Présentée par : Mme Rosa Espinoza de Polay
Au nom de : Víctor Alfredo Polay Campos, mari de l'auteur
Etat partie : Pérou
Date de la communication : 5 mars 1993 (date de la lettre initiale)
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* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de
la communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, M.
Thomas Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville, M. Omran El Shafei,
Mme Elizabeth Evatt, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin Scheinin,
M. Danilo Türk et M. Maxwell Yalden.
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 6 novembre 1997,
Ayant achevé l'examen de la communication No 577/1994, présentée
au Comité par Mme Rosa Espinoza de Polay au nom de son mari, M. Víctor
Alfredo Polay Campos en vertu du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'Etat partie,
Adopte les constations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Rosa Espinoza de Polay, citoyenne
péruvienne résidant actuellement à Nantes (France). Elle présente la communication
au nom de son mari, Víctor Alfredo Polay Campos, citoyen péruvien actuellement
détenu dans la prison de haute sécurité de la base navale de Callao, à
Lima (Pérou). Elle déclare qu'il est victime de violations, par le Pérou,
des articles 2, paragraphe 1; 7; 10; 14 et 16 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le mari de l'auteur est le dirigeant du Mouvement révolutionnaire
Túpac Amaru (MRTA). Il a été arrêté à Lima le 9 juin 1992. Le 22 juillet
1992, il a été transféré à la prison "Miguel Castro" à Yanamayo,
près de la ville de Puno qui se trouve à 4 000 mètres d'altitude. Les
conditions de détention dans cette prison seraient inhumaines. Selon l'auteur,
son mari est demeuré pendant neuf mois en isolement cellulaire 23 heures
et 30 minutes par jour, dans une cellule de 2 mètres sur 2, sans électricité
ni eau. Il n'avait pas le droit d'écrire ou de parler à qui que ce soit
et ne pouvait sortir de sa cellule qu'une fois par jour, pendant 30 minutes.
L'auteur déclare en outre que dans cette prison, il fait en permanence
entre zéro et -5° et que la nourriture est insuffisante.
2.2 Le 3 avril 1993, Víctor Alfredo Polay Campos a été jugé à la prison
de Yanamayo par un "tribunal sans visage" - tribunal dont les
juges sont autorisés à se couvrir le visage pour préserver leur anonymat
et ne pas servir de cible aux membres actifs de groupes terroristes -
institué en application de la législation antiterroriste spéciale. Il
aurait eu beaucoup de mal à se faire représenter au tribunal et à préparer
sa défense. L'auteur ne précise pas pour quel(s) délit(s) son mari a été
condamné, mais il ressort du dossier qu'il a été condamné pour "terrorisme
aggravé".
2.3 Le 26 avril 1993, Víctor Alfredo Polay Campos a été transféré à la
prison de la base navale de Callao, près de Lima. L'auteur joint une coupure
de journal montrant Víctor Polay Campos, menottes aux mains, enfermé dans
une cage. Elle affirme que pendant le trajet entre Yanamayo et Callao,
son mari a été passé à tabac et torturé à l'électricité.
2.4 L'auteur affirme en outre que son mari est détenu dans une cellule
au sous-sol où le soleil ne pénètre que 10 minutes par jour par une petite
ouverture ménagée au plafond. Pendant la première année de sa peine, il
n'a pas eu le droit de recevoir de visites de ses amis ou de ses parents,
ni d'écrire à quiconque, ni de recevoir du courrier. Seule une délégation
du Comité international de la Croix-Rouge a été autorisée à lui rendre
visite.
2.5 Pour ce qui est de l'épuisement des recours internes, l'auteur indique
que le défenseur de son mari a fait appel de la condamnation et de la
peine, mais que la chambre des appels du tribunal a confirmé la décision
rendue en première instance. Elle affirme en outre que l'avocat, Me Eduardo
Díaz Canales, a lui-même été emprisonné en juin 1993, uniquement pour
avoir assuré la défense de son mari et que depuis lors "tout est
paralysé". Le 3 juin 1994, un recours en amparo (demande en
habeas corpus) pour mauvais traitements a été formé au nom de M.
