Comité des droits de l'homme
Soixante-quatrième session
19 octobre - 6 novembre 1998
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-quatrième session -
Communication No 574/1994**
Présentée par : Keun-Tae Kim (représenté par M. Yong Whan Cho,
cabinet d'avocats Duksu à Séoul)
Au nom de : L'auteur
État partie : République de Corée
Date de la communication : 27 septembre 1993
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 novembre 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 574/1994 présentée
par M. Keun-Tae Kim en vertu du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est M. Keun-Tae Kim, citoyen coréen résidant
à Dobong-Ku, Séoul (République de Corée). Il se déclare victime de violations
par la République de Corée du paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur est l'un des membres fondateurs du Mouvement de coalition
nationale pour la démocratie (Chunminryum, ci-après dénommé le Mouvement).
Il dirigeait le Comité pour la planification du programme d'action ainsi
que le Comité exécutif du Mouvement. Avec d'autres membres du Mouvement,
il a écrit des documents qui contenaient des critiques à l'égard du Gouvernement
sud-coréen et de ses alliés étrangers ainsi qu'un appel à la réunification
nationale. Au cours de la cérémonie inaugurale du Mouvement, le 21 janvier
1989, ces documents ont été distribués et lus devant 4 000 participants;
l'auteur a été arrêté à la fin de la cérémonie.
2.2 Le 24 août 1990, un juge du tribunal pénal de district de Séoul,
statuant seul, a déclaré l'auteur coupable d'infraction aux paragraphes
1 et 5 de l'article 7 de la loi sur la sécurité nationale, ainsi qu'à
la loi sur les réunions et les manifestations et à la loi sur la répression
des actions violentes, et l'a condamné à trois ans d'emprisonnement et
à un an de suspension d'éligibilité. La chambre d'appel du même tribunal
a débouté l'auteur le 11 janvier 1991, mais a ramené sa peine à deux ans
d'emprisonnement. Le 26 avril 1991, la Cour suprême a rejeté un nouvel
appel. L'auteur affirme que la Cour constitutionnelle ayant déclaré, le
2 avril 1990, que les paragraphes 1 et 5 de l'article 7 de la loi sur
la sécurité nationale n'étaient pas incompatibles avec la Constitution,
il a épuisé tous les recours internes disponibles.
2.3 La communication soumise par l'auteur ne concerne que sa condamnation
pour infraction aux paragraphes 1 et 5 de l'article 7 de la loi sur la
sécurité nationale. Le paragraphe 1 dispose que "Quiconque aide une
organisation subversive en glorifiant ou en encourageant ses activités
sera punie" et le paragraphe 5 dispose que "Quiconque produit
ou distribue des textes, des illustrations ou tout autre document au profit
d'une organisation subversive sera puni". Le 2 avril 1990, la Cour
constitutionnelle a statué que ces dispositions étaient compatibles avec
la Constitution car elles s'appliquaient [uniquement] dans le cas où la
sécurité ou la sûreté de l'État était en danger ou bien dans le cas où
les infractions portaient atteinte à l'ordre démocratique fondamental.
2.4 L'auteur a communiqué la traduction anglaise des sections pertinentes
des décisions des tribunaux, dont il ressort que le tribunal de première
instance a estimé que la Corée du Nord était une organisation subversive
qui voulait renverser la situation en Corée du Sud par la violence. Selon
le tribunal, l'auteur, bien que connaissant ces visées, avait produit
des documents reflétant l'idéologie de la Corée du Nord; il a conclu,
par conséquent, que l'auteur avait produit et distribué ces documents
afin de faire cause commune avec l'organisation subversive et de servir
ses intérêts.
2.5 L'auteur a fait appel du jugement le 24 août 1990 en invoquant les
arguments ci-après :
- Bien que les documents qu'il avait produits et distribués expriment
des idées apparentées à celles que défend le régime de Corée du Nord,
le juge a mal interprété les faits car le message général de ces documents
pr_ne "la réalisation de la réunification grâce à l'indépendance
et la démocratie". On ne pouvait donc pas dire que l'auteur glorifie
ou encourage les activités de la Corée du Nord ni que la teneur des documents
servait les intérêts de ce régime;
- Les actes interdits et les principes énoncés dans les paragraphes
1 et 5 de l'article 7 de la loi sur la sécurité nationale étaient définis
en termes si généraux et si ambigus que ces dispositions portaient atteintes
au principe de la légalité, c'est-à-dire au paragraphe 1 de l'article
21 de la Constitution, qui dispose que la loi ne peut restreindre les
droits et libertés des citoyens que si la mesure est absolument nécessaire
pour des raisons de sécurité nationale, d'ordre public ou d'intérêt public
et que de telles restrictions ne peuvent pas porter atteinte aux aspects
essentiels des droits fondamentaux;
- Compte tenu des conclusions de la Cour constitutionnelle, ces dispositions
ne doivent pas être appliquées dans le cas d'activités qui ne représentent
pas une menace réelle pour la sécurité nationale ou le maintien de l'ordre
démocratique. Étant donné que les documents incriminés n'ont pas été écrits
ni distribués en vue de glorifier la Corée du Nord et, de surcroît, ne
contiennent aucune information mettant clairement en danger l'existence
ou la sécurité de la République de Corée ni son ordre démocratique, l'auteur
ne devait pas être réprimé.
