Comité des droits de l'homme
Cinquante-septième session
ANNEXE*
Décisions du Comité des droits de l'homme au titre
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Cinquante-septième session -
Communication No 557/1993
Présentée par : X [Nom supprimé] (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Australie
Date de la communication : 1er mars 1993 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 16 juillet 1996,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est X, membre de la nation aborigène
des Wiradjuris, de la Nouvelle-Galles du Sud, et membre initié de la nation
arrente, d'Australie centrale. Il présente la communication en son nom
propre et pour le compte de ses trois enfants, nés respectivement en 1977,
1979 et 1983. Il se déclare victime de violations par l'Australie du paragraphe
1 de l'article 14, des paragraphes 1 et 4 de l'article 18, du paragraphe
1 de l'article 23 et des articles 26 et 27 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur et son ex-femme, qui n'est pas aborigène, ont vécu ensemble
de 1976 à 1990. Selon l'auteur, une relation maritale s'était déjà instaurée
conformément au droit aborigène avant qu'ils contractent mariage le 9
mars 1982 sous le régime de la loi de 1961 sur le mariage. En mai 1990,
l'auteur et sa femme se sont séparés; cette dernière a ensuite engagé
une procédure auprès du tribunal australien des affaires familiales pour
obtenir la garde (et le droit de visite) de leurs trois enfants et le
partage des biens du ménage. En mars 1992, le tribunal a accordé la garde
des enfants à la mère et le droit de visite à l'auteur et a procédé au
partage des biens.
2.2 En ce qui concerne les biens, le principal objet de différend dont
le tribunal était saisi concernait la maison du couple, qui avait été
achetée par l'auteur avec un prêt de la Société pour le développement
aborigène, organisme public d'aide financière au logement des aborigènes.
S'agissant de la garde et du droit de visite des enfants, l'auteur a cherché
à obtenir le maintien des dispositions prises précédemment, c'est-à-dire
la garde conjointe, qui, selon lui, permettrait aux enfants de s'initier
à la culture aborigène autant qu'à la culture européenne. La demande de
sa femme tendant à obtenir la garde exclusive des enfants se fondait notamment
sur le fait que l'auteur était absent de chez lui pendant des mois en
raison de ses activités au service des affaires aborigènes, en Australie
et à l'étranger. L'auteur déclarait que, conformément à l'usage aborigène,
sa famille élargie se chargerait de ses enfants pendant ses absences.
2.3 Le 28 novembre 1991, le Tribunal a examiné la recevabilité des dépositions
recueillies sous serment. En ce qui concerne le domicile du couple, l'auteur
et les membres de sa famille ont déclaré que lui-même et les enfants avaient
beaucoup investi dans la maison en la rénovant, que cette maison avait
été achetée à l'aide d'un prêt à faible taux d'intérêt obtenu par l'auteur
parce qu'il appartenait à la communauté aborigène et qu'ils estimaient
qu'il s'agissait d'une terre aborigène. La plupart de ces témoignages
auraient été jugés irrecevables comme étant sans rapport avec le litige.
2.4 En réponse à la demande présentée par sa femme en vue d'obtenir la
garde exclusive des enfants, l'auteur a fourni des déclarations sous serment
émanant de lui-même et de membres de sa famille, ainsi que de membres
éminents de la communauté aborigène et anglo-australienne. Il était notamment
indiqué que la famille aborigène élargie de l'auteur, dans la seule région
de Sydney, comprenait huit soeurs et leurs maris et enfants et que la
grand-mère jouait un rôle important dans l'éducation des enfants, en leur
enseignant, par exemple, le droit coutumier des aborigènes et la langue
wiradjuri. En outre, selon la coutume des aborigènes, dès qu'ils commençaient
à marcher, les enfants étaient intégrés à la structure familiale de leurs
oncles et tantes, de telle sorte que leurs cousins naturels leur devenaient
aussi proches que des frères et soeurs. Lorsque l'un ou l'autre des parents
naturels n'était pas disponible pour surveiller les enfants, la famille
venait immédiatement le remplacer dans son rôle, si bien qu'il ne se produisait
aucun bouleversement social ou affectif dans la vie quotidienne de l'enfant.
