Comité des droits de l'homme
Cinquante-neuvième session
24 mars - 11 avril 1997
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques*
- Cinquante-neuvième session -
Communication No 560/1993**
Présentée par : A (nom supprimé)
(représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Australie
Date de la communication : 20 juin 1993 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 avril 1997,
Ayant achevé l'examen de la communication No 560/1993, présentée au Comité par A en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est A, citoyen cambodgien qui, au moment de la présentation de sa communication, le 20 juin 1993, était détenu au centre de détention du Département de l'immigration de Port Hedland, à Cooke Point, en Australie occidentale. Il a été libéré le 27 janvier 1994. Il affirme être victime de violations par l'Australie des paragraphes 1, 4 et 5 de l'article 9 et des paragraphes 1 et 3 b), c) et d) de l'article 14, lus conjointement avec le paragraphe 1 de l'article 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil. Pour l'Australie, le Protocole facultatif est entré en vigueur le 25 décembre 1991.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 A, ressortissant cambodgien né en 1934, est arrivé en Australie le 25 novembre 1989 par le bateau portant le nom de code Pender Bay, avec 25 autres ressortissants cambodgiens, dont les membres de sa famille. Peu après son arrivée, il a demandé le statut de réfugié en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et du Protocole de 1967 s'y rapportant. Sa demande a été officiellement rejetée en décembre 1992.
2.2 Le conseil fait un exposé chronologique détaillé des faits. La demande initiale de l'auteur en vue de l'obtention du statut de réfugié a été faite le 9 décembre 1989, avec l'aide d'un interprète khmer et d'un fonctionnaire de l'immigration. Aucune aide judiciaire n'a été offerte pendant l'établissement de la demande. Le 13 décembre 1989, l'auteur et les autres occupants du bateau ont été interrogés séparément par le même fonctionnaire de l'immigration. Le 21 décembre 1989, l'auteur et les autres occupants du Pender Bay ont été transportés en avion jusqu'au centre de détention de Villawood, à Sydney. Le 27 avril 1990, l'auteur a de nouveau été interrogé par des fonctionnaires de l'immigration au sujet de sa demande de statut de réfugié. La demande a été rejetée par le Comité fédéral pour la détermination du statut de réfugié le 19 juin 1990; cette décision n'a pas été communiquée à l'auteur. Le conseil note qu'à cette date, aucun des détenus du Pender Bay n'avait encore vu d'avocat.
2.3 A la suite d'interventions de la part de parties concernées, le Ministre de l'immigration a autorisé la Commission de l'aide judiciaire de la Nouvelle-Galles du Sud à réexaminer les dossiers des détenus du Pender Bay. A l'issue de ce réexamen, la Commission a été autorisée à soumettre de nouvelles conclusions et de nouvelles pièces au Département de l'immigration. Des avocats de la Commission se sont rendus pour la première fois auprès de l'auteur à Villawood en septembre 1990. La Commission a déposé des conclusions formelles au nom de l'auteur les 24 mars et 13 avril 1991 mais, en raison de nouveaux règlements en matière de détermination du statut de réfugié en vigueur depuis décembre 1990, toutes les demandes ont dû être réévaluées par des fonctionnaires du Département de l'immigration. Le 26 avril 1991, il a été donné deux semaines à la Commission pour donner suite aux nouvelles évaluations; les réponses ont été déposées le 13 mai 1991. Le 15 mai 1991, le délégué du Ministre a rejeté la demande de l'auteur.
2.4 Le 20 mai 1991, l'auteur et les autres détenus ont été informés que leur demande avait été rejetée, qu'ils avaient 28 jours pour faire appel et qu'ils seraient transférés à Darwin, à plusieurs milliers de kilomètres de là, dans le Territoire du Nord. Une copie de la lettre de rejet leur a été remise, mais aucune interprétation n'a été assurée. Les détenus pensaient alors qu'ils étaient renvoyés au Cambodge. Durant le transfert, ils ont reçu l'ordre de garder le silence entre eux et l'autorisation de téléphoner leur a été refusée. La Commission de l'aide judiciaire de la Nouvelle-Galles du Sud n'a jamais été informée que ses clients avaient été transférés hors de son ressort.
2.5 L'auteur a ensuite été transféré au camp de Curragundi, situé à 85 kilomètres de Darwin. Le site, facilement inondé pendant la saison humide, a été qualifié par le Commissaire australien aux droits de l'homme et à l'égalité des chances de "totalement inacceptable" en tant que centre de détention de réfugiés. Plus important encore, en raison de son transfert dans le Territoire du Nord, l'auteur a perdu tout contact avec la Commission de l'aide judiciaire de la Nouvelle-Galles du Sud.
2.6 Le 11 juin 1991, la Commission de l'aide judiciaire du Territoire du Nord a déposé auprès du Comité d'examen du statut de réfugié (qui avait remplacé le Comité fédéral pour la détermination du statut de réfugié) une demande de réexamen du refus du statut de réfugié à l'auteur et aux autres détenus du Pender Bay. Le 6 août 1991, l'auteur a été transféré au camp de Berrimah, plus proche de Darwin, puis de là, le 21 octobre 1991, au centre de détention de Port Hedland, à environ 2 000 kilomètres, en Australie occidentale. Du fait de ce transfert, l'auteur a perdu le contact avec ses représentants à la Commission de l'aide judiciaire du Territoire du Nord.
2.7 Le 5 décembre 1991, le Comité d'examen du statut de réfugié a rejeté toutes les demandes présentées par les détenus du Pender Bay, y compris celle de l'auteur. Les détenus n'ont été informés de ces décisions que lorsque des lettres datées du 22 janvier 1992 ont été adressées à leurs anciens représentants à la Commission de l'aide judiciaire du Territoire du Nord. Le 29 janvier, la Commission a adressé une lettre au Comité d'examen pour lui demander de revenir sur sa décision et de donner aux détenus du Pender Bay suffisamment de temps pour obtenir l'assistance d'avocats afin de pouvoir préparer sa réponse à la décision.
2.8 Au début de 1992, le Département fédéral de l'immigration a chargé le Conseil des réfugiés d'Australie de représenter tous les demandeurs d'asile détenus à Port Hedland. Le 4 février 1992, des avocats appartenant au Conseil ont commencé à s'entretenir avec les détenus et, le 3 mars 1992, une réponse à la décision du Comité d'examen a été soumise, au nom de l'auteur, au délégué du Ministre par le Conseil des réfugiés d'Australie. Le 6 avril 1992, l'auteur et certains autres détenus du Pender Bay ont été informés que le délégué du Ministre leur avait refusé le statut de réfugié. Le Conseil a alors immédiatement cherché à obtenir du Département de l'immigration l'assurance qu'aucun des détenus ne serait expulsé tant qu'il n'aurait pas eu la possibilité de contester la décision devant la Cour fédérale d'Australie, assurance qui lui a été refusée. Toutefois, plus tard dans la journée du 6 avril, l'auteur a obtenu de la Cour fédérale de Darwin une ordonnance de référé qui a empêché que la décision ne soit mise à exécution. Le 13 avril 1992, en alléguant un vice de procédure, le Ministre de l'immigration a ordonné le retrait de la décision du délégué, ce qui a eu pour effet de soustraire l'affaire à la juridiction de la Cour fédérale.
2.9 Le 14 avril 1992, la procédure devant la Cour fédérale a été abandonnée et les avocats du Département de l'immigration ont donné à la Cour l'assurance que le Département des affaires étrangères et du commerce extérieur communiquerait au Conseil des réfugiés d'Australie dans les deux semaines un rapport révisé sur la situation au Cambodge. Entre-temps, l'auteur avait donné pour instructions à son avocat de continuer à faire le nécessaire pour introduire devant la Cour fédérale une requête en vue de sa libération; la date de l'audience devant la Cour fédérale de Melbourne a été fixée au 7 mai 1992.
2.10 Le 5 mai 1992, le Parlement australien a adopté la Migration Amendment Act (1992), loi portant modification de la loi de 1958 sur les migrations en y insérant un nouveau titre 4B, dans lequel les personnes se trouvant dans la situation de l'auteur étaient qualifiées de "personnes désignées". L'article 54R stipulait ce qui suit : "les tribunaux ne doivent pas ordonner la libération de personnes désignées". Le 22 mai 1992, l'auteur a engagé une procédure devant la Haute Cour d'Australie en vue d'obtenir un arrêt déclarant nulles et non avenues les dispositions pertinentes de la Migration Amendment Act de 1992.
2.11 Le rapport révisé du Département des affaires étrangères et du commerce extérieur, attendu pour la fin du mois d'avril 1992, n'a été achevé que le 8 juillet 1992; le 27 juillet 1992, le Conseil des réfugiés d'Australie a communiqué au Département de l'immigration une réponse concernant ce rapport révisé et, le 25 août 1992, le Comité d'examen du statut de réfugié a de nouveau recommandé de rejeter la demande de statut de réfugié présentée par l'auteur. Le 5 décembre 1992, le délégué du Ministre a rejeté la demande de l'auteur.
