Présentée par : Junior Leslie (représenté par M. Simon Phippard du
cabinet d'avocats de Londres de Barlow Lyde et Gilbert)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 5 octobre 1993 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 juillet 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 564/1993, présentée
au Comité par M. Junior Leslie, en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui ont
été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'État
partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif
1. L'auteur de la communication est Junior Leslie, citoyen jamaïcain
qui, au moment où il a saisi le Comité, était en attente d'exécution dans
la prison du district de St. Catherine, à la Jamaïque. Il se déclare victime
de violations par la Jamaïque des articles 7, 10 (par. 1) et 14 (par.
1 et 3 a) à 3 e)) du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques. La peine de mort a été commuée en réclusion à perpétuité au
début de 1995. L'auteur est représenté par le cabinet d'avocats londonien
Barlow Lyde et Gilbert.
Rappels des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 14 novembre 1987, l'auteur a été arrêté par deux policiers après
une bagarre qui concernait une bicyclette. Il a été conduit au poste de
police de Hunts Bay où il est resté en garde à vue pendant cinq jours.
Le 20 novembre 1987, il a été déféré devant la Gun Court de Kingston,
pour une audience préliminaire; alors seulement il a appris qu'il était
accusé, ainsi qu'un certain Anthony Finn /Le Comité des droits de l'homme
a adopté ses constatations sur la communication No 617/1995 de M. Finn,
le 31 juillet 1998, à sa soixante-troisième session./ et un certain L.T.,
du meurtre, commis le 8 novembre 1987, d'une certaine Merceline Morris
et de son fils, Dalton Brown. Le 4 avril 1990, l'auteur et Anthony Finn
ont été reconnus coupables et condamnés à mort par la Home Circuit Court
de Kingston; L.T. a été acquitté, comme l'avait recommandé le juge du
fond à l'issue des réquisitions du ministère public. L'auteur a été débouté
par la cour d'appel le 15 juillet 1991; une nouvelle demande d'autorisation
spéciale de former recours auprès de la section judiciaire du Conseil
privé a été rejetée le 6 octobre 1992. Tous les recours internes ont donc
été épuisés. Le 17 décembre 1992, les faits reprochés à l'auteur ont été
qualifiés de meurtre emportant la peine de mort en vertu de la loi de
1992 portant modification de la loi relative aux atteintes aux personnes.
2.2 L'accusation s'appuyait essentiellement sur le témoignage de Carol
Brown fille (et soeur) des victimes et d'Orlando Campbell, petit-fils
(et neveu). Carol Brown a déclaré que le 8 novembre 1987, vers 20 heures,
sa mère et Orlando Campbell se trouvaient à la maison; elle-même était
dans l'entrée et son frère, Dalton Brown, se trouvait dans la cour avec
un ami, un certain C. La cour était éclairée par une ampoule de 100 watts
placée sur le mur extérieur et par les lumières allumées dans la maison.
Deux hommes armés, qu'elle a identifiés comme étant Anthony Finn et l'auteur,
sont entrés dans la cour. Immédiatement après elle a entendu des explosions
et s'est enfuie. Elle s'est arrêtée deux maisons plus loin, a entendu
plusieurs autres explosions et a vu C. passer en courant à côté d'elle,
suivi par l'auteur et par Anthony Finn qui avaient encore des armes à
feu à la main. Sa mère, couverte de sang, est alors arrivée vers elle
et lui a dit que son frère avait été blessé d'un coup de feu. Sa mère
et son frère sont morts tous deux à l'hôpital. Carol Brown a déclaré en
outre qu'elle connaissait Anthony Finn depuis à peu près huit ans. Quant
à l'auteur, elle a déclaré qu'elle l'avait vu pour la première fois une
semaine avant les meurtres et qu'il lui avait alors été désigné comme
faisant partie de ceux qui avaient frappé et poignardé son frère deux
semaines plus tôt. Elle ne le connaissait que par son surnom : "Kentucky".
