Communication no 580/1994
Présentée par: |
Interights (organisation représentée par Mme Emma Playfair, Directeur exécutif, et Mme Natalia Schiffrin, juriste, agissant en qualité de représentant et de conseil de l’auteur) |
Au nom de: |
M. Glenn Ashby |
État partie: |
Trinité‑et‑Tobago |
Date de la
communication: |
6 juillet 1994 (date de la lettre initiale) |
Références: |
Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 86 et de l’article 91, communiquée à l’État partie le 13 juillet 1994 (non publiée sous forme de document) |
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CCPR/C/54/D/580/1994. Décision concernant la recevabilité adoptée par le Comité le 25 juillet 1995 |
Date de
l’adoption des constatations: |
21 mars 2002 |
Le 21 mars 2002, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication n° 580/1994. Le texte est annexé au présent document.
[ANNEXE]
Annexe
CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME
AU TITRE
DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF
SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF
AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
Soixante‑quatorzième session
concernant la
Communication n° 580/1994*
Présentée par: |
Interights (organisation représentée par Mme Emma Playfair, Directeur exécutif, et Mme Natalia Schiffrin, juriste, agissant en qualité de représentant et de conseil de l’auteur) |
Au nom de: |
M. Glenn Ashby |
État partie: |
Trinité‑et‑Tobago |
Date de la
communication: |
6 juillet 1994 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 21 mars 2002,
Ayant achevé l’examen de la communication no 580/1994 présentée en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte les constatations suivantes:
Constatations au titre du
paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1. La communication a été soumise le 6 juillet 1994 par Interights au nom de Glenn Ashby, citoyen de la Trinité‑et‑Tobago, alors en attente d’exécution à la prison d’État de Port of Spain (Trinité‑et‑Tobago). Le 14 juillet 1994, alors que la communication avait été transmise aux autorités de la Trinité‑et‑Tobago, M. Ashby a été exécuté à la prison d’État. Son conseil affirmait que M. Ashby était victime de violations des articles 6, 7, 10 (par. 1) et 14 (par. 1, 3 b), c), d), g) et 5) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques[1].
Rappel des faits présentés par le conseil
2.1 M. Ashby a été arrêté le 17 juin 1988. Il a été reconnu coupable de meurtre et condamné à mort par la cour d’assises de Port of Spain le 20 juillet 1989. La cour d’appel a rejeté son recours le 20 janvier 1994. Il a ensuite adressé une demande d’autorisation spéciale de former recours à la section judiciaire du Conseil privé, qui l’a rejetée le 6 juillet 1994. Le conseil de M. Ashby a déclaré qu’ainsi tous les recours internes disponibles, au sens du Protocole facultatif, avaient été épuisés. Restait la possibilité de présenter une requête constitutionnelle à la Cour suprême (constitutionnelle) de la Trinité‑et‑Tobago, mais le conseil a fait valoir que, l’État partie ne pouvant pas ou ne voulant pas fournir l’aide judiciaire nécessaire pour permettre aux condamnés de présenter des requêtes constitutionnelles, ce recours aurait été illusoire.
2.2 La pièce maîtresse de l’accusation était le témoignage d’un certain Selwyn Williams, qui avait conduit M. Ashby et un certain R. Blackman jusque sur les lieux où le meurtre allait être commis. Le témoin a déclaré qu’avant d’entrer dans la maison de la victime, avec Blackman, M. Ashby avait un couteau à la main. D’après le même témoin, après avoir quitté la maison et être remonté dans la voiture, M. Ashby aurait dit qu’il avait «donné un coup de couteau» à l’occupant de la maison. Cet élément a été corroboré par le médecin légiste qui a conclu que la victime était morte d’un coup de couteau porté au cou. De plus, M. Ashby lui‑même aurait fait des déclarations orales et écrites à la police reconnaissant qu’il avait tué la victime.
2.3 La défense a contesté la crédibilité du témoignage de S. Williams et affirmé que M. Ashby était innocent. Elle a fait valoir qu’il existait des éléments de preuve manifestes montrant que M. Williams était lui‑même complice, que M. Ashby n’avait pas de couteau sur lui, que Blackman avait tout fait pour impliquer M. Ashby et que celui‑ci avait été brutalisé par un policier après son arrestation et qu’il avait fait cette déclaration parce que la police lui avait promis qu’il pourrait rentrer chez lui s’il faisait des aveux.
Chronologie des faits relatifs à l’exécution de M. Ashby
3.1 Le secrétariat du Comité des droits de l’homme a reçu, le 7 juillet 1994, la communication présentée au nom de M. Ashby au titre du Protocole facultatif. Le 13 juillet 1994, le conseil a envoyé des précisions supplémentaires. Le même jour, le Rapporteur spécial du Comité pour les nouvelles communications a pris une décision en application des articles 86 et 91 du règlement intérieur, décision qu’il a adressée aux autorités de la Trinité‑et‑Tobago, demandant un sursis à exécution tant que le Comité n’aurait pas achevé d’examiner l’affaire, et sollicitant des renseignements et des observations se rapportant à la question de la recevabilité de la communication.