2.12 L'auteur a engagé une nouvelle procédure pour obtenir le réexamen de la décision de la Cour fédérale d'Australie et, le Département de l'immigration ayant de nouveau refusé de donner l'assurance que l'auteur ne serait pas immédiatement renvoyé au Cambodge, une ordonnance de référé interdisant au Département de l'immigration d'expulser l'auteur a été obtenue de la Cour fédérale. Entre-temps, dans un arrêt du 8 décembre 1992, la Haute Cour d'Australie a confirmé la validité de la majeure partie des dispositions de la Migration Amendment Act, ce qui signifiait que l'auteur serait maintenu en détention.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil affirme que son client a été détenu "arbitrairement" au sens du paragraphe 1 de l'article 9. Il se réfère à l'observation générale du Comité des droits de l'homme concernant l'article 9, qui étend le champ d'application de cet article aux affaires relatives au contrôle de l'immigration, ainsi qu'aux constatations du Comité relatives à la communication No 305/1988 / Van Alphen c. Pays-Bas, constatations adoptées le 23 juillet 1990, par. 5.8./, selon lesquelles il ne fallait pas donner au mot "arbitraire" uniquement le sens de "contraire à la loi", mais plutôt l'interpréter plus largement comme s'entendant également de ce qui est "inapproprié, injuste et non prévisible". Se référant à l'article 31 de la Convention relative au statut des réfugiés et à la conclusion No 44 (1986) du Comité exécutif du Programme du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés sur "la détention des réfugiés et demandeurs d'asile", le conseil fait valoir que le droit international écrit et le droit international coutumier requièrent qu'en règle générale, la détention des demandeurs d'asile soit évitée. Lorsque cette détention apparaît nécessaire, elle devrait être strictement limitée (voir le paragraphe b) de la conclusion No 44). Le conseil procède à une analyse comparative des mesures de contrôle et des réglementations en matière d'immigration appliquées dans plusieurs pays européens, ainsi qu'au Canada et aux Etats-Unis. Il relève qu'en Australie, la loi n'autorise pas la détention de toutes les personnes en situation irrégulière, ni de tous les demandeurs d'asile. Ceux qui se présentent aux frontières australiennes sans visa valable sont considérés comme "étrangers frappés d'interdiction" et peuvent être détenus en vertu des articles 88 ou 89 de la loi de 1958 sur les migrations. Aux termes de l'article 54B, les personnes interceptées avant ou à leur arrivée en Australie sont classées dans la catégorie des "personnes en instance d'examen". Ces personnes sont réputées ne pas être entrées en Australie et peuvent être conduites à un "centre de transit".
3.2 L'auteur et d'autres personnes arrivées en Australie avant 1992 ont été considérés par le Gouvernement fédéral comme des "personnes en instance d'examen" en vertu de l'article 88, jusqu'à l'entrée en vigueur du titre 4B de la loi portant modification de la loi sur les migrations. Le conseil fait valoir que, par ces dispositions, l'Etat partie a institué un régime plus sévère pour les demandeurs d'asile qui sont arrivés par bateau sans papiers (les "boat people") et qui sont visés par la disposition en question. La loi d'amendement aurait pour conséquence pratique la détention automatique de toute personne visée par le titre 4B jusqu'à ce qu'elle soit reconduite à la frontière ou se voie accorder une autorisation d'entrée.
3.3 Le conseil affirme que la politique de l'Etat partie qui consiste à placer en détention les "boat people" est inappropriée, injustifiée et arbitraire, dans la mesure où elle vise principalement à dissuader d'autres "boat people" de se rendre en Australie et à décourager ceux d'entre eux qui se trouvent déjà dans le pays de poursuivre leurs démarches en vue de l'obtention du statut de réfugié. L'application de la nouvelle législation équivaudrait à une "intimidation" fondée sur la pratique consistant à détenir les demandeurs d'asile dans des conditions telles et pendant des périodes si longues que ceux qui envisageraient de demander l'asile soient dissuadés de le faire et que ceux qui ont déjà déposé une demande se découragent et regagnent leur pays.
3.4 Le conseil soutient que la détention de l'auteur n'est fondée sur aucun motif valable car aucune des raisons légitimes de détention visées dans la conclusion No 44 (voir par. 3.1 ci-dessus) ne s'applique en l'espèce. En outre, la durée de la détention (1 299 jours, soit 3 ans et 204 jours au 20 juin 1993) constitue une violation grave du paragraphe 1 de l'article 9.
3.5 Le conseil soutient par ailleurs que le paragraphe 4 de l'article 9 a été violé dans le cas de l'auteur. Selon le titre 4B de la loi portant modification de la loi sur les migrations, une fois une personne déclarée "personne désignée", la détention est inévitable et la décision de mise en détention ne peut pas être effectivement contestée devant un tribunal, car les tribunaux n'ont aucun pouvoir discrétionnaire pour ordonner la remise en liberté de l'intéressé. Ce fait a été reconnu par le Ministre de l'immigration dans une lettre adressée à la Commission permanente sénatoriale chargée de l'examen des projets de loi, exprimant la crainte que les modifications apportées à la loi n'aient pour effet de fermer l'accès des tribunaux aux personnes visées et ne soient de nature à soulever des problèmes du fait des obligations souscrites par l'Australie en vertu du Pacte. Le Commissaire australien aux droits de l'homme a également fait observer que l'absence de procédure judiciaire permettant de déterminer le bien-fondé ou la nécessité de la détention dans de tels cas constituait une violation du paragraphe 4 de l'article 9.
3.6 Le conseil soutient en outre que les personnes telles que l'auteur n'ont pas concrètement accès aux services de conseillers juridiques, ce qui est contraire à l'article 16 de la Convention relative au statut des réfugiés. Les personnes qui, comme l'auteur, sont maintenues en détention prolongée ont d'autant plus besoin de bénéficier de l'assistance d'un avocat. Dans le cas de l'auteur, le conseil fait valoir que l'Etat partie a violé le paragraphe 4 de l'article 9 et l'article 14 dans les circonstances suivantes :
a) Etablissement de la demande d'octroi du statut de réfugié;
b) Accès à des avocats pendant la phase administrative de la procédure;
c) Accès à des avocats lors de la phase de contrôle judiciaire de la procédure; dans ce contexte, le conseil fait observer que les transferts fréquents de l'auteur dans des centres de détention très éloignés des grands centres urbains ont considérablement compliqué la fourniture de conseils juridiques à l'auteur. Par exemple, le déplacement par avion jusqu'à Port Hedland, où A a été détenu pendant plus de deux ans, est coûteux et l'agglomération la plus proche, Perth, est à plus de 2 000 kilomètres. Les coûts et les problèmes logistiques ont fait qu'il a été difficile de trouver au Conseil des réfugiés d'Australie des avocats compétents pour s'occuper de l'affaire.
3.7 Selon le conseil, le fait que l'Etat partie ait mis tant de temps pour statuer sur la demande constitue une violation du paragraphe 3 c) de l'article 14, d'autant plus que l'auteur est resté en détention pendant la plus grande partie de la procédure.
3.8 Ayant été détenu arbitrairement, A devrait avoir droit à réparation conformément au paragraphe 5 de l'article 9 du Pacte. Le conseil fait observer que la "réparation" prévue dans cette disposition doit s'entendre d'une réparation "juste et adéquate", mais il ajoute que l'Etat partie a supprimé tout droit à réparation pour détention illégale dans la nouvelle législation portant modification de la loi sur les migrations. Il note qu'à la suite de l'arrêt rendu par la Haute Cour d'Australie dans l'affaire A, d'autres actions ont été engagées devant la Haute Cour au nom des détenus du Pender Bay - y compris l'auteur - afin d'obtenir réparation pour détention illégale. Le 24 décembre 1992, le Parlement a ajouté l'article 54RA 1) à 4) au titre 4B de la loi sur les migrations, en réaction directe, selon le conseil, aux conclusions de la Haute Cour dans l'affaire A et devant l'imminence d'actions en réparation pour détention illégale. Cette nouvelle disposition, en son paragraphe 3, limite la réparation pour détention illégale à la somme symbolique de 1 dollar par jour. Le conseil affirme que l'auteur a droit à une réparation juste et adéquate : a) pour ses pertes pécuniaires, c'est-à-dire la perte du bateau à bord duquel il est arrivé en Australie; b) pour ses pertes non pécuniaires, y compris l'atteinte à sa liberté et à son honneur et sa souffrance morale; et c) pour le préjudice considérable subi, en particulier, du fait de la longueur et des conditions de sa détention. Le montant symbolique auquel l'auteur pourrait prétendre en vertu de l'article 54RA 3) du titre 4B ne répondrait pas aux critères de réparation énoncés au paragraphe 5 de l'article 9.
3.9 Enfin, le conseil fait valoir que la détention automatique des "boat people", principalement d'origine asiatique, au seul motif qu'ils répondent à tous les critères définis dans le titre 4B de la loi de 1958 sur les migrations, constitue une discrimination relevant de la catégorie "toute autre situation" visée au paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte, l'expression "toute autre situation" s'appliquant en l'espèce au statut de "boat people".
Observations de l'Etat partie concernant la recevabilité et commentaires à ce sujet
4.1 Dans les observations qu'il fournit conformément à l'article 91, l'Etat partie complète l'exposé des faits présentés par l'auteur et donne une description chronologique de l'affaire dans laquelle l'auteur a été et est toujours impliqué. Il note qu'après que sa demande de statut de réfugié a été définitivement rejetée en décembre 1992, l'auteur a poursuivi ses démarches auprès des tribunaux, contestant la validité de cette décision. L'auteur aurait été maintenu en détention après décembre 1992 uniquement en raison de la procédure qu'il avait engagée. A cet égard, l'Etat partie rappelle que, par une lettre du 2 novembre 1993, le Ministre de l'immigration a offert à l'auteur la possibilité, au cas où il retournerait de son plein gré au Cambodge, de demander après 12 mois l'autorisation de revenir en Australie au moyen d'un visa permanent délivré au titre de l'assistance spéciale. L'Etat partie ajoute que la demande de statut de réfugié de l'épouse de l'auteur a été approuvée et qu'en conséquence l'auteur a été libéré le 21 janvier 1994 et sera autorisé à rester en Australie.
4.2 L'Etat partie ne conteste pas la recevabilité de la communication dans la mesure où l'auteur déclare que sa détention a été "arbitraire" au sens du paragraphe 1 de l'article 9. Toutefois, il conteste énergiquement quant au fond l'allégation selon laquelle la détention de l'auteur a été "arbitraire" et en outre "inappropriée, injuste et non prévisible".
4.3 L'Etat partie conteste la recevabilité d'autres éléments de la plainte concernant le paragraphe 1 de l'article 9. Dans ce contexte, il note que la communication est irrecevable ratione materiae, dans la mesure où l'auteur prétend se fonder sur le droit international coutumier ou sur les dispositions d'autres instruments internationaux tels que la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. L'Etat partie fait valoir que le Comité n'est compétent que pour déterminer s'il y a eu violation de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte; il n'est pas permis d'invoquer le droit international coutumier ou d'autres instruments internationaux comme fondement d'une allégation.