Il était de plus indiqué que, depuis l'invasion européenne, la pratique
qui consistait à partager la responsabilité de l'éducation des enfants
était un mécanisme de survie non négligeable pour les populations aborigènes
et leur culture, car les institutions australiennes anglo-saxonnes avaient
souvent porté atteinte à la vie familiale aborigène.
2.5 L'auteur se plaint que la plupart des déclarations enregistrées en
sa faveur, sous serment, ont été supprimées soit en vertu des règles d'administration
de la preuve appliquées par le Tribunal des affaires familiales, soit
pour des raisons d'intérêt général. Dans ce contexte, il affirme que toute
référence à la qualité d'aborigène des trois enfants a été supprimée comme
étant sans intérêt pour déterminer ce qui serait de leur "intérêt"
à long terme. Les témoignages de membres de la communauté aborigène concernant
leur propre expérience d'enfants retirés de cette société pour être élevés
comme des "blancs" dans le processus d'assimilation ont été
supprimés, de même que les déclarations d'universitaires qui avaient étudié
le processus d'assimilation et ses effets sur les enfants aborigènes.
Qui plus est, le témoignage des soeurs de l'auteur concernant la façon
dont les enfants aborigènes étaient élevés et pris en charge par plusieurs
membres de la famille élargie a été jugé irrecevable, de même qu'une déclaration
sous serment faite par un ancien de la nation arrente; ce témoin a déclaré
qu'au début de 1992, l'auteur devait assister à des rites d'initiation
au sein de la nation arrente dans le Territoire du Nord et que, selon
le droit aborigène, l'auteur n'avait aucune prise sur la date de son initiation,
ni sur les conditions dans lesquelles elle se déroulerait.
2.6 Après les audiences consacrées à la recevabilité des éléments de
preuve, les questions de garde, de droit de visite et de partage des biens
devaient être examinées par un autre juge du Tribunal des affaires familiales,
le 3 mars 1992. Ce jour-là toutefois, le conseil de l'auteur avait demandé
un ajournement, l'auteur ayant été hospitalisé le 2 mars 1992, parce qu'il
avait subi une circoncision rituelle à la suite de laquelle une infection
s'était déclarée. Le conseil de sa femme aurait tenu des propos insultants
au sujet de l'auteur et de la blessure subie lors de l'initiation et donné
à entendre que l'auteur se l'était en fait infligée lui-même afin de faire
traîner les choses en longueur, émettant des doutes sur la gravité de
son état de santé puisqu'il avait été capable d'assister à l'audience
du Tribunal le 28 février 1992. Le juge n'aurait pas empêché le conseil
de tenir ce genre de propos; en fait, il avait traité la demande avec
un scepticisme évident, laissant entendre que l'auteur s'était blessé
lui-même et que les experts appelés à témoigner s'étaient laissés "mener
par le bout du nez". La demande d'ajournement a été rejetée, de même
que la demande de l'auteur tendant à ce que la garde des enfants et la
question du partage des biens soient renvoyées devant un autre tribunal,
au motif que le Tribunal des affaires familiales n'était pas compétent
en la matière.
2.7 Le 4 mars 1992, le conseil de l'auteur a demandé un nouvel ajournement,
car l'auteur était toujours à l'hôpital. Le spécialiste de chirurgie vasculaire
a, de nouveau, attesté que l'état de l'auteur ne lui permettait pas de
se présenter devant le tribunal. Tout en exprimant des doutes quant à
la sincérité de l'auteur, le juge a fait droit à sa demande.
