Comité des droits de l'homme
Cinquante-huitième session
(21 octobre - 8 novembre 1996)
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques
- Cinquante-huitième session -
Communication No 572/1994*
Présentée par : Hezekiah Price (représenté par M. Saul Lehrfreund
du Cabinet Simons Muirhead & Burton)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 23 septembre 1993 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 6 novembre 1996,
Ayant achevé l'examen de la communication No 572/1994, présentée
au Comité des droits de l'homme par M. Hezekiah Price en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est M. Hezekiah Price, citoyen jamaïcain,
actuellement détenu au pénitencier général de Kingston (Jamaïque) où il
purge une peine d'emprisonnement à vie. L'auteur se déclare victime de violation
par la Jamaïque des dispositions des paragraphes 3, c) et d), et 5 de l'article
14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est
représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été arrêté le 19 juin 1983 et accusé du meurtre de son épouse
de facto, commis plus t_t le même jour. Le 26 janvier 1984, à l'issue d'un
procès devant la Circuit Court de St. Catherine, il a été reconnu
coupable de meurtre et condamné à mort.
2.2 Le 29 novembre 1985, la cour d'appel a rejeté la demande d'autorisation
de faire appel de l'auteur. Une notification de jugement oral a été délivrée
le 6 octobre 1987. Au début de 1989, la peine prononcée contre l'auteur
a été commuée en peine d'emprisonnement à vie.
2.3 L'accusation était fondée sur les dépositions de témoins oculaires
qui avaient entendu l'auteur et sa femme de facto se quereller. Les témoins
ont affirmé que l'auteur était sorti de la maison en tenant sa femme par
le bras, qu'il l'avait frappée à coups de revers de machette et que, lorsqu'elle
était tombée, il lui avait assené plusieurs coups violents de machette.
L'auteur était alors allé au poste de police pour se constituer prisonnier.
L'accusé a plaidé la légitime défense. Le juge a aussi soumis au jury le
moyen de défense de la provocation.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur se plaint de n'avoir pas bénéficié d'un jugement équitable.
Il affirme plus particulièrement être victime d'une violation du paragraphe
3 d) de l'article 14. Une demande d'autorisation de recours a été déposée
auprès de la cour d'appel au motif de jugement inéquitable et d'éléments
de preuve insuffisants pour justifier une condamnation. Les avocats commis
d'office qui ont été chargés de la défense en appel ne se sont pas entretenus
avec l'auteur avant l'audience. En outre, il ressort de la notification
de jugement oral que le conseil de l'auteur a déclaré à la cour d'appel
lors de l'audience qu'il n'y avait pas, à son avis, de motif justifiant
l'appel. L'auteur déclare que s'il avait su que son conseil ne présenterait
aucun motif d'appel, il aurait demandé qu'un autre avocat lui soit commis.
3.2 L'auteur affirme aussi que le non-établissement par la cour d'appel
d'un jugement écrit constitue une violation des paragraphes 3 c) et 5 de
l'article 14, car il ne lui a pas été possible, de ce fait, de se pourvoir
devant la section judiciaire du Conseil privé.
Observations de l'Etat partie concernant la recevabilité et commentaires
de l'auteur
4. Dans ses observations datées du 11 novembre 1994, l'Etat partie fait
valoir que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b)
de l'article 5 du Protocole facultatif au motif du non-épuisement des recours
internes. Il note que l'auteur peut encore saisir la section judiciaire
du Conseil privé en présentant une demande d'autorisation spéciale de recours.
L'Etat partie ajoute que l'auteur a encore la possibilité de demander réparation
en déposant une requête constitutionnelle; il note à cet égard que les droits
invoqués par l'auteur et protégés par les paragraphes 3 c) et d) de l'article
14 sont aussi énoncés au paragraphe 6 de l'article 20 et à l'article 110
de la Constitution jamaïcaine. En vertu de l'article 25 de la Constitution,
l'auteur peut demander réparation pour les violations dont il s'estime victime
en présentant une requête constitutionnelle à la Cour suprême.
5. Dans ses commentaires datés du 30 janvier 1995, le conseil de l'auteur
affirme qu'il a été avisé par l'avocat principal qu'il n'existait pas matière
à recours auprès du Conseil privé et conclut que l'auteur a épuisé tous
les recours internes utiles. Il ajoute que l'aide judiciaire n'étant pas
prévue pour le dép_t d'une requête constitutionnelle, cette voie de recours
ne constitue pas, dans le cas de l'auteur, un recours utile.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 A sa cinquante-quatrième session, le Comité a examiné la question de
la recevabilité de la communication. Il a estimé que les conditions formelles
de recevabilité prescrites au paragraphe 2 a) et b), de l'article 5 du Protocole
facultatif étaient remplies.
6.2 Le Comité a estimé que le conseil de l'auteur n'avait pas, aux fins
de la recevabilité, présenté des éléments suffisants qui permettraient de
conclure à une violation du paragraphe 3 c) de l'article 14. Il n'avait
pas, notamment, fait valoir que, dans le cas particulier de M. Price, l'établissement
d'un jugement écrit ou d'une notification de jugement oral dans de meilleurs
délais aurait abouti à un résultat différent.