3.2 La demande formulée au titre des articles 86 et 91 du règlement intérieur a été transmise à la Mission permanente de la Trinité‑et‑Tobago à Genève, à 16 h 5, heure de Genève (10 h 5, heure de la Trinité‑et‑Tobago), le 13 juillet 1994. D’après la Mission permanente, cette demande a été adressée par télécopie aux autorités de Port of Spain entre 16 h 30 et 16 h 45 le même jour (10 h 30 et 10 h 45, heure de la Trinité‑et‑Tobago).
3.3 Toute la nuit du 13 au 14 juillet 1994, des efforts ont continué d’être déployés pour obtenir un sursis à l’exécution, devant la cour d’appel de la Trinité‑et‑Tobago, ainsi que devant la section judiciaire du Conseil privé, à Londres. Quand cette dernière a délivré une ordonnance de sursis à exécution, le 14 juillet, peu après 11 h 30, heure de Londres (6 h 30, heure de la Trinité‑et‑Tobago), on a appris que M. Ashby avait déjà été exécuté. Au moment de l’exécution, la cour d’appel de la Trinité‑et‑Tobago siégeait pour délibérer de l’opportunité de délivrer une ordonnance de sursis à exécution.
3.4 Le 26 juillet 1994, le Comité a adopté une décision rendue publique exprimant son indignation devant l’inobservation par l’État partie de la demande du Comité au titre de l’article 86 du règlement intérieur; il a décidé de maintenir la communication à l’examen, au titre du Protocole facultatif, et fermement exhorté l’État partie à veiller, par tous les moyens à sa disposition, à ce que des situations analogues à celles qui avaient abouti à l’exécution de M. Ashby ne se reproduisent pas. La décision publique du Comité a été transmise à l’État partie le 27 juillet 1994.
Teneur de la plainte
4.1 Le conseil affirme qu’il y a eu violation des articles 7 et 10 et du paragraphe 3 g) de l’article 14, au motif que M. Ashby a été brutalisé et maltraité au poste de police après son arrestation. Il aurait signé ses aveux sous la contrainte, car on lui aurait dit qu’il serait remis en liberté s’il signait.
4.2 Le conseil affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 de la part de l’État partie, M. Ashby n’ayant pas été convenablement représenté en justice avant le procès et pendant l’audience. Le conseil souligne que l’avocat commis d’office ne s’est guère entretenu avec son client pour préparer la défense. Le même avocat aurait plaidé l’appel sans aucune conviction.
4.3 D’après le conseil, le fait que, d’une part, la cour d’appel n’avait pas rectifié l’erreur commise par le juge n’appelant pas l’attention du jury sur les dangers qu’il y avait à se fonder sur la déposition d’un complice, non confirmée par un autre témoin, et que, d’autre part, le Conseil privé n’avait pas non plus relevé cette omission ni un certain nombre d’irrégularités matérielles dont le procès avait été entaché, représentait une violation du droit de M. Ashby à un procès équitable.
4.4 Dans sa communication initiale, le conseil affirmait que M. Ashby était victime d’une violation des articles 7 et 10 (par. 1) en raison de sa détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort (4 ans, 11 mois et 16 jours). D’après le conseil, cette détention prolongée dans des conditions difficiles, M. Ashby étant très à l’étroit, avec des installations sanitaires et des possibilités de distraction très insuffisantes voire inexistantes, équivalait à un traitement cruel, inhumain et dégradant au sens de l’article 7. À l’appui de cet argument, le conseil joint des jugements rendus récemment par la section judiciaire du Conseil privé et par la Cour suprême du Zimbabwe[2].
4.5 Le conseil affirme que cette exécution constitue une violation des droits consacrés dans le Pacte, parce que M. Ashby a été exécuté 1) alors que le Conseil privé avait reçu l’assurance qu’il ne le serait pas avant que toutes les voies de recours n’aient été épuisées, 2) alors que sa demande de sursis à exécution était toujours pendante auprès de la cour d’appel de la Trinité‑et‑Tobago et 3) quelques minutes seulement après que le Conseil privé eut rendu une ordonnance conservatoire prescrivant que la peine capitale ne devait pas être exécutée. De surcroît, M. Ashby a été exécuté en violation de la demande formulée par le Comité au titre de l’article 86 du règlement intérieur du Comité.
4.6 Le conseil affirme en outre que l’exécution de M. Ashby a représenté une violation des droits consacrés:
- Par le paragraphe 1 de l’article 14, parce qu’elle a eu lieu avant que toutes les actions engagées aient été menées à bonne fin;
- Par le paragraphe 5 de l’article 14, parce qu’elle a eu lieu avant que la cour d’appel de la Trinité‑et‑Tobago, le Conseil privé et le Comité des droits de l’homme aient pu examiner sa déclaration de culpabilité et la légalité de sa peine. Le conseil rappelle à ce propos la jurisprudence du Comité selon laquelle le paragraphe 5 de l’article 14 s’applique pour toutes les voies de recours prévues par la loi[3].