2.3 Orlando Campbell a déclaré que la nuit des faits, il était au lit
lorsqu'il a vu son oncle, Dalton Brown, suivi d'Anthony Finn, entrer en
courant. Son oncle tenait sa grand-mère qui essayait d'empêcher Anthony
Finn de passer. Il a alors vu Anthony Finn tirer sur sa grand-mère. Il
a déclaré aussi que, s'étant tourné vers le mur, il avait entendu Anthony
Finn appeler son oncle, puis plusieurs explosions et son oncle demandant
pitié. D'autres coups de feu, provenant de différentes directions, ont
suivi et il a alors entendu Anthony Finn parler à quelqu'un d'autre. Il
a déclaré avoir vu Anthony Finn, qu'il connaissait, partir par le portail,
suivi par une personne corpulente et de petite taille dont il n'a pas
pu voir le visage, et par L.T., qu'il connaissait également.
2.4 Les résultats de l'autopsie ont confirmé que les victimes avaient
reçu des coups de feu et étaient décédées des suites de leurs blessures.
2.5 Aucune séance d'identification n'a été organisée dans cette affaire;
au procès, c'est-à-dire 29 mois après les meurtres, Carol Brown a identifié
l'auteur, sur le banc des accusés.
2.6 La défense de l'auteur se fondait sur un alibi. Il a déclaré au procès
qu'il avait passé la soirée à regarder un spectacle vidéo dans un centre
communautaire proche de son domicile. Il a ajouté qu'il n'avait parlé
ce soir-là qu'à une seule personne, mais qu'il ne pouvait pas se souvenir
du nom de cette personne. Il a en outre précisé qu'il y avait dans son
quartier deux autres hommes surnommés "Kentucky".
Teneur de la plainte
3.1 En ce qui concerne l'article 7 et le paragraphe 1 de l'article 10
du Pacte, le conseil donne communication d'une déclaration faite par l'auteur
à la prison du district de St. Catherine, le 28 janvier 1993. L'auteur
prétend que, le 15 novembre 1987, alors qu'il était détenu au poste de
police de Hunts Bay, il a été frappé à la poitrine par l'officier de police
instructeur (nom communiqué). En outre, l'auteur déclare que, pendant
tout le temps où il a été gardé à vue au poste de police de Hunts Bay
(du 14 au 20 novembre 1987), il est resté enfermé dans une cellule mesurant
2 m sur 4 m avec cinq ou six autres personnes. Il n'a pas été autorisé
à se laver et n'a eu la permission de quitter sa cellule que pour aller
chercher de l'eau pour boire. Toute possibilité de détente lui a de plus
été refusée.
3.2 Le 20 novembre 1987, l'auteur a été transféré au Pénitencier général
de Kingston; à son arrivée, il aurait été frappé au bras gauche, près
du poignet, par l'un des gardiens. Comme il s'était déjà cassé le poignet
gauche, ce coup lui aurait fait très mal. L'auteur est resté au Pénitencier
général jusqu'au 4 avril 1990; pendant toute cette période, il a dû partager
une cellule d'environ 1,50 m sur 3 m avec quatre ou cinq autres prisonniers.
En outre, à une date non spécifiée, l'auteur a été agressé par un détenu
qui lui a entaillé le visage sur une profondeur d'environ 1 cm et une
longueur d'environ 10 cm, de l'oreille gauche à la joue gauche. Il a immédiatement
demandé à être soigné, mais a dû attendre deux heures avant d'être conduit
chez un médecin. On lui a fait 20 points de suture, mais on lui a ensuite
refusé tout traitement médical. Il déclare avoir beaucoup souffert pendant
les trois jours qui ont suivi et n'avoir reçu aucun calmant.
