Comité des droits de l'homme
Cinquante-et-unième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Cinquante-et-unième session -
Communication No 567/1993*
Présentée par : Ponsamy Poongavanam
Au nom de : L'auteur
État partie : Maurice
Date de la communication : 1er septembre 1993 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, créé en vertu de l'article 28
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 1994,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Ponsamy Poongavanam, citoyen mauricien,
actuellement détenu à la prison de Beau Bassin (Maurice). Il se prétend
victime de violations, de la part de Maurice, des articles 2, 3, 14, 25
c) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 28 mars 1987, l'auteur a été reconnu coupable de meurtre et condamné
à mort par la cour d'assises de Maurice. Il a été traduit devant un juge
et un jury de neuf hommes, qui ont rendu leur verdict à l'unanimité. Il
a interjeté appel devant la cour d'appel de Maurice, au motif que le juge
avait mal instruit le jury de l'affaire et commis d'autres erreurs de
procédure au cours du procès.
2.2 L'auteur a ensuite présenté une demande d'autorisation de recours
devant la section judiciaire du Conseil privé. Cette demande a été acceptée
mais pour un motif qui n'avait pas été invoqué devant les instances inférieures,
à savoir que la condamnation de l'auteur aurait dû être annulée parce
que le procès était inconstitutionnel, eu égard à la composition du jury,
qui ne comptait que des hommes. Le 6 avril 1992, la section judiciaire
a rejeté le recours de l'auteur au fond.
2.3 L'auteur a ensuite demandé au Président de Maurice d'exercer son
droit de grâce. Le 29 avril 1992, la peine capitale a été commuée en une
peine d'emprisonnement de 20 ans, sans possibilité de bénéficier d'une
libération conditionnelle. Il a été autorisé à former un recours constitutionnel
devant la Cour suprême de Maurice. Le 16 mars 1993, le recours constitutionnel
formé par l'auteur a été rejeté. D'après l'auteur, tous les recours internes
disponibles étaient dès lors épuisés.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur estime que l'article 42 2) de la loi sur les tribunaux et
l'article 2 de la loi sur les jurys (telles qu'elles étaient appliquées
avant 1990) sont incompatibles avec le Pacte. Au moment où il a été condamné
(mars 1987), la loi sur les jurys disposait ce qui suit :
"Tout citoyen mauricien de sexe masculin qui a résidé à Maurice
à n'importe quelle époque au moins une année pleine et qui est âgé de
plus de 21 ans et de moins de 65 ans a les qualités requises pour faire
partie d'un jury et peut être choisi à cet effet...".
En 1990, la loi sur les jurys a été modifiée de façon à permettre aux
femmes de faire partie d'un jury de jugement. La loi sur les tribunaux
n'a pas été modifiée dans le même sens.
3.2 L'auteur affirme que l'article 42 de la loi sur les tribunaux, aux
termes duquel un jury "se compose de neuf hommes remplissant les
conditions requises par la loi sur les jurys", viole l'article 3
du Pacte, en ce sens qu'il est discriminatoire à l'égard des femmes, puisque
dans la pratique, celles-ci restent exclues des jurys.
3.3 Il affirme en outre que l'article 25 c) du Pacte a été violé, dans
la mesure où les femmes mauriciennes n'avaient pas et dans la pratique
n'ont toujours pas accès, dans des conditions générales d'égalité, aux
fonctions publiques, le fait de siéger dans un jury de jugement constituant,
selon lui, une fonction publique.
3.4 L'auteur affirme que l'État partie a violé l'article 26 du Pacte,
dans la mesure où les femmes étant exclues des jurys, leur égalité devant
la loi n'est en fait pas garantie.
3.5 Finalement l'auteur prétend que son procès n'a pas été équitable.
Il affirme que la liste des jurés n'a pas été établie conformément à la
loi. Deuxièmement, il relève que la liste des jurés potentiels, parmi
lesquels ont été choisis les neuf membres du jury, ne comprenait pas plus
de 4 000 noms, alors que 176 298 Mauriciens de sexe masculin remplissaient,
en 1987, les conditions requises, pour siéger dans un jury. Cela signifie,
d'après l'auteur, que la liste des jurés était incomplète et n'était pas
représentative de la société mauricienne. L'auteur note que cette pratique
a cours depuis de nombreuses années et affirme qu'en raison de la non-représentativité
des jurys d'assises, le tribunal ne peut être considéré comme un tribunal
indépendant et impartial au sens du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
3.6 Il convient de noter que dans son arrêt du 16 mars 1993, la Cour
suprême de Maurice a examiné ce dernier grief en détail, à la lumière
de la disposition de la Constitution mauricienne concernant le droit à
un procès équitable (art. 10), et a estimé qu'il n'était pas fondé. Quant
à la représentativité du jury, la section judiciaire, après avoir analysé
minutieusement la common law applicable et la jurisprudence des
États-Unis en la matière est parvenu à cette conclusion que "...
