Comité des droits de l'homme
Cinquantième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Cinquantième session -
Communication No 570/1993
Présentée par : M. A. B., W. A. T. et J.-A. Y. T. (noms supprimés)
Au nom : Des auteurs
État partie : Canada
Date de la communication : 14 octobre 1993
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 8 avril 1994,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. Les auteurs de la communication sont M. A. B., W. A. T. et J.-A. Y.
T., trois citoyens canadiens membres d'une organisation dénommée "Assembly
of the Church of the Universe", établie à Hamilton, Ontario (Canada).
Ils affirment être victimes de violations par le Canada des articles 9,
14, 15 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Les auteurs sont figures de proue et "plénipotentiaires"
de l'"Assembly of the Church of the Universe", dont les croyances
et pratiques, à les en croire, impliquent forcément le soin, la culture,
la possession, la distribution, l'entretien, l'intégrité et le culte du
"Sacrement" de l'Église. Ce "Sacrement" que les auteurs
appellent également "l'Arbre de la vie de Dieu" est plus connu
sous le nom de cannabis sativa ou marijuana.
2.2 Depuis la fondation de l'Église, plusieurs de ses membres ont eu
des démêlés avec la loi, leur usage et leur culte de la marijuana tombant
sous le coup de la Narcotic Control Act du Canada.
2.3 Le 17 octobre 1990, un agent de la Royal Canadian Mounted Police
(RCMP) a pénétré dans les locaux de l'Église à Hamilton (Ontario), sous
le prétexte d'adhérer à l'Église et d'acheter le "Sacrement de l'Église".
On lui a offert quelques grammes de marijuana, ce qui a conduit à l'arrestation
de W. A. T. et de J.-A. Y. T. Tout l'argent et toute la marijuana trouvés
en leur possession ont été saisis, et ils ont été jugés devant jurés en
application des dispositions de la section 4 du Narcotic Control Act.
Des enquêtes plus poussées sur les activités et les biens de l'Église
ont conduit à l'interpellation et à la détention de M. A. B.
2.4 Le procès de W. A. T. et de J.-A. Y. T. devait en principe s'ouvrir
devant un tribunal d'Hamilton le 1er novembre 1993, celui de M. A. B.
étant prévu pour le 14 novembre 1993. Une autre action, reposant sur des
charges non spécifiées retenues contre M. A. B. dans le courant de l'année
1987, devait en principe être entendue pendant la semaine commençant le
13 décembre 1993a. Il est dès lors patent que les auteurs n'ont
pas épuisé les recours internes qui s'offraient à eux au Canada.
2.5 Il convient de noter que les autorités judiciaires, avant de décider
d'entendre la cause des auteurs, ont tenté de les débouter pour fol appel.
Il ressort de la communication des auteurs que tous leurs moyens pris
des prétendues violations de leur liberté de religion et de conscience
ont été bel et bien rejetés par les tribunaux canadiens. Ainsi, de "nombreux
avis de demandes d'autorisation de recours auprès de la Cour suprême du
Canada" ont été rejetés et une demande d'autorisation de recours
devant la Commission judiciaire du Conseil privé (sic) a été "illégalement
méconnue".
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs font valoir qu'ils se sont vu refuser un procès équitable
et public devant un tribunal impartial et indépendant. Ils affirment que
leurs actions en justice et exceptions d'inconstitutionnalité portées
devant la Cour fédérale du Canada contre l'action ou l'inaction des tribunaux
de l'Ontario et de l'Attorney général aux niveaux tant provincial que
fédéral n'ont pas été entendues. Il ressort de la communication des auteurs
que ceux-ci soutiennent qu'il n'existe pas au Canada d'instance indépendante
ou impartiale pour connaître de leur plainte. De ce fait, leur plainte
est dirigée contre le Parlement du Canada, la Cour fédérale du Canada,
la Cour suprême du Canada, la RCMP, S. M. la Reine du Canada, le Parlement
de l'Ontario et les tribunaux de l'Ontario.
3.2 Les auteurs allèguent en outre que leurs droits ci-après ont été
violés :
a) Liberté et sécurité de la personne;
b) Droit de ne pas être soumis à l'arrestation et à la détention arbitraires;
c) Droit d'être libre de toute ingérence dans sa vie privée;
d) Droit d'être libre de toute atteinte illégale à son honneur et à
sa réputation;
e) Droit de jouir de la protection de la loi contre de telles ingérences;
f) Liberté de pensée, de conscience et de religion, et droit de manifester
ses croyances par le culte, la pratique et la religion;
g) Liberté de toute contrainte de nature à nuire à la liberté d'avoir
ou d'adopter la religion ou la croyance de son choix.
3.3 Les auteurs demandent au Comité d'intervenir pour mettre un terme
au procès qui leur est intenté. Ils demandent à assister à l'"audition"
de leur cause par le Comité, le droit d'en filmer les délibérations, ainsi
qu'une ordonnance interdisant au Gouvernement canadien et à ses organismes
de "persécuter et de poursuivre les requérants [à raison] de la manifestation
de leurs croyances religieuses par le culte, l'observance, la pratique
et l'enseignement en ce qui concerne la culture, la distribution et l'usage
du Sacrement de l'Église...".
Questions et délibérations du Comité
4.1 Avant d'examiner tout moyen soulevé dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable ou non en vertu
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2 Tenant compte des prescriptions des articles 2 et 3 du Protocole
facultatif, le Comité a cherché à déterminer si les faits tels qu'ils
ont été présentés seraient de nature à soulever a priori des questions
en vertu d'une quelconque disposition du Pacte. Il conclut qu'il n'en
est rien. En particulier, une croyance qui consiste essentiellement ou
exclusivement dans le culte et la distribution d'un stupéfiant ne sauraient
entrer dans le champ d'application de l'article 18 du Pacte (liberté de
religion et de conscience); l'arrestation pour possession et distribution
d'un stupéfiant ne saurait davantage relever du paragraphe 1 de l'article
9 du Pacte (liberté de toute arrestation et détention arbitraires).
4.3 Le Comité fait observer par ailleurs qu'entre autres conditions à
remplir par toute communication pour être déclarée recevable il faut notamment
que les moyens soulevés soient suffisamment étayés et ne constituent pas
un abus du droit de présentation de communication. Il apparaît que la
communication des auteurs ne satisfait pas à ces conditions. En particulier,
les allégations portées contre les autorités judiciaires canadiennes revêtent
un caractère général et n'ont pas été étayées de manière à démontrer en
quoi les auteurs pourraient être qualifiés de victimes au sens de l'article
premier du Protocole facultatif. Cela étant, on est fondé à douter du
bien-fondé des moyens des auteurs pris de l'article 14 et le Comité se
trouve conduit à conclure que ceux-ci constituent un abus du droit de
présentation de communication en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
5. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3
du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée aux auteurs et, pour information,
à l'État partie.
[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale).]
Note
a La communication est datée du 14 octobre 1994. Au 20 janvier
1994, les auteurs n'avaient pas fourni d'informations sur le dénouement
de leur procès.