2.6 La cour d'appel a confirmé la condamnation en faisant valoir que
selon les éléments de preuve disponibles, dans les documents que l'auteur
avait produits et dont il avait donné lecture lors d'une manifestation
importante, il soutenait que la République de Corée était sous l'influence
de puissances étrangères, définissait le Gouvernement comme une dictature
militaire et exprimait d'autres opinions qui coïncidaient avec la propagande
nord-coréenne. Selon la cour, ces documents encourageaient donc la politique
de la Corée du Nord et le tribunal de première instance avait en conséquence
des motifs suffisants pour estimer que l'auteur faisait cause commune
avec une organisation subversive et servait les intérêts de celle-ci.
2.7 Le 26 avril 1991, la Cour suprême a estimé que les dispositions pertinentes
de la loi sur la sécurité nationale n'étaient pas incompatibles avec la
Constitution, pour autant qu'elles soient appliquées à une activité mettant
en danger l'existence ou la sécurité de la nation ou portant atteinte
à l'ordre libéral démocratique fondamental. L'interdiction prévue au paragraphe
1 de l'article 7 à l'endroit de quiconque "s'[...] associe"
aux activités d'une organisation subversive "ou sert ses intérêts"
s'applique si son activité peut objectivement servir les intérêts de ladite
organisation. Si une personne normale, dotée d'une bonne intelligence
et de sens commun, admet que l'activité en question sert les intérêts
d'une organisation subversive ou reconnaît qu'elle le peut, l'interdiction
s'applique. Selon la Cour suprême, cela implique qu'il n'est pas nécessaire
que l'auteur reconnaisse avoir eu l'intention de "servir" une
organisation subversive ou avoir eu un motif de le faire. La Cour a estimé
en outre que l'auteur et ses collègues avaient produit des documents montrant,
généralement et objectivement, qu'ils faisaient cause commune avec la
propagande nord-coréenne et que l'auteur, qui est doté d'une bonne intelligence
et de sens commun, a donné lecture de ces documents et les a appuyés,
reconnaissant par là même objectivement que ses activités pouvaient servir
les intérêts de la Corée du Nord.
2.8 Le 10 mai 1991, l'Assemblée nationale a adopté un certain nombre
d'amendements à la loi sur la sécurité nationale; ainsi, les mots "en
sachant que la sécurité nationale ou l'existence de la nation ou l'ordre
libre et démocratique seront menacés" ont été ajoutés aux paragraphes
1 et 5 de l'article 7.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil fait valoir que, alors que le paragraphe 1 de l'article
21 de la Constitution coréenne dispose que "tous les citoyens jouissent
de la liberté d'expression, de presse, de réunion et d'association",
il a souvent été fait usage de l'article 7 de la loi sur la sécurité nationale
pour restreindre la liberté de pensée, d'opinion ou d'expression dans
les diverses formes qu'elle peut prendre (parole, publication d'écrits,
actes, associations, etc.). En vertu de cette disposition, quiconque soutient
le socialisme, le communisme ou le système politique de la Corée du Nord
ou en pense du bien est passible d'une peine. Le conseil ajoute que, dans
un grand nombre de cas, cette disposition a été appliquée pour réprimer
des détracteurs de la politique gouvernementale, parce qu'il se trouvait
que leurs critiques étaient de même nature que celles que le régime nord-coréen
adresse à la Corée du Sud. De l'avis du conseil, le cas de l'auteur est
l'exemple même d'une telle application abusive de la loi sur la sécurité
nationale, qui représente une violation du paragraphe 2 de l'article 19
du Pacte.
3.2 Le conseil fait valoir également que le raisonnement des tribunaux
montre clairement comment la loi sur la sécurité nationale est manipulée
pour restreindre la liberté d'expression. Les tribunaux ont suivi l'argumentation
suivante, qui est contraire à l'article 19 du Pacte. Premièrement, ils
ont établi que l'auteur avait des opinions critiques à l'égard de la politique
du Gouvernement de la République de Corée; deuxièmement, la Corée du Nord
émet des critiques à l'égard du Gouvernement de la Corée du Sud et ces
critiques déforment la réalité; troisièmement, la Corée du Nord est qualifiée
d'organisation subversive, instituée en vue de renverser le Gouvernement
de la Corée du Sud (art. 2 de la loi sur la sécurité nationale); quatrièmement,
l'auteur a écrit et publié des textes formulant des critiques analogues
à celles que la Corée du Nord émet à l'égard de la Corée du Sud; cinquièmement,
l'auteur ne pouvait pas ignorer ces critiques; sixièmement, les activités
de l'auteur ont nécessairement été entreprises pour servir les intérêts
de la Corée du Nord et revenaient de ce fait à glorifier et à encourager
le régime de ce pays.