4.4 De même, l'Etat partie affirme que l'allégation générale du conseil selon laquelle la politique australienne consistant à détenir des "boat people" est contraire aux dispositions du paragraphe 1 de l'article 9 est irrecevable, car le Comité n'est pas habilité à se prononcer dans l'abstrait sur telle ou telle politique gouvernementale ou à se fonder sur l'application d'une politique particulière pour conclure à des violations du Pacte. En conséquence, il considère que la communication est irrecevable dans la mesure où l'auteur invite le Comité à déterminer si d'une façon générale la politique consistant à détenir des "boat people" est contraire aux dispositions du paragraphe 1 de l'article 9.
4.5 L'Etat partie conteste la recevabilité de l'allégation de violation du paragraphe 4 de l'article 9 et soutient que les moyens existants de contrôle de la légalité de la détention en vertu de la loi sur les migrations sont compatibles avec les dispositions du paragraphe 4 de l'article 9. Il note que le conseil ne prétend pas que la législation australienne ne prévoit pas le droit de contester la légalité de la détention devant les tribunaux. Par exemple, le recours en habeas corpus, disponible à cette fin, n'a jamais été exercé par l'auteur. L'Etat partie note que l'auteur a effectivement contesté la constitutionnalité du titre 4B de la partie 2 de la loi sur les migrations devant la Haute Cour australienne, qui a confirmé la validité des dispositions en vertu desquelles l'auteur était détenu depuis le 6 mai 1992. Dans son arrêt, la Haute Cour a confirmé que toute personne détenue illégalement pouvait demander sa libération à un tribunal. Avant sa libération, A n'a engagé aucune action pour contester la légalité de sa détention, bien qu'il en ait eu la possibilité. Or, d'autres détenus ont intenté avec succès des actions qui ont abouti à leur libération au motif qu'ils avaient été détenus au-delà de la durée autorisée par le titre 4B de la loi sur les migrations / Tang Jia Xin c. Ministre de l'immigration et des affaires ethniques, No 1 (1993), 116 ALR 329; Tang Jia Xin c. Ministre de l'immigration et des affaires ethniques, No 2 (1993), 116 ALR 349./. A la suite de ces actions, 36 autres détenus ont été libérés. L'Etat partie affirme que, compte tenu des éléments fournis par le conseil, "le Comité ne peut en aucune façon conclure à une violation du paragraphe 4 de l'article 9 au motif que l'auteur n'a pas pu contester la légalité de sa détention". La violation de cet article n'a pas été suffisamment étayée comme elle doit l'être conformément à l'article 90 b) du règlement intérieur. L'Etat partie ajoute que les allégations concernant le paragraphe 4 de l'article 9 pourraient être considérées comme un abus du droit de présenter des communications et qu'en tout état de cause, l'auteur n'a pas épuisé les recours internes en l'espèce puisqu'il n'a pas contesté la légalité de sa détention.
4.6 Dans la mesure où l'auteur de la communication cherche à prouver qu'il y a eu violation du paragraphe 4 de l'article 9 au motif que le bien-fondé ou l'opportunité de la détention ne peuvent pas être contestés devant les tribunaux, l'Etat partie considère que le fait que le tribunal ne soit pas habilité à ordonner la libération d'un détenu n'entre aucunement dans le cadre de l'application du paragraphe 4 de l'article 9, qui ne vise que l'examen de la légalité de la détention.
4.7 Pour ce qui est de l'allégation de violation du paragraphe 4 de l'article 9 au motif que l'auteur n'a pas pu accéder d'une manière effective aux services d'un conseil, l'Etat partie note que cette question ne relève pas des dispositions invoquées : de l'avis de l'Etat partie, l'accès aux services d'un conseil ne peut aucunement être considéré comme prévu dans ces dispositions à titre de droit connexe ou nécessaire découlant de la garantie du droit de toute personne d'intenter une action en justice. Il confirme que l'auteur avait accès aux services de conseillers. Ainsi, le financement de l'aide judiciaire a été assuré à toutes les étapes de la procédure administrative; par la suite, l'auteur a eu la possibilité de consulter un conseiller pour former des recours en justice. Pour ces raisons, l'Etat partie affirme que les allégations selon lesquelles le paragraphe 4 de l'article 9 aurait été violé du fait de l'absence d'accès aux services de conseillers sont insuffisamment étayées. Dans la mesure où, dans son allégation concernant l'accès à l'aide judiciaire, l'auteur invoque l'article 16 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, l'Etat partie renvoie aux arguments qu'il a exposés au paragraphe 4.3 ci-dessus.
4.8 L'Etat partie conteste le fait que les conditions de détention de l'auteur donnent lieu à un quelconque droit à réparation conformément au paragraphe 5 de l'article 9 du Pacte. Il note que le Gouvernement lui-même a reconnu, au cours de la procédure en justice engagée par l'auteur et d'autres personnes dans sa situation, que les intéressés avaient été détenus en l'absence de l'ordonnance statutaire selon laquelle les "boat people" avaient été détenus avant la promulgation du titre 4B de la partie 2 de la loi sur les migrations : il s'agissait uniquement d'une interprétation en toute bonne foi, mais erronée de la législation en vertu de laquelle l'auteur avait été placé en détention. Compte tenu de l'erreur ayant conduit à la détention illégale de personnes dans la situation de l'auteur, le Parlement australien a promulgué une législation spéciale relative à la réparation. L'Etat partie estime que cette législation est compatible avec le paragraphe 5 de l'article 9.
4.9 L'Etat partie souligne qu'un certain nombre de "boat people" ont engagé une action pour contester la constitutionnalité de la législation en question. L'auteur étant concerné par cette action, on ne peut pas considérer que les recours internes ont été épuisés pour ce qui est de son allégation au titre du paragraphe 5 de l'article 9.
4.10 L'Etat partie conteste l'affirmation de l'auteur selon laquelle l'article 14 s'applique à la détention dans les affaires d'immigration et estime que la communication est irrecevable pour ce qui est des allégations de violation de l'article 14. Il rappelle que l'article 14 ne s'applique qu'en cas de poursuites pénales; la détention aux fins d'immigration n'est pas une détention en application du droit pénal, mais une détention administrative, à l'égard de laquelle le paragraphe 3 de l'article 14 est manifestement inapplicable. Cette partie de la communication est en conséquence considérée irrecevable ratione materiae.
4.11 Enfin, l'Etat partie rejette l'allégation de l'auteur selon laquelle il aurait été victime de discrimination en violation des articles 9 et 14, lus conjointement avec le paragraphe 1 de l'article 2, car rien ne permet d'affirmer qu'il y a eu discrimination fondée sur la race. Il ajoute que la situation de "boat people" ne peut pas être assimilée à "toute autre situation" au sens de l'article 2. En conséquence, cet élément de la communication est considéré comme irrecevable ratione materiae car incompatible avec les dispositions du Pacte.
4.12 Pour ce qui est de l'allégation de discrimination fondée sur "la race", l'Etat partie affirme que celle-ci est dénuée de fondement car la loi régissant la détention des personnes arrivant illégalement par bateau s'applique aux personnes de toutes nationalités, indépendamment de leur origine ethnique ou de leur race. L'Etat partie procède à une analyse du sens de l'expression "toute autre situation" employée aux articles 2 et 26 du Pacte et, se référant à la jurisprudence du Comité dans ce domaine, rappelle que le Comité lui-même a estimé que certaines limites devaient être imposées à l'interprétation de cette expression. De l'avis de l'Etat partie, pour que cette expression puisse être employée dans une communication, elle doit renvoyer à une situation liée aux caractéristiques personnelles de l'intéressé. Or, conformément à la législation australienne, le seul élément pouvant être pris en considération est qu'une personne arrive illégalement par bateau : "Chaque Etat étant libre, conformément au droit international, de décider des personnes qu'il admet sur son territoire, il ne peut pas y avoir violation des articles 9 et 14, lus conjointement avec le paragraphe 1 de l'article 2, lorsqu'un Etat prévoit que des personnes arrivées illégalement seront traitées d'une certaine manière en fonction de la façon dont elles sont arrivées." De l'avis de l'Etat partie, rien dans la jurisprudence du Comité concernant la discrimination en violation de l'article 26 ne permet de considérer que "toute autre situation" s'applique au sens de l'article 2 aux "boat people".
5.1 Dans ses observations, le conseil rejette certains arguments de l'Etat partie. Il conteste l'affirmation selon laquelle le délai de trois ans qui s'est écoulé avant qu'une décision finale ne soit prise au sujet de la demande de l'auteur ait été dû en grande partie au retard avec lequel les avocats ont déposé leurs déclarations et demandes pour contester la procédure de prise de décisions. A cet égard, il note que sur les 849 jours qu'a duré la procédure administrative, la demande de l'auteur est restée entre les mains des autorités australiennes pendant 571 jours, soit les deux tiers du temps. Il rappelle en outre qu'au cours de cette période, l'auteur a été transféré quatre fois et qu'il a dû faire appel à trois groupes différents de conseils, dont les services ont tous été financés à l'aide de fonds publics restreints et qui ont tous eu besoin d'un certain temps pour prendre connaissance du dossier.
5.2 Le conseil reconnaît qu'une autorisation d'entrée (temporaire) sur le territoire à titre de protection a été délivrée à l'auteur le 21 janvier 1994 et que celui-ci a été libéré lorsque son épouse a obtenu le statut de réfugiée en raison de son origine ethnique vietnamienne. Il affirme que l'auteur ne pouvait pas mettre fin à sa détention en quittant l'Australie de son plein gré et en retournant au Cambodge, car, premièrement, il craignait véritablement d'être persécuté s'il retournait dans son pays et, deuxièmement, il ne pouvait pas raisonnablement retourner au Cambodge sans son épouse.