rien ne permet de conclure qu'avant la promulgation, en 1990, de la modification
apportée à la loi sur les jurys (qui semble avoir encouragé plut_t que
suivi un changement de l'opinion publique en la matière) l'exclusion des
femmes des jurys à Maurice avait cessé d'avoir une justification objective".
3.7 Dans une autre communication, l'auteur prétend que son procès n'a
pas été équitable parce qu'aucun sténographe n'était présent pendant toute
la durée du procès, que c'est le juge lui-même qui avait pris les notes
et que seul le résumé de l'affaire que le juge avait présenté au jury
était accessible sous forme de transcription. L'auteur affirme que dans
une affaire où la peine de mort est requise, la loi mauricienne exige
la présence d'un sténographe pendant toute la durée du procès. Il ajoute
que l'absence de minutes officielles du procès portant sur la totalité
des débats l'a empêché d'établir les incohérences et les inexactitudes
de l'argumentation du ministère public, dont la version des faits aurait,
dit-il, démontré que la victime n'avait pas été tuée avec préméditation,
ce qui impliquait que le ministère public n'aurait pas dû pouvoir requérir
la peine de mort.
Délibérations du Comité
4.1 Avant d'examiner toute plainte présentée dans une communication,
le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son
règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en
vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2 Le Comité a pris note de l'allégation de l'auteur, selon laquelle
il serait victime d'une violation, par Maurice, des articles 3, 25 c)
et 26, parce que les femmes étaient exclues des fonctions de jurés à l'époque
où il a été jugé. L'auteur n'a toutefois pas démontré en quoi l'absence
de femmes dans le jury a effectivement porté atteinte à l'exercice des
droits que lui reconnaît le Pacte. Par conséquent, il ne peut prétendre
être une "victime" au sens de l'article premier du Protocole
facultatif.
4.3 Quant à l'argument de l'auteur, selon lequel les listes de jurés
établies par les autorités de l'État partie ne sont pas représentatives
de la société mauricienne et que, par conséquent, la cour d'assises n'est
pas un tribunal indépendant et impartial au sens de l'article 14, le Comité
note que rien n'indique que les listes de jurés mentionnées par l'auteur
ont été établies de manière arbitraire. Il conclut, dans ces circonstances,
que l'auteur n'a pas étayé, aux fins de la recevabilité, son allégation
que le paragraphe 1 de l'article 14 aurait été violé à cet égard.
4.4 Quant aux autres griefs formulés par l'auteur à propos de l'iniquité
du procès, le Comité note qu'ils ont trait, pour l'essentiel, à l'évaluation
des preuves par le juge de première instance et par la cour d'assises.
Le Comité rappelle que c'est, au premier chef, aux cours d'appel des États
parties au Pacte et non pas au Comité qu'il appartient d'évaluer les faits
et les preuves dont sont saisis les tribunaux internes. De même, c'est
aux cours d'appel et non pas au Comité qu'il appartient de remettre en
question les instructions données aux jurés par le juge, sauf s'il est
clair que ces instructions étaient tendancieuses ou équivalaient à un
déni de justice ou que le juge a manqué à son obligation d'impartialité.
Il n'apparaît pas, au vu des documents dont dispose le Comité, que le
procès de l'auteur et la procédure d'appel aient été entachés de tels
défauts. Cela vaut également pour l'absence alléguée de sténographes pendant
le procès, dont l'auteur n'a pas démontré qu'elle avait porté atteinte
à ses droits pendant le procès dans l'un des sens indiqués ci-dessus.
Cette partie de la communication est donc irrecevable du fait de son incompatibilité
avec les dispositions du Pacte, conformément à l'article 3 du Protocole
facultatif.
5. En conséquence le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1, 2 et
3 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur de la communication
ainsi qu'à l'État partie, pour information.
_________________
* Conformément à l'article 84 du règlement intérieur du Comité, M. Rajsoomer
Lallah, membre du Comité, n'a pas pris part à l'examen de la communication.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.]