2.8 Le juge a été de nouveau saisi de l'affaire le 9 mars 1992. L'auteur
a toutefois contesté la compétence du Tribunal car, à son avis, le Tribunal
des affaires familiales n'était pas habilité à connaître de questions
concernant la famille et les biens d'aborigènes. Le juge a refusé de déclarer
le Tribunal incompétent, à la suite de quoi l'auteur et son conseil se
sont désistés de l'instance. Le juge a alors abordé la question de la
garde, du droit de visite et du partage des biens sur la base des pièces
restant à sa disposition et, après avoir entendu la femme de l'auteur
et le conseiller du Tribunal qui avait élaboré un rapport sur la famille,
a confié la garde des enfants à la femme de l'auteur; l'auteur a obtenu
le droit de voir les enfants tous les 15 jours (un week-end sur deux),
pendant les congés scolaires, etc., et à tout autre moment qui pourrait
être convenu d'un commun accord, étant entendu qu'au cas où il serait
absent pendant ces périodes, l'auteur indiquerait à son ex-femme quels
membres de la famille se chargeraient des enfants pour lui. Le juge a
ensuite ordonné à l'auteur de payer à son ex-femme, dans les deux mois,
75 % de la valeur de la maison du couple, à la suite de quoi le titre
de propriété lui serait transféré. S'il refusait de payer ou ne versait
pas la somme le 9 mai 1992 au plus tard, l'auteur serait obligé de quitter
la maison dans les 14 jours et son ex-femme serait autorisée à se charger
de la mise en vente de cette maison. Par ailleurs, ordre a été donné à
l'auteur de payer les frais de procédure engagés par son ex-femme et les
frais des audiences du 28 novembre 1991 et du 3 mars 1992 qui n'avaient
pas été réglés.
2.9 Le 7 avril 1992, l'auteur a adressé au Tribunal des affaires familiales
en formation plénière une déclaration d'appel contre les décisions rendues
le 9 mars 1992 concernant le partage des biens, le droit de visite et
la garde des enfants. Un acte portant modification des motifs d'appel
a été déposé le 7 mai 1992. La version définitive de la déclaration d'appel
est datée du 26 mai 1992. L'auteur y affirmait notamment que le Tribunal
des affaires familiales n'était pas compétent en l'espèce et que le juge
du fond avait fait preuve de parti pris, et soulevait des questions au
sujet de la Constitution du Commonwealth et de son interprétation. Il
était prévu, dans un premier temps, que le Tribunal connaisse de l'appel
le 6 août 1992, mais, l'auteur devant être absent d'Australie ce jour-là,
l'audience a été finalement fixée au 17 novembre 1992.
2.10 Dans l'intervalle, le 7 mai 1992, l'auteur a demandé au Tribunal
des affaires familiales de surseoir à l'exécution des décisions du 9 mars
1992. Cette demande devait être examinée le 29 mai 1992. Toutefois l'auteur
n'a pas pu être présent car il assistait à une réunion de la Commission
des aborigènes et des îliens du Détroit de Torres, à Canberra. Le juge
aurait tenu des propos désagréables à ce sujet et n'aurait pas permis
au conseil d'expliquer les raisons pour lesquelles un sursis avait été
demandé. Le juge a ensuite rejeté la demande de sursis et ordonné à l'auteur
de régler les frais de justice.
2.11 Le 8 juillet 1992, le tribunal a examiné une nouvelle demande de
sursis à l'exécution des décisions concernant le droit de garde et le
partage des biens. Le 15 juillet 1992, le juge a rejeté cette demande
pour ce qui était du droit de garde des enfants; en revanche, un délai
dans l'exécution de la décision concernant la vente de l'ancienne maison
du couple a été accordé jusqu'au 22 juillet 1992, à condition que l'auteur
évacue la maison (de sorte que son ex-femme et ses enfants puissent y
vivre jusqu'à nouvel ordre) et qu'il paie les frais engagés par son ex-femme
pour les audiences des 28 novembre 1991 et 3 mars 1992. Là encore, les
frais de la procédure ont été imputés à l'auteur car il bénéficiait d'une
représentation juridique gratuite de la part du Service juridique des
aborigènes, qu'il se trouvait dans une situation financière plus confortable
que son ex-femme et pouvait être considéré comme responsable du retard
survenu dans la procédure.
