Comité des droits de l'homme
Cinquante-quatrième session
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Cinquante-quatrième session -
Communication No 578/1994
Présentée par : Leonardus Johannes Maria de Groot
[représenté par un conseil]
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Pays-Bas
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 14 juillet 1995,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Leonardus Johannes Maria de Groot,
citoyen néerlandais, résidant à Heerlen (Pays-Bas). Il se déclare victime
d'une violation, par les Pays-Bas, des articles 4, 6, 7, 14, 15, 17, 18
et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur est un militant pacifiste et, en novembre 1988, il a pris
part à un rassemblement (appelé "camp pour la paix"), à Vierhouten,
près d'une base militaire, organisant des actions antimilitaristes relevant
de la désobéissance civile. Il a distribué des tracts expliquant le but
du rassemblement et, une fois, il a peint un symbole de paix sur un véhicule
militaire. Il a été arrêté le 6 novembre 1988 et inculpé d'atteinte à
l'ordre public et de participation à une organisation criminelle. Le 18
novembre 1988, le tribunal de première instance de Zwolle l'a déclaré
coupable d'atteinte à l'ordre public et l'a condamné à une amende de 100
florins. Il a été acquitté du chef de participation à une organisation
criminelle.
2.2 Le 22 novembre 1988, le Procureur général a fait appel du jugement.
Le 26 mai 1989, la cour d'appel d'Arnhem a déclaré nulle et non avenue
l'accusation d'atteinte à l'ordre public au motif qu'elle était imprécise,
mais a déclaré l'auteur coupable du chef de participation à une organisation
criminelle. L'auteur a été condamné à un mois d'emprisonnement (avec deux
ans de sursis à l'exécution de la peine) et à une amende de 1 000 florins.
L'auteur a ensuite formé un pourvoi en cassation contre la décision de
la cour d'appel. Le 19 janvier 1991, la Cour suprême (Hoge Raad)
des Pays-Bas a rejeté son pourvoi. L'auteur affirme avoir ainsi épuisé
tous les recours internes.
2.3 Le procureur a soutenu que le "camp pour la paix" avait
pour but la réalisation d'activités constituant des infractions pénales,
et que l'auteur, en y participant, avait fait partie d'une organisation
criminelle, c'est-à-dire une organisation ayant pour but d'employer la
violence contre des personnes ou des biens, ou de détruire ou d'endommager
illégalement des biens, ou de voler ou d'inciter autrui à commettre les
infractions susmentionnées. Le procureur se fondait sur les annonces que
les membres du camp avaient faites au public, avant et pendant le rassemblement,
y compris une "lettre ouverte à la population" dans laquelle
il était déclaré sans équivoque que les actions entreprises par les participants
comporteraient des activités illégales, telles que détériorer la clôture
entourant la base militaire, bloquer l'entrée de la base et peindre des
symboles ou des slogans sur du matériel militaire.
2.4 La cour d'appel a considéré qu'il était établi que l'auteur avait,
du 1er au 6 novembre 1988, participé au camp pour la paix, organisation
dont le but était d'employer la violence contre des biens ou de détruire
ou d'endommager intentionnellement et illégalement des biens ou de les
rendre inutilisables ou d'inciter autrui à commettre ces infractions ou
à en être complice. Elle a conclu que l'auteur avait donc violé l'article
140 du Code pénal en participant à une organisation à but délictueux.
L'article 140 du Code pénal néerlandais punit la participation à une organisation
dont le but est de commettre des infractions pénales.
2.5 L'avocat de l'auteur a fait valoir que l'article 140 du Code pénal
était entaché de nullité à cause de son imprécision; à cet égard, il s'est
référé à l'article 15 du Pacte. Il a affirmé en outre que le camp pour
la paix n'était pas une organisation au sens de l'article 140, puisqu'il
n'y avait pas de mécanisme de décision et que chaque personne décidait
pour son propre compte si elle voulait ou non se livrer à une certaine
activité en association avec les autres. Selon la défense, la seule forme
d'organisation était que quelqu'un avait réservé le terrain de camping
et qu'un transport avait été organisé pour ceux qui en avaient besoin.
2.6 La cour d'appel a rejeté les arguments de la défense, en déclarant
que le fait que l'article 140 exigeait une interprétation de la part des
juges ne le rendait pas nul. A cet égard, la cour a considéré que le fait
que différents rassemblements portant des noms similaires aient été organisés,
qu'ils aient été annoncés, que des adresses où l'on pouvait obtenir de
plus amples renseignements aient été données, que les coûts des rassemblements
aient été partagés et que la population locale ait été informée du but
des camps, étaient autant d'éléments indiquant l'existence d'une organisation
au sens de l'article 140. Bien qu'il n'existât pas d'adhésions officielles,
la cour a considéré que la participation à l'organisation était prouvée
par la participation active aux actions organisées par les membres du
camp.