4.7 Le conseil reconnaît que l’on peut se demander si M. Ashby avait le droit, conformément au paragraphe 5 de l’article 14, de faire examiner sa sentence par une instance supérieure, où il avait la possibilité de soumettre la requête constitutionnelle, ce qu’il avait déjà entrepris de faire; il attendait le résultat. Elle fait valoir que, quand un individu a été autorisé à engager une action et que la procédure en est effectivement au stade où un tribunal est appelé à examiner l’affaire, l’intéressé a le droit, conformément au paragraphe 5 de l’article 14, de se prévaloir utilement de cette voie de recours. De plus, le conseil affirme que ce coup d’arrêt dans la procédure d’appel a été si grave qu’il a entraîné une violation non seulement du droit d’appel consacré au paragraphe 5 de l’article 14, mais aussi du droit à un procès équitable et à l’égalité devant les tribunaux consacré au paragraphe 1 de ce même article. Il est évident que les garanties énoncées au paragraphe 1 de l’article 14 s’appliquent à la procédure constitutionnelle. Le conseil s’appuie à cet égard sur les constatations du Comité dans l’affaire Currie c. Jamaïque (communication n° 377/1989).
4.8 Il est affirmé qu’il y a eu violation de l’article 6 pour deux raisons: d’abord, c’est porter atteinte au paragraphe 1 de cet article que d’exécuter un condamné quand les autres garanties prescrites dans le Pacte n’ont pas été observées; ensuite, les prescriptions spécifiques des paragraphes 2 et 4 de l’article 6 n’ont pas été respectées non plus. Enfin, le conseil fait valoir qu’au sens du paragraphe 2 de l’article 6, l’expression «jugement définitif» doit être interprétée en l’espèce comme visant également toute décision concernant la requête constitutionnelle, parce qu’un jugement définitif, suite à l’action tendant à contester la constitutionnalité de l’exécution de M. Ashby, aurait en réalité constitué le jugement ultime, «définitif», dans cette affaire. De plus, le paragraphe 4 de l’article 6 a été violé parce que M. Ashby avait entrepris de faire valoir son droit de demander une commutation de peine au moment où il a été exécuté.
Observations de l’État partie et observations du conseil à leur sujet
5.1 Dans des observations datées du 18 janvier 1995, l’État partie a déclaré que les autorités compétentes de son gouvernement «n’avaient pas connaissance de la requête adressée par le Rapporteur spécial en application de l’article 86 du règlement intérieur au moment où M. Ashby avait été exécuté. Le Représentant permanent de la Trinité‑et‑Tobago à Genève avait transmis un mémorandum, par télécopie, à 16 h 34 (heure de Genève) (10 h 34, heure de la Trinité‑et‑Tobago), le 13 juillet 1994. Dans ce mémorandum, il était fait référence à une note du Centre pour les droits de l’homme mais la note n’était pas annexée. La communication complète soumise au nom de M. Ashby ainsi que la demande formulée par le Rapporteur spécial en application de l’article 86, n’étaient parvenues au Ministère des affaires étrangères que le 18 juillet 1994, soit quatre jours après l’exécution de M. Ashby».
5.2 L’État partie note que, «à moins que le Comité n’ait appelé son attention sur l’urgence de la requête et sur l’imminence de l’exécution de M. Ashby, le Représentant permanent ne pouvait en aucune manière savoir que la requête devait être transmise avec la plus extrême urgence aux autorités compétentes de la Trinité‑et‑Tobago. Nul ne sait si le Comité a réellement indiqué au Représentant permanent que la demande était urgente». M. Ashby a été exécuté le 14 juillet 1994, à 6 h 40 (heure de la Trinité‑et‑Tobago).
5.3 Selon l’État partie, la chronologie des événements qui ont précédé l’exécution de M. Ashby est la suivante: «Le 13 juillet 1994, une requête constitutionnelle a été déposée au nom de M. Ashby pour contester la constitutionnalité de l’exécution de la sentence de mort qui avait été prononcée. Les avocats de M. Ashby demandaient une ordonnance de sursis à exécution jusqu’à ce que la Cour se soit prononcée sur la requête. La High Court a refusé le sursis à exécution, estimant que M. Ashby n’avait présenté aucun argument valable justifiant une ordonnance conservatoire (le sursis à exécution). Un appel a été interjeté au nom de M. Ashby, assorti d’une nouvelle demande de sursis à exécution en attendant que l’appel soit tranché. Les avocats ont aussi cherché à mettre en échec la procédure établie des tribunaux de la Trinité‑et‑Tobago en pressentant directement le Conseil privé pour obtenir un sursis à exécution, sans attendre les décisions de la High Court et de la cour d’appel. La situation était très confuse au sujet de garanties dont on ne savait pas si le représentant du Procureur général les avait ou non données au Conseil privé et au sujet de la compétence de ce dernier pour ordonner le sursis à exécution ou une ordonnance conservatoire avant que la cour d’appel locale n’ait rendu sa décision.».