2.12 L'auteur explique qu'il n'a pas fait appel de la décision rendue
par le juge, car un tel appel aurait dû être fait auprès du Tribunal des
affaires familiales en formation plénière et que celui-ci est d'ordinaire
peu enclin à modifier en quoi que ce soit les décisions interlocutoires
rendues par les juridictions inférieures.
2.13 Il apparaît que l'auteur n'a, une fois de plus, pas exécuté les
décisions du Tribunal dans les délais prescrits. Au lieu de quitter la
maison, il a offert à son ex-femme la somme fixée dans les décisions du
9 mars 1992, ce qu'elle a refusé. Le 24 juillet 1992, l'auteur a demandé
au Tribunal d'ordonner à son ex-femme de lui transférer son titre de propriété
et sa part de la maison; celle-ci a alors contre-attaqué en demandant
la mise en détention de l'auteur. Ces deux demandes ont été rejetées et
l'auteur a reçu l'ordre d'évacuer la maison dans les 24 heures. Cette
fois encore, ordre lui a été donné de régler les frais de procédure. L'auteur
a alors quitté la maison, qui a été mise en vente par son ex-femme conformément
aux décisions du 9 mars 1992.
2.14 Le 28 août 1992, devant un juge unique de la Haute Cour d'Australie,
l'auteur a demandé que soit rendu un jugement de divorce provisoire (orders
nisi) et que soient prises des ordonnances (writs of prohibition
and certiorari) interdisant, d'une part, au Tribunal des affaires
familiales de statuer et reconnaissant, d'autre part, l'incompétence dudit
tribunal, au motif qu'il n'était pas habilité à connaître des affaires
concernant les aborigènes, leurs enfants et leurs biens. Il a notamment
rappelé qu'il descendait du peuple wiradjuri qui avait une longue tradition
ininterrompue de résistance à "l'agression non provoquée, à la conquête
et à la tentative de génocide" auxquelles son peuple se trouvait
soumis depuis l'invasion anglaise, que ni lui-même ni son peuple n'avaient
jamais demandé la citoyenneté australienne et que ni lui ni son peuple
n'avaient jamais reçu la protection qui était la condition préalable indispensable
de toute allégeance éventuellement exigée d'eux ou due par eux au Commonwealth
et aux autorités de l'état, qui prétendaient exercer une juridiction sur
eux, leurs enfants ou leurs biens, les administrer ou les contrôler. L'auteur
a demandé à la Cour d'expliciter ses conclusions dans l'affaire Mabo
c. Etat du Queensland / L'affaire concernait le statut
des aborigènes au regard de la législation anglo-australienne et du contentieux
relatif aux droits fonciers; la Haute Cour n'a pas reconnu la validité
des arguments fondés sur le principe de la "terra nullius"
et sur celui de la "protection", estimant que le droit et les
coutumes aborigènes appliqués dans l'île de Murray créaient un régime
de propriété autochtone qui avait survécu à la colonisation./ et de clarifier
le statut des aborigènes au regard du système juridique anglo-australien,
en reconnaissant l'existence de lois et de coutumes aborigènes traditionnelles
qui établissaient un droit aborigène en matière matrimoniale. Le juge
a rejeté la demande au motif qu'il n'était pas réaliste de penser que
la Haute Cour, toutes chambres réunies, conclurait à l'incompétence du
Tribunal des affaires familiales pour les motifs et pour les raisons sur
lesquels s'appuyait la requête de l'auteur.
2.15 S'agissant de l'épuisement des voies de recours internes, il est
précisé que le 30 octobre 1992, en attendant que le Tribunal des affaires
familiales en formation plénière statue sur l'appel formé devant lui par
l'auteur, l'Attorney general du Commonwealth a déposé une déclaration
d'intervention parce que l'appel soulevait des questions concernant la
Constitution ou son interprétation, et touchant l'intérêt général. Après
avoir consulté des avocats ayant l'expérience des questions relatives
aux affaires familiales et constitutionnelles qui ont estimé que l'auteur
de l'appel serait débouté, vu ce qui avait été dit à la Haute Cour et
compte tenu du fait qu'ordre avait été donné à l'auteur de régler les
frais de justice pour toutes les procédures engagées auparavant devant
le Tribunal des affaires familiales, l'auteur a décidé de retirer son
appel.