3.3 Après sa condamnation, le 4 avril 1990, l'auteur a été transféré
au quartier des condamnés à mort de la prison du district de St. Catherine
où il est détenu depuis lors. Il dit avoir été agressé à plusieurs reprises
en prison :
-Le 1er décembre 1991, par exemple, aucun des prisonniers n'a été autorisé
à sortir de sa cellule le matin. Peu après 13 heures, on a donné aux prisonniers
un petit moment pour nettoyer leur cellule. Les deux gardiens de service
étaient le sergent G. et un jeune homme. L'auteur déclare que, lorsque
les deux gardiens ont ouvert les cellules à côté de la sienne sans ouvrir
sa porte, il a protesté. Ils sont alors entrés dans sa cellule et le jeune
gardien lui aurait donné un coup de poing à la tempe gauche. Les deux
gardiens se sont alors mis à lui donner des coups de pied et à le frapper
avec leur matraque au dos, à la poitrine, aux bras, aux jambes et aux
genoux pendant environ 2 minutes. L'auteur déclare avoir beaucoup souffert
de ces coups, mais on n'aurait fait aucun cas de ses cris. On l'a ensuite
laissé sans manger ni boire et sans lui donner de soins.
-Le 2 décembre 1991 vers 10 heures du matin, l'auteur s'est vu accorder
10 minutes pour laver le bloc. Un peu après 14 heures, le sergent G. est
entré dans sa cellule avec six ou sept autres gardiens et lui a ordonné
de tout nettoyer de nouveau. Mais avant qu'il eut pu faire quoi que ce
soit, il a reçu l'ordre de rentrer dans sa cellule. Alors qu'il se dirigeait
vers celle-ci, le sergent G. et un autre gardien se sont mis à le frapper.
Il est tombé et les deux gardiens l'ont frappé à plusieurs reprises avec
leur matraque aux bras, aux pieds et au dos pendant environ 90 secondes,
pendant que les autres gardiens regardaient la scène. On l'a ensuite jeté
dans sa cellule et laissé sans manger ni boire jusqu'au lendemain matin.
L'auteur affirme qu'on lui a refusé l'assistance d'un médecin et tout
soin médical.
3.4 L'auteur a signalé ces mauvais traitements aux autorités de la prison
et a demandé à maintes reprises à voir un médecin, mais en vain. Il a
alors écrit au médiateur pénitentiaire, à la suite de quoi il a été enfin
transporté à l'hôpital, au début de 1992. Le médecin qui l'a soigné lui
a prescrit des antalgiques. Au sujet des séquelles des coups qu'il avait
reçus, l'auteur indique : "J'ai particulièrement mal dans le dos,
à gauche, cette douleur n'a jamais complètement disparu. J'ai l'impression
d'avoir un os cassé ou fêlé. La douleur est particulièrement aiguë le
matin quand je me réveille. Chaque fois que je demande à voir un médecin,
les gardiens se contentent de me donner des comprimés contre la douleur
[...]".
3.5 L'auteur signale que les gardiens lui ont dit plusieurs fois que
ce n'était pas la peine de le soigner, puisqu'il allait être exécuté.
Il dit que cette réponse le plongeait "dans une grande confusion
et le déprimait terriblement". De plus, trois fois, il a été consigné
dans sa cellule pour toute la journée sans avoir quoi que ce soit à manger
ou à boire, ce qui signifie qu'il est resté dans sa cellule à partir d'environ
16 heures jusqu'à 10 heures du matin, 48 heures plus tard. L'auteur qualifie
cette situation d'"extrêmement pénible et humiliante".
3.6 Par une lettre du 9 juin 1993, l'auteur indique que le 5 juin 1993
vers 12 h 28 il a été maltraité par un gardien, un certain M., au motif
qu'il s'était plaint au médiateur et au "Bureau des droits de l'homme"
au sujet du traitement que lui avaient infligé les gardiens. M. aurait
frappé l'auteur au genou avec une matraque et aurait sorti un couteau
lorsque l'auteur s'était saisi de la matraque. L'auteur affirme que M.
était prêt à utiliser ce couteau, mais que celui-ci lui a échappé de la
main. Il a signalé l'incident au responsable du quartier des condamnés
à mort qui l'a renvoyé au directeur; celui-ci aurait refusé de le voir.