5.4 L’État partie indique ensuite que, «cherchant à préserver le statu quo, le Conseil privé a rendu une ordonnance conservatoire au cas où la cour d’appel refuserait le sursis à exécution, à 11 h 45 (heure du Royaume‑Uni) (6 h 45 heure de la Trinité‑et‑Tobago), le 14 juillet 1994, soit cinq minutes après l’exécution. L’avocat de M. Ashby a indiqué à la cour d’appel, à 6 h 52 (heure de la Trinité‑et‑Tobago), qu’il avait reçu par télécopie un document provenant du greffe du Conseil privé faisant savoir qu’une ordonnance conservatoire avait été rendue pour le cas où la cour d’appel refuserait le sursis à exécution. L’ordonnance semblait subordonnée à un refus de la cour d’appel d’accorder le sursis à exécution».
5.5 D’après l’État partie, «M. Ashby a été exécuté conformément à un ordre d’exécution signé par le Président, alors qu’il n’existait aucun ordre, d’une autorité judiciaire ou du Président, de surseoir à l’exécution. La Commission consultative des grâces, ayant examiné l’affaire, n’a pas recommandé de gracier M. Ashby».
5.6 L’État partie «doute que le Comité soit compétent pour examiner la communication, du fait qu’elle a été soumise à un moment où M. Ashby n’avait pas encore épuisé les recours internes, raison pour laquelle elle devrait être déclarée irrecevable au titre de l’article 90». Il récuse par ailleurs l’affirmation formulée par le Comité dans sa décision rendue publique le 26 juillet 1994, selon laquelle l’État partie ne se serait pas acquitté de ses obligations en vertu du Protocole facultatif et en vertu du Pacte: «Outre que les autorités compétentes n’avaient pas connaissance de la requête [du Rapporteur spécial], l’État partie est d’avis que l’article 86 n’habilite pas le Comité à faire la requête qu’il a formulée et qu’il n’impose pas à l’État partie l’obligation de s’y conformer.».
6.1 Dans des observations du 13 janvier 1995, l’avocate de M. Ashby précise les circonstances de la mort de son client et présente de nouvelles allégations se rapportant à l’article 6 du Pacte, ainsi que des informations supplémentaires sur les plaintes initialement déposées au titre des articles 7 et 14. Elle présente ces observations à la demande expresse de Desmond Ashby, le père de Glenn Ashby, qui a prié le Comité d’examiner plus avant le cas de son fils.
6.2 Selon le conseil, la chronologie des événements est la suivante: «Le 7 juillet 1994, par l’intermédiaire de ses avocats à la Trinité‑et‑Tobago, Glenn Ashby a adressé une lettre à la Commission des grâces... M. Ashby sollicitait le droit d’être entendu par cet organe, indiquant que le Comité des droits de l’homme était saisi de sa communication et demandant à la Commission des grâces d’attendre les recommandations du Comité. Le 12 juillet 1994, la Commission des grâces a rejeté la requête de Glenn Ashby.» Le même jour, l’ordre fixant l’exécution au 14 juillet 1994 à 6 heures du matin a été lu à M. Ashby.
6.3 Le 13 juillet 1994, les avocats de M. Ashby à la Trinité‑et‑Tobago ont déposé une requête constitutionnelle auprès de la High Court pour demander une ordonnance conservatoire de sursis à exécution au motif: 1) de la durée excessive de la détention avant l’exécution de la sentence (conformément à la jurisprudence du Conseil privé dans l’affaire Pratt et Morgan); 2) du refus de la Commission des grâces de prendre en considération les recommandations du Comité des droits de l’homme; 3) de l’intervalle, d’une brièveté sans précédent, écoulé entre la lecture de l’ordre d’exécution et la date de l’exécution. Les défendeurs étaient le Procureur général, le Directeur de l’administration pénitentiaire et le Marshal (directeur de la prison). Le 13 juillet, vers 15 h 30, heure de Londres, au cours d’une audience extraordinaire du Conseil privé, les avocats londoniens de Glenn Ashby ont demandé en son nom un sursis à exécution. Le représentant du Procureur général de la Trinité‑et‑Tobago a alors annoncé au Conseil privé que le condamné ne serait pas exécuté tant que toutes les voies de droit ouvertes pour obtenir le sursis à exécution, y compris les requêtes auprès de la cour d’appel de la Trinité‑et‑Tobago et auprès du Conseil privé, ne seraient pas épuisées. Cet engagement a été consigné par écrit et signé par l’avocat de M. Ashby et par le représentant du Procureur général. Fort de cette assurance, le Conseil privé n’a rendu aucune ordonnance formelle.