Polay Campos par sa mère auprès de la Cour constitutionnelle. Selon l'auteur,
le recours a été rejeté à une date non précisée.
2.6 Le 3 août 1993, l'Assemblée constituante a rétabli la peine de mort
pour les actes de terrorisme. L'auteur craint que cette nouvelle disposition
ne soit appliquée rétroactivement à son mari et que celui-ci ne soit condamné
à mort.
2.7 L'auteur ne précise pas si la même question a été soumise à une autre
instance internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité a cependant
appris qu'une autre affaire concernant le mari de l'auteur avait été soumise
à la Commission interaméricaine des droits de l'homme (affaire No 11048)
mais qu'elle n'était pas actuellement à l'examen.
Teneur de la plainte
3. L'auteur affirme que la situation exposée ci-dessus révèle que son
mari est victime de violations, par le Pérou, du paragraphe 1 de l'article
2 et des articles 7, 10, 14 et 16 du Pacte.
Renseignements et observations communiqués par l'Etat partie et
commentaires de l'auteur
4.1 Dans une note verbale datée du 1er février 1995, l'Etat partie a
demandé au Comité de cesser d'examiner la communication, faisant observer
que le mari de l'auteur avait déjà été jugé conformément à la législation
relative aux actes de terrorisme et que ses droits de l'homme avaient
été parfaitement respectés. Il ajoutait que le mari de l'auteur était
traité correctement par les autorités pénitentiaires, comme en témoignaient
les visites périodiques que lui rendaient des délégués du Comité international
de la Croix-Rouge.
4.2 Dans la même note verbale, l'Etat partie a déclaré, au sujet des
mauvais traitements que le mari de l'auteur aurait subis, qu'outre les
visites que lui avaient rendues des délégués de la Croix-Rouge, il avait
reçu le 20 décembre 1994 la visite du procureur et d'un médecin légiste.
Ces derniers n'avaient trouvé aucune trace de mauvais traitements et avaient
dit que les contractions musculaires et la tension nerveuse dont souffrait
M. Polay Campos étaient des sympt_mes normaux résultant de son incarcération.
4.3 Dans une nouvelle note datée du 21 mars 1995, l'Etat partie a déclaré
que l'auteur n'avait présenté aucun nouvel argument et n'avait pas contesté
la thèse de l'Etat partie. Celui-ci n'a toutefois pas expressément réfuté
les allégations de l'auteur selon lesquelles son mari aurait été maltraité.
5. L'auteur a fait des observations au sujet de cette déclaration mais
n'a produit aucun nouvel élément de preuve.
Décisions du Comité concernant la recevabilité
6.1 A sa cinquante-sixième session, en mars 1996, le Comité a examiné
la question de la recevabilité de la communication. Il a noté qu'une affaire
concernant M. Polay Campos avait été soumise à la Commission interaméricaine
des droits de l'homme qui l'avait enregistrée sous le No 11048 en août
1992, mais que la Commission avait fait savoir qu'elle n'avait pas l'intention
d'établir un rapport sur cette affaire dans les 12 prochains mois. Dans
ces conditions, le Comité a estimé que l'alinéa a) du paragraphe 2 de
l'article 5 du Protocole facultatif ne l'empêchait pas d'examiner la communication
/ La situation n'avait pas changé en octobre 1997./.
6.2 En ce qui concerne la plainte de l'auteur selon laquelle son mari
aurait été torturé et soumis à un traitement contraire aux articles 7
et 10 du Pacte, le Comité a estimé que les faits, tels qu'ils étaient
présentés par l'auteur, semblaient en effet soulever des questions au
titre du Pacte, en particulier des articles 7 et 10.