L'auteur ajoute que le 4 mai 1993, un gardien lui a mis le doigt dans
l'oeil et lui a donné plusieurs coups de pied alors qu'il était étendu
par terre. Les 23, 24, 29 et 30 septembre 1993, le même gardien lui aurait
fait subir à nouveau des mauvais traitements tout en l'injuriant. Le 30
septembre, on a fouillé sa cellule et on lui a pris 200 dollars, qui ne
lui ont jamais été rendus.
3.7 Le conseil renvoie au compte rendu d'une réunion qui a eu lieu le
25 janvier 1993 avec l'avocat de l'auteur à la Jamaïque. L'avocat a constaté
que M. Leslie avait sur le visage des coupures et des ecchymoses qu'il
ne se souvenait pas avoir vues lorsqu'il l'avait rencontré pour la première
fois, en 1989. Il soupçonnait que ces marques étaient dues au traitement
réservé couramment aux détenus à la Jamaïque. Le conseil affirme que les
observations de cet avocat corroborent toutes les allégations faites par
l'auteur dans sa déclaration et dans ses lettres. Au nom de M. Leslie,
le conseil a déposé officiellement plainte auprès du directeur de la prison,
le 30 novembre 1993, et auprès du directeur de l'Administration pénitentiaire
jamaïcaine le 14 mars 1994.
3.8 Le conseil apporte des preuves écrites des conditions inhumaines
de détention au Pénitencier général et à la prison du district de St.
Catherine. Il apparaît, dans ce contexte, que l'absence de possibilités
de distraction, de réadaptation, etc., dans ces prisons, montre clairement
que ces établissements sont gérés dans des conditions qui ne respectent
pas l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, défini
par les Nations Unies, et que l'absence de dispositions prises pour satisfaire
aux besoins essentiels de Junior Leslie équivaut à une violation à la
fois de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte. Le conseil
conclut que l'absence de sanitaires en prison, les conditions de surpeuplement,
la durée des périodes de réclusion en cellule, le manque de soins médicaux,
les raisons données pour refuser de le soigner et les brutalités exercées
sans raison aucune par l'officier de police et les gardiens de la prison
à l'encontre de M. Leslie équivalent à des violations de l'article 7 et
du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
3.9 L'auteur fait valoir en outre qu'il n'a pas bénéficié d'un procès
équitable. Il se plaint de ce que l'avocat commis d'office n'ait pas suffisamment
préparé sa défense. Il affirme à cet égard avoir rencontré pour la première
fois son avocat quand le procès a été ajourné (il a été ajourné 12 fois).
L'avocat lui a certes rendu plusieurs fois visite en prison mais un policier
assistait toujours à l'entrevue, si bien qu'il n'avait pas pu lui parler
en privé. Ils n'avaient discuté que de l'ajournement et des nouvelles
dates du procès, jamais des moyens de défense ce qui, d'après l'auteur,
est contraire au paragraphe 3 b) de l'article 14.
3.10 En ce qui concerne la violation des paragraphes 1 et 3 e) de l'article
14, le conseil fait valoir que faute de temps et de moyens pour préparer
la défense, plusieurs témoins à décharge n'ont pas été cités à comparaître.
Le fait que l'avocat en second, détaché auprès de l'avocat de l'auteur
pour l'aider dans cette affaire et sur qui l'avocat comptait pour effectuer
tout le travail préparatoire, était tombé malade peu de temps avant l'ouverture
du procès et n'avait donc pas pu s'acquitter de sa tâche, avait également
nui à la défense de l'auteur. De plus, l'attitude d'"obstruction"
du juge du fond aurait empêché la défense de procéder correctement au
contre-interrogatoire des témoins à charge au sujet de la description
donnée de la personne comme étant "corpulente et de petite taille".
Le conseil admet qu'en principe, il n'appartient pas au Comité d'examiner
les instructions spécifiquement données par le juge au jury, sauf s'il
peut être établi que ces instructions étaient manifestement arbitraires
ou représentaient un déni de justice. À cet égard, il se réfère à l'exposé
final du juge et donne de nombreux exemples d'instructions du juge qui,
dit-il, équivalent à un déni de justice / Tous les arguments
avancés par le conseil ont été rejetés par la cour d'appel./.