Teneur de la plainte
3.1 D'après l'auteur, le racisme et l'ethnocentrisme manifestés par le
Tribunal des affaires familiales d'Australie auraient violé plusieurs
des droits de l'auteur au titre du Pacte.
3.2 Concernant la plainte au titre du paragraphe 1 de l'article 14, le
conseil déclare que le compte rendu d'audience montre bien que le Tribunal
des affaires familiales n'a pas l'impartialité voulue pour statuer sur
des affaires concernant les aborigènes, la pratique en matière de droit
de la famille en Australie étant apparemment biaisée dans la mesure où
elle s'appuie sur une notion purement anglo-saxonne de ce qui constitue
le groupe familial. Le conseil fait remarquer que les règles d'administration
de la preuve telles qu'elles ont été appliquées par le Tribunal des affaires
familiales ont eu pour effet d'éliminer la plupart des éléments d'information
sur l'importance de l'appartenance à la communauté aborigène comme facteur
à prendre en considération dans une affaire concernant la garde d'enfants
et le partage de biens; le Tribunal a justifié l'exclusion de ces témoignages
en faisant valoir leur caractère général et des raisons d'intérêt public.
Le conseil soutient toutefois que l'application faite des règles d'administration
de la preuve et le racisme sous-jacent qui l'a amené à décider comme il
l'a fait ont porté atteinte à l'impartialité du Tribunal. Le conseil répète
que le Tribunal des affaires familiales, en s'appuyant sur des notions
anglo-européennes de la culture, de la famille et de la justice et en
rejetant les témoignages concernant l'appartenance de l'auteur et de ses
enfants à la communauté aborigène, a violé leur droit à ce que leur cause
soit entendue équitablement.
3.3 Le droit d'adopter et de pratiquer les croyances des aborigènes garanti
au paragraphe 1 de l'article 18 du Pacte aurait été violé par les juges
du Tribunal des affaires familiales, qui ont tenu des propos désobligeants
sur la cérémonie d'initiation et déclaré inadmissibles les témoignages
la concernant. En outre, la liberté d'assurer à ses enfants une éducation
aborigène religieuse et morale complète aurait été violée par les juges
du Tribunal des affaires familiales, qui ont déclaré irrecevables les
témoignages de l'auteur et de sa famille concernant leurs croyances d'aborigènes;
par conséquent, cet aspect particulier de la vie des enfants, après la
dissolution du mariage de leurs parents, n'aurait pas été pris en considération
par le juge qui s'est prononcé sur le droit de garde. A ce sujet, pendant
toute la durée de la procédure, l'ex-femme de l'auteur aurait eu à tout
moment l'occasion d'expliquer quels étaient les principes moraux selon
lesquels elle voulait élevé ses enfants, mais l'auteur se serait vu refuser
cette même possibilité.
3.4 Quant à l'article 27 du Pacte, il aurait été violé par la façon dont
le Tribunal des affaires familiales a traité la question de l'initiation
tribale. L'auteur explique que la nature de la cérémonie d'initiation
n'aurait jamais dû être divulguée en quelque lieu que ce soit, car cette
cérémonie est sacrée pour lui et pour le peuple de la nation arrente.
Il était difficile, a-t-il dit, pour lui de demander à ses avocats d'expliquer
au juge le problème qui s'était posé à la suite de la cérémonie d'initiation.
En insistant pour que des précisions lui soient données, le juge a toutefois
empêché d'éviter que soit rendu public le savoir sacré et a, par conséquent,
refusé à l'auteur le droit de se conformer à la culture de son peuple
comme il y était tenu.