6.3 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la peine de mort pourrait
être appliquée rétroactivement à son mari, l'auteur n'a pas fourni la
preuve que les dispositions de la nouvelle législation péruvienne élargissant
l'application de la peine de mort avaient été appliquées rétroactivement
à son mari. Cette allégation est donc irrecevable en vertu de l'article
2 du Protocole facultatif.
6.4 Le Comité a noté que l'auteur avait formulé des allégations détaillées
concernant les conditions de détention de son mari, et des allégations
concernant l'incompatibilité de la procédure devant le tribunal militaire
spécial avec l'article 14. Il a noté que, selon l'Etat partie, l'action
pénale engagée contre M. Polay Campos avait respecté la procédure établie
en vertu de la législation antiterroriste actuellement en vigueur au Pérou.
Il a conclu que cette affirmation devait être examinée quant au fond.
6.5 En conséquence, le Comité a déclaré le 15 mars 1996 la communication
recevable. L'Etat partie a été prié, en particulier, de lui communiquer
une copie des rapports pertinents établis par les délégués du Comité international
de la Croix-Rouge sur les visites qu'ils avaient rendues à M. Polay Campos
et de ceux établis par le procureur et le médecin qui l'avaient vu et
examiné le 20 décembre 1994, ainsi que des rapports sur toute autre visite
ultérieure. L'Etat partie était prié de veiller à ce que M. Polay Campos
reçoive les soins médicaux nécessaires dans son lieu de détention. Il
était aussi prié de fournir au Comité des renseignements détaillés sur
le fonctionnement des tribunaux spéciaux créés en vertu de la législation
antiterroriste du Pérou, ainsi que des renseignements sur les conditions
actuelles de détention de la victime.
Observations de l'Etat partie quant au fond
7.1 A trois notes datées des 27 août, 12 et 28 novembre 1996, l'Etat
partie joint copie de plusieurs des rapports demandés par le Comité, ainsi
que des renseignements sur les soins médicaux dispensés à M. Polay Campos
et sur ses conditions actuelles de détention. Il ne donne toutefois aucun
renseignement sur ses conditions de détention à la prison Castro Castro
de Yanamayo, ni sur l'allégation selon laquelle il aurait subi des mauvais
traitements pendant son transfert de Yanamayo à la prison de haute sécurité
de la base navale de Callao.
7.2 L'Etat partie note que deux documents concernant M. Polay Campos
ont été soumis lors de son transfert à la base navale de Callao. Dans
l'un de ces documents, portant sur une évaluation psychologique faite
le 23 juillet 1992 à Puno (ville proche de Yanamayo), l'apparence et l'état
de santé de la victime présumée étaient qualifiés de "normaux";
l'autre document était le dossier de M. Polay Campos tel qu'il avait été
établi par un service du Ministère de la justice.
7.3 L'Etat partie transmet, au sujet de l'état de santé de M. Polay Campos,
la copie de trois rapports. Le premier de ces rapports, daté du 26 avril
1993, concluait que, dans l'ensemble, M. Polay Campos avait l'air d'aller
bien et que son état de santé était normal ("apreciación general:
... despierto, ... orientado en tiempo, espacio y persona. Algo ansioso,
no refiere molestiía ninguna"). Il relève aussi que M. Polay
Campos ne portait aucune cicatrice ni trace de mauvais traitements ("...
piel y anexos: no signos de lesiones primares y secundarias").
7.4 Le deuxième rapport communiqué par l'Etat partie concerne la visite
que le procureur et un médecin légiste ont rendue le 20 décembre 1994
à M. Polay Campos (voir par. 4.2 ci-dessus). Il y est noté que M. Polay
Campos souffre de contractions musculaires, dues essentiellement au stress
psychologique causé par les conditions de sa détention. Le médecin qui
a aussi constaté que M. Polay Campos se plaignait de douleurs à l'épaule
gauche, lui a prescrit du piroxican. Dans ce rapport, on souligne que,
vu le stress émotionnel auquel l'intéressé était soumis, il devrait prendre
des sédatifs pour dormir correctement et que l'idéal serait qu'il suive
une psychothérapie. Par ailleurs, on le dit en bonne santé et les examens
cliniques qu'il a subis ne révèlent aucun signe de mauvais traitements
ou de contraintes physiques. M. Polay Campos a confirmé qu'il avait passé
un contr_le médical tous les 15 jours et qu'au dernier contr_le on lui
avait prescrit du piroxican; il a aussi confirmé que chaque fois qu'il
avait des problèmes de santé, il était traité par un médecin et recevait
les médicaments nécessaires. Quand il en a eu besoin, il a pu se faire
soigner les dents.
