Comité des droits de l'homme
Cinquantième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Cinquantième session -
Communication No 568/1993
Présentée par : K. V. et C. V. [noms supprimés] (représentés par
un conseil)
Au nom : Des auteurs
État partie : Allemagne
Date de la communication : 7 septembre 1993
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 8 avril 1994,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. Les auteurs de la communication sont K. V. et C. V., deux citoyens
allemands, résidant à Merzhausen (Allemagne). Ils affirment être victimes
d'une violation de l'article 18 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques par la République fédérale d'Allemagne. Ils sont
représentés par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur
pour l'Allemagne le 25 novembre 1993.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Les auteurs sont membres de la Société des Amis (Quakers). Le 7 mai
1985, ils ont demandé à l'administration fiscale compétente (Land de Fribourg)
de déduire de leur déclaration de revenus pour l'exercice 1983 un montant
représentant 8,33 % qui, d'après leurs calculs, contribuerait au financement
des dépenses militaires de l'Allemagne, ou de bloquer ce montant sur un
compte bancaire spécifiquement établi à cet effet (Sperrkonto).
Ils ont également demandé une déduction de 8,45 % pour des versements
anticipés effectués au titre de l'imp_t sur le revenu pour l'exercice
1985, conformément à l'article 227 de la loi fiscale pertinente (Abgabenordnung).
2.2 Le 17 juillet 1985, l'administration fiscale du Land de Fribourg
a rejeté la demande des auteurs; le recours (Beschwerde) qu'ils
ont introduit contre cette décision a été rejeté par l'administration
fiscale pour le Land de Bade-Wurtemberg, le 30 octobre 1985.
2.3 Les auteurs ont alors déposé une plainte auprès du tribunal financier
du Bade-Wurtemberg (Finanzgericht) qui l'a rejetée le 1er juin 1989, comme
infondée. Le tribunal a autorisé les demandeurs à faire appel devant la
Cour financière fédérale (Bundesfinanzhof) qui, le 6 décembre 1991, a
établi que l'appel était sans fondement. Les auteurs ont déposé une demande
auprès de la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe qui, le 26 août
1992, a refusé l'autorisation de faire appel au motif que la plainte était
"manifestement mal fondée". Les auteurs ont ainsi épuisé les
voies de recours interne à leur disposition.
2.4 Devant les tribunaux allemands, les auteurs ont invoqué l'article
4 de la Loi fondamentale allemande (Grundgesetz) qui garantit à chacun
la liberté de religion et de conscience. Ils ont fait valoir qu'ils avaient
des objections de conscience insurmontables contre le fait qu'une partie
de leurs imp_ts sur le revenu contribueraient à financer les dépenses
militaires. D'après les auteurs, les dispositions de l'article 4 de la
Loi fondamentale étaient "plus fortes, ou au moins aussi fortes"
que les garanties visées à l'article 18 du Pacte.
2.5 Les auteurs disent qu'ils savent parfaitement que le Comité des droits
de l'homme a déjà déclaré irrecevables deux plaintes analogues à la leur,
à savoir la communication No 446/1991 (J. P. c. Canada),
déclarée irrecevable le 7 novembre 1991a et la communication
No 483/1991 (J. v. K et C. M. G. v. K.-S c. Pays-Bas), déclarée
irrecevable le 23 juillet 1992b. Dans ces décisions, le Comité
avait établi que "le refus de payer des imp_ts pour des raisons d'objection
de conscience ne relevait manifestement pas de la protection" prévue
à l'article 18 du Pacte.
Teneur de la plainte
3. Les auteurs affirment que l'État partie a violé l'article 18 du Pacte.
Ils indiquent qu'ils critiquent vigoureusement les décisions antérieures
du Comité et font valoir qu'ils méritent un meilleur ratio decidendi
et que ces décisions devraient en fait être rapportées. Ils affirment
que tant que l'utilisation d'une partie de leurs imp_ts pour financer
les dépenses militaires suscitera chez certaines personnes de fortes objections
de conscience et tant que certains pays (comme l'Allemagne) continueront
de dépenser une partie importante de l'argent du contribuable à des fins
militaires, il sera difficile d'affirmer catégoriquement que le refus
de payer des imp_ts sur le revenu selon une répartition proportionnelle
ne relève pas du champ d'application de l'article 18 du Pacte : "Le
fait de payer des imp_ts n'est pas séparé des croyances et convictions
morales et l'article 18 du Pacte ne prévoit pas d'exception à ce sujet
... que ce soit de manière explicite ou d'une autre manière".
Délibérations du Comité
4.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si celle-ci est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
4.2 Le Comité note que, lors de la ratification du Protocole facultatif,
la République fédérale d'Allemagne a formulé la réserve ci-après au titre
du paragraphe 2 a) de l'article 5 :
"... la compétence du Comité ne s'applique pas aux communications
... b) dans lesquelles une violation de droit est invoquée, qui a ses
origines dans des faits qui se sont produits avant l'entrée en vigueur
du Protocole facultatif pour la République fédérale d'Allemagne."
Comme tous les faits qui sont à la base de la présente plainte se sont
produits entre 1985 et 1992, et donc avant le 25 novembre 1993, date de
l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'Allemagne, le Comité
est dans l'impossibilité, ratio temporis, d'examiner la communication,
compte tenu de la réserve allemande.
4.3 Le Comité ne peut manquer de noter que deux de ses décisions antérieures
concernant l'irrecevabilité de communications ont trait à la plainte soumise
par les auteurs aux termes de l'article 18 du Pacte et que ceux-ci contestent
en premier lieu le ratio decidendi de ces décisions (voir par.
2.5 ci-dessus). La plainte des auteurs serait donc, indépendamment des
considérations exposées au paragraphe 4.2 ci-dessus, irrecevable car étant
incompatible avec les dispositions du Pacte, au titre de l'article 3 du
Protocole facultatif. Aucune raison n'ayant été invoquée qui justifierait
de s'écarter de la jurisprudence concernant les décisions ci-dessus, le
Comité confirme sa jurisprudence.
5. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée aux auteurs, à leur conseil
et, pour information, à l'État partie.
[Texte adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale).]
Notes
a Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-huitième
session, Supplément No 40 (A/48/40), annexe X.Y.
b Ibid., annexe X.CC.