3.3 Le conseil fait référence à ce sujet aux observations adoptées par
le Comité des droits de l'homme après l'examen du rapport initial présenté
par la République de Corée au titre de l'article 40 du Pacte /
Paragraphes 6 et 9 des observations (CCPR/C/79/Add.6) adoptées par le
Comité à sa quarante-cinquième session (octobre-novembre 1992)./. Le Comité
y indiquait ce qui suit :
"[Sa] principale préoccupation porte sur le maintien en vigueur
de la loi sur la sécurité nationale. La situation particulière dans
laquelle se trouve la République de Corée a certainement des incidences
sur l'ordre public dans ce pays, mais son influence ne doit pas être
surestimée. Le Comité estime que les lois ordinaires et en particulier
les lois pénales en vigueur devraient suffire à répondre aux atteintes
à la sécurité nationale. De plus, certaines questions traitées dans
la loi sur la sécurité nationale sont définies en termes assez vagues,
ce qui permet une interprétation très large qui pourrait avoir pour
effet de sanctionner des actes qui ne sont peut-être pas véritablement
dangereux pour la sécurité de l'État [...]. [L]e Comité recommande à
l'État partie d'intensifier ses efforts pour que sa législation soit
plus conforme aux dispositions du Pacte. À cette fin, des efforts énergiques
devraient être entrepris pour abroger progressivement la loi sur la
sécurité nationale que le Comité considère comme un obstacle important
à la pleine réalisation des droits consacrés dans le Pacte, et, dans
l'intervalle, pour ne pas porter atteinte à certains droits fondamentaux
[...]."
3.4 Enfin, il est précisé que bien que les faits pour lesquels l'auteur
a été reconnu coupable et condamné se soient produits avant le 10 juillet
1990, date de l'entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif
pour la République de Corée, les tribunaux ont prononcé leurs jugements
après cette date et auraient donc dû observer les dispositions du paragraphe
2 de l'article 19 du Pacte.
Renseignements et observations de l'État partie sur la question
de la recevabilité et commentaires de l'auteur
4.1 Dans ses observations soumises conformément à l'article 91 du règlement
intérieur, l'État partie objecte que, la communication portant sur des
faits survenus avant l'entrée en vigueur du Pacte pour la République de
Corée, elle est irrecevable ratione temporis puisque ce sont ces
faits qui fondent la plainte.
4.2 L'État partie confirme que l'auteur a été reconnu coupable de violations
de la loi sur la sécurité nationale commises entre janvier 1989 et mai
1990. Il ajoute que dans sa plainte toutefois M. Kim omet de mentionner
qu'il a également été condamné pour avoir, à plusieurs occasions entre
janvier 1989 et mai 1990, organisé des manifestations illégales et été
à l'origine d'actes de violence. Au cours de ces manifestations, dit l'État
partie, les participants "ont lancé des milliers de cocktails Molotov
et de pierres en direction des postes de police ainsi que d'autres locaux
abritant des bureaux du gouvernement. Ils ont également mis le feu à 13
véhicules et blessé 134 policiers". Ces événements se sont tous produits
avant le 10 juillet 1990, date d'entrée en vigueur du Pacte pour l'État
partie : celui-ci déclare donc que le Comité n'est pas compétent ratione
temporis.
4.3 Pour les faits survenus après le 10 juillet 1990, la question
qui se pose est de savoir si M. Kim a bénéficié des droits garantis par
le Pacte. L'État partie affirme que tous les droits consacrés dans le
Pacte, en particulier à l'article 14, ont été garantis depuis le jour
de l'arrestation de M. Kim (13 mai 1990) jusqu'au jour de sa remise en
liberté (12 août 1992).
4.4 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 2 de l'article
19 du Pacte, l'État partie fait valoir que l'auteur n'a pas indiqué clairement
sur quoi sa plainte se fonde et qu'il s'est contenté d'affirmer que certaines
dispositions de la loi sur la sécurité nationale étaient incompatibles
avec le Pacte et que toute inculpation pénale du chef d'une infraction
à ces dispositions était contraire au paragraphe 2 de l'article 19. L'État
partie objecte que cette plainte n'entre pas dans le domaine de compétence
du Comité car, en vertu du Pacte et du Protocole facultatif, le Comité
ne peut pas examiner la compatibilité avec le Pacte (dans l'abstrait)
d'une loi déterminée ou des dispositions d'une loi quelconque d'un État
partie. L'État partie fait référence à ce sujet aux constatations adoptées
par le Comité des droits de l'homme dans l'affaire No 55/1979 /
Communication No 55/1979 (Alexander MacIsaac c. Canada),
constatations adoptées le 14 octobre 1982, par. 10 à 12./, qui, affirme-t-il,
vont dans le sens de ses propres conclusions.