5.3 Le conseil de l'auteur réaffirme qu'il s'est fondé sur l'article 31 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, ou sur d'autres instruments, pour appuyer son allégation de violation du paragraphe 1 de l'article 9, aux seules fins d'interpréter et de commenter les obligations de l'Etat partie en vertu du Pacte. Il affirme que d'autres instruments internationaux peuvent être invoqués pour interpréter les dispositions du Pacte et, dans ce contexte, il appelle l'attention du Comité sur une déclaration faite par un représentant du Procureur général au Comité mixte des migrations, dans laquelle il a été reconnu que des organes conventionnels tels que le Comité des droits de l'homme pouvaient se fonder sur d'autres instruments internationaux pour interpréter la portée de l'instrument dont ils surveillaient l'application.
5.4 Le conseil déclare à nouveau qu'il ne conteste pas la politique de l'Etat partie à l'égard des "boat people" dans l'abstrait, mais maintient que l'objectif de la politique australienne, à savoir la dissuasion, est à prendre en considération dans la mesure où il offre un critère permettant d'évaluer le caractère "arbitraire" de la détention au sens du paragraphe 1 de l'article 9 : "Il est impossible de déterminer si la détention d'une personne est appropriée, juste ou prévisible, sans prendre en considération ce qui était en réalité l'objectif de la détention." Dans le cas de l'auteur, cet objectif a été défini dans la présentation faite par le Ministre de l'immigration lors de la soumission du projet de loi de 1992 portant modification de la loi sur les migrations, lequel aurait été adopté en réponse directe à une demande de libération adressée par l'auteur et d'autres ressortissants cambodgiens à la Cour fédérale, qui devait juger de l'affaire deux jours plus tard.
5.5 A propos de l'allégation de violation du paragraphe 4 de l'article 9, le conseil fait valoir qu'étant donné que le titre 4B de la loi de 1958 sur les migrations n'autorise pas la libération d'une personne désignée, il est inutile d'engager une procédure en justice pour obtenir la libération.
5.6 Le conseil reconnaît qu'après l'arrêt pris par la Haute Cour en décembre 1992, la légalité de la détention de l'auteur n'a plus été contestée. La raison en a été que le cas de A relevait manifestement des dispositions du titre 4B et non pas des dispositions de l'article 54Q relatives à la durée de 273 jours, et qu'en conséquence il aurait été vain de continuer de contester la légalité du maintien en détention de l'auteur. Le conseil soutient que l'auteur n'est pas tenu d'exercer des recours inutiles pour prouver une violation du paragraphe 4 de l'article 9, ni pour prouver que les recours internes ont été épuisés, condition prévue au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
5.7 Le conseil soutient que pour exercer son droit à engager une action en justice conformément au paragraphe 4 de l'article 9, le particulier doit nécessairement avoir accès aux services d'un avocat. Lorsqu'une personne est en détention, l'accès aux tribunaux ne peut généralement se faire que par l'entremise d'un avocat. Dans ce contexte, le conseil conteste que son client ait eu suffisamment accès aux services d'un avocat : ce dernier n'a bénéficié d'aucune représentation en justice entre le 30 novembre 1989 et le 13 septembre 1990, date à laquelle la Commission de l'aide judiciaire de la Nouvelle-Galles du Sud a commencé à le représenter. Il affirme que l'auteur, qui ignorait qu'il avait droit à l'aide judiciaire et qui ne parlait pas l'anglais, aurait dû être informé de son droit d'être assisté par un avocat et que l'Etat partie avait le devoir de demander à l'auteur s'il souhaitait faire valoir ce droit. Il affirme que ce devoir correspond aux dispositions du principe 17 1) de l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement, ainsi qu'à la règle 35 1) de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.
5.8 Le conseil de l'auteur ajoute qu'à deux reprises son client a été transféré de force de la juridiction d'un Etat à celle d'un autre, le privant ainsi de l'accès à ses avocats. Dans un cas comme dans l'autre, ses avocats n'ont pas été dûment informés de son transfert. Le conseil affirme que ces faits constituent une violation du droit de l'auteur d'avoir accès à ses avocats.
5.9 En ce qui concerne les observations de l'Etat partie relatives à l'allégation de violation du paragraphe 5 de l'article 9, le conseil fait observer que l'auteur n'est pas partie à la procédure en cours visant à contester la validité de la législation selon laquelle la réparation pour détention illégale est limitée à 1 dollar par jour. En revanche, l'auteur est partie à une autre action, qui n'a pas dépassé les premières étapes de la procédure et qui ne sera examinée au plus tôt que dans un an. Le conseil affirme que son client n'est pas tenu de mener cette procédure à son terme pour remplir les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif. Il note à cet égard qu'en juin 1994, le Parlement australien a été saisi d'un nouveau texte de loi visant à modifier rétroactivement la loi de 1958 sur les migrations, supprimant ainsi tout droit à réparation pour détention illégale que les plaignants dans l'affaire Chu Kheng Lim (relative à la détention illégale de "boat people") auraient pu faire valoir. Le 21 septembre 1994, le Gouvernement a présenté la Migration Legislation Amendment Act (No 3), 1994 (loi de 1994 portant modification de la loi sur les migrations) ("amendement No 3"), qui visait à abroger la législation initiale relative au "dollar par jour". En conséquence directe de cette mesure, la procédure engagée devant la Haute Cour dans l'affaire Ly Sok Pheng c. Ministre de l'immigration, du gouvernement local et des affaires ethniques a été suspendue à compter d'octobre 1994 jusqu'en avril 1995. Si l'amendement No 3 était adopté, comme le Gouvernement fédéral le souhaite, toute action engagée par l'auteur en vue d'obtenir réparation pour détention illégale serait vaine.
5.10 Le conseil conteste l'argument de l'Etat partie selon lequel les dispositions du paragraphe 3 de l'article 14 ne sont pas applicables aux personnes en détention administrative et il renvoie à cet égard à la règle 94 de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, selon laquelle les personnes détenues pour infraction pénale et les "condamnés à la prison civile" ont les mêmes droits.
5.11 Enfin, le conseil réaffirme que les "boat people" constituent un groupe homogène qui peut être considéré comme entrant dans la catégorie "toute autre situation" au sens du paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte : "Ils ont en commun la caractéristique d'être arrivés en Australie au cours d'une période donnée, sans visa, et d'avoir été classés par le Ministère de l'immigration dans la catégorie des personnes désignées". Les personnes répondant à cette définition doivent être mises en détention. De l'avis du conseil, "c'est en raison de ces caractéristiques immuables que ce groupe sera traité différemment des autres demandeurs d'asile en Australie".
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 A sa cinquante-troisième session, le Comité a examiné la communication du point de vue de la recevabilité. Il a noté que plusieurs des faits faisant l'objet de la plainte s'étaient produits avant la date d'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'Etat partie; toutefois, celui-ci ne souhaitant pas contester la recevabilité de la communication pour ce motif et l'auteur étant resté en détention après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'Australie, le Comité a estimé que la communication était recevable ratione temporis. Il a pris note également du fait que l'Etat partie avait reconnu la recevabilité de la communication pour ce qui était de l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article 9.
6.2 Le Comité a noté que l'auteur s'est plaint de ce qu'il n'avait aucun moyen d'obtenir un contrôle effectif de la légalité de sa détention, contrairement aux dispositions du paragraphe 4 de l'article 9 du Pacte, et a pris note de la contestation par l'Etat partie de cet argument. Le Comité a estimé que la question de savoir si le paragraphe 4 de l'article 9 avait été violé dans le cas de l'auteur et si cette disposition incluait un droit d'accès aux services d'un conseil devait être examinée quant au fond.
6.3 Le Comité a spécifié que cette conclusion était différente de la décision qu'il avait prise dans l'affaire V.M.R.B. c. Canada / Communication No 236/1987 (V.M.R.B. c. Canada), décision de non-recevabilité du 18 juillet 1988, par. 6.3./ car en l'espèce la demande de statut de réfugié n'avait pas fait l'objet d'une décision au moment où l'auteur avait soumis la communication, alors que dans l'autre affaire un arrêté d'expulsion avait déjà été pris.
6.4 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 5 de l'article 9, le Comité a noté qu'une procédure en contestation de la constitutionnalité de l'article 54RA de la loi sur les migrations était en cours. L'auteur avait fait valoir qu'il serait trop coûteux de contester la constitutionnalité de cette disposition et qu'il serait inutile de former ce recours en raison de la longueur de la procédure judiciaire et parce que le gouvernement avait l'intention de supprimer cette voie de recours. Le Comité a noté que de simples doutes sur l'efficacité des recours internes ou la perspective des frais encourus ne libéraient pas les auteurs des communications de leur obligation d'exercer les recours en question. En ce qui concernait le projet de loi évoqué par le conseil, qui porterait abrogation du recours, le Comité a noté qu'il n'avait pas encore été adopté et que le conseil se fondait donc sur une hypothétique modification de la législation de l'Etat partie. C'est pourquoi il a conclu que cette partie de la communication était irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.5 Pour ce qui était de l'allégation de violation de l'article 14, le Comité a rappelé que l'Etat partie soutenait que la détention de "boat people" était un "internement administratif" et ne pouvait donc pas relever du paragraphe 1 de l'article 14 et encore moins du paragraphe 3. Le Comité a noté que, selon la loi australienne, l'auteur n'avait pas été détenu en raison d'une accusation en matière pénale dirigée contre lui ni dans le but de déterminer ses droits et obligations de caractère civil. Il a considéré toutefois que la question de savoir si la procédure de détermination du statut de réfugié en vertu de la loi portant modification de la loi sur les migrations relevait néanmoins du paragraphe 1 de l'article 14 devait être examinée quant au fond.