6.4 Le 13 juillet également, après une audience de la High Court de la Trinité‑et‑Tobago, le juge a refusé le sursis à exécution. Immédiatement après, un appel a été formé et la cour d’appel de la Trinité‑et‑Tobago a ouvert l’audience sur le recours vers 0 h 30, heure de la Trinité‑et‑Tobago, le 14 juillet. Devant la cour d’appel, l’avocat des défendeurs a déclaré que, quelque assurance qu’ait pu recevoir le Conseil privé, Glenn Ashby serait pendu à 7 heures du matin, heure de la Trinité‑et‑Tobago (midi, heure de Londres), à moins que la cour d’appel n’ordonne une mesure conservatoire. La cour d’appel a alors proposé de s’ajourner à 11 heures, heure de la Trinité‑et‑Tobago, afin de se renseigner sur ce qui s’était exactement passé au Conseil privé. Les avocats de M. Ashby ont demandé une ordonnance conservatoire valable jusqu’à 11 heures, en faisant remarquer que l’exécution avait été reportée à 7 heures du matin et que l’avocat des défendeurs avait indiqué sans ambiguïté que le condamné ne pouvait en aucune manière compter sur les garanties données au Conseil privé. La cour a considéré que, dans l’intervalle, M. Ashby pouvait compter sur les assurances données au Conseil privé, et a donc refusé de rendre une ordonnance conservatoire. La cour a donc décidé de s’ajourner à 6 heures du matin. Les avocats de M. Ashby ont demandé une ordonnance conservatoire provisoire valable jusqu’à 6 heures du matin mais la cour a refusé. À aucun moment les avocats de l’État partie n’ont indiqué que l’exécution devait avoir lieu plus tôt que 7 heures du matin.
6.5 Le 14 juillet, à Londres, à 10 h 30 (heure de Londres), lors d’une audience extraordinaire du Conseil privé, le représentant du Procureur général de la Trinité‑et‑Tobago à Londres a signé un document, contresigné par le conseil de Glenn Ashby, rendant compte de ce qui s’était passé et de ce qui avait été dit au Conseil privé le 13 juillet. Le greffier du Conseil privé a immédiatement adressé par télécopie ce document, comportant trois pages manuscrites, à la cour d’appel et aux avocats des deux parties à la Trinité‑et‑Tobago. Les avocats de M. Ashby à la Trinité‑et‑Tobago l’ont reçu avant 6 heures du matin. Le Conseil privé a alors demandé des précisions supplémentaires sur la position du Procureur général. Comme il n’en obtenait pas, il a ordonné le sursis à exécution, vers 11 h 30, heure de Londres, enjoignant que l’exécution n’ait pas lieu. À peu près à la même heure, vers 6 h 20 à la Trinité‑et‑Tobago, la cour d’appel reprenait l’audience. Les avocats de Glenn Ashby ont informé la cour qu’en ce même moment le Conseil siégeait à Londres. Le conseil de M. Ashby a remis à la cour le document de trois pages reçu par télécopie.
6.6 Vers 6 h 40, les avocats de M. Ashby ont à nouveau demandé à la cour d’appel de la Trinité‑et‑Tobago une ordonnance conservatoire. L’ordonnance conservatoire a été refusée, la cour faisant à nouveau valoir que Glenn Ashby pouvait compter sur les assurances données au Conseil privé. L’un des avocats de M. Ashby a alors produit à l’audience une transcription manuscrite d’une ordonnance de sursis à exécution émanant du Conseil privé, qui lui avait été dictée au téléphone; elle avait été rendue à 6 h 30 environ, heure de la Trinité‑et‑Tobago (11 h 30, heure de Londres). Peu de temps après, on a annoncé que M. Ashby avait été pendu à 6 h 40.
Décision concernant la recevabilité
7.1 À sa cinquante‑quatrième session, en juillet 1995, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.
7.2 Pour ce qui est des allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 14, concernant le fait que le juge n’a pas mis en garde le jury contre le risque d’erreur qu’il y avait à compter exclusivement sur le témoignage d’un complice éventuel, le Comité rappelle que c’est aux tribunaux des États parties au Pacte et non à lui‑même qu’il appartient au premier chef d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée. Il appartient aux juridictions d’appel des États parties au Pacte et non au Comité d’examiner la conduite du procès et les instructions données au jury par le juge, à moins qu’il ne puisse être établi que l’appréciation des preuves a été à l’évidence arbitraire ou a représenté un déni de justice ou encore que le juge a manifestement manqué à son devoir d’impartialité. Dans le cas de M. Ashby, les minutes du procès ne montrent pas que le procès conduit par la cour d’assises de Port of Spain ait été entaché de telles irrégularités. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 3 du Protocole facultatif parce qu’elle est incompatible avec les dispositions du Pacte.
7.3 Pour ce qui est des allégations concernant les mauvais traitements qui auraient été infligés à M. Ashby après son arrestation, l’insuffisance de la préparation de sa défense et de sa représentation en justice, le caractère contraint de ses aveux, les retards excessifs mis pour rendre la décision concernant l’appel qu’il avait formé ainsi que les conditions de sa détention, le Comité estime qu’elles ont été suffisamment étayées, aux fins de la recevabilité. Ces allégations, qui peuvent soulever des questions au titre de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10 et des paragraphes 3 b), c), d) et g) ainsi que du paragraphe 5 de l’article 14, doivent donc être examinées quant au fond.
7.4 Concernant les allégations de violation de l’article 6, le Comité a pris note de l’argument de l’État partie, qui a avancé que, la communication ayant été soumise alors que M. Ashby n’avait pas épuisé les recours internes, la communication devait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le conseil a fait valoir que, M. Ashby ayant été illégalement exécuté alors qu’il avait engagé des recours en justice, l’État partie est forclos à affirmer qu’il reste des recours internes à former.
