Comité des droits de l'homme
Cinquante-quatrième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Cinquante-quatrième session -
Communication No 553/1993
Présentée par : Michael Bullock
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Trinité-et-Tobago
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 19 juillet 1995,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Michael Bullock, citoyen de la Trinité-et-Tobago,
qui était en attente d'exécution à la prison d'Etat de Port-of-Spain (Trinité-et-Tobago)
au moment de la présentation de la communication. Il se déclare victime
de violations par la Trinité-et-Tobago des paragraphes 1, 2 et 3 e) de
l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 25 avril 1981, l'auteur, ainsi qu'un certain P.S., ont été accusés
du meurtre d'un certain H. McG. Le 27 mai 1983, l'auteur a été reconnu
coupable du délit dont il était accusé et condamné à mort; le coaccusé
a été acquitté. La Cour d'appel a rejeté l'appel de l'auteur le 21 avril
1988. La demande de l'auteur d'autorisation spéciale de recours devant
la section judiciaire du Conseil privé a été rejetée le 9 novembre 1990.
Le 19 août 1993, un ordre d'exécution de l'auteur a été donné pour le
24 août 1993; le 23 août 1993, la High Court a accordé un sursis
à exécution, à la suite du dép_t d'une requête constitutionnelle au nom
de l'auteur.
2.2 Conformément à la décision prise par la section judiciaire du Conseil
privé dans l'affaire Pratt et Morgan c. Jamaïque, la peine
capitale a été commuée en peine d'emprisonnement à vie.
2.3 Au procès, l'accusation s'est appuyée essentiellement sur le témoignage
d'un certain Movin Brown, qui vivait à la même adresse que l'auteur. Ce
témoin a affirmé que le matin du 25 avril 1981, il avait vu l'auteur forcer
la victime à sortir de sa voiture et la battre à mort. Pendant le procès,
l'auteur a fait une déclaration à la barre sans prêter serment. Il a déclaré
qu'il était présent au moment des faits, mais que c'était Movin Brown
qui avait battu et tué la victime et que celui-ci l'avait ensuite menacé.
L'accusation s'est également appuyée sur des déclarations orales de l'auteur
reconnaissant avoir été impliqué dans le vol, ainsi que sur des preuves
par indices.
2.4 Pendant le procès, la défense a essayé de mettre en doute la crédibilité
de Movin Brown sur la base d'une déclaration qu'il avait faite à la police
en 1976 concernant une autre affaire de meurtre pour lequel il avait été
jugé mais avait été acquitté (au motif, semble-t-il, que la cause du décès
n'avait pas été établie). Le juge n'a toutefois pas autorisé le conseil
à procéder au contre-interrogatoire de Movin Brown sur la base de cette
déclaration et il a rejeté la demande du conseil d'admettre cette déclaration
en tant que preuve.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil fait valoir que la déclaration antérieure de Movin Brown
était extrêmement importante pour évaluer sa crédibilité et que le juge,
en refusant au conseil de le contre-interroger sur ce point et en refusant
d'admettre la déclaration en tant que preuve a violé les droits de l'auteur
tels qu'ils sont définis aux paragraphes 1 et 3 e) de l'article 14.
3.2 Le conseil fait également remarquer que le juge du fond, dans ses
instructions au jury a déclaré : "[...] ce que Bullock a dit pour
sa défense au banc des accusés relève de son droit de parler à titre d'accusé.
Mais, comme vous l'avez entendu dire de temps à autre, partout où il y
a des droits, il y a également des responsabilités et je reviendrai là-dessus".
Le juge a par la suite déclaré : "J'ai déjà dit que quand il y avait
des droits il y avait également des responsabilités. Ces responsabilités
ne se limitent pas à l'accusé seulement. Elles incombent également à son
représentant en justice. Telle est la loi de ce pays". Il a également
dit : "Comme je l'ai déjà dit, l'accusé a exercé son droit, mais
les droits supposent des responsabilités".
3.3 Selon le conseil, le juge n'a pas formulé ses instructions en toute
équité car il n'a donné au jury aucune indication sur ce qu'il entendait
par le terme "responsabilités" dans ce contexte. Le conseil
affirme que le juge, en s'exprimant de cette façon, a donné l'impression
au jury que l'auteur s'était soustrait à une responsabilité dont il était
obligé de s'acquitter et que, étant donné que la nature exacte de cette
responsabilité n'était pas clairement définie, le jury pouvait avoir interprété
cette expression comme signifiant que l'auteur aurait dû faire une déclaration
sous serment. Le conseil fait également valoir que les commentaires du
juge auraient aussi pu être interprétés par le jury comme signifiant que
l'auteur avait en quelque sorte fait preuve d'irresponsabilité en proférant,
comme l'a dit le juge lui-même, "de sérieuses et graves accusations"
à l'encontre de Movin Brown. Selon le conseil, les instructions données
par le juge au jury constituent une nouvelle violation du paragraphe 1
de l'article 14, ainsi qu'une violation du paragraphe 2 de l'article 14
du Pacte.
Observations de l'Etat partie concernant la recevabilité et commentaires
de l'auteur
4.1 Dans sa réponse du 4 novembre 1993, l'Etat partie affirme que la
communication est irrecevable.
4.2 L'Etat partie fait observer que le 23 août 1993, après que l'ordre
d'exécution eut été donné, l'auteur a déposé une requête constitutionnelle
devant la High Court, espérant que cette dernière déclarerait inconstitutionnelle
l'exécution de la sentence prononcée à son encontre et qu'elle ordonnerait
d'annuler la sentence et de surseoir à l'exécution. Le 23 août 1993, la
High Court a rendu une décision conservatoire ordonnant de surseoir
à l'exécution de l'auteur. L'Etat partie conclut que les recours internes
n'ont pas été épuisés et que la communication est par conséquent irrecevable.
