en deuxième lieu, dans le cas où l'inobservation de ces restrictions ou interdictions est qualifiée d'infraction pénale en vertu de la loi, quels sont les éléments constitutifs de l'infraction que la loi doit prévoir, dans sa rédaction, de façon qu'un individu sache quels sont ces éléments et puisse être en mesure de se défendre, en ce qui concerne ces éléments, en invoquant le droit fondamental d'être jugé équitablement par un tribunal qui lui est conféré par l'article 14 du Pacte.
3. Le Comité et mes collègues, Mme Evatt et M. Kretzmer, dont j'ai eu l'avantage de lire l'opinion individuelle, ont correctement analysé les buts pour lesquels les restrictions peuvent légitimement être imposées en vertu du paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte. Ils ont également souligné à juste titre qu'il était indispensable que les restrictions soient nécessaires pour atteindre ces objectifs. Je n'ai pas besoin d'ajouter quoi que ce soit à cet aspect précis de la question.
4. En ce qui concerne les restrictions ou interdictions permises par les dispositions du paragraphe 2 de l'article 20, l'élément de nécessité se confond avec la nature même de l'expression qui peut être légitimement interdite par la loi, c'est-à-dire que l'expression doit représenter un appel à la haine nationale, raciale ou religieuse, qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence.
5. La deuxième question - la question de savoir ce que la loi doit prévoir dans sa rédaction - est plus difficile. Je trouverais acceptable le libellé d'une loi interdisant, selon les propres termes du paragraphe 2 de l'article 20, tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence. La rédaction est plus sujette à caution aux fins du paragraphe 3 de l'article 19, parce qu'ici ce n'est pas, contrairement aux dispositions du paragraphe 2 de l'article 20, l'expression particulière qui peut être l'objet de restrictions, mais c'est les conséquences négatives que l'expression doit nécessairement avoir sur les objets ou les intérêts précis que les alinéas a) et b) visent à protéger. C'est le préjudice porté à ces objets ou intérêts qui devient l'élément matériel de la restriction ou de l'interdiction et, par voie de conséquence, de l'infraction.
6. Comme Mme Evatt et M. Kretzmer l'ont noté, la loi Gayssot est rédigée dans les termes les plus généraux et semblerait interdire la publication de recherches menées de bonne foi au sujet des principes et des questions tranchées par le Tribunal de Nuremberg. Elle crée une responsabilité absolue à l'égard de laquelle aucune défense ne semble possible. Elle ne rattache pas la responsabilité à l'intention de l'auteur ni à l'atteinte portée aux droits ou à la réputation d'autrui, comme prescrit au paragraphe 3 a) de l'article 19, ni à la protection de la sécurité nationale, de l'ordre public, ou de la santé ou de la moralité publiques, comme prescrit au paragraphe 3 b).
7. Ce qui est important dans la loi Gayssot, c'est qu'elle semble ériger en infraction pénale, en substance, toute contestation des conclusions et du verdict du Tribunal de Nuremberg. Dans ses effets, la loi réprime la simple négation de faits historiques. L'idée de départ, reflétée dans les dispositions de la loi, qui est que la contestation procède nécessairement de l'antisémitisme ou incite à l'antisémitisme, est un jugement parlementaire ou législatif et ne relève pas de la décision ou du jugement des tribunaux. Pour cette raison, la loi semblerait, en principe, porter atteinte au droit de toute personne inculpée d'infraction à la loi d'être jugée par un tribunal indépendant.
8. J'ai toutefois conscience que la loi ne doit pas être considérée dans l'abstrait, mais doit être examinée dans l'application qui en a été faite à l'auteur. A ce sujet, la question qui se pose ensuite est celle de savoir si les défauts que la loi peut présenter, dans son application à l'auteur, ont ou n'ont pas été réparés par les tribunaux.
9. Il semblerait, comme l'ont noté aussi Mme Evatt et M. Kretzmer, que les propos de l'auteur faisant ressortir une haine raciale ou religieuse ont été examinés par les tribunaux français, lesquels ont conclu que de tels propos propageaient des idées tendant à faire revivre la doctrine nazie et la politique de discrimination raciale. Ils ont également conclu que les déclarations de l'auteur étaient de nature à faire naître ou à attiser des tendances antisémites. Il ne fait aucun doute que, selon les constatations des tribunaux français, les déclarations de l'auteur ont représenté un appel à la haine raciale ou religieuse constituant une incitation, à tout le moins, à l'hostilité et à la discrimination à l'égard des personnes de confession juive, appel que la France était habilitée en vertu du paragraphe 2 de l'article 20 du Pacte à interdire. A cet égard, en examinant cet aspect de la question et en arrivant aux conclusions qui ont été rapportées, les tribunaux français sembleraient s'être, à juste titre, redonné la faculté de trancher une question que le pouvoir législatif avait cherché à trancher par un jugement législatif.
10. Par conséquent, dans le cas de l'auteur, les défauts dont la loi pouvait être entachée ont été corrigés par les tribunaux. Quand le Comité examine une communication en vertu du Protocole facultatif, il doit examiner l'action de l'Etat en tant que telle, que l'Etat ait agi par l'intermédiaire de son pouvoir législatif ou de son pouvoir judiciaire ou par l'intermédiaire des deux.
11. Je conclus par conséquent que la constitution de l'infraction prévue dans la loi Gayssot, telle qu'elle a été appliquée par les tribunaux à l'auteur, relève davantage, à mon sens, des pouvoirs conférés à la France par le paragraphe 2 de l'article 20 du Pacte. Le résultat est que, pour cette raison, il n'y a pas eu de violation du Pacte par la France.
12. Je sais que la communication de l'auteur a été déclarée recevable exclusivement au regard de l'article 19. Je note toutefois que l'auteur n'a invoqué aucun article précis du Pacte quand il a soumis sa communication et que, dans l'échange d'observations de l'auteur et de l'Etat partie, le fond de la question relevant du paragraphe 2 de l'article 20 a fait l'objet d'une controverse ou de contestation. Je ne vois aucune difficulté quant au fond ou quant à la procédure qui empêcherait d'invoquer le paragraphe 2 de l'article 20.
13. Le recours à des restrictions qui sont en principe permises par le paragraphe 3 de l'article 19 soulève un nombre considérable de difficultés tendant à réduire à néant l'existence même du droit qui doit être restreint. Le droit à la liberté d'opinion et d'expression est une valeur des plus précieuses et peut se révéler trop fragile pour résister à la nécessité, trop souvent invoquée, de le limiter dans la gamme étendue de domaines prévus aux alinéas a) et b) du paragraphe 3 de l'article 19.