6.6 Enfin, concernant l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article 2, lu conjointement avec les articles 9 et 14, le Comité a constaté que l'auteur n'avait pas étayé, aux fins de la recevabilité, l'allégation selon laquelle il avait été victime de discrimination en raison de sa race et/ou de son origine ethnique. En outre, il était évident qu'à cet égard les recours internes n'avaient pas été épuisés car la question d'une discrimination présumée fondée sur la race ou l'origine ethnique n'avait pas été soulevée devant les tribunaux. Dans ces conditions, le Comité a considéré que cette allégation n'était pas recevable conformément au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.7 Le 4 avril 1995, le Comité des droits de l'homme a donc déclaré la communication recevable dans la mesure où elle semblait soulever des questions au titre des paragraphes 1 et 4 de l'article 9 et du paragraphe 1 de l'article 14.
Observations de l'Etat partie concernant le fond et commentaires du conseil
7.1 Dans ses observations au titre du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, datées de mai 1996, l'Etat partie donne des renseignements complémentaires sur les faits et répond aux allégations de violation des paragraphes 1 et 4 de l'article 9 et du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Il rappelle que la pratique consistant à placer en détention les personnes arrivées sur le territoire sans autorisation fait partie de la politique de l'Australie en matière d'immigration et se justifie par la nécessité de veiller à ce que lesdites personnes ne s'insèrent pas dans la communauté australienne tant que le droit qu'ils invoquent n'a pas fait l'objet d'une évaluation en vue de déterminer s'ils sont fondés à entrer en Australie. Le placement en détention vise à garantir que toute personne se trouvant sur le territoire australien sans autorisation ait la possibilité de faire examiner son cas et, si elle n'est pas admise à demeurer dans le pays, qu'elle reste à la disposition des autorités en vue de son expulsion. L'Etat partie signale qu'à partir de la fin de 1989, il a enregistré une augmentation brusque et sans précédent des demandes de statut de réfugié émanant de personnes arrivées sur les côtes du pays, ce qui a entraîné un allongement important de la durée de détention des demandeurs, ainsi que des réformes dans la législation et les procédures applicables aux demandes de visa de protection sur le territoire.
7.2 En ce qui concerne la nécessité du placement en détention, l'Etat partie rappelle que les personnes arrivées sans autorisation sur les côtes australiennes en 1990 et au début de 1991 avaient été placées dans des foyers d'hébergement pour migrants, d'accès libre, avec astreinte de se présenter aux autorités périodiquement. Il a cependant fallu renforcer les dispositifs de sécurité parce qu'un certain nombre de personnes ainsi hébergées avaient pris la fuite et qu'il était difficile d'obtenir la coopération des communautés asiatiques locales pour rechercher les individus qui ne s'étaient pas présentés aux autorités comme ils en avaient l'obligation; 59 personnes arrivées par bateau s'étaient échappées entre 1991 et octobre 1993. Il est à noter que, parmi les personnes autorisées à vivre au sein de la communauté pendant que leur cas était examiné, 8 000 ont vu leur demande rejetée et 27 % des candidats qui n'ont pas obtenu le statut de réfugié sont demeurés illégalement sur le territoire australien, sans la moindre autorisation.
7.3 L'Etat partie souligne que sa politique de placement obligatoire en détention pour certains demandeurs doit être considérée dans le contexte de sa pratique en matière de demande de statut de réfugié, qui est telle que les requêtes font l'objet d'un examen approfondi et détaillé et que les décisions négatives peuvent amplement être contestées. Compte tenu de la complexité de l'affaire, du temps qu'il a fallu pour rassembler des renseignements sur la situation toujours changeante du Cambodge et du temps nécessaire pour que les conseils de A déposent leur requête, la détention dans le cas de l'auteur n'était pas excessivement longue. De plus, ses conditions de détention n'étaient pas dures, carcérales ou abusivement restrictives de quelque autre manière que ce soit.
7.4 L'Etat partie réaffirme que la première fois qu'il a été interrogé après son arrivée en Australie, l'auteur a été informé qu'il avait le droit de demander des conseils juridiques et qu'il avait droit à l'assistance judiciaire. Il a continué d'avoir des contacts avec des groupes de soutien non gouvernementaux qui auraient pu l'informer de son droit. D'après l'Etat partie, il est inutile d'avoir des connaissances juridiques pour déposer une demande de statut de réfugié car la situation du requérant est déterminée essentiellement en fonction des faits. L'Etat partie souligne que pendant toute sa détention, l'auteur aurait pu obtenir aisément des conseils juridiques ou aurait pu engager une procédure s'il l'avait voulu. Après le 13 septembre 1990, l'auteur était partie à plusieurs actions en justice; d'après l'Etat partie, rien ne prouve que A n'ait pas obtenu de conseils juridiques ou une représentation en justice quand il l'avait demandé. En fait, les conditions dans lesquelles l'auteur était détenu ne l'empêchaient pas d'obtenir des conseils juridiques (voir plus loin par. 7.8 à 7.11). L'Etat partie affirme que, contrairement à ce que dit le conseil, la longueur de la détention ne tenait pas au fait que les conseillers juridiques avaient changé à la suite des transferts successifs de A d'un centre de détention à l'autre.
7.5 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article 9, l'Etat partie objecte que la détention était légale et n'avait rien d'arbitraire. A est entré en Australie sans autorisation et a par la suite demandé à demeurer dans le pays en qualité de réfugié. Au départ, il a été placé en détention pour la durée de l'examen de sa requête. La prolongation de la détention était due aux recours qu'il avait formés contre la décision de rejet, qui le rendait susceptible d'expulsion. La détention était jugée nécessaire essentiellement pour l'empêcher de disparaître au sein de la population australienne.
7.6 L'Etat partie fait observer qu'il ressort des travaux préparatoires relatifs au paragraphe 1 de l'article 9 que les rédacteurs du Pacte considéraient que la notion d'"arbitraire" visait entre autres choses l'incompatibilité avec les principes de justice ou avec la dignité de l'être humain. De plus, il renvoie à la jurisprudence du Comité qui a établi qu'il ne fallait pas donner au mot "arbitraire" le sens de "contraire à la loi" mais qu'il fallait l'interpréter plus largement pour viser ce qui est inapproprié, injuste et non prévisible / Voir constatations relatives à la communication No 305/1988 (Hugo van Alphen c. Pays-Bas), adoptées le 23 juillet 1990, par. 5.8./. Compte tenu de ces éléments, l'Etat partie affirme que dans un cas comme celui de l'auteur la détention n'était ni disproportionnée ni injuste; elle était également prévisible puisque la loi australienne applicable est largement connue. Pour l'Etat partie, l'argument du conseil, qui fait valoir que la mesure consistant à mettre en détention les personnes entrant en Australie sans autorisation est en soi inappropriée, n'est étayé par aucune des dispositions du Pacte.
7.7 L'Etat partie affirme que l'argument selon lequel il existerait une règle de droit international public, qu'il s'agisse du droit coutumier ou du droit conventionnel, qui interdit la détention de demandeurs d'asile, est également faux et démenti par la pratique actuelle des Etats; de plus, il est sans rapport avec les travaux du Comité des droits de l'homme. Les instruments et la pratique invoqués par le conseil - notamment la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, la conclusion 44 du Comité exécutif du HCR, la Convention relative aux droits de l'enfant, la pratique de 12 Etats occidentaux - sont, d'après l'Etat partie, loin de prouver l'existence d'une règle de droit international coutumier. En particulier, l'Etat partie s'inscrit en faux contre l'idée que les règles et les normes qui existeraient en droit international coutumier ou en vertu de tout autre instrument international peuvent être introduites dans le Pacte. L'Etat partie conclut que la détention aux fins d'expulsion d'un pays, aux fins d'enquête pour établir le bien-fondé d'une demande de protection, aux fins d'examen d'une demande de statut de réfugié ou d'entrée sur le territoire et pour protéger la sécurité publique est tout à fait compatible avec le paragraphe 1 de l'article 9.
7.8 Pour ce qui est de l'allégation de violation du paragraphe 4 de l'article 9, l'Etat partie réaffirme que l'auteur a toujours eu la possibilité d'engager une procédure pour contester la légalité de sa détention, en demandant par exemple aux tribunaux de se prononcer sur la compatibilité de sa détention avec la loi australienne. Les tribunaux avaient la faculté de remettre A en liberté, s'ils avaient établi qu'il avait été détenu illégalement. A ce sujet, l'Etat partie conteste le bien-fondé de l'argumentation du Comité relative à la recevabilité de l'allégation de violation du paragraphe 4 de l'article 9. D'après l'Etat partie, cette disposition ne contient pas une obligation tendant à ce que les tribunaux nationaux soient toujours libres de substituer leur pouvoir discrétionnaire à celui du Parlement, en ce qui concerne la détention. "Le Pacte n'oblige pas à prévoir que les tribunaux doivent être en mesure d'ordonner la libération d'un détenu, même si la détention a été décidée conformément à la loi".
7.9 De plus, l'Etat partie rejette expressément l'idée que le paragraphe 4 de l'article 9 comporte implicitement la même obligation d'assurer une assistance juridique que celle qui est énoncée au paragraphe 3 de l'article 14 : à son avis, il faut faire une distinction entre l'obligation d'assurer à titre gratuit une assistance juridique, faite au paragraphe 3 de l'article 14, et l'obligation de permettre l'accès à cette assistance. En tout état de cause, poursuit l'Etat partie, l'allégation de l'auteur qui affirme que son droit, au titre du paragraphe 4 de l'article 9, a été entravé par une prétendue absence d'accès effectif aux services de conseiller juridique ne repose sur rien. L'auteur "a eu largement la possibilité d'obtenir des conseils juridiques et de se faire représenter en justice en vue de contester la légalité de sa détention", et il était représenté quand il a engagé une action à cette fin.