7.5 Le Comité fait observer que c’était en vue d’éviter «qu’un tort irréparable» ne soit fait à l’auteur qu’en application de l’article 86 du règlement intérieur, le Rapporteur spécial du Comité a formulé, le 13 juillet 1994, une demande de sursis à exécution; cette demande avait pour objet de permettre à l’auteur d’aller jusqu’au bout des recours en instance et au Comité de statuer sur la recevabilité de la communication de l’auteur. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité conclut que l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la plainte de l’auteur au titre de l’article 6 et que, en ce qui concerne la plainte du conseil selon laquelle M. Ashby a été arbitrairement privé de la vie, il n’est pas nécessaire que le conseil épuise les recours internes disponibles avant de pouvoir saisir le Comité.
8. En conséquence, le 14 juillet 1995, le Comité des droits de l’homme a décidé que la communication était recevable dans la mesure où elle semblait soulever des questions au titre des articles 6 et 7, du paragraphe 1 de l’article 10 et des paragraphes 3 b), c), d) et g) ainsi que du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
Observations de l’État partie sur le fond et commentaires de l’auteur
9.1 Dans une lettre du 3 juin 1996, l’État partie présente des explications et des déclarations concernant le fond de la communication.
9.2 En ce qui concerne les mauvais traitements qu’aurait subis M. Ashby après son arrestation, l’État partie renvoie aux minutes du procès. Il indique que les allégations en question ont été formulées à propos des aveux de M. Ashby et que ce dernier a eu la possibilité de faire une déposition et a subi un contre‑interrogatoire à ce sujet. Cet aspect de la plainte a donc été examiné par les tribunaux de l’État partie de manière impartiale, et les conclusions du tribunal doivent l’emporter.
9.3 En ce qui concerne le fait que la défense de M. Ashby n’a pas été convenablement préparée, l’État partie répond que l’avocat commis d’office, qui a représenté l’auteur, est un conseil réputé et compétent, qui plaide des affaires pénales à Trinité‑et‑Tobago. L’État partie joint en annexe à sa lettre des observations de ce dernier réfutant les allégations de M. Ashby.
9.4 L’État partie réaffirme qu’en ce qui concerne les aveux passés sous la contrainte, le procès a été équitable. La cour d’appel et la State Court de Trinité‑et‑Tobago avaient connaissance du grief concernant les aveux et ont examiné les faits et les pièces à conviction de manière impartiale.
9.5 Quant au fait que le recours de M. Ashby a été jugé avec un retard excessif, l’État partie insiste sur la situation qui régnait à l’époque à Trinité‑et‑Tobago. Il fait valoir que ces lenteurs sont dues à la pratique suivie dans tous les procès pour meurtre d’utiliser des preuves manuscrites, lesquelles doivent ensuite être dactylographiées, puis vérifiées par le juge du fond concerné, dont l’emploi du temps est par ailleurs chargé. En outre, il s’est révélé difficile de recruter des juristes ayant les compétences voulues pour occuper les fonctions de juge, au point que la Constitution a dû être modifiée pour autoriser la nomination de juges à la retraite. Quoi qu’il en soit, les juges qui siègent à la High Court ne sont pas assez nombreux face à l’augmentation des appels formés dans des affaires pénales. L’État partie explique qu’entre janvier 1994 et avril 1995, après la décision rendue par la section judiciaire du Conseil privé dans l’affaire Pratt et Morgan, la High Court n’a pratiquement examiné que des recours portant sur des affaires de meurtre, au détriment des recours en matière civile.
9.6 L’État partie considère que les conditions de détention de M. Ashby sont analogues à celles de tous les prisonniers détenus dans le quartier des condamnés à mort. Il appelle l’attention sur une déclaration du Directeur général des prisons, jointe à sa lettre, qui décrit les conditions de vie des prisonniers dans le quartier des condamnés à mort. L’État partie affirme que les faits en cause dans l’affaire Pratt et Morgan et le jugement rendu au Zimbabwe sont si différents de l’affaire Ashby que ces références ne sont pas d’une grande utilité, à supposer qu’elles en aient une.
9.7 En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 6 du Pacte, l’État partie considère que le Comité ne devrait pas examiner cette plainte, étant donné qu’une procédure est en instance devant la High Court de Trinité‑et‑Tobago concernant l’exécution de M. Ashby. Sans préjuger la question, l’État partie fait valoir que M. Ashby n’avait pas le droit d’être entendu par la Commission des grâces, vu que la préséance allait à la décision de la section judiciaire du Conseil privé[4].
9.8 L’État partie conteste l’exposé des faits présenté par le conseil. En particulier, il est inexact que la cour d’appel ait exprimé l’avis que le conseil pouvait compter sur l’assurance donnée au Conseil privé que M. Ashby ne serait pas exécuté. Ce que la cour d’appel a déclaré, c’est qu’elle ne ferait rien tant que la section judiciaire du Conseil privé n’aurait pas statué.