4.5 Pour les raisons exposées plus haut, l'État partie demande au Comité
de déclarer la communication irrecevable ratione temporis parce
que les faits sur lesquels elle porte sont antérieurs au 10 juillet 1990,
et aussi parce que l'auteur n'a pas étayé l'allégation de violation du
Pacte dans le cas des faits survenus après cette date.
5.1 Dans ses commentaires, l'auteur note que ce qui est en jeu dans son
cas ce ne sont pas les faits (survenus avant le 10 juillet 1990) qui ont
donné lieu aux violations de ses droits mais les procédures judiciaires
ultérieures qui ont conduit à sa condamnation par les tribunaux. Il a
ainsi été sanctionné après l'entrée en vigueur du Pacte pour la
République de Corée pour avoir enfreint la loi sur la sécurité nationale.
Il fait remarquer que comme ses activités consistaient exclusivement en
l'expression pacifique de ses opinions et de ses pensées au sens du paragraphe
2 de l'article 19 du Pacte, l'État partie avait le devoir de protéger
l'exercice pacifique de ce droit. À ce sujet, les autorités de l'État
partie et en particulier les tribunaux étaient tenus d'appliquer les dispositions
du Pacte dans leur sens ordinaire. En l'espèce, les tribunaux qui ont
jugé et condamné l'auteur n'ont pas tenu compte du paragraphe 2 de l'article
19 du Pacte. Sanctionner l'auteur pour avoir exercé son droit à la liberté
d'expression après l'entrée en vigueur du Pacte pour la République
de Corée constitue une violation des droits consacrés au paragraphe 2
de l'article 19.
5.2 Le conseil fait observer que les prétendus manifestations illégales
et actes de violence évoqués par l'État partie sont totalement étrangers
à l'affaire car la plainte qu'il soumet au Comité ne porte pas sur les
cas dans lesquels l'auteur a été sanctionné pour avoir organisé des manifestations.
Le Conseil ajoute toutefois que cela ne veut pas dire que les condamnations
prononcées en vertu de la loi sur les manifestations et les réunions ait
été raisonnable et appropriée : d'après lui, il est courant en République
de Corée que les dirigeants des groupes d'opposition soient condamnés
à chaque fois qu'ils organisent une manifestation dans le pays, en vertu
d'une "théorie du complot implicite".
5.3 L'auteur réaffirme qu'il n'a pas soulevé la question de la
compatibilité de la loi sur la sécurité nationale avec le Pacte. Il n'en
est pas moins d'avis que, comme le Comité l'a souligné dans ses observations
finales adoptées à l'issue de l'examen du rapport initial de l'État partie,
cette loi continue d'être un obstacle grave à la pleine réalisation des
droits consacrés dans le Pacte. Il souligne toutefois que sa communication
porte "exclusivement sur le fait qu'il a été condamné à une peine
pour l'exercice pacifique de son droit à la liberté d'expression, en violation
du paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte".
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 À sa cinquante-sixième session, le Comité a examiné la question de
la recevabilité de la communication.
6.2 Le Comité a pris note de l'argument de l'État partie qui objecte
que comme la communication vise des faits survenus avant l'entrée en vigueur
du Pacte et du Protocole facultatif pour la République de Corée, elle
doit être déclarée irrecevable ratione temporis. En l'espèce, le
Comité n'a pas eu à se référer à sa jurisprudence selon laquelle les effets
d'une violation qui persistent après l'entrée en vigueur du Pacte pour
l'État partie peuvent constituer eux-mêmes une violation du Pacte, puisque
la violation dont l'auteur se déclarait victime était constituée par sa
condamnation en vertu de la loi sur la sécurité nationale. La condamnation
ayant été prononcée après l'entrée en vigueur du Pacte, le 10 juillet
1990 (condamnation : 24 août 1990, appel : 11 janvier 1991, et arrêt de
la Cour suprême : 26 avril 1991), le Comité n'était pas empêché ratione
temporis d'examiner la communication.
6.3 L'État partie faisait valoir que l'auteur avait bénéficié de la protection
absolue de ses droits tout au long des procédures judiciaires dont il
avait fait l'objet et que ce qu'il contestait, c'était, d'une façon générale,
la compatibilité de la loi sur la sécurité nationale avec le Pacte. Le
Comité ne partageait pas cet avis. L'auteur disait qu'il avait été condamné
en vertu des paragraphes 1 et 5 de l'article 7 sur la sécurité nationale
pour des actes qui n'étaient rien d'autre que l'exercice de la liberté
d'expression. Il ajoutait - et étayait ses allégations en fournissant
le texte des jugements de condamnation et des jugements en appel - qu'aucune
preuve n'avait été apportée pour démontrer qu'il avait l'intention précise
de mettre la sécurité de l'État en danger ou que le moindre préjudice
avait été porté à l'État. De telles allégations ne visaient pas à contester
dans l'abstrait la compatibilité de la loi sur la sécurité nationale avec
le Pacte mais tendaient à montrer que l'auteur avait été victime d'une
violation par l'État partie de son droit à la liberté d'expression tel
qu'il est consacré à l'article 19 du Pacte. Cet argument avait été suffisamment
étayé pour que l'État partie fût tenu d'y répondre quant au fond.