7.5 Le troisième rapport, rédigé en 1996 à une date non précisée, conclut
là encore que l'état de santé de M. Polay Campos est normal (buen estado
general, lúcido, orientado en espacio, persona y tiempo, comunicativo,
entímico asiíntomático - peso 76 kg) et que rien ne donnait à penser
que sa vue se détériorait, contrairement à ce que sa mère avait signalé
(visión y campo visual conservados...). Ce dernier rapport comporte
un résumé de toutes les visites médicales et énumère les médicaments prescrits
à M. Polay Campos. L'Etat partie souligne une fois de plus que depuis
qu'il a été transféré à la base navale de Callao, Víctor Polay Campos
a subi des examens médicaux à peu près tous les 15 jours et chaque fois
que son état l'exigeait. Il a fait l'objet et continue de faire l'objet
de contr_les psychiatriques et dentaires.
7.6 L'Etat partie réaffirme que M. Polay Campos a aussi reçu régulièrement
des visites de délégués du Comité international de la Croix-Rouge, qui
ont corroboré les rapports sur son état de santé établis par les médecins
de la base navale de Callao. Il ajoute qu'il n'a jamais reçu de rapports
écrits des délégués de la Croix-Rouge, attendu que les visites à M. Polay
Campos sont de nature confidentielle. Selon une liste fournie par l'Etat
partie, M. Polay Campos a reçu des visites de délégués de la Croix-Rouge
à 21 occasions entre le début décembre 1993 et la fin août 1996; il ressort
de cette liste que le laps de temps le plus long qui s'est écoulé entre
deux visites a été de trois mois et 28 jours (entre le 25 octobre 1994
et le 22 février 1995).
7.7 Se référant aux conditions de détention actuelles de Víctor Polay
Campos, l'Etat partie fournit les renseignements suivants sur ses droits:
- 30 minutes de marche ou de sport chaque jour dans la cour de la prison;
- une visite de deux membres de la famille, une fois par mois pendant
30 minutes;
- trois heures d'écoute de cassettes sur baladeur par semaine;
- lessive une fois par semaine;
- une coupe de cheveux tous les 15 jours;
- trois repas par jour;
- accès à des livres et revues;
- et possibilité de correspondre avec les proches.
7.8 L'Etat partie ne donne pas de renseignements sur le procès de Víctor
Polay Campos ni sur la procédure suivie en général par ce qu'il est convenu
d'appeler les "tribunaux sans visage". Il se contente de communiquer
la copie d'un avis juridique du procureur général (fiscal supremo),
daté du 21 avril 1993, qui conclut que le verdict rendu par la chambre
spéciale de la Cour supérieure de Lima (le 3 avril 1993) respectait les
prescriptions de procédure et était donc valable. La Cour suprême a fait
sienne cette conclusion le 24 mai 1993. L'Etat partie confirme que le
jugement rendu par la chambre spéciale de la Cour supérieure de Lima est
exécutoire et qu'aucun recours en révision n'a été formé au nom de Víctor
Polay Campos.
Examen de la communication quant au fond
8.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises
par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole
facultatif.
8.2 Deux questions se posent en l'espèce : premièrement, les conditions
de détention de M. Polay Campos et les mauvais traitements auxquels il
aurait été soumis constituent-ils une violation des articles 7 et 10 du
Pacte ? Deuxièmement, son procès devant des juges anonymes ("juges
sans visage") constitue-t-il une violation du paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte ?