7.10 Pour étayer son argumentation, l'Etat partie récapitule chronologiquement et en détail les occasions où A a pu être informé qu'il avait droit à des conseils juridiques :
a) Sur le formulaire de demande de statut de réfugié, il est précisé que les requérants ont le droit aux services d'un conseiller juridique pendant l'entretien et de solliciter une aide judiciaire. Le 9 décembre 1989 à Willie's Creek, un interprète a traduit en langue khmère l'ensemble du formulaire, que l'auteur a rempli et signé. A ce moment-là, l'auteur n'a pas demandé à bénéficier des conseils juridiques ni des services d'un avocat;
b) Pendant ses six premiers mois de détention, l'auteur a eu des contacts avec des Australiens, ainsi qu'avec des membres des communautés cambodgienne, khmère et indochinoise de Sydney, qui aidaient les détenus du Pender Bay. Tous auraient pu lui faciliter l'accès à des conseillers juridiques;
c) En juin/juillet 1990, le Jesuit Refugee Service a demandé à la Commission de l'aide judiciaire de la Nouvelle-Galles du Sud de représenter les détenus du Pender Bay. Le 11 septembre 1990, A a accepté que cette Commission le représente. Avant l'intervention de la Commission, le Département de l'immigration et des affaires ethniques avait prévu le transfert des détenus du Pender Bay, qui se trouvaient à Sydney, au début d'octobre 1990. Pour qu'ils puissent continuer de rencontrer leurs défenseurs, les intéressés n'ont été transférés à Darwin que le 20 mai 1991;
d) Au moment du transfert à Darwin, la Commission de l'aide judiciaire de la Nouvelle-Galles du Sud a avisé son homologue du Territoire du Nord du transfert. Des avocats de la Commission de l'aide judiciaire du Territoire du Nord se sont rendus au camp de Curragundi (près de Darwin) environ une semaine après l'arrivée du groupe de détenus du Pender Bay. Quand A a été transféré à Port Hedland, le 21 octobre 1991, la Commission de l'aide judiciaire du Territoire du Nord a continué d'agir en son nom, jusqu'au 29 janvier 1992 date à laquelle elle a avisé le Département de l'immigration et des affaires ethniques qu'elle ne pouvait plus assurer la représentation des détenus du Pender Bay. Le 3 février 1992, le Conseil australien des réfugiés a repris le dossier de tous les détenus du Pender Bay;
e) Tous les détenus du Pender Bay ont été représentés par la Commission de l'aide judiciaire du Territoire du Nord lors de la procédure engagée devant la Cour fédérale en avril 1992. Le Conseil australien des réfugiés a continué de les représenter pour les demandes de statut de réfugié.
7.11 L'Etat partie fait remarquer qu'avant 1991-1992, il n'était pas prévu de crédits spéciaux pour assurer une assistance juridique aux demandeurs d'asile en détention, mais que chaque demandeur, individuellement, avait accès à l'aide judiciaire par les voies normales, les ONG apportant également une assistance. Depuis 1992, l'assistance juridique est assurée en vertu d'accords contractuels passés entre le Département de l'immigration et des affaires ethniques et le Conseil australien des réfugiés et un organisme appelé Avocats australiens pour les réfugiés. L'Etat partie note que pour la procédure de contestation de la décision de refus qui avait été prise à son égard, A était représenté. Il avait comme conseillers non seulement la Commission de l'aide judiciaire de la Nouvelle-Galles du Sud et son homologue du Territoire du Nord, mais aussi un organisme appelé Refugee Advice Casework et deux grands cabinets d'avocats.
7.12 L'Etat partie nie que le retard avec lequel la demande de A a été examinée soit dû au fait qu'il ait perdu le contact avec ses conseils chaque fois qu'il était transféré d'un centre de détention à l'autre. Quand l'auteur a été transféré de Sydney à Curragundi, le 21 mai 1991, la Commission de l'aide judiciaire de la Nouvelle-Galles du Sud a immédiatement avisé la Commission de l'aide judiciaire du Territoire du Nord, qui a adressé, le 11 juin, au Comité d'examen du statut de réfugié une demande de révision de la décision négative opposée aux membres du groupe. Le 21 octobre 1991, date à laquelle l'auteur a été transféré à Port Hedland, la demande de révision était en cours d'examen et les représentants juridiques de l'auteur n'avaient par conséquent pas besoin d'intervenir immédiatement. Quand le Comité d'examen du statut de réfugié a communiqué à la Commission de l'aide judiciaire du Territoire du Nord sa recommandation négative, le 22 janvier 1992, la Commission a demandé un délai suffisant pour que l'auteur obtienne les services d'un conseil. Un membre du Conseil australien des réfugiés est arrivé à Port Hedland le 3 février 1992 pour défendre les intérêts de l'auteur et a déposé une réponse à la recommandation négative du Comité d'examen du statut de réfugié le 3 mars 1992. L'Etat partie affirme que rien ne permet de dire que, dans ces deux cas, les requêtes auraient pu être déposées beaucoup plus tôt si l'auteur avait conservé les mêmes conseils.
7.13 Enfin, l'Etat partie réfute l'argument selon lequel l'éloignement du centre de détention de Port Hedland empêchait les détenus de bénéficier de conseils juridiques. Il existe 42 vols hebdomadaires à destination et en provenance de Perth, la durée du vol étant de 130 à 140 minutes; en prenant un avion tôt le matin, les avocats peuvent être à Port Hedland avant 9 heures. L'Etat partie relève qu'une équipe de six avocats et six interprètes, qui avaient été engagés par le Conseil australien des réfugiés avec des crédits du Département de l'immigration et des affaires ethniques, est restée à Port Hedland pendant quasiment toute l'année 1992 pour conseiller les détenus.
7.14 En ce qui concerne le paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, l'Etat partie objecte que l'on ne peut pas arguer d'une violation du droit à l'égalité devant les tribunaux dans le cas de l'auteur; plus précisément, l'auteur n'a été soumis à aucune forme de discrimination au motif qu'il était étranger. L'Etat partie rappelle, pour le cas où le Comité considérerait que la notion d'égalité devant les tribunaux recouvre un droit aux services (obligatoires) de conseils juridiques et de représentation en justice, que l'auteur, à aucun moment de sa détention, ne s'est vu dénier la possibilité d'obtenir ces conseils (voir plus haut par. 7.9 et 7.10).
7.15 L'Etat partie affirme que la deuxième et la troisième phrase du paragraphe 1 de l'article 14 ne s'appliquent pas à une procédure de détermination du statut de réfugié, laquelle ne peut pas entrer dans la définition d'une décision concernant "... des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil". A ce sujet, il fait référence également aux décisions de la Commission européenne des droits de l'homme qui, dit-il, viennent à l'appui de sa conclusion / Voir X, Y, Z et W c. Royaume-Uni (Requête No 3325/67) et Agee c. Royaume-Uni (Requête No 7729/76)./. L'Etat partie accepte sans réserve que les étrangers soumis à sa juridiction doivent pouvoir bénéficier de la protection du Pacte : "Toutefois, pour déterminer quelles dispositions du Pacte s'appliquent en l'espèce, il faut examiner le libellé de ces dispositions. Cette interprétation est étayée par le libellé de la deuxième et de la troisième phrase du paragraphe 1 de l'article 14, qui visent exclusivement certains types de procédures portant sur certains types de droits, dont aucun n'est en cause dans l'affaire à l'étude". A supposer que le Pacte énonce des garanties de procédure pour la détermination du droit de bénéficier du statut de réfugié, la disposition applicable serait l'article 13 plutôt que le paragraphe 1 de l'article 14.
7.16 Pour le cas où le Comité considérerait que la deuxième et la troisième phrase du paragraphe 1 de l'article 14 sont applicables en l'espèce, l'Etat partie fait remarquer ce qui suit :
- dans toutes les procédures auxquelles A était partie, les audiences ont été menées par des tribunaux compétents, indépendants et impartiaux;
- les audiences judiciaires se sont déroulées en public et toutes les décisions ont été rendues publiques;
- la procédure administrative pour déterminer si le Ministère de l'immigration, du gouvernement local et des affaires ethniques devait accorder ou non le statut de réfugié s'est déroulée à huis clos, mais l'Etat partie fait valoir que le huis clos dans le cas de procédures administratives se justifiait par des considérations d'ordre public, parce qu'il serait préjudiciable aux demandeurs d'asile que leur dossier soit rendu public;
- les décisions prises par les tribunaux administratifs dans le cas de l'auteur n'ont pas été rendues publiques. D'après le Gouvernement australien, les exceptions limitées à la règle de la publicité des jugements énoncée au paragraphe 1 de l'article 14 indiquent que la notion de procédure civile (suit at law) ne doit pas être entendue comme s'appliquant à la procédure administrative concernant les demandes de statut de réfugié;
- A a eu à tout moment la possibilité d'obtenir une représentation en justice et des conseils juridiques;
- enfin, compte tenu de la complexité de l'affaire et des procédures auxquelles l'auteur était partie, l'Etat partie rappelle que les retards de procédure en l'espèce n'étaient pas tels qu'ils puissent être considérés comme une violation du droit à un procès équitable.
8.1 Dans ses observations datées du 22 août 1996, le conseil conteste l'explication donnée par l'Etat partie pour justifier la détention des immigrants. Au moment où l'auteur a été placé en détention, les seuls migrants arrivés en Australie sans autorisation qui étaient systématiquement placés en détention étaient les "boat people". Le conseil fait valoir que les autorités australiennes craignaient, à tort, une "invasion" de migrants arrivés par bateau sans autorisation et que cette politique de détention automatique devait avoir un effet dissuasif. En ce qui concerne l'argument de l'Etat partie qui indique que l'Australie a connu, à partir de la fin de 1989, un afflux sans précédent de "boat people", le conseil souligne qu'il faut relativiser les choses et que les 33 414 demandes de statut de réfugiés déposées entre 1989 et 1993 n'ont rien d'impressionnant par rapport au nombre de demandes reçues par de nombreux pays d'Europe occidentale pendant la même période. Or, l'Australie est le seul pays d'asile occidental qui conserve une politique de détention obligatoire, non susceptible de révision.
8.2 Quoi qu'il en soit, ajoute le conseil, l'absence de préparation et le manque de ressources ne sauraient justifier une violation persistante du droit de ne pas être soumis à une détention arbitraire; il se réfère à la jurisprudence du Comité qui a établi que l'insuffisance des crédits budgétaires consacrés à l'administration de la justice pénale ne justifiait pas une détention avant jugement de quatre ans. Il fait valoir que s'il a fallu 77 semaines pour achever la première procédure d'examen de la demande d'asile de l'auteur, qui se trouvait détenu, c'est en raison de l'insuffisance des crédits.