6.4 Ayant examiné les documents qui lui avaient été soumis, le Comité
était convaincu que l'auteur avait épuisé tous les recours internes disponibles
au sens du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif; il a noté
à cet égard que l'État partie n'avait pas contesté la recevabilité de
la communication en invoquant ce motif d'irrecevabilité.
7. En conséquence, le 14 mars 1996, le Comité des droits de l'homme a
décidé que la communication était recevable dans la mesure où elle semblait
soulever des questions au titre de l'article 19 du Pacte.
Réponse de l'État partie sur le fond et commentaires du conseil
8.1 Dans sa réponse, datée du 21 février 1997, l'État partie explique
que sa constitution garantit aux citoyens les libertés et les droits fondamentaux,
y compris le droit à la liberté de conscience, à la liberté de parole
et de la presse et à la liberté de réunion et d'association. La loi ne
peut restreindre ces droits et libertés que dans la mesure où cela est
nécessaire pour des raisons de sécurité nationale, d'ordre public ou d'intérêt
public. La Constitution stipule en outre que, même lorsque de telles restrictions
sont imposées, elles ne peuvent porter atteinte aux aspects essentiels
des droits et libertés.
8.2 L'État partie ajoute qu'il maintient la loi sur la sécurité nationale
en tant que moyen juridique minimum de sauvegarder son système démocratique,
dont la sécurité est constamment menacée par la Corée du Nord. La loi
contient certaines dispositions qui limitent partiellement les libertés
ou les droits aux fins de protéger la sécurité nationale, conformément
à la Constitution /L'article premier de la loi sur la sécurité nationale
énonce ce qui suit : "La présente loi vise à combattre les activités
subversives qui mettent en péril la sécurité nationale, afin d'assurer
la sécurité de l'État ainsi que l'existence et la liberté des citoyens".
Le paragraphe 1 de l'article 7 dispose que "Quiconque a glorifié
ou encouragé les activités d'une organisation subversive ou de ses membres
ou s'y est associé, ou a reçu des instructions d'une telle organisation,
ou a servi ses intérêts par d'autres moyens est puni d'une peine de prison
d'une durée de sept ans au maximum". Le paragraphe 5 de l'article
7 dispose que "Quiconque a, aux fins de commettre les actes visés
dans les paragraphes qui précèdent, produit, importé, reproduit, gardé,
transporté, diffusé ou acquis des documents, illustrations ou autres moyens
d'expression analogues, est puni de la peine prévue au paragraphe pertinent"./.
8.3 Selon l'État partie, l'auteur a outrepassé les limites du droit à
la liberté d'expression. L'État partie fait référence à ce sujet au raisonnement
suivi par la chambre d'appel du tribunal pénal du district de Séoul dans
son jugement du 11 janvier 1991, selon lequel il existait suffisamment
de preuves pour conclure que l'auteur se livrait à des activités subversives
au profit de la Corée du Nord, et que les documents qu'il avait distribués
et les manifestations qu'il avait organisées et qui avaient entraîné des
troubles publics graves faisaient peser un danger manifeste sur l'existence
de l'État et son ordre public libre et démocratique. À cet égard, l'État
partie soutient que l'exercice de la liberté d'expression doit non seulement
être pacifique mais aussi viser un but pacifique. Il fait valoir que l'auteur
a produit et diffusé auprès du public des documents par lesquels il encourageait
l'idéologie nord-coréenne visant à imposer le communisme par la force
dans la péninsule coréenne, et faisait de la propagande pour cette idéologie.
De surcroît, l'auteur a organisé des manifestations illégales au cours
desquelles de multiples actes de violence ont été commis contre la police.
L'État partie ajoute que ces actes menaçaient sérieusement l'ordre public
et la sécurité, et ont fait un certain nombre de blessés.
8.4 En conclusion, l'État partie déclare qu'il est fermement persuadé
que le Pacte ne cautionne pas les actes de violence ni les actes de provocation
à la violence commis au nom de l'exercice du droit à la liberté d'expression.
9.1 Dans ses commentaires sur la réponse de l'État partie, le conseil
réaffirme que ce n'est pas la condamnation de l'auteur en vertu de la
loi sur les manifestations et les réunions et de la loi réprimant les
actes de violence qui est en cause dans la communication présentée. Selon
lui, le fait que l'auteur a été condamné au titre de ces lois ne saurait
justifier qu'il soit condamné au titre de la loi sur la sécurité nationale
pour avoir exprimé des opinions présumées servir les intérêts de l'ennemi.
Le conseil affirme donc que si l'expression des opinions en question n'a
pas mis la sécurité du pays en danger, l'auteur n'aurait pas dû être puni
au titre de la loi sur la sécurité nationale.
9.2 Le conseil note que l'État partie a rétabli les droits électoraux
de l'auteur et que ce dernier a été élu membre de l'Assemblée nationale
lors des élections générales tenues en avril 1996. C'est pourquoi le conseil
conteste les motifs de la condamnation de l'auteur, à savoir qu'il aurait
encouragé l'idéologie nord-coréenne visant à imposer le communisme par
la force dans la péninsule coréenne, et fait de la propagande pour cette
idéologie.
9.3 Selon le conseil, au moyen de la loi sur la sécurité nationale, l'État
partie étouffe la démocratie sous prétexte de la protéger. Dans cet ordre
d'idées, le conseil soutient que l'essence d'un système démocratique est
de garantir l'exercice pacifique de la liberté d'expression.
9.4 Le conseil ajoute que l'État partie n'a pas prouvé au-delà de tout
doute raisonnable que l'auteur avait mis en danger la sécurité du pays
en diffusant des documents. L'État partie n'a pas établi qu'il y ait eu
une relation entre la Corée du Nord et l'auteur, et n'a pas démontré quel
type de menace les expressions des opinions de l'auteur avaient représenté
pour la sécurité du pays. Selon le conseil, l'usage fait par l'auteur
de sa liberté d'expression non seulement était pacifique mais visait un
but pacifique.
9.5 Enfin, évoquant le processus de démocratisation engagé en Corée,
le conseil affirme que l'évolution actuelle est due aux sacrifices consentis
par beaucoup de gens comme l'auteur. Il fait observer que nombre des militants
qui avaient été condamnés comme communistes en vertu de la loi sur la
sécurité nationale jouent aujourd'hui un r_le important comme membres
de l'Assemblée nationale.
10.1 Dans une nouvelle réponse, datée du 21 février 1997, l'État partie
réaffirme que l'auteur avait également été condamné pour avoir organisé
des manifestations violentes, et souligne que s'il a été condamné en vertu
de la loi sur la sécurité nationale c'est parce qu'il s'était aligné sur
la stratégie d'unification de la Corée du Nord en militant pour l'unification
dans des textes qui avaient été distribués aux quelque 4 000 participants
au Congrès fondateur du Mouvement de coalition nationale pour la démocratie
et parce que des activités qui contribuent à la mise en oeuvre de la stratégie
de la Corée du Nord constituent des actes de subversion contre l'État.
À cet égard, l'État partie note qu'il est techniquement en guerre avec
la Corée du Nord depuis 1953 et que celle-ci continue à essayer de le
déstabiliser. Il soutient donc que des mesures défensives propres à sauvegarder
la démocratie sont nécessaires et maintient que la loi sur la sécurité
nationale est l'instrument juridique minimum absolu, indispensable pour
protéger la démocratie libérale dans le pays.
10.2 L'État partie explique que les droits électoraux de l'auteur ont
été rétablis parce que celui-ci n'avait pas récidivé pendant une période
déterminée après avoir purgé sa peine de prison, et afin de faciliter
la réconciliation nationale. L'État partie ajoute que le fait que les
droits de l'auteur aient été rétablis n'efface pas ses activités criminelles
passées.
10.3 L'État partie reconnaît avec le conseil que la liberté d'expression
est un des éléments essentiels d'un système libre et démocratique. Il
souligne cependant que cette liberté d'expression ne saurait être garantie
sans conditions à ceux qui veulent détruire et subvertir le système libre
et démocratique. L'État partie explique que la simple expression d'idéologies
ou la recherche fondamentale sur les idéologies n'est pas punissable en
vertu de la loi sur la sécurité nationale, même si ces idéologies sont
incompatibles avec le système démocratique libéral. Il n'en reste pas
moins que les actes commis au nom de la liberté de parole mais qui portent
atteinte à l'ordre fondamental du système démocratique libéral du pays
sont punissables pour des raisons de sécurité nationale.
10.4 En ce qui concerne l'argument du conseil selon lequel l'État partie
n'a pas établi qu'il y ait eu une relation entre l'auteur et la Corée
du Nord ni que ses actions représentaient une menace grave pour la sécurité
nationale, l'État partie fait observer que la Corée du Nord essaie de
déstabiliser le pays en préconisant le renversement du "régime militaro-fasciste"
de la Corée du Sud en faveur d'un "gouvernement démocratique populaire",
qui amènerait "l'unification de la patrie" et la "libération
du peuple". Dans les documents distribués par l'auteur, on soutenait
que le Gouvernement de la Corée du Sud cherchait à maintenir la division
et le régime dictatorial du pays; que le peuple coréen luttait depuis
un demi-siècle contre l'influence néocoloniale des États-Unis d'Amérique
et du Japon, qui vise à maintenir la péninsule coréenne divisée et le
peuple opprimé; que les armes nucléaires et les forces américaines doivent
être retirées de la Corée du Sud car leur présence constitue une grave
menace pour l'existence nationale et pour le peuple; et qu'il faut mettre
fin aux manoeuvres militaires conjointes entre la Corée du Sud et les
États-Unis.
10.5 L'État partie affirme qu'il recherche l'unification pacifique, et
non pas le maintien de la division comme le soutient l'auteur. Il conteste
d'ailleurs l'opinion subjective de l'auteur au sujet de la présence des
forces américaines et de l'influence des États-Unis et du Japon. Il souligne
que la présence des forces américaines a effectivement dissuadé la Corée
du Nord d'imposer le communisme dans la péninsule par la force militaire.
10.6 Selon l'État partie, il est évident que les arguments de l'auteur
sont les mêmes que ceux de la Corée du Nord, et que ses activités ont
donc aidé la Corée du Nord et suivaient sa stratégie et sa tactique. L'État
partie reconnaît que la démocratie implique que l'on autorise les opinions
dissidentes à se faire entendre mais soutient qu'il doit y avoir une limite
à certaines actions afin de ne pas porter préjudice à l'ordre fondamental
nécessaire à l'existence nationale. L'État partie estime qu'il est illégal
de produire et de distribuer des textes qui glorifient et encouragent
l'idéologie nord-coréenne et qui servent son objectif stratégique consistant
à anéantir le système libre et démocratique de la République de Corée.
Pareilles activités, qui visent à favoriser ces visées violentes, ne sauraient
selon lui être considérées comme pacifiques.
11. Par une lettre datée du 1er juin 1998, le conseil de l'auteur informe
le Comité qu'il n'a pas d'autres commentaires à formuler.
Délibérations du Comité
12.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises
par les Parties, comme il y est tenu par le paragraphe 1 de l'article
5 du Protocole facultatif.
12.2 Le Comité fait observer que, conformément à l'article 19 du Pacte,
toute restriction du droit à la liberté d'expression doit simultanément
satisfaire aux conditions ci-après : elle doit être fixée par la loi,
elle doit viser l'un des buts énoncés aux alinéas a) et b) du paragraphe
3 de l'article 19 (respect des droits et de la réputation d'autrui; sauvegarde
de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité
publique) et elle doit être nécessaire pour parvenir à une fin légitime.
12.3 La restriction du droit de l'auteur à la liberté d'expression était
bien fixée par une loi, à savoir la loi sur la sécurité nationale telle
qu'elle était libellée à l'époque; il ressort clairement des décisions
des tribunaux qu'en l'occurrence l'auteur aurait probablement été condamné
aussi s'il avait été jugé en vertu de la loi telle qu'elle a été modifiée
en 1991, mais ce n'est pas cela qui est en cause en l'espèce. La seule
question qui se pose au Comité est de savoir si la restriction de la liberté
d'expression, telle qu'elle a été invoquée à l'encontre de l'auteur, était
nécessaire pour l'une des fins énoncées au paragraphe 3 de l'article 19.
La nécessité d'un examen minutieux par le Comité s'impose d'autant plus
que le délit incriminé en vertu de la loi sur la sécurité nationale est
formulé en termes généraux et ambigus.
12.4 Le Comité note que l'auteur a été condamné pour avoir lu et distribué
des textes exprimant des opinions dont on a estimé qu'elles coïncidaient
avec les déclarations de politique générale de la République populaire
démocratique de Corée (Corée du Nord), pays avec lequel l'État partie
est en guerre. Il a été condamné par les tribunaux parce qu'il avait agi
dans l'intention de s'associer aux activités de la République populaire
démocratique de Corée. La Cour suprême a estimé que le simple fait de
savoir que l'activité en question pouvait servir les intérêts de la Corée
du Nord suffisait pour établir la culpabilité. Même s'il tient compte
de ce fait, le Comité doit se demander si le discours politique de l'auteur
et la distribution par celui-ci de documents politiques ressortissent
aux conditions énoncées au paragraphe 3 de l'article 19, à savoir la sauvegarde
de la sécurité nationale, pour l'imposition de restrictions. Il est évident
que les politiques de la Corée du Nord étaient bien connues dans le territoire
de l'État partie, mais on voit mal en quoi le fait d'avoir pu "servir"
(notion qui reste à définir) les intérêts de la République populaire démocratique
de Corée en publiant des vues similaires aux siennes créait un risque
pour la sécurité nationale, tout comme il est difficile de discerner la
nature et la portée dudit risque. Rien n'indique que les tribunaux, à
quelque niveau que ce soit, aient considéré ces aspects ou examiné si
la teneur de la déclaration ou des documents a eu sur l'audience ou sur
les lecteurs tout autre effet de nature à menacer la sécurité nationale,
de sorte que la restriction prévue dans le Pacte aurait été justifiée
car nécessaire.
12.5 Le Comité estime en conséquence que l'État partie n'a pas indiqué
la nature précise de la menace qu'aurait posée l'exercice par l'auteur
de sa liberté d'expression et que l'État partie n'a pas fourni de justifications
spécifiques quant à la raison pour laquelle, en plus de poursuivre l'auteur
pour infraction à la loi sur les manifestations et les réunions et à la
loi réprimant les actes de violence (ce qui n'est pas l'un des éléments
de la plainte de l'auteur), il était nécessaire pour des raisons de sécurité
nationale de le poursuivre aussi pour avoir exercé sa liberté d'expression.
Le Comité estime par conséquent que la restriction du droit de l'auteur
à la liberté d'expression n'était pas compatible avec les prescriptions
du paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte.
13. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître une violation de l'article 19 du Pacte.
14. Aux termes du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie
a l'obligation d'assurer à l'auteur un recours utile.
15. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie
a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait
eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte,
il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le
Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
Il demande aussi à l'État partie de faire traduire et publier les constatations
du Comité.
_____________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de
la communication : M. Nisuke Ando, M. Buergenthal, Mme Christine Chanet,
Lord Colville, M. Omran El Shafei, Mme Elizabeth Evatt, M. Eckart Klein,
M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin
Scheinin, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et M. Abdalla Zakhia.
** Le texte de l'opinion individuelle d'un membre du Comité M. Nisuke
Ando est joint en annexe au présent document.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de M. Nisuke Ando (exprimant son désaccord)
Je ne suis pas en mesure de me rallier aux constatations du Comité en
l'espèce selon lesquelles "la restriction du droit de l'auteur à
la liberté d'expression n'était pas compatible avec les prescriptions
du paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte" (par. 12.5).
Selon le Comité, "rien n'indique que les tribunaux, à quelque niveau
que ce soit, aient [...] examiné si la teneur de la déclaration [de l'auteur]
ou des documents [qu'il a distribués] a eu sur l'audience ou sur les lecteurs
tout autre effet de nature à menacer la sécurité nationale" (par.
12.4) et "l'État partie n'a pas fourni de justifications spécifiques
quant à la raison pour laquelle, en plus de poursuivre l'auteur pour infraction
à la loi sur les manifestations et les réunions et à la loi réprimant
les actes de violence (ce qui n'est pas l'un des éléments de la plainte
de l'auteur), il était nécessaire pour des raisons de sécurité nationale
de le poursuivre aussi pour avoir exercé sa liberté d'expression"
(par. 12.5).
Toutefois, comme l'a noté l'État partie, l'auteur a été "condamné,
pour avoir, à plusieurs occasions entre janvier 1989 et mai 1990, organisé
des manifestations illégales et été à l'origine d'actes de violence. Au
cours de ces manifestations... les participants 'ont lancé des milliers
de cocktails Molotov et de pierres en direction des postes de police ainsi
que d'autres locaux abritant des bureaux du Gouvernement. Ils ont également
mis le feu à [des] véhicules et blessé 134 policiers'" (par. 4.2).
À cet égard, le Comité lui-même "note que l'auteur a été condamné
pour avoir lu et distribué des textes exprimant des opinions [qui] coïncidaient
avec les déclarations de politique générale de la République populaire
démocratique de Corée (Corée du Nord), pays avec lequel l'État partie
est officiellement en guerre" (par. 12.4. Voir aussi l'explication
de l'État partie aux paragraphes 10.4 et 10.5).
Le conseil de l'auteur fait valoir que "ce n'est pas la condamnation
de l'auteur en vertu de la loi sur les manifestations et les réunions
et de la loi réprimant les actes de violence qui est en cause dans la
communication présentée" et que "le fait que l'auteur a été
condamné au titre de ces lois ne saurait justifier qu'il soit condamné
au titre de la loi sur la sécurité nationale pour avoir exprimé des opinions
présumées servir les intérêts de l'ennemi" (par. 9.1).
Toutefois, c'est parce qu'il a lu et distribué les textes en question,
motifs pour lesquels il a été condamné au titre de ces lois, que l'auteur
a été puni au titre de la loi sur la sécurité nationale pour les activités
menaçant l'ordre public évoquées par l'État partie. Or le conseil ne réfute
pas le fait qu'en lisant et distribuant les textes en question l'auteur
ait effectivement menacé l'ordre public, ce qui aurait pu être perçu par
l'État partie comme un danger pour la sécurité nationale.
Je partage effectivement la préoccupation du conseil quant au fait que
certaines dispositions de la loi sur la sécurité nationale sont trop vaguement
formulées pour éviter leur application et leur interprétation abusives.
Mais il demeure, malheureusement, que la Corée du Sud a été envahie par
la Corée du Nord dans les années 50 et que la détente Est-Ouest n'a pas
encore pleinement fait ressentir ses effets dans la péninsule coréenne.
Quoi qu'il en soit, le Comité n'a pas d'informations démontrant que les
actes susmentionnés de l'auteur n'ont pas fait que l'ordre public a été
menacé et aux termes du paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte la sauvegarde
de l'"ordre public" ainsi que de la "sécurité nationale"
est un motif légitime de restriction de l'exercice du droit à la liberté
d'expression.
[Signé] Nisuke Ando