2.7 Dans un complément d'information, l'auteur indique que, le 16 juillet
1989, lui-même et d'autres participants s'étaient livrés à des activités
pacifistes à la base aérienne de Valkenburg, dans l'intention de faire
obstacle à la militarisation entreprise, et qu'il avait ensuite été inculpé
d'infraction à l'article 140 du Code pénal, pour participation à une organisation
criminelle. Le 25 janvier 1991, le tribunal régional de La Haye l'a condamné
à une amende de 750 florins et à un emprisonnement de deux semaines avec
sursis. Le 9 juin 1992, la cour d'appel a condamné l'auteur à deux semaines
de prison ferme. Le pourvoi en cassation a été rejeté par la Cour suprême
le 11 mai 1993.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme qu'il a été condamné en violation des articles 14
et 15 du Pacte. A cet égard, sa condamnation constituerait une violation
de l'article 14 du Pacte parce qu'il n'a pas été informé de façon détaillée
de la nature de l'accusation portée contre lui. De plus, il soutient que
le chef d'accusation retenu contre lui, fondé sur l'article 140 du Code
pénal, était si vague qu'il équivalait à une violation de son droit d'être
informé de façon détaillée de la nature et des motifs de l'accusation
portée contre lui. Il ajoute que l'application de l'article 140 du Code
pénal dans son cas viole le principe de la légalité, étant donné que le
texte de l'article est si vague qu'il était impossible d'imaginer qu'il
était applicable à la participation de l'auteur à des activités relevant
de la désobéissance civile.
3.2 L'auteur affirme également que sa condamnation est injuste parce
qu'il a agi en vertu d'une obligation juridique d'un rang supérieur. A
cet égard, il fait valoir que la possession d'armes nucléaires et les
préparatifs en vue de l'emploi d'armes nucléaires violent le droit international
public et équivalent à un crime contre la paix et à une conspiration en
vue de commettre un génocide. Il soutient que la stratégie militaire des
Pays-Bas viole non seulement les règles internationales du droit humanitaire,
mais également les articles 4, 6 et 7 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques.
3.3 S'agissant de sa deuxième condamnation, l'auteur indique qu'il est
victime d'une violation de l'article 26 du Pacte parce qu'un autre participant
à l'organisation qualifiée de "criminelle" n'a pas été poursuivi,
selon l'auteur parce que c'était un espion des services secrets.
3.4 L'auteur n'explique pas en quoi il se considère victime d'une violation
des articles 17 et 18 du Pacte.
3.5 L'auteur indique qu'il avait précédemment soumis la même question
à la Commission européenne des droits de l'homme, qui a déclaré sa requête
irrecevable.
Délibérations du Comité
4.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 14 du Pacte,
le Comité, après examen des documents émanant des tribunaux, note que
la question invoquée par l'auteur a été examinée par les tribunaux néerlandais,
y compris par la Cour de cassation, qui ont jugé que l'accusation et les
faits sur lesquels était fondée l'accusation étaient suffisamment précis
: il avait mis, de concert avec d'autres complices, des slogans antimilitaristes
sur des véhicules militaires et s'était livré à d'autres actes, après
s'être illégalement introduit dans l'enceinte de la base. Le Comité rappelle
qu'il ne constitue pas une ultime instance d'appel et qu'il n'est pas
en mesure de mettre en question l'appréciation des faits et des preuves
par les tribunaux nationaux. En conséquence, cette partie de la communication
est irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
4.3 L'auteur affirme en outre être victime d'une violation de l'article
15 du Pacte parce qu'il était impossible d'imaginer que l'article 140
du Code pénal, sur la base duquel il a été condamné, était applicable
à son cas, en raison de son imprécision. Le Comité rappelle le principe
qu'il a toujours appliqué / Voir notamment la décision du
Comité concernant la communication No 58/1979 (Anna Maroufidou
c. Suède), par. 10.1 (constatations adoptées le 9 avril 1981).
selon lequel c'est fondamentalement aux tribunaux et autorités de l'Etat
partie intéressé qu'il appartient d'interpréter la législation nationale.
Etant donné qu'il ne ressort pas des renseignements dont le Comité a été
saisi que, en l'espèce, la loi a été interprétée et appliquée de façon
arbitraire ou que son application a constitué un déni de justice, le Comité
considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu
de l'article 3 du Protocole facultatif.
4.4 En ce qui concerne les allégations de violation des articles 4, 6
et 7 du Pacte, le Comité considère que l'auteur n'a pas démontré, en mentionnant
simplement la stratégie militaire de l'Etat partie, qu'il est lui-même
victime d'une violation de ces articles par l'Etat partie. Cette partie
de la communication est donc irrecevable en vertu de l'article premier
du Protocole facultatif.
4.5 Pour ce qui est de l'allégation de violation des articles 17 et 18
du Pacte, le Comité estime que l'auteur n'a pas suffisamment démontré,
aux fins de la recevabilité, que les droits que lui confèrent ces articles
avaient été violés. Cette partie de la communication est donc irrecevable
en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
4.6 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 26, le
Comité rappelle que rien dans le Pacte ne confère un droit de voir une
autre personne faire l'objet de poursuites / Voir notamment
les décisions d'irrecevabilité adoptées par le Comité concernant les communications
Nos 213/1986 (H.C.M.A. c. Pays-Bas) et 396/1990 (M.S.
c. Pays-Bas). et que l'absence de poursuites à l'égard d'un individu
ne rend pas les poursuites engagées contre un autre individu impliqué
dans le même acte délictueux nécessairement discriminatoires, en l'absence
de circonstances particulières dénotant une intention délibérée d'instaurer
une inégalité de traitement devant la loi. Etant donné que l'existence
de telles circonstances n'a pas été démontrée en l'espèce, cette partie
de la communication, étant incompatible avec les dispositions du Pacte,
est donc irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
5. En conséquence, le Comité décide :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur de la communication,
à son conseil et, pour information, à l'Etat partie.
[Texte adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français.
Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le
rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]