8.3 Le conseil rejette les tentatives faites par l'Etat partie pour attribuer en partie les retards dans la procédure à l'auteur et à ses conseillers. Il réaffirme que l'Etat partie a manqué de diligence dans le traitement de la demande de A et soutient que rien ne pouvait excuser un intervalle de sept mois avant de rendre une première décision, laquelle n'a même pas été notifiée à l'auteur, puis un autre intervalle de huit mois pour rendre une nouvelle décision, six mois pour rendre une décision à la suite du réexamen de l'affaire et environ cinq mois pour prononcer un refus définitif, qui ne pouvait pas être contesté devant un tribunal. De l'avis du conseil, ce qui importe ce n'est pas tant de déterminer les raisons pour lesquelles il s'est produit un tel retard mais de se demander pourquoi l'auteur est resté détenu pendant tout le temps où les autorités procédaient à l'examen de sa demande : quand la première décision a été renvoyée aux autorités d'immigration, l'Australie n'ayant pas pu la défendre en justice, l'Etat partie a pris l'initiative sans précédent d'adopter une législation spéciale (la loi portant modification de la loi sur les migrations de 1992) à seule fin de maintenir l'auteur et d'autres demandeurs d'asile en détention.
8.4 En ce qui concerne la possibilité de bénéficier de conseils juridiques, le conseil affirme que contrairement à ce que l'Etat partie prétend, il est nécessaire d'avoir des connaissances juridiques pour faire une demande de statut de réfugié, ainsi que pour toutes les procédures d'appel - si l'auteur n'avait pas eu accès aux services d'un avocat, il aurait été expulsé au début de 1992. Le conseil juge utile de signaler que maintenant l'Australie a pour pratique de procurer des conseils juridiques dès que quelqu'un fait part de son intention de demander l'asile. D'après lui, A aurait dû bénéficier des services d'un avocat quand il a demandé l'asile, en décembre 1989.
8.5 Le conseil réaffirme que l'auteur n'a pas vu de représentant pendant près de dix mois après son arrivée, c'est-à-dire jusqu'en septembre 1990, alors qu'une décision finale le concernant avait été prise en juin 1990. En 1992, quand il a sollicité l'aide judiciaire pour obtenir la révision judiciaire de la décision de refus du statut de réfugié, la réponse a été négative. Il n'a obtenu une représentation à titre gratuit que quand l'aide judiciaire lui a été refusée et, de l'avis du conseil, il est faux d'opposer comme argument qu'il n'y avait pas lieu d'assurer l'aide judiciaire financée sur les fonds publics (legal aid) parce qu'une assistance à titre gratuit (pro bono assistance) était disponible; en réalité, il a fallu trouver un organisme qui accepte de fournir l'assistance à titre gratuit parce que l'aide judiciaire avait été refusée.
8.6 Le conseil reconnaît qu'il existe effectivement de nombreux vols à destination et en provenance de Port Hedland, mais il fait remarquer que ces liaisons coûtent cher. Il maintient que l'isolement de Port Hedland a véritablement restreint l'accès aux conseils juridiques, élément qui a été avancé à maintes reprises devant la Commission permanente commune sur les migrations laquelle, tout en admettant qu'il y avait effectivement des difficultés, n'a pas consenti à ce que le centre de détention soit déplacé.
8.7 Pour ce qui est du caractère "arbitraire" de la détention, le conseil note que l'Etat partie cherche, à tort, à rejeter sur l'auteur la responsabilité de sa détention prolongée. Il fait valoir que A n'aurait pas dû être pénalisé par une détention prolongée pour avoir exercé ses droits. Il nie également que la détention ait été justifiée parce que les autorités avaient l'impression que l'auteur risquait de prendre la fuite; il fait remarquer que l'Etat partie n'a pas avancé le moindre fait précis, se contentant de faire des généralisations. Il fait valoir que les effets d'une détention de longue durée sont si graves qu'il incombe à l'Etat partie de prouver la justification de la détention dans les circonstances particulières de chaque affaire; la preuve n'est pas apportée par des affirmations générales selon lesquelles l'intéressé risque de passer à la clandestinité s'il est remis en liberté.
8.8 Le conseil réaffirme qu'il existe bien une règle de droit international coutumier interdisant la détention pendant de longues périodes des demandeurs d'asile et que les prises de position d'organes internationaux faisant autorité, comme le HCR, ainsi que la pratique d'autres Etats tendent à démontrer l'existence d'une telle règle.
8.9 En réponse à l'argument de l'Etat partie qui affirme que l'auteur avait toujours la possibilité de contester la légalité de sa détention et que le recours n'était pas nécessairement voué à l'échec, le conseil objecte ce qui suit :
- Certes, la Haute Cour a déclaré que l'article 54R outrepassait le pouvoir législatif de l'Etat partie et était par conséquent inconstitutionnel mais le fait que la disposition ne soit pas exécutoire ne signifie pas que, quand quelqu'un entre dans la catégorie des "personnes désignées" au sens de la loi sur les migrations, il peut réellement contester la détention. Cela signifie simplement que le Parlement n'a pas le pouvoir, en vertu de l'article 54R, d'enjoindre au pouvoir judiciaire de ne pas remettre en liberté une "personne désignée". Dans la pratique toutefois, si quelqu'un répond à la définition d'une "personne désignée", il n'est toujours pas possible d'obtenir la libération par voie judiciaire.
- Pour ce qui de l'article 54Q de la loi (devenu l'article 182), en vertu duquel les dispositions relatives à la détention cessent d'être applicables à une "personne désignée" en détention pour raisons d'immigration depuis plus de 273 jours, le conseil fait valoir qu'une période de 273 jours pendant laquelle il n'y a aucune possibilité de remise en liberté par les tribunaux est en soi arbitraire au sens du paragraphe 1 de l'article 9. D'après lui, il est même quasiment impossible pour une "personne désignée" d'être libérée au bout des 273 jours francs étant donné qu'en vertu de l'article 54Q, le décompte des 273 jours est arrêté quand le Département de l'immigration attend des renseignements de personnes qui ne dépendent pas de lui.
8.10 Le conseil rejette l'argument selon lequel A n'avait pas droit à l'aide judiciaire financée par des fonds publics puisque les garanties prévues au paragraphe 3 d) de l'article 14 ne sont pas énoncées au paragraphe 4 de l'article 9. Il fait valoir que la détention pour raisons d'immigration est une forme de détention quasi pénale à laquelle, à son avis, les garanties de procédure énoncées au paragraphe 3 de l'article 14 doivent s'appliquer. A ce sujet, il note que d'autres instruments internationaux, comme l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement (Principe 17), reconnaissent que "toute personne détenue pourra bénéficier de l'assistance d'un avocat" et aura "le droit de s'en voir désigner un ... si l'intérêt de la justice l'exige, et ce sans frais".
8.11 Enfin, le conseil réaffirme que les procédures engagées pour déterminer le statut de A en vertu de la loi portant modification de la loi sur les migrations peuvent être visées par le paragraphe 1 de l'article 14 : (même) au stade administratif, la demande de statut de réfugié présentée par l'auteur relevait de l'article 14. L'exercice de son droit d'obtenir le réexamen judiciaire de la décision ainsi que la contestation de la détention devant les tribunaux ont donné naissance à une procédure civile (suit at law). A ce sujet, il soutient que la procédure engagée contre le Département de l'immigration en vue d'obtenir la révision des décisions lui refusant le statut de réfugié est allée au-delà d'un examen sur le fond de sa requête et est devenue un litige civil portant sur un manquement du Département, qui n'a pas garanti l'équité en matière de procédure. En engageant une procédure pour obtenir sa libération, l'auteur a contesté la constitutionnalité des nouvelles dispositions de la loi sur les migrations en vertu desquelles il a été détenu devenant, là encore, partie à un litige au civil.
Examen quant au fond
9.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Il doit statuer quant au fond sur trois questions :
a) la question de savoir si la détention prolongée de l'auteur, en attendant qu'une décision soit prise sur sa demande de statut de réfugié, était "arbitraire" au sens du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte;
b) la question de savoir si l'impossibilité dans laquelle l'auteur se serait trouvé de contester la légalité de sa détention et avoir accès à des conseils juridiques constitue une violation du paragraphe 4 de l'article 9;
c) la question de savoir si la procédure engagée au sujet de sa demande de statut de réfugié entre dans le champ d'application du paragraphe 1 de l'article 14 et, si tel est le cas, s'il y a eu violation de cette disposition.
9.2 En ce qui concerne la première question, le Comité rappelle qu'il ne faut pas donner au mot "arbitraire" le sens de "contraire à la loi", mais qu'il faut l'interpréter plus largement pour viser notamment ce qui est inapproprié et injuste. De plus, la détention provisoire pourrait être considérée comme arbitraire si elle n'est pas nécessaire à tous égards, par exemple pour éviter que l'intéressé ne prenne la fuite ou soustraie des preuves : l'élément de proportionnalité doit intervenir ici. L'Etat partie cherche toutefois à justifier la détention de l'auteur par le fait que celui-ci est entré illégalement en Australie et qu'il risquait donc de passer dans la clandestinité s'il était laissé en liberté. La question qui se pose au Comité est de savoir si ces motifs sont suffisants pour justifier une détention de durée indéterminée et prolongée.
9.3 Le Comité convient que l'auteur n'est pas fondé à affirmer qu'il est en soi arbitraire de placer des demandeurs d'asile en détention. Il ne peut pas non plus souscrire à l'idée qu'il existe une règle de droit international coutumier qui rendrait toute détention de ce type arbitraire.