9.9 Le 26 juillet 1996, le conseil a demandé au Comité de suspendre l’examen de la communication quant au fond étant donné que l’on pouvait considérer qu’un recours interne utile était devenu disponible. Le conseil a annoncé que le père de M. Ashby engageait une procédure constitutionnelle et une procédure civile contre l’État partie concernant les circonstances de l’exécution. Le 16 juillet 2001, le conseil a demandé au Comité de reprendre l’examen de l’affaire et déclaré que les avocats de la famille à Trinité‑et‑Tobago n’avaient pas pu résoudre les difficultés liées aux conditions requises par la procédure en matière constitutionnelle et civile.
Examen quant au fond
10.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par les parties.
10.2 Le Comité relève que l’État partie fait valoir que les avocats de M. Ashby à Trinité‑et‑Tobago ont engagé, au nom de la succession et du père du défunt, des procédures judiciaires concernant les circonstances ayant entouré l’exécution de M. Ashby. Le Comité note que les procédures civiles et constitutionnelles en question n’entrent pas en ligne de compte pour l’examen des plaintes présentées dans le cas à l’examen. Toutefois, le Comité a respecté la demande formulée par le conseil l’invitant à suspendre l’examen de la communication quant au fond (voir par. 9.9).
10.3 En ce qui concerne les allégations de brutalités et les circonstances ayant abouti à la signature des aveux, le Comité note que M. Ashby n’a pas donné de détails précis sur les incidents ni indiqué les personnes qu’il considérait comme responsables. Toutefois, les minutes du procès qui ont été communiquées par l’État partie donnent des indications sur ses allégations. Le Comité relève que les allégations de M. Ashby ont été examinées par le tribunal trinidadien et qu’il a eu la possibilité de déposer et a subi un contre‑interrogatoire. Ses allégations ont également été mentionnées dans l’arrêt de la cour d’appel. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties, et non à lui‑même, d’apprécier les faits dans un cas d’espèce. Les éléments portés à la connaissance du Comité et les arguments invoqués par l’auteur ne montrent pas que l’appréciation des faits par les tribunaux ait été manifestement arbitraire ou ait représenté un déni de justice[5]. Le Comité estime qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour conclure que l’État partie a violé les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 7 du Pacte.
10.4 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’auteur n’aurait pas été convenablement représenté en justice et sa défense n’aurait pas été convenablement préparée pour le procès et en appel, le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que l’État partie ne peut être tenu pour responsable du comportement de l’avocat de la défense, sauf si le juge avait constaté ou aurait dû constater que la conduite de l’avocat était incompatible avec l’intérêt de la justice[6]. Dans le cas à l’examen, le Comité n’a aucune raison de penser que l’avocat n’avait pas fait ce qui lui paraissait le mieux. Il ressort des minutes du procès que l’avocat a procédé à un contre‑interrogatoire de tous les témoins. En outre, l’arrêt rendu en appel montrait que les moyens avancés par l’avocat avaient été examinés et pleinement pris en compte par la High Court dans l’exposé des motifs. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que l’avocat ou l’auteur se soit jamais plaint au juge de n’avoir pas eu assez de temps pour préparer la défense. En conséquence, le Comité estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation du Pacte à cet égard.
10.5 Le conseil fait également valoir que le recours de M. Ashby a été jugé avec un retard excessif. Le Comité note que la cour d’assises de Port of Spain a reconnu M. Ashby coupable de meurtre et l’a condamné à mort le 20 juillet 1989 et que la cour d’appel a confirmé la condamnation le 20 janvier 1994. M. Ashby est resté en détention pendant ce temps. Le Comité prend note des explications fournies par l’État partie concernant la lenteur de la procédure d’examen du recours de M. Ashby. Le Comité constate que l’État partie n’a pas déclaré que cette lenteur de la procédure était due au fait de l’accusé et estime que le manquement à cette règle n’est pas justifié par la complexité de l’affaire. L’insuffisance des effectifs et l’arriéré des dossiers en souffrance ne sont pas des justifications suffisantes à cet égard[7]. En l’absence d’explication satisfaisante de la part de l’État partie, le Comité considère que l’intervalle de quatre ans et demi environ entre le jugement et l’arrêt de la cour d’appel n’était pas compatible avec les dispositions des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14 du Pacte.
10.6 En ce qui concerne les conditions de détention de M. Ashby (voir par. 4.4), le Comité réaffirme sa jurisprudence constante en la matière, à savoir que le fait d’être détenu dans le quartier des condamnés à mort pendant une période déterminée, en l’absence d’autres circonstances impérieures, n’est pas en soi une violation de l’article 7 du Pacte. Le Comité conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 en l’espèce.
10.7 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle les conditions de détention de M. Ashby constituent une violation de l’article 10 du Pacte, le Comité note qu’après sa décision concernant la recevabilité, aucun élément nouveau n’a été soumis pour étayer cette allégation de M. Ashby. Par conséquent, le Comité n’est pas en mesure de conclure à une violation de l’article 10 du Pacte.