3.5 Enfin, l'auteur affirme que le rejet des témoignages des anciens
concernant la structure familiale aborigène contrevenait au paragraphe
1 de l'article 23, car cela montrait que l'unité de la famille aborigène
n'avait jamais été protégée pendant la durée de la procédure. L'auteur
déclare à ce propos que lui-même et ses proches avaient tenté d'accueillir
une Européenne au sein de leur famille, mais que la réciproque n'était
pas vraie.
Observations de l'Etat partie sur la recevabilité de la communication
4.1 En février 1995, l'Etat partie a soumis ses observations sur la recevabilité
de la communication. Il demande au Comité de veiller à ce que sa décision
concernant la communication ne contienne aucun élément qui permettrait
d'identifier l'auteur et son ex-femme, afin de protéger leurs trois enfants.
4.2 L'Etat partie explique qu'en droit australien, le Tribunal des affaires
familiales est habilité à connaître des affaires matrimoniales et de la
dissolution des mariages d'Australiens et de personnes résidant en Australie,
ainsi que des questions concernant les enfants, dont la garde et le droit
de visite. Il note que l'auteur, tout en ayant soulevé la question de
la compétence du Tribunal des affaires familiales au niveau du système
judiciaire australien, ne soumet pas cette question au Comité pour examen
au titre du Protocole facultatif. L'Etat partie ajoute que l'auteur, en
répondant à l'action engagée par sa femme en 1990, a reconnu de ce fait
la compétence du Tribunal, qu'ultérieurement il n'a pas produit d'éléments
de preuve à l'appui de son affirmation selon laquelle le mariage aborigène
aurait subsisté, et qu'il n'a pas proposé non plus d'autre tribunal susceptible
de connaître de cette affaire. L'Etat partie explique que les lois, coutumes
ou traditions aborigènes relatives au mariage ne sont pas reconnues par
les tribunaux, mais que l'auteur et sa femme avaient contracté mariage
conformément à la loi de 1961 sur le mariage, d'où la compétence du Tribunal
des affaires familiales.
4.3 L'Etat partie fait valoir que la communication est irrecevable en
raison du non-épuisement des recours internes. A ce propos, il relève
que l'auteur s'est désisté de la procédure très tôt en première instance
et a par la suite retiré l'appel qu'il avait formé devant le Tribunal
des affaires familiales en formation plénière. L'Etat partie estime que
l'auteur aurait pu faire valoir dans cette instance qu'il s'était produit
une erreur judiciaire au motif qu'il n'avait pas été tenu suffisamment
compte d'éléments pertinents. Pour ce qui est de l'argument selon lequel
on avait fait savoir à l'auteur qu'il serait débouté, l'Etat partie rappelle
que le fait de douter des chances de succès d'un recours n'en libère pas
pour autant l'auteur de l'obligation d'épuiser toutes les voies de recours.
4.4 L'Etat partie ajoute que la partie de la communication touchant l'audience
du Tribunal des affaires familiales du 28 novembre 1991 est irrecevable
ratione temporis, le Protocole facultatif n'étant entré en vigueur
à l'égard de l'Australie que le 25 décembre 1991.
4.5 En ce qui concerne la plainte formulée par l'auteur au titre du paragraphe
1 de l'article 14 du Pacte, à savoir que l'on s'était servi des règles
du droit australien régissant l'administration de la preuve pour exclure
des éléments mettant en lumière l'importance de la qualité d'aborigène,
l'Etat partie soutient que le principe directeur qui préside aux règles
d'administration de la preuve appliquées par le Tribunal des affaires
familiales, c'est l'intérêt des enfants, ce qui permet de présenter des
informations concernant l'importance du patrimoine culturel aborigène
dans l'éducation d'un enfant aborigène. Il affirme qu'en l'espèce, des
informations en ce sens ont bel et bien été présentées au Tribunal et
prises en considération par celui-ci. A ce propos, il rejette l'affirmation
de l'auteur selon laquelle la plupart des témoignages touchant la qualité
d'aborigène avaient été supprimés et explique que le Tribunal avait jugé
inadmissibles certaines parties des témoignages présentés par l'auteur
parce qu'elles n'étaient pas pertinentes, prêtaient à la chicane, étaient
d'ordre spéculatif, étaient trop générales ou touchaient à des questions
de conviction / L'Etat partie renvoie par exemple aux rapports
concernant le retrait d'enfants aborigènes de leur famille en vue d'un
placement dans une institution ou un foyer nourricier, aux effets que
l'éducation d'enfants aborigènes dans des ménages non aborigènes exerce
sur la communauté aborigène et à certaines parties des déclarations sous
serment jugées trop générales et sans rapport avec la situation spécifique
des enfants de l'auteur.