3.11 Pour ce qui est de la qualité de la représentation de l'auteur au
procès, les témoins à charge n'auraient pas été convenablement, ni même
pas du tout, soumis à un contre-interrogatoire. Le conseil fait remarquer
que l'avocat de l'auteur est arrivé en retard à l'audience de l'après-midi
du 3 avril 1990, au cours de laquelle a été entendu le témoignage du pathologiste
à propos des blessures subies par la victime. L'avocat n'a pas procédé
au contre-interrogatoire de ce témoin dont le témoignage, selon le conseil,
aurait pu démentir celui de Carol Brown, laquelle avait déclaré que son
frère avait été roué de coups et poignardé deux semaines avant sa mort.
Le fait que l'avocat n'ait pas posé de questions au pathologiste semble
être d'une gravité particulière, eu égard au fait qu'un ami de la famille
du défunt, qui avait identifié les corps, avait déclaré devant le tribunal
qu'il ne savait pas que Dalton Brown avait été frappé et poignardé.
3.12 Par ailleurs, le conseil estime que la déclaration d'identification
concernant l'auteur, faite à la police la nuit de l'incident par Carol
Brown, n'a pas été corroborée, car Orlando Campbell n'a pas identifié
l'auteur et le troisième témoin oculaire, C., n'a pas témoigné / Ce témoin
n'a pas pu être retrouvé par la police./. Il fait en outre remarquer que
l'auteur n'a jamais participé à une séance d'identification et que ce
n'est que 29 mois plus tard qu'il a été identifié au tribunal par Carol
Brown. Le délai de 29 mois qui s'est écoulé entre le moment de l'arrestation
et celui du procès est considéré comme incompatible avec le paragraphe
3 c) de l'article 14 et le juge, en autorisant l'identification d'une
personne assise au banc des accusés et en n'avertissant pas le jury des
effets que ce long intervalle pouvait avoir sur la crédibilité et la fiabilité
des témoins à charge, a violé le droit à un procès équitable.
3.13 L'auteur ajoute qu'on lui a commis le même avocat pour aller en
appel, ce qui, selon lui, violait son droit à l'assistance judiciaire
de son propre choix. Il déclare qu'il n'a pas rencontré l'avocat avant
que la cour d'appel ne connaisse de son affaire et qu'il n'a jamais eu
l'occasion de discuter des moyens de défense à invoquer en sa faveur.
De plus, on ne lui aurait pas demandé s'il souhaitait assister à l'audience
et il aurait finalement appris par les autorités de la prison que l'appel
avait été rejeté.
Renseignements et observations communiqués par l'État partie sur
la recevabilité et commentaires de l'auteur
4. Dans les observations adressées au Comité en application de l'article
91 du règlement intérieur, l'État partie a fait valoir que la communication
était irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole
facultatif, parce que l'auteur n'avait pas épuisé les recours internes.
Il a fait observer que ce dernier avait encore la faculté de déposer une
requête constitutionnelle; à cet égard, il a noté que les droits invoqués
par l'auteur et protégés par les paragraphes 1, 3 b) et e) de l'article
14 allaient dans le même sens que les paragraphes 1, 6 b) et 6 d) de l'article
20 de la Constitution jamaïcaine. Conformément à l'article 25 de la Constitution,
l'auteur avait la possibilité de demander réparation pour les violations
dont il aurait été victime par la voie d'une requête constitutionnelle
déposée auprès de la Cour suprême.
5. Dans ses commentaires, datés du 21 avril 1995, le conseil a déclaré
que l'aide judiciaire n'étant pas accordée aux fins du dépôt d'une requête
constitutionnelle, celle-ci ne représentait pas en l'espèce un recours
utile.
Décision concernant la recevabilité
6.1 À sa cinquante-cinquième session, le Comité a examiné la question
de la recevabilité de la communication.