10.8 Enfin, le conseil affirme que M. Ashby a été arbitrairement privé de la vie lorsque l’État partie l’a fait exécuter alors qu’il était parfaitement informé du fait que M. Ashby avait engagé des procédures de recours devant la cour d’appel de l’État partie, la section judiciaire du Conseil privé et devant le Comité des droits de l’homme. Le Comité estime que, dans ces circonstances (voir plus haut les paragraphes 6.3 à 6.6), l’État partie n’a pas respecté les obligations contractées en vertu du Pacte. En outre, compte tenu du fait que le représentant du Procureur général a annoncé au Conseil privé que M. Ashby ne serait pas exécuté tant que toutes les voies de droit ouvertes pour obtenir le sursis à exécution ne seraient pas épuisées, l’exécution de M. Ashby en dépit de l’assurance qui avait été donnée constituait une violation du principe de bonne foi qui gouverne la conduite de tous les États dans l’accomplissement de leurs obligations découlant des traités internationaux, notamment du Pacte. Exécuter M. Ashby alors qu’il n’avait pas été statué sur les recours formés contre l’exécution de la peine constituait une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 6 du Pacte.
10.9 Touchant l’exécution de M. Ashby, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, toute violation éventuelle des droits énoncés par le Pacte mise à part, l’État partie commet un manquement grave à ses obligations au titre du Protocole facultatif si ses actes ont pour effet d’empêcher ou de rendre inopérant l’examen par le Comité d’une communication faisant état d’une violation du Pacte, ou de faire en sorte que son examen par le Comité soit controversé et que l’expression des constatations soit inutile et futile[8]. Par son attitude, l’État partie a manqué de manière choquante à l’obligation de faire preuve de la plus élémentaire bonne foi à l’égard du Pacte et du Protocole facultatif.
10.10 Le Comité estime que l’État partie a agi en violation des obligations contractées en vertu du Protocole en procédant à l’exécution de M. Ashby avant que le Comité puisse achever l’examen de la communication et formuler ses constatations. L’État est particulièrement inexcusable d’avoir agi ainsi alors que le Comité lui avait demandé, en vertu de l’article 86 du règlement intérieur, de ne pas procéder à l’exécution. Agir au mépris du règlement intérieur, en prenant des mesures irréversibles, notamment en procédant à l’exécution de la victime présumée, porte atteinte à la protection conférée par le Protocole facultatif aux droits énoncés dans le Pacte.
11. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations des paragraphes 1 et 2 de l’article 6 et des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14.
12. Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, M. Ashby aurait eu droit à un recours utile, afin, en premier lieu, d’avoir la vie sauve. Une indemnisation adéquate devrait être accordée aux membres survivants de sa famille.
13. En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. La communication a été adressée au Comité avant que la dénonciation par la Trinité‑et‑Tobago du Protocole facultatif ne prenne effet, le 27 juin 2000[9]; conformément au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole facultatif, les dispositions de cet instrument continuent d’être applicables à l’État partie. Conformément à l’article 2 du Pacte, celui‑ci s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]
Notes
* Constatations rendues publiques sur décision du Comité des droits de l’homme.
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.
[1] Initialement, le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Trinité‑et‑Tobago le 14 février 1981. Le 26 mai 1998, le Gouvernement de Trinité‑et‑Tobago a dénoncé le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le même jour, il y a adhéré de nouveau en formulant une réserve selon laquelle «le Comité des droits de l’homme n’aura pas compétence pour recevoir et examiner des communications concernant un détenu condamné à mort pour ce qui est de toute question ayant trait aux poursuites judiciaires dont il aura fait l’objet, à sa détention, à son procès, à sa condamnation et à sa peine ou à l’exécution de la peine de mort à son encontre ou à toute question connexe». Le 27 mars 2000, le Gouvernement de Trinité‑et‑Tobago a de nouveau dénoncé le Protocole facultatif.
[2] Section judiciaire du Conseil privé, Pratt and Morgan v. Attorney‑General of Jamaica, affaire n° 10/1993, jugement du Conseil privé du 2 novembre 1993; Cour suprême du Zimbabwe: jugement n° SC 73/93, du 24 juin 1993.
[3] Communication n° 230/1987, Henry c. Jamaïque, par. 8.4; constatations adoptées le 1er novembre 1991.
[4] De Freitas v. Benny (1975), 3 WLR 388; Reckley v. Minister of Public Safety (n° 2) (1996), 2 WLR 281, de 291G à 292G.
[5] Terrence Sahadeo c. Guyana, communication no 728/1996, constatations adoptées le 1er novembre 2001, par. 9.3.
[6] Voir, entre autres, la décision du Comité concernant la communication no 536/1993, Perera c. Australie, déclarée irrecevable le 28 mars 1995.
[7] Communication no 390/1990, Lubuto c. Zambie, par. 7.3.
[8] Voir la communication no 707/1996, Patrick Taylor c. Jamaïque, par. 8.5.
[9] Communications nos 839/1998, 840/1998 et 841/1998, Mansaraj et consorts c. Sierra Leone, Gborie et consorts c. Sierra Leone et Sesay et consorts c. Sierra Leone, par. 5.1 et suiv.; communication no 869/1999, Piandiong et consorts c. Philippines, par. 5.1 et suiv.
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