4.6 Se référant à la demande d'ajournement déposée par l'auteur à cause
de son hospitalisation, l'Etat partie déclare qu'il ressort de l'audience
du 3 mars 1992 que l'intéressé avait été hospitalisé le 2 mars parce que
lui-même estimait que son état s'était aggravé; les médecins qui ont déposé
à l'audience n'avaient ni vu ni examiné l'auteur depuis le 27 février
1992, date à laquelle une hospitalisation ne semblait pas s'imposer. A
la lumière des éléments de preuve produits, l'Etat partie estime que l'auteur
n'a pas étayé l'allégation selon laquelle en rejetant la demande d'ajournement
le juge avait fait montre de parti pris. Il ajoute que l'ajournement a
été accordé le lendemain, après que le chirurgien eut déclaré avoir examiné
l'auteur et être d'avis que le traitement qu'il lui avait prescrit diminuerait
sa capacité de concentration.
4.7 Quant à l'argument de l'auteur selon lequel les biens n'avaient pas
été partagés équitablement, ce qui prouvait la partialité du juge à son
encontre, l'Etat partie explique que, pour prendre une décision en la
matière, le Tribunal doit s'assurer des contributions passées des parties,
comme de leurs besoins futurs. Dans le cas présent, le juge a estimé que
les deux parties avaient apporté d'énormes contributions au mariage, mais
que la capacité du mari de gagner de l'argent était à peu près cinq fois
supérieure à celle de son ex-femme et que l'intéressé serait en droit
de toucher une retraite, ce qui n'était pas le cas de son ex-épouse. L'Etat
partie affirme qu'à la lumière de ces considérations, et compte tenu du
fait que la mère aurait à s'occuper tous les jours des enfants, le revenu
matrimonial avait été réparti de façon raisonnable et il n'apparaissait
pas qu'il y ait eu un quelconque parti pris en la matière. Pour ce qui
était de la déclaration de l'auteur selon laquelle la maison du couple
faisait partie du "patrimoine aborigène", l'Etat partie indique
que, bien que l'on puisse reconnaître sous certaines conditions l'existence
d'un titre aborigène originel à la terre, tel n'était pas le cas en l'espèce.
Qui plus est, l'Etat partie relève que les décisions initiales du 9 mars
1992 avaient donné à l'auteur la possibilité de conserver la maison. Ce
n'était que parce qu'il n'avait pas donné suite aux dites décisions que
la maison avait fini par être vendue.
4.8 Quant à la plainte de l'auteur au titre du paragraphe 1 de l'article
18 du Pacte, l'Etat partie estime que le débat qui a eu lieu à l'audience
au sujet de la blessure subie par l'auteur à l'occasion de la cérémonie
d'initiation ne portait en rien atteinte à sa liberté de religion. A ce
propos, l'Etat partie déclare que, d'après le compte rendu d'audience,
le juge a appelé l'attention du conseil sur le fait que l'audience avait
pour objet de déterminer si l'auteur pouvait se rendre au tribunal et
qu'il ne s'agissait pas de s'étendre sur la cérémonie. L'Etat partie fait
donc valoir que l'auteur n'a pas soulevé de question se rapportant au
Pacte et qu'il n'a d'ailleurs pas non plus étayé ses allégations.