6.2 Le Comité a pris note de l'argument de l'État partie qui objecte
que l'auteur pouvait encore se prévaloir du recours constitutionnel. Il
a relevé que dans quelques affaires portant sur des violations de droits
fondamentaux, la Cour suprême de la Jamaïque avait fait droit à des demandes
de réparation constitutionnelle après le rejet de l'appel au pénal. Toutefois,
il a rappelé également que l'État partie avait indiqué à plusieurs occasions
/ Voir, par exemple, les communications No 283/1988 (Austin
Little c. Jamaïque), constatations adoptées le 1er novembre
1991; No 321/1988 (Maurice Thomas c. Jamaïque), constatations
adoptées le 19 octobre 1993; No 352/1989 (Douglas, Gentles and Kerr
c. Jamaïque), constatations adoptées le 19 octobre 1993./ que l'aide
judiciaire n'était pas prévue pour les requêtes constitutionnelles. Il
a considéré qu'en l'absence d'aide judiciaire dont l'auteur, indigent,
avait absolument besoin, une requête constitutionnelle ne constituait
pas un recours disponible qui devait être épuisé aux fins du Protocole
facultatif. Le Comité a donc conclu qu'il n'était pas empêché par le paragraphe
2 b) de l'article 5 d'examiner la communication.
6.3 Pour ce qui est des allégations de violation de l'article 7 et du
paragraphe 1 de l'article 10, le Comité a noté que l'auteur avait porté
les nombreux cas de mauvais traitements subis à l'attention des autorités
de la prison et du directeur de l'Administration pénitentiaire. Comme
il n'avait été donné aucune réponse ni aucune suite à ses plaintes, le
Comité a estimé qu'à cet égard l'auteur avait satisfait aux conditions
du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif. Il a conclu
que les allégations de mauvais traitement en prison et dans le quartier
des condamnés à mort avaient été suffisamment étayées, aux fins de la
recevabilité, et devaient être examinées quant au fond.
6.4 Le Comité a considéré que l'auteur avait aussi suffisamment étayé,
aux fins de la recevabilité, son allégation de violation du paragraphe
3 c) de l'article 14, en affirmant qu'il n'avait pas été jugé sans retard
excessif. Cette allégation portait en particulier sur le fait que l'État
partie n'avait pas organisé de séance d'identification avec l'auteur au
moment de son arrestation et sur l'intervalle de deux ans et demi qui
s'était écoulé avant qu'il ne soit identifié, sur le banc des accusés,
par un unique témoin, proche parent des deux victimes (fille et soeur,
respectivement). Cette allégation devait donc être examinée quant au fond.
6.5 En ce qui concerne les autres allégations de l'auteur qui portaient
sur des irrégularités dans la procédure, les instructions incorrectes
données par le juge au jury sur la question de l'identification, l'arrivée
tardive de l'avocat à l'audience et l'absence de contre-interrogatoire
des témoins à charge, le Comité a rappelé que, si l'article 14 garantit
le droit à un procès équitable, il n'appartenait pas au Comité d'examiner
les instructions données au jury par le juge du fond, sauf s'il pouvait
être établi qu'elles avaient été manifestement arbitraires ou avaient
représenté un déni de justice ou encore que le juge avait manifestement
manqué à son devoir d'impartialité. Les éléments portés à la connaissance
du Comité ne montraient pas que les instructions du juge aient été entachées
de telles irrégularités. En conséquence, cette partie de la communication,
étant incompatible avec les dispositions du Pacte, a été déclarée irrecevable
conformément à l'article 3 du Protocole facultatif.
6.6 Le 12 octobre 1995, le Comité des droits de l'homme a déclaré la
communication recevable en ce qu'elle semblait soulever des questions
au titre de l'article 7, du paragraphe 1 de l'article 10 et du paragraphe
3 de l'article 14 du Pacte.