9.4 Le Comité fait observer toutefois que toute décision de maintenir une personne en détention devrait être réexaminée périodiquement de manière à pouvoir évaluer les motifs justifiant la détention. En tout état de cause, celle-ci ne devrait pas se prolonger au-delà de la période pour laquelle l'Etat peut fournir une justification appropriée. Par exemple, le fait que la personne visée est entrée illégalement dans le pays peut indiquer qu'une enquête est nécessaire et il peut y avoir d'autres considérations propres à l'intéressé, telles que le risque de fuite et le manque de coopération, qui peuvent justifier la détention pendant une période donnée. En l'absence de tels facteurs, la détention peut être considérée comme arbitraire, même en cas d'entrée illégale. En l'espèce, l'Etat partie n'a avancé aucun motif spécifique à l'auteur pouvant justifier son maintien en détention pendant quatre ans, au cours desquels il a été transféré à plusieurs reprises d'un centre de détention à l'autre. En conséquence, le Comité conclut que la détention de l'auteur pendant plus de quatre ans a été arbitraire au sens du paragraphe 1 de l'article 9.
9.5 Le Comité fait observer que l'auteur aurait pu, en principe, demander au tribunal d'examiner les motifs de sa détention avant l'adoption de la loi portant modification de la loi sur les migrations du 5 mai 1992; après cette date, les tribunaux nationaux étaient encore habilités à procéder à un tel examen aux fins d'ordonner la libération d'une personne dont ils jugereaient la détention illégale au regard de la législation australienne. Mais dans les faits, le contrôle exercé par les tribunaux et leur compétence pour ce qui est d'ordonner la libération d'une personne se limitaient à déterminer si l'intéressé était une "personne désignée" au sens de la loi portant modification de la loi sur les migrations. Si la personne remplit les conditions requises pour être classée dans cette catégorie, les tribunaux ne sont pas habilités à examiner la légalité de son maintien en détention ni à ordonner sa libération. Le Comité est d'avis que l'examen de la légalité de la détention par les tribunaux, en application du paragraphe 4 de l'article 9, implique la possibilité d'ordonner la libération de l'intéressé et ne doit pas se limiter à déterminer si la détention est conforme au droit australien. Les méthodes visant à assurer le contrôle par les tribunaux des décisions de détention administrative peuvent certes différer d'un système juridique à l'autre mais ce qui est déterminant aux fins du paragraphe 4 de l'article 9, c'est que du point de vue des effets un tel contrôle ne soit pas de pure forme. En stipulant que les tribunaux doivent être habilités à ordonner la libération d'une personne "si la détention est illégale", le paragraphe 4 de l'article 9 requiert que les tribunaux soient habilités à prendre une telle décision si la détention est incompatible avec les dispositions du paragraphe 1 de l'article 9 ou avec d'autres dispositions du Pacte. Cette conclusion est corroborée par le paragraphe 5 de l'article 9 qui prévoit expressément un droit à réparation en cas de détention "illégale" que ce soit en vertu de la législation interne ou des dispositions du Pacte. Comme les observations faites en l'espèce par l'Etat partie montrent que l'examen judiciaire que pouvait obtenir A se limitait à déterminer d'une manière formelle son appartenance, par ailleurs tout à fait évidente, à la catégorie des "personnes désignées" au sens de la loi portant modification de la loi sur les migrations, le Comité conclut que le droit de faire examiner la légalité de sa détention par un tribunal, conféré à l'auteur par le paragraphe 4 de l'article 2 du Pacte, a été violé.
9.6 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur selon laquelle les dispositions du paragraphe 4 de l'article 9 donnent droit à une assistance juridique destinée à faciliter l'accès aux tribunaux, le Comité note sur la base des pièces dont il dispose que l'auteur a eu droit aux services de conseillers juridiques dès le jour où il a demandé l'asile et aurait pu les obtenir s'il en avait fait la demande. Effectivement, le 9 décembre 1989, l'auteur a été informé de son droit à une telle assistance quand on lui a donné lecture de l'annexe au formulaire qu'il avait signé ce jour-là. Un interprète assermenté lui a lu l'intégralité de ce formulaire en langue khmère. On ne saurait tenir rigueur à l'Etat partie de ce que l'auteur ne s'est pas prévalu de cette possibilité à ce moment-là. Par la suite (à partir du 13 septembre 1990), l'auteur a demandé des conseils juridiques et a obtenu l'assistance d'un conseil chaque fois qu'il l'a sollicitée. Les transferts répétés de A d'un centre de détention à l'autre, l'obligeant à chaque fois à changer de représentant, n'empêchent pas qu'il a toujours eu accès à des conseils juridiques; les difficultés pratiques de l'accès à des conseils juridiques, en particulier du fait de l'éloignement de Port Hedland, ne soulèvent pas, de l'avis du Comité, de question au titre du paragraphe 4 de l'article 9.
9.7 Dans ces conditions et compte tenu des conclusions ci-dessus, le Comité n'a pas besoin d'examiner s'il se pose une question au titre du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
10. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, conclut que les faits tels qu'il les a établis révèlent une violation par l'Australie des paragraphes 1 et 4 de l'article 9 et du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte.
11. En vertu du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, l'auteur a droit à un recours utile. De l'avis du Comité, ce recours doit prendre la forme d'une indemnisation pour la durée de la détention imposée à A.
12. Etant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'Etat partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
___________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la présente communication : MM. Nisuke Ando et Prafullachandra N. Bhagwati, Mme Christine Chanet, Lord Colville, M. Omran El Shafei, Mmes Elizabeth Evatt et Pilar Gaitan de Pombo, MM. Eckart Klein et David Kretzmer, Mmes Cecilia Medina Quiroga et Laure Moghaizel, MM. Julio Prado Vallejo, Martin Scheinin, Danilo Türk et Maxxwell Yalden./
** Le texte d'une opinion individuelle, émanat d'un membre du Comité, M. Prafullachandra N. Bhagwati, est joint au présent document.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale des Nations Unies.]
Opinion individuelle de M. Prafullachanda N. Bhagwati
Je souscris à l'opinion du Comité, sauf qu'en ce qui concerne le paragraphe 9.5 je préférerais la formulation suivante :
"9.5 Le Comité fait observer que l'auteur aurait pu, en principe, demander au tribunal d'examiner les motifs de sa détention avant l'adoption de la loi portant modification de la loi sur les migrations du 5 mai 1992; après cette date, les tribunaux nationaux étaient encore habilités à procéder à un tel examen aux fins d'ordonner la libération d'une personne dont ils jugeraient la détention illégale. Mais, s'agissant d'une certaine catégorie de personnes qualifiées de "personnes désignées" au sens de la loi portant modification de la loi sur les migrations, l'article 54R de cette loi ne reconnaît pas aux tribunaux la compétence d'examiner la légalité d'une mesure de détention et d'ordonner la libération d'une personne détenue. Si cette dernière appartenait à la catégorie des "personnes désignées", les tribunaux n'étaient pas habilités à examiner la légalité de son maintien en détention et d'ordonner sa libération. Le seul examen judiciaire possible en l'espèce se limitait à déterminer si l'intéressé était une "personne désignée" et, le cas échéant, les tribunaux ne pouvaient ni procéder à l'examen de la légalité de sa détention ni ordonner sa libération. Etant manifestement une "personne désignée", l'auteur n'a pas pu du fait de l'article 54R de la loi susmentionnée, contester la légalité de son maintien en détention et demander sa libération par les tribunaux."
Cependant, l'Etat partie a fait valoir que le paragraphe 4 de l'article 9 du Pacte exigeait uniquement qu'une personne détenue ait le droit et la possibilité d'entamer une procédure devant les tribunaux en vue d'un examen de la légalité de sa détention, le terme légalité signifiant en l'occurrence compatibilité avec la législation interne. Tout ce que peut demander la personne détenue à un tribunal, en application du paragraphe 4 de l'article 9, c'est de déterminer si sa détention est conforme à la législation interne quelle qu'elle soit. Mais ce serait là une interprétation trop étroite du texte du paragraphe 4 de l'article 9 qui consacre un droit de l'homme. Il ne serait pas opportun d'adopter une interprétation qui affaiblit un droit de l'homme. Le paragraphe doit faire par conséquent l'objet d'une interprétation large. L'interprétation avancée par l'Etat partie l'autoriserait à adopter une loi qui serait virtuellement la négation du droit visé au paragraphe 4 de l'article 9 et le viderait de son contenu. L'Etat pourrait, par exemple, adopter une loi validant la détention d'une certaine catégorie de personnes, et les personnes visées se verraient dépouillées du droit que leur confère le paragraphe 4 de l'article 9. Pour cette raison, j'interpréterais au sens large le mot "légal" de façon à tenir compte de l'esprit et des objectifs du Pacte, et le paragraphe 4 de l'article 9 requiert, à mon avis, que les tribunaux soient habilités à ordonner la libération d'une personne détenue "si la détention est illégale", c'est-à-dire si elle est arbitraire ou incompatible avec le paragraphe 1 de l'article 9 ou d'autres dispositions du Pacte. Certes, les auteurs du Pacte ont utilisé à la fois le mot "arbitraire" et le mot "illégal" à l'article 17 alors que le mot "arbitraire" ne figure pas au paragraphe 4 de l'article 9. Mais c'est un fait élémentaire qu'une détention qui est arbitraire est illégale ou, en d'autres termes, injustifiée au regard de la loi. Qui plus est, le mot "légalité", qui a besoin d'être interprété au paragraphe 4 de l'article 9, est utilisé dans d'autres parties du Pacte et doit, par conséquent, être envisagé dans le contexte de l'ensemble des dispositions de cet instrument en tenant compte de son esprit et de ses objectifs. Cette conclusion est étayée de surcroît par le paragraphe 5 de l'article 9 qui prévoit l'octroi d'une indemnisation en cas de détention "illégale" - que ce soit aux termes de la législation interne ou au sens du Pacte - ou arbitraire. Sachant qu'en l'espèce, du fait de l'article 54R de la loi portant modification de la loi sur les migrations, l'auteur ne pouvait pas du tout contester la "légalité" de sa détention et demander sa libération, le droit que lui confère le paragraphe 4 de l'article 9 a été violé.