6.3 Le Comité a estimé que l'auteur et son conseil avaient suffisamment
étayé aux fins de la recevabilité l'allégation de violation de l'article
14, paragraphe 3 d). Il a rappelé sa jurisprudence selon laquelle "des
mesures doivent être prises pour que le conseil, une fois commis d'office,
représente effectivement l'accusé dans l'intérêt de la justice. Cela suppose
que le conseil consulte et informe l'accusé lorsqu'il a l'intention de retirer
une requête ou de faire valoir devant la cour d'appel qu'il n'y a pas matière
à recours" /Communication No 253/1987 (Kelly c.
Jamaïque), constatations adoptées le 8 avril 1991, par. 5.10./. Le
Comité a estimé que cette partie de la communication devait être examinée
au fond.
6.4 Le Comité a estimé que l'auteur et son conseil n'avaient pas, aux fins
de la recevabilité, montré que la communication soulevait des questions
relevant du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte.
6.5 En conséquence, le 21 juillet 1995, le Comité des droits de l'homme
a déclaré la communication recevable dans la mesure où elle pouvait soulever
des questions relevant du paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte.
Observations de l'Etat partie concernant le fond de la communication
et commentaires du conseil
7.1 Dans les observations qu'il a présentées en vertu du paragraphe 2 de
l'article 4 du Protocole facultatif, en date du 19 février 1996, l'Etat
partie réaffirme que la communication est irrecevable parce que les recours
internes n'ont pas été épuisés.
7.2 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle il y aurait violation
des dispositions du paragraphe 3 d) de l'article 14, du fait que le conseil
n'avait fait valoir aucun argument à l'appui de l'appel de l'auteur, l'Etat
partie objecte qu'il a l'obligation de désigner d'office un avocat compétent
pour représenter les personnes sans ressources, mais qu'ensuite la manière
dont le conseil représente l'accusé ne peut lui être imputée.
8. Dans ses commentaires sur les observations de l'Etat partie, le conseil
réfute l'affirmation de ce dernier selon laquelle l'auteur dispose encore
de recours internes et réaffirme que l'Etat partie est responsable de la
qualité des services fournis par l'avocat commis d'office, et se réfère
à la jurisprudence du Comité.
Examen quant au fond
9.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises
par les parties, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 1
de l'article 5 du Protocole facultatif.
9.2 Le conseil a fait valoir que M. Price n'avait pas été valablement représenté
en appel, et le Comité note que la décision de la cour d'appel indique que
l'avocat commis d'office pour assister M. Price en appel a admis à l'audience
qu'il n'y avait pas matière à appel. Le Comité note que l'affaire semblerait
aussi soulever une question relevant du paragraphe 3 b) de l'article 14
du Pacte mais qu'il ne peut examiner s'il y a eu effectivement violation
de cette disposition, puisque le conseil ne l'a jamais allégué. Le Comité
rappelle / Voir notamment les constatations du Comité au sujet
des communications Nos 459/1991 (Osborne Wright et Eric Harvey c.
Jamaïque) et 461/1991 (George Graham et Arthur Morrison c.
Jamaïque) adoptées, respectivement, le 27 octobre 1995 (par. 10.5)
et le 25 mars 1996 (par. 10.5)./ que si les dispositions de l'article 14,
paragraphe 3 d), ne donnent pas à l'accusé le droit de choisir le défenseur
qui lui est attribué sans frais, la cour devrait veiller à ce que la manière
dont le conseil conduit l'appel ne soit pas incompatible avec l'intérêt
de la justice. S'il n'appartient pas au Comité de mettre en question le
jugement professionnel du conseil, il n'en considère pas moins que dans
une affaire où l'accusé a été condamné à la peine capitale, lorsque le conseil
de l'accusé admet que l'appel est sans fondement, la cour doit s'assurer
qu'il a consulté l'accusé et l'a dûment informé. Le Comité est d'avis que
M. Price aurait dû être informé que son conseil ne ferait valoir aucun moyen
de recours, ce qui lui aurait donné la possibilité d'étudier les options
qui lui restaient ouvertes. Dans les circonstances de l'espèce, le Comité
estime que M. Price n'a pas été valablement représenté en appel, en violation
des dispositions de l'article 14, paragraphe 3 d), du Pacte.
9.3 Le Comité est d'avis qu'une condamnation à la peine de mort à l'issue
d'un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées
constitue, quand il n'existe aucune autre possibilité de faire appel du
jugement, une violation de l'article 6 du Pacte. Comme le Comité l'a relevé
dans son Observation générale 6 (16), la disposition selon laquelle la peine
de mort ne peut être prononcée que conformément à la législation et ne doit
pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte suppose que "les
garanties d'ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées,
y compris le droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant
et impartial, la présomption d'innocence, les garanties minima de la défense
et le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration
de culpabilité et la condamnation". Dans le cas d'espèce, étant donné
qu'une condamnation à mort définitive a été prononcée sans que l'auteur
ait été valablement représenté en appel comme l'exige l'article 14, il faut
conclure que le droit protégé par l'article 6 a été violé. Le Comité note
que l'Etat partie a commué la peine capitale et considère que la mesure
constitue une réparation suffisante pour la violation du paragraphe 2 de
l'article 6, constatée dans l'affaire à l'étude.
10. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 d) de l'article 14 du
Pacte.
11. Conformément aux dispositions du paragraphe 3 a) de l'article 2 du
Pacte, l'auteur doit disposer d'un recours approprié. L'Etat partie est
tenu de faire en sorte que des violations analogues ne se reproduisent plus.
12. Etant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'Etat partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et
relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité
souhaite recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
______________
* En application de l'article 85 du règlement intérieur du Comité, M. Laurel
Francis n'a pas pris part à l'examen de la communication.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]