Observations de l'État partie sur le fond et commentaires du conseil
7.1 Dans une réponse datée du 23 janvier 1997, l'État partie a informé
le Comité que, pour ce qui était des allégations de violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10, il avait "fait mener une enquête
mais n'avait pas encore de réponse. Tout sera fait pour que l'enquête
soit close rapidement. Tant qu'il n'aura pas reçu les résultats, le Ministère
ne peut pas faire de réponse constructive sur les allégations". L'État
partie souligne qu'il ne faut pas conclure de cette réserve qu'il accepte
que l'un quelconque des incidents dénoncés ait bien eu lieu et a entraîné
une violation du Pacte.
7.2 En ce qui concerne le fait que l'auteur et son conseil n'auraient
pas eu le temps et les facilités nécessaires pour préparer la défense,
en violation du paragraphe 3 b) de l'article 14 du Pacte, l'État partie
note que le conseil a rendu visite à l'auteur plusieurs fois en prison,
même si c'était en présence d'un policier. Il fait valoir que le conseil
avait la faculté de s'opposer à la présence du policier et il nie donc
qu'il y ait eu violation du Pacte.
7.3 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 3 c) de
l'article 14, l'État partie reconnaît qu'un intervalle de 29 mois entre
l'arrestation et le procès est plus long qu'il n'est souhaitable. Il rejette
toutefois l'idée qu'un tel intervalle puisse constituer une violation
du Pacte, en particulier parce que pendant cette période une enquête préliminaire
a eu lieu.
7.4 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 3 d) de
l'article 14, au motif que l'avocat commis au titre de l'aide judiciaire
est arrivé en retard à l'une des audiences et qu'il n'a pas procédé au
contre-interrogatoire des témoins, l'État partie nie catégoriquement toute
violation du Pacte. Il dit que l'État a l'obligation de désigner un conseil
compétent et qu'une fois que le conseil est nommé, il a l'obligation de
ne pas intervenir dans la façon dont celui-ci conduit la défense. Il affirme
que des questions telles que le comportement professionnel des avocats
ne relèvent pas de la responsabilité de l'État partie.
7.5 Pour ce qui est de l'allégation de violation du paragraphe 3 e) de
l'article 14, au motif que certains témoins de la défense n'ont pas été
cités à comparaître, l'État partie note que cette irrégularité ne peut
pas lui être imputée en l'absence de preuves manifestes montrant que des
agents de l'État ont empêché l'avocat de la défense de faire comparaître
ces témoins.
8.1 Dans ses commentaires sur la réponse de l'État partie, le conseil
note que l'État partie n'a pas donné le moindre renseignement au sujet
des allégations de violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article
10.
8.2 En ce qui concerne les 29 mois écoulés entre l'arrestation et le
procès, le conseil note que l'État partie a reconnu que cet intervalle
était plus long qu'il n'était souhaitable, mais qu'il affirme qu'une enquête
préliminaire a lancé la procédure. Si cela est vrai, il ne peut s'agir
que d'un moyen de défense technique. La question litigieuse demeure :
l'auteur n'a été reconnu, au tribunal, que 29 mois après son arrestation.
L'enquête préliminaire n'a eu aucune incidence sur le passage du temps
avant que l'auteur ne soit reconnu, au prétoire. Le conseil réaffirme
qu'il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.
8.3 Le conseil maintient les plaintes concernant l'insuffisance de la
défense assurée par l'avocat à la Jamaïque et rejette l'argument de l'État
partie qui objecte que sa responsabilité se limite à désigner au titre
de l'aide judiciaire un avocat de la défense compétent. À ce sujet, le
conseil dit que c'est précisément les honoraires très bas perçus par les
avocats (ce qui relève bien de la responsabilité de l'État) au titre de
l'aide judiciaire qui font qu'il est impossible pour des personnes indigentes
comme l'auteur de bénéficier des services d'un avocat compétent.
Examen quant au fond
9.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations communiquées par les parties,
conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
9.2 En ce qui concerne les diverses plaintes de mauvais traitements subis
par l'auteur au pénitencier général puis à la prison du district de St.