4.3 En ce qui concerne la demande faite à l'Etat partie par le Comité,
conformément à l'article 86 de son règlement intérieur, de ne pas procéder
à l'exécution de l'auteur tant que sa communication serait en cours d'examen
par le Comité, l'Etat partie déclare qu'étant donné l'irrecevabilité de
la communication, il n'est pas disposé à prendre un tel engagement. Il
mentionne néanmoins le sursis à exécution ordonné par la High Court
et déclare qu'il se conformera à cette décision.
4.4 L'Etat partie joint une copie de l'arrêt rendu par la Cour d'appel
dans l'affaire. Il fait observer que la Cour d'appel a examiné de manière
détaillée le refus du juge du fond d'admettre la déclaration de Movin
Brown en tant que preuve, ainsi que les instructions données par le juge
concernant la déclaration faite par l'auteur au banc des accusés. La Cour
d'appel a estimé que le juge du fond avait agi de manière appropriée,
à la fois dans la conduite du procès et dans son réquisitoire au jury,
et a rejeté l'appel.
4.5 L'Etat partie affirme que l'auteur cherche à se servir du Comité
des droits de l'homme comme d'un tribunal de dernière instance. Il estime
que cette manière de procéder est contraire à la jurisprudence du Comité
et est incompatible avec les dispositions du Pacte.
5.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'Etat partie, l'auteur
affirme que la requête constitutionnelle qu'il a déposée ne rend pas sa
communication au Comité irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l'article
5 du Protocole facultatif. Il fait observer que la requête constitutionnelle
ne concerne que la constitutionnalité de l'exécution de la sentence prononcée
contre lui et non sa plainte pour procès inéquitable.
5.2 L'auteur ajoute qu'il est vrai qu'il n'appartient pas en principe
au Comité d'évaluer les faits et les éléments de preuve dans les affaires
qui lui sont soumises, ou d'examiner les instructions données au jury
par le juge, mais qu'il est néanmoins compétent pour le faire lorsqu'il
s'avère que la procédure a été arbitraire ou manifestement injuste, équivalant
à un déni de justice. Il affirme que le refus du juge de l'autoriser à
contre-interroger le principal témoin à charge, ainsi que les instructions
données au jury par le juge, qui revenaient à faire peser à tort sur lui
le fardeau de la preuve, ont constitué un déni de justice et que le Comité
est par conséquent compétent pour examiner sa communication.
6. Dans une réponse ultérieure, datée du 18 juillet 1994, l'Etat partie
informe le Comité que la peine de mort prononcée contre l'auteur a été
commuée en peine d'emprisonnement à vie et que l'auteur finira ses jours
en prison, conformément à la décision prise par la section judiciaire
du Conseil privé dans l'affaire Pratt et Morgan c. le Procureur
général de la Jamaïque, qui a considéré que lorsque l'exécution devait
avoir lieu plus de cinq ans après la condamnation, on pouvait estimer
à juste titre qu'un tel délai constituait "une peine ou un traitement
inhumain ou dégradant".
Délibérations du Comité
7.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2 Le Comité regrette que l'Etat partie n'ait pas été disposé à prendre
l'engagement, comme il le lui demandait en application de l'article 86
de son règlement intérieur, de ne pas exécuter l'auteur tant que son cas
était en cours d'examen au titre du Protocole facultatif, parce qu'il
considérait que la communication était irrecevable. Le Comité fait remarquer
que ce n'est pas à l'Etat partie, mais à lui-même, qu'il appartient de
décider si une communication est ou n'est pas recevable. Il lui demande
sa pleine coopération à l'avenir pour l'examen des communications.
7.3 Le Comité note qu'une partie des allégations de l'auteur ont trait
aux instructions données au jury par le juge. Le Comité rappelle sa jurisprudence
et réaffirme que c'est généralement aux cours d'appel des Etats parties
et non à lui qu'il appartient d'examiner les instructions données au jury
par le juge du fond, sauf s'il s'avère que ces instructions étaient manifestement
arbitraires ou équivalaient à un déni de justice. Le Comité a pris note
de l'affirmation de l'auteur selon laquelle, en l'espèce, les instructions
ont été manifestement injustes. Le Comité a également noté que la Cour
d'appel a examiné cette plainte et conclut qu'en l'espèce, les instructions
données par le juge du fond n'ont pas présenté d'irrégularités suffisamment
importantes pour les rendre manifestement arbitraires ou pour constituer
un déni de justice. Cette partie de la communication est par conséquent
irrecevable, car elle est incompatible avec les dispositions du Pacte,
conformément à l'article 3 du Protocole facultatif.
7.4 Pour ce qui est de l'affirmation de l'auteur selon laquelle le refus
du juge d'admettre en tant que preuve la déclaration faite en 1976 par
le principal témoin à charge ou d'autoriser le contre-interrogatoire de
ce témoin sur la base de cette déclaration constitue une violation de
ses droits tels qu'ils sont définis aux paragraphes 1 et 3 e) de l'article
14 du Pacte, le Comité estime que c'est en général aux juridictions d'appel
des Etats parties et non à lui-même qu'il appartient d'examiner l'exercice
du pouvoir discrétionnaire des juges en ce qui concerne l'admission des
preuves, sauf s'il peut être établi que ce pouvoir discrétionnaire a été
exercé d'une manière manifestement arbitraire ou équivalant à un déni
de justice. Etant donné que de telles irrégularités n'ont pas été démontrées
en l'espèce, cette partie de la communication est donc irrecevable conformément
à l'article 3 du Protocole facultatif, car elle est incompatible avec
les dispositions du Pacte.
8. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) que la communication est irrecevable;
b) que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie, à l'auteur
et à son conseil.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.
Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le
rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]