4.9 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 4 de l'article
18, l'Etat partie note que l'auteur a eu régulièrement accès à ses enfants
et que le Tribunal a prêté sérieusement attention à la qualité d'aborigène
de l'auteur et de ses enfants, reconnaissant le rôle de la famille élargie
et notant que la mère des enfants s'était toujours employée à ce que les
enfants participent à la vie de la communauté aborigène. L'Etat partie
soutient que, vu l'ensemble des facteurs pertinents pris en considération
par le Tribunal, ainsi que le fait que l'auteur s'est désisté de la procédure
et est donc forclos à se plaindre de ne pas avoir eu la possibilité de
saisir le Tribunal de ces questions, la décision de celui-ci était raisonnable
et ne violait pas le droit de l'auteur d'assurer l'éducation religieuse
et morale de ses enfants.
4.10 L'Etat partie affirme par ailleurs que la plainte de l'auteur au
titre du paragraphe 1 de l'article 23 n'était pas étayée. A son avis,
le compte rendu de l'audience montre que le Tribunal a prêté une attention
raisonnable à l'unité familiale aborigène lorsqu'il a examiné tout ce
qui touchait à l'intérêt de l'enfant, et que les éléments de preuve rejetés
par le Tribunal étaient de caractère général et ne se rapportaient pas
aux enfants de l'auteur en particulier. A ce sujet, l'Etat partie explique
que les modalités de partage des responsabilités parentales dont les parties
avaient convenu antérieurement n'avaient pas été satisfaisantes, les parents
n'ayant pu coopérer, d'où un sentiment de confusion chez les enfants qui
avaient fait part de leur mécontentement. Dans ses décisions, le Tribunal
a bien pris en considération la nature de la famille élargie de l'auteur,
en prévoyant la possibilité pour les enfants de demeurer auprès d'elle
dans le cas où l'auteur ne serait pas en mesure de veiller sur eux.
4.11 Enfin, l'Etat partie soutient que l'auteur n'a pas étayé l'allégation
selon laquelle la façon dont le juge avait traité de la question de l'initiation
tribale a violé les droits qui lui étaient reconnus à l'article 27 du
Pacte. Dans ce contexte, il note que cette question s'est posée parce
que l'auteur ne s'était pas présenté à l'audience, et renvoie aux observations
faites plus haut.
5. Le délai fixé à l'auteur pour soumettre ses commentaires sur les observations
de l'Etat partie a expiré le 3 avril 1995. Aucune observation ni information
complémentaire n'a été reçue malgré le rappel qui lui a été adressé par
télécopie le 26 janvier 1996.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif empêche
le Comité d'examiner une communication si tous les recours internes disponibles
n'ont pas été épuisés. Le Comité relève qu'il est incontestable que, d'une
part, l'auteur s'est désisté de la procédure en première instance devant
le Tribunal des affaires familiales et que, d'autre part, après avoir
fait appel du jugement rendu par un juge unique du Tribunal des affaires
familiales, il a retiré ensuite ce recours qu'il avait formé devant ce
même tribunal en formation plénière. Le Comité a pris note de l'argument
de l'Etat partie pour qui l'appel constituait un recours utile en l'espèce
ainsi que de l'affirmation de l'auteur aux dires duquel il aurait été
débouté en appel et le recours aurait été onéreux.
6.3 Le Comité rappelle que le simple fait de douter de l'utilité des
recours ne libère pas un individu de l'obligation de les épuiser. L'auteur
aurait dû présenter tous ses arguments concernant l'exclusion de certains
témoignages et le fait que la structure de la famille aborigène n'aurait
pas été prise en considération devant le Tribunal des affaires familiales
lors de l'instance initiale, puis en appel. Dans le cas présent, l'auteur
n'a pas fait la preuve de l'existence de circonstances particulières qui
l'auraient empêché d'exercer les voies de recours internes disponibles.
La communication est donc irrecevable pour non-épuisement des recours
internes, conformément au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole
facultatif.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie, à l'auteur
de la communication et à son conseil.
_______________
* Conformément à l'article 85 du règlement intérieur, Mme Elizabeth Evatt
n'a pas pris part à l'examen de la communication.
[Adopté en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français.
Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport
annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]