Catherine, le Comité note que l'auteur a fait des allégations très précises,
exposant les divers incidents où il a été roué de coups et décrivant les
conditions déplorables dans lesquelles il est incarcéré (voir plus haut
par. 3.1 à 3.8). L'État partie n'a rien contesté de tout cela et s'est
contenté de dire quelque 14 mois plus tard qu'il ferait mener une enquête.
De l'avis du Comité, les conditions décrites aux paragraphes 3.1 à 3.8
sont telles qu'elles sont incompatibles avec le droit d'être traité avec
humanité et dans le respect de la dignité inhérente à l'être humain et
sont donc contraires à l'article 7 et au paragraphe 1 de l'article 10.
9.3 L'auteur a invoqué une violation du paragraphe 3 c) de l'article
14 du Pacte du fait du délai excessif écoulé avant qu'il ne soit traduit
en justice, 29 mois après l'arrestation. Le Comité note que l'État partie
lui-même reconnaît que 29 mois entre l'arrestation et le procès est un
délai "plus long qu'il n'est souhaitable" mais objecte qu'il
n'y a pas eu violation du Pacte parce que pendant cette période une enquête
préliminaire a eu lieu. Le Comité est d'avis qu'affirmer qu'un délai ne
constitue pas une violation n'est pas une explication suffisante. En revanche,
il estime qu'un délai de 29 mois avant de juger un inculpé n'est pas compatible
avec les garanties minimales prescrites par l'article 14. Il estime donc
qu'il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.
9.4 Pour ce qui est de l'argument de l'auteur qui fait valoir qu'il n'a
pas été valablement représenté en appel parce que le conseil qui assurait
sa défense était le même que celui qui l'avait défendu en première instance
et qu'il ne l'avait pas consulté, le Comité note que ce conseil a eu une
entrevue avec l'auteur avant l'audience en appel et qu'il a bien développé
des moyens d'appel. Il rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu'en vertu
du paragraphe 3 d) de l'article 14 le tribunal doit s'assurer que la façon
dont un avocat traite une affaire n'est pas contraire aux intérêts de
la justice. En l'espèce, rien dans la façon dont l'avocat a mené la défense
en appel ne permet de penser qu'il a agi autrement qu'en son âme et conscience,
dans l'intérêt de son client. Le Comité conclut donc que les renseignements
dont il est saisi ne révèlent pas de violation du paragraphe 3 d) de l'article
14.
9.5 L'auteur a invoqué une violation des paragraphes 3 b) et 3 e) de
l'article 14, affirmant qu'il n'avait pas eu le temps et les facilités
nécessaires à la préparation de sa défense, ce qui avait signifié qu'un
certain nombre de témoins de la défense n'avaient pas été appelés à la
barre. Au vu des renseignements dont il est saisi, le Comité estime que
rien n'indique que la décision du conseil de ne pas appeler de témoins
à la barre n'était pas dictée par son strict jugement professionnel. Si
le conseil ou l'auteur estimaient qu'ils n'étaient pas suffisamment préparés,
ils pouvaient demander un ajournement d'audience. En conséquence, rien
ne permet de conclure à une violation des paragraphes 3 b) et 3 e) de
l'article 14.
10. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont
il est saisi font apparaître une violation de l'article 7, du paragraphe
1 de l'article 10 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.
11. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie
est tenu d'assurer à M. Leslie un recours utile ainsi qu'une indemnisation.
L'État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne
se reproduisent pas à l'avenir.
12. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le
Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation
du Pacte. La communication à l'étude a été soumise à l'examen du Comité
avant que la dénonciation par la Jamaïque du Protocole facultatif ne prenne
effet, le 23 janvier 1998; conformément au paragraphe 2 de l'article 12
du Protocole facultatif, ses dispositions continuent donc de lui être
applicables. Conformément à l'article 2 du Pacte, l'État partie s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie. Le
Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
_____________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati,
M. Th. Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville, M. Omran El Shafei,
Mme Elizabeth Evatt, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Julio Prado Vallejo,
M. Martin Scheinin et M. Maxwell Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]