8.3 En ce qui concerne la première question, le Comité a noté que l'Etat
partie n'avait fourni aucun renseignement sur la détention de M. Polay
Campos à la prison Castro Castro de Yanamayo du 22 juillet 1992 au 26
avril 1993, ni sur les circonstances de son transfert à la base navale
de Callao, alors qu'il avait donné des renseignements sur ses conditions
de détention à Callao. Il y a lieu, à son avis, de traiter séparément
ces deux périodes de détention distinctes.
Détention du 22 juillet 1992 au 26 avril 1993 et transfert de Yanamayo
à Callao
8.4 L'auteur a affirmé que Víctor Polay Campos avait été détenu au secret
à partir du moment de son arrivée à la prison de Yanamayo jusqu'à son
transfert au centre de détention de la base navale de Callao. L'Etat partie
n'a pas réfuté cette allégation et n'a pas non plus nié qu'il n'avait
été autorisé à parler ni à écrire à quiconque pendant cette période, ce
qui suppose aussi qu'il n'avait pas pu s'entretenir avec un avocat, qu'il
était détenu dans une cellule sans lumière pendant 23 heures et 30 minutes
par jour, à une température inférieure à zéro. De l'avis du Comité, ces
conditions constituaient une violation du paragraphe 1 de l'article 10
du Pacte.
8.5 L'auteur affirme que son mari a été roué de coups et a reçu des décharges
électriques pendant son transfert à la prison de la base navale de Callao
et qu'à cette occasion on l'a présenté devant les médias enfermé dans
une cage. Même si l'Etat partie n'a pas répondu à cette allégation, le
Comité considère que l'auteur n'a pas suffisamment étayé ses allégations
relatives au passage à tabac et aux décharges électriques pendant le transfert
de M. Polay Campos à Callao; il ne constate donc pas de violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10 due à ces motifs. En revanche, il
est incontestable que M. Polay Campos a été présenté à la presse enfermé
dans une cage pendant son transfert à Callao; il s'agit là de l'avis du
Comité, d'un traitement dégradant au sens de l'article 7 ainsi que d'un
traitement incompatible avec le paragraphe 1 de l'article 10, étant donné
que la dignité d'être humain de M. Polay Campos a été bafouée.
Détention à Callao du 26 avril 1993 à ce jour
8.6 Pour ce qui est de la détention de Víctor Polay Campos à Callao,
il ressort du dossier que pendant l'année qui a suivi sa condamnation,
c'est-à-dire jusqu'au 3 avril 1994, il n'a pas eu le droit de recevoir
de visites de membres de sa famille. Il n'a pas pu non plus recevoir ni
envoyer de lettres. Cette dernière information est corroborée par une
lettre datée du 14 septembre 1993 adressée à l'auteur par le Comité international
de la Croix-Rouge, indiquant que les délégués de la Croix-Rouge n'ont
pas pu lui remettre de lettres de sa famille lorsqu'ils lui ont rendu
visite le 22 juillet 1993 car la réception de courrier et l'échange de
correspondance étaient encore interdits. De l'avis du Comité, l'isolement
total de M. Polay Campos pendant une année, de même que les restrictions
dont sa correspondance avec sa famille a fait l'objet constituent un traitement
inhumain au sens de l'article 7 et sont incompatibles avec l'obligation
de traiter toute personne privée de liberté avec humanité énoncée au paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte.
8.7 En ce qui concerne les conditions générales de détention de M. Polay
Campos à Callao, le Comité a pris acte des renseignements détaillés donnés
par l'Etat partie sur le traitement médical que M. Polay Campos avait
reçu et continuait de recevoir, ainsi que sur ses droits en matière de
loisirs et de détente, d'hygiène personnelle, d'accès à des livres et
revues et de correspondance avec ses proches. L'Etat partie n'a pas répondu
à l'allégation selon laquelle M. Polay Campos demeurait détenu au secret
dans une cellule de 2 mètres sur 2 et qu'à part sa promenade quotidienne,
il ne pouvait pas voir la lumière du jour plus de 10 minutes par jour.
Le Comité se déclare profondément préoccupé par ces derniers aspects de
la détention de M. Polay Campos. Il conclut que ses conditions de détention
à Callao, en particulier son isolement pendant plus de 23 heures par jour
dans une cellule exiguë et l'impossibilité d'avoir plus de 10 minutes
de lumière du jour, constituent un traitement contraire à l'article 7
et au paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
Le procès de M. Polay Campos
8.8 Pour ce qui est du procès et de la condamnation de M. Polay Campos
le 3 avril 1993 par un tribunal spécial de "juges sans visage",
l'Etat partie n'a fourni aucun renseignement, malgré la demande que lui
avait adressée à cet effet le Comité dans sa décision concernant la recevabilité
le 15 mars 1996. Comme le Comité l'indiquait dans ses observations préliminaires
du 25 juillet 1996 / Voir Rapport annuel du Comité pour 1996
(A/51/40), par. 350 et 363./ sur le troisième rapport périodique du Pérou
et dans ses observations finales du 6 novembre 1996 sur le même rapport
/ Voir document CCPR/C/79/Add.72 (18 novembre 1996), par.
11./, les procès qui se déroulent devant des tribunaux spéciaux composés
de juges anonymes sont incompatibles avec l'article 14 du Pacte. On ne
saurait reprocher à l'auteur d'avoir fourni peu d'informations sur le
procès de son mari: en fait, la nature même du système de procès devant
des "juges sans visage" dans une prison éloignée de tout repose
sur l'interdiction du prétoire au public. Dans ce cas, les défendeurs
ne savent pas qui sont les juges devant qui ils sont traduits et ils peuvent
avoir des obstacles inacceptables à surmonter pour préparer leur défense
et communiquer avec leurs avocats. Qui plus est, ce système néglige un
aspect capital d'un procès régulier au sens de l'article 14 du Pacte,
à savoir que le tribunal doit être et doit sembler être indépendant et
impartial. Avec le système des "tribunaux sans visage" ni l'indépendance
ni l'impartialité des juges n'est garantie puisque le tribunal, créé spécialement,
peut être composé de militaires en service actif. De l'avis du Comité
un tel système ne garantit pas non plus le respect de la présomption d'innocence,
consacrée au paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte. En l'espèce, le Comité
conclut à une violation des paragraphes 1, 2 et 3 b) et d) de l'article
14 du Pacte.
9. Le Comité des droits de l'homme, agissant conformément au paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits portés
à son attention font apparaître une violation de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte en ce qui concerne la détention de M. Polay
Campos à Yanamayo, sa présentation au public enfermé dans une cage à l'occasion
de son transfert à Callao et sa détention à l'isolement complet pendant
sa première année d'incarcération à Callao et les conditions dans lesquelles
il est incarcéré à ce jour à Callao; il constate aussi une violation des
paragraphes 1, 2, 3 b) et d) de l'article 14 pour ce qui est de son procès
devant un tribunal composé de "juges sans visage".
10. Conformément à l'alinéa a) du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte,
l'Etat partie est tenu de garantir un recours utile à M. Víctor Polay
Campos. La victime a été condamnée à la suite d'un procès qui ne s'est
pas déroulé dans le respect des garanties judiciaires élémentaires. Le
Comité considère que M. Polay Campos doit être remis en liberté, à moins
que la législation péruvienne ne prévoie la possibilité de le juger de
nouveau, dans des conditions qui respectent toutes les garanties d'une
procédure régulière énoncées à l'article 14 du Pacte.
11. Etant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'Etat partie
a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait
eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte,
il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le
Comité souhaite recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignement sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
aussi ultérieurement en